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Jurisprudence : Contenus illicites

jeudi 29 mars 2007
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Tribunal de grande instance de Nanterre Ordonnance de référé 23 mars 2007

Jean Luc Delarue / Société de conception de presse et d'édition (Scpe)

contenus illicites - droit à l'image - droit au nom - parodie - publicité - site internet - video

FAITS ET PROCEDURE

Nous, Président, après voir entendu les parties présentes ou leurs conseils à l’audience du 16 mars 2007 avons mis l’affaire en délibéré à ce jour ;

La société de conception de presse et d’édition, dite Scpe, éditrice du magazine Choc et du site internet du magazine accessible à l’adresse URL http://www.choc.fr/ diffuse depuis le 7 mars 2007 une vidéo publicitaire intitulée « Delarue la vidéo » d’une durée d’une minute et quarante huit secondes, annoncée en page d’accueil du site au moyen de clichés extraits de la vidéo avec les mentions suivantes : « Delarue le vidéo » « déjà culte » « exclusive », renvoyant à la vidéo mise en ligne à l’adresse http://www.choc.fr/mordus/ dans une fenêtre comportant l’intitulé : « Choc.fr La vidéo exclusive de Delarue dans l’avion ».

Cette vidéo de mauvaise qualité, qui semble sortie d’un téléphone portable, est présentée comme étant la vidéo de l’incident survenu le 14 février 2007 pendant le vol Air France Paris-Johannesburg à la suite duquel « trois hôtesses et stewards d’Air France du vol AF 990, ont déposé plainte le 16 février auprès de la police des frontières de l’aéroport de Roissy contre Jean Luc Delarue, qui aurait eu un comportement agressif et injurieux à l’encontre du personnel navigant et des passagers ».

Le nom de Jean Luc Delarue est cité par une personne proche de celle qui filme la scène … »c’est Delarue là » ; les traits du personnage central sont fortement ressemblants à ceux de Jean Luc Delarue ; l’acteur principal est un sosie du journaliste dont le jeu reproduit l’incident relaté dans la presse. Une minute et vingt deux secondes après le début du film, le déroulement des faits prend une tournure de violence extrême, révélant la supercherie et apparaît à l’écran le slogan publicitaire « Si c’était vrai ce serait dans Choc ».

Cette vidéo est librement téléchargeable sur le site du magazine Choc.

Estimant que cette vidéo réalise à des fins publicitaires pour le magazine Choc dans le cadre du lancement d’un format hebdomadaire de ce magazine dont la nature promotionnelle n’est pas annoncée sur la page d’accueil du site litigieux, crée une réelle confusion dans l’esprit du public et constitue un trouble manifestement illicite en portant une atteinte exceptionnellement grave à son image, sa voix, son nom par cette utilisation dévalorisante non autorisée, Jean Luc Delarue a fait assigner en référé la Scpe par acte du 14 mars 2007, aux fins d’obtenir le paiement, outre de la somme de 5000 € au titre des frais exposés, de celle de 100 000 € à titre de provision indemnitaire ainsi que diverses mesures d’interdiction et de retrait de la vidéo, de diligences auprès de tiers utilisateurs de cette vidéo afin d’en faire cesser l’exploitation et enfin de publication forcée sur le site et dans le magazine Choc.

Il fait valoir que depuis la mise en ligne de cette publicité « virale », largement diffusée sur le web, qui donne de lui une image dégradante, l’audience du site du magazine a bondi de 500% par jour et qu’elle a été détournée sur les sites Dailymotion.com et Youtube.com ainsi que sur des dizaines de blogs, assurant une large diffusion à cette publicité sans débourser de frais techniques ou d’achat d’espace.

Il soutient que la société éditrice déjà condamnée pour atteinte à ses droits de la personnalité, pour diffamation, le désigne comme une cible choisie et suivie de manière délibérée et acharnée.

Il observe que cette campagne publicitaire a assuré le lancement de 420 000 exemplaires pour le premier format hebdomadaire du magazine et qu’ainsi l’exploitation détournée de sa personnalité de manière non autorisée et à des fins lucratives lui cause un préjudice moral aggravé par la réitération de la violation de ses droits et un préjudice matériel indemnisable sur le fondement de l’article 1382 du code civil, justifiant l’indemnisation et les mesures sollicitées.

La Scpe, qui ne discute pas l’aspect promotionnel de la vidéo diffusée, dit n’y avoir lieu à référé en l’absence de trouble manifestement illicite au regard du caractère éminemment public voire polémique du personnage, qui a fait un scandale à bord de l’avion le transportant à Johannesburg – fait divers largement relaté de manière corrosive dans la presse, que l’intéressé analysait comme « un pétage de plombs » dont il s’excusait – et s’agissant d’une courte parodie d’un événement d’actualité à fort retentissement médiatique dans lequel est impliqué un personnage public, empruntant au comique d’exagération, destinée à informer le public de l’évolution du contenu rédactionnel du magazine.

Elle dénie avoir commercialisé cette vidéo consultable gratuitement, qui n’a induit aucun profit direct et ne dissimule aucune intention commerciale. Elle conteste toute atteinte à la vie privée de Jean Luc Delarue représenté par un sosie dans le cadre d’un fait d’actualité connu et sous un angle humoristique qui ne peut donner lieu à confusion en présence de l’indication « si c’était vrai, ce serait dans Choc ».

Elle considère que la compatibilité avec les principes régissant le droit à l’image et le droit au nom de ce procédé largement utilisé sur internet correspondant à un mode classique de communication, constitue un sujet complexe et émergent relevant de l’appréciation du juge du fond, d’autant que la vidéo n’a procédé à aucune révélation du nom du plaignant largement cité dans la presse qui s’est fait l’écho d’un événement d’actualité concernant un personnage public dans une situation publique, qu’elle n’utilise pas l’image de l’intéressé mais celle d’un sosie et que cette image n’est pas dégradante, seul étant dégradant le comportement du journaliste.

Elle réfute tout préjudice ayant pu découler d’une vidéo sur laquelle personne n’a pu se méprendre et qui était privée de toute portée du fait de son caractère burlesque.

Elle relève l’incongruité de la demande de publication forcée dans le magazine Choc comme celle d’intervenir auprès de tiers.

Ayant constaté le 16 mars 2007 à 15 heures 30 qu’une seconde vidéo intitulée « JLD2 » était mise en ligne sur le site de la défenderesse sous l’intitulé « découvrez une seconde vidéo filmée par un autre passager », un encart comportant le terme « nouveau » clignotant en rouge étant apposé transversalement sur l’image, Jean Luc Delarue sollicite l’extension des mesures à cette seconde vidéo et réfute les arguments et moyens de la défenderesse.

DISCUSSION

Attendu que chacun, quelles que soient sa fonction et sa notoriété, dispose d’un droit exclusif et absolu sur son image, attribut de sa personnalité l’autorisant à s’opposer à son utilisation sans son consentement exprès et préalable lorsque l’actualité ne commande pas d’en limiter les effets ;

Attendu qu’en l’espèce les faits tels que relatés par les parties dans leurs écritures et brièvement rappelés ci-avant ne sont pas contestés dans leur matérialité ; que le caractère publicitaire des deux vidéos est reconnu ;

Que la Scpe dénie cependant toute commercialité à cette opération publicitaire, non autorisée par l’intéressé, venant soutenir sur le mode de la parodie, le lancement de son nouveau magazine en arguant également de la notoriété du plaignant et du comportement qui lui est imputé sur le vol Paris-Johannesburg le 14 février 2007 ;

Mais attendu que si un fait d’actualité peut légitimement être repris dans des conditions non contraires à la dignité, il ne saurait cependant être détourné à des fins manifestement et exclusivement commerciales, quel que soit le ton humoristique du procédé, fût-ce en faisant appel à un sosie qui entretient en l’espèce la confusion, ainsi que le constate le journaliste Jean Marc Morandini sur son blog, lequel doutant de la sagacité de l’internaute moyen, signale dans un avertissement « les dangers du net car le procédé a été pris au premier degré », d’autant que cette publicité n’est pas annoncée comme telle instantanément et qu’il faudra attendre une minute vingt-deux secondes pour découvrir la supercherie que confirme, vingt-six secondes plus tard, le message : « Si c’était vrai ce serait dans Choc Hebdo » ;

Attendu que la presse généraliste nationale relève par ailleurs la rentabilité de ce vecteur promotionnel, par l’accroissement de l’audience du site litigieux et le succès du nouveau format du magazine Choc Hebdo lancé à 420 000 exemplaires grâce à cette publicité détournée, alors que sa diffusion dans le précédent format avait chuté dans de notables proportions ;

Attendu que dès lors Jean Luc Delarue, mis au cœur d’une campagne publicitaire « virale » sur internet, sans rapport informatif, par un annonceur poursuivant des fins commerciales, est en droit de se plaindre de l’emprunt, auquel il n’a pas consenti, de son image, de son nom et de sa voix donnés à un sosie à la ressemblance frappante, censé le représenter dans une saynète fictionnelle détournée de l’actualité d’un fait divers, mettant en scène, même sur un mode humoristique, des frasques auxquelles il se serait livré sur le vol Paris-Johannesburg ;

Attendu que l’exploitation non autorisée d’attributs de sa personnalité dans ce contexte, cause à Jean Luc Delarue, à l’exclusion de tout préjudice matériel non caractérisé, un préjudice moral ouvrant droit à indemnisation, non sérieusement contestable dans son principe ni dans son quantum à hauteur de 15 000 € eu égard à l’ampleur de la diffusion et à la récurrence des agissements de la Scpe à l’égard du plaignant ;

Que les mesures d’interdiction d’utiliser les vidéos litigieuses et d’insertion sur le seul site www.choc.fr sont de nature à mettre un terme au trouble manifestement illicite résultant de ce procédé publicitaire et participent à la réparation du dommage subi ;

Qu’en revanche la mesure de publication dans le support papier du magazine est inappropriée et excessive ; que la demande de diligences auprès de tiers n’est pas plus fondée en l’absence de démonstration, avec l’évidence requise en référé, d’une participation directe de la défenderesse à la mise en ligne des spots litigieux sur les sites youtube et dailymotion relayant la diffusion litigieuse ;

DECISION

Par ces motifs,

. Donnons acte à la Scpe de ce qu’elle s’engage à retirer immédiatement les vidéos litigieuses, tout en réservant ses droits ;

Vu le procès verbal de constat dressé le 16 mars 2007 ;

En tant que de besoin faisons interdiction à la Scpe d’utiliser sur tout support les deux vidéos poursuivies ainsi que l’intitulé du fichier informatique les contenant sous astreinte journalière de 15 000 € suivant la signification de la présente décision ;

. Condamnons la Scpe à payer à Jean Luc Delarue la somme de 15 000 € à titre de provision indemnitaire ;

. Enjoignons à la société éditrice de publier sur le tiers supérieur de la page d’accueil du site internet www.choc.fr sous le bandeau réservé au titre de la publication Choc et pendant une durée de huit jours dans un encadré de couleur rouge sur fond blanc le texte suivant :

« Par ordonnance de référé rendue le 23 mars 2007, le président du tribunal de grande instance de Nanterre a condamné la Scpe pour avoir porté atteinte aux droits dont dispose Jean Luc Delarue sur son image, sa voix et son nom, en diffusant à des fins publicitaires non autorisées sur le site internet www.choc.fr deux vidéos intitulées « Delarue pète les plombs » et « JLD2 » ;

. Disons qu’il devra y être procédé dans les 24 heures de la signification de la décision à intervenir sous astreinte journalière de 15 000 € ;

. Disons qu’il nous en sera référé pour la liquidation éventuelle des astreintes ;

. Rejetons toutes prétentions plus amples ou contraires des parties ;

Vu l’article 700 du ncpc, condamnons la Scpe à payer au demandeur la somme de 3000 € ;

. La condamnons aux dépens.

Le tribunal : Mme Francine Levon Guerin (président)
Avocats : Me Delabarre, Me Richard Malka

Notre présentation de la décision

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.