Jurisprudence : Diffamation
Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, 7ème Ch. A, arrêt du 6 février 2017
M. B. / M. A. et Ville de X.
absence de faits précis - demandes civiles - diffamation - diffamation publique envers un dépositaire de l'autorité publique - élus - rejet - relaxe - réseau social - video
Le 22 juillet 2014, Monsieur A., député maire de la ville de X., déposait plainte avec constitution de partie civile contre X se disant « B. » et Monsieur C., co-auteur du chef de diffamation publique à l’encontre d’un citoyen chargé d’un mandat public.
Il exposait que, le 4 juillet 2014, dans un article publié par la quotidien Nice Matin. intitulé « la satire d’un rappeur antibois contre A. », le rappeur B. faisait la promotion d’une chanson ayant pour titre « A. » dont Monsieur C. était co-auteur, sortie le 1er juillet 2014 et mise en ligne sur le site « Youtube.fr » le même jour avec les paroles suivantes :
« Zin, j’ai aucune diplôme comme A., A., A., A.
Mais j’vais devenir maire comme A., A., A., A., A.
Rolex, quine mille, pétasse moi c’est A.
Costard, vingt mille, pétasse moi c’est A.
Chauffeur, berline, pétasse moi c’est A.
La crise? Ahahah, pétasse moi c’est A.
C’est de l’hydro que je roule
Comme A. les petits de chez moi pilotent les deux roues
Et t’arrachent ton sac pendant qu’ils stoppent au feu rouge
Bico j’te secoue, je rétablis tout de suite la peine de mort
Pour ces Mecs qui font de la peine dehors
Percer leur crâne et fracasser leur corps
Prendre leur CB, leur faire cracher le code
Sapes de proxénète, pé-pé-pé-pétasse donne-moi l’enveloppe
Oui j’prends des chèques, oui j’prends de l’or, mais c’est mes affaires,
reste en dehors
J’ai des goûts de luxe, j’aime les belles femmes toutes nues et le langage soutenu
J’ai des connaissances, haut placées
Teste et on parlera de toi au passé
J’aime tellement la France, je lui mets dans le rectum
J’pars en vacances en Rep’Dom’
Attiré que par les belles sommes, rien à foutre de personne
Sans pitié, sans vergogne, jusqu’à la mort comme Nelson
J’vais tout faire pour ne pas finir comme Max B à Trenton
J’suis mon propre boss, j’fais mes propres lois comme dans une ville sans policier
J’ai ma propre dream team, on est tous en costard, on est six, on vaut si cher!
Mafia russe, mafia corse, mafia hongroise
j’ai du taff à proposer dans la rue à tous les malfrats qu’on croise
Ne te mets pas dans ma ligne de mire ou sur ma liste noire
Et fais attention à ce que tu risques de croire ou ton créateur tu vas vite le voir
Vote pour moi, vote pour moi, vote pour moi
J’peux pas être raciste tous mes gardes du corps ont des Glocks tout noirs
J’ai dis vote pour moi, pétasse, con de ta mère, vote pour moi
Vote pour moi, besoin d’hélicoptères, de vols en première classe
J’suis devenu accro depuis ma première liasse
Zin, j’ai aucun diplôme comme A., A., A.
Mais j’vais devenir maire comme A., A., A. »
Ce sont les propos qu’il dénonçait dans sa citation.
Après consignation versée le 4 septembre 2014, dans le délai prévu par l’ordonnance du 8 août 2014, une ordonnance de soit communiqué du 5 septembre était transmise au parquet qui requérait qu’il soit informé dans les termes dénoncés par la partie civile.
Par ordonnance en date du 11 juillet 2016, le magistrat instructeur près le tribunal de grande instance de X. a renvoyé monsieur B. devant le Tribunal Correctionnel de Nice pour avoir :
– à X., dans le département des Alpes Maritimes, et en tout cas sur le territoire national, les 1er et 4 juillet 2014, et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, commis le délit de diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public permanent ou temporaire, en l’espèce Monsieur A. pris en sa qualité de maire de la commune de X., par des écrits distribués dans les lieux publics, ou par tout moyen de communication au public par voie électronique, porté des allégations, ou imputations d’un fait portant atteinte à l’honneur ou à la considération de Monsieur A., maire de X., dépositaire de l’autorité publique et citoyen chargé d’un mandat public permanent ou temporaire, en l’espèce pour avoir tenu les propos suivants,
* dans un article intitulé « la satire d’un rappeur antibois contre A. » publié le 4 juillet 2014 dans Nice Matin en page 24 comportant les passages diffamatoires suivants : » j’ai aucun diplôme comme A. ». « Vote pour moi, besoin d’hélicoptères, de vols en première classe/j’suis devenu accro depuis ma première liasse ».
* sur le site Internet « youtube.fr » le 1er juillet 2014 dans un morceau intitulé « A. » comportant les passages diffamatoires repris in extenso dans la citation initiale.
LE JUGEMENT :
Par jugement contradictoire en date du 6 octobre 2016, le Tribunal Correctionnel de X. a :
– sur l’action publique
– relaxé monsieur B. des fins de la poursuite
– sur l’action civile
– reçu la constitution de partie civile de monsieur A. et de la Ville de X.
– débouté monsieur A. et la Ville de X. de leurs demandes.
LES APPELS :
Le 10 octobre 2016, monsieur A. et la ville de X. ont interjeté appel principal des dispositions civiles du jugement.
DÉROULEMENT DES DÉBATS :
L’affaire a été appelée à l’audience publique du MARDI 03 JANVIER 2017, le président a constaté l’absence du prévenu,
le conseiller Renou a présenté le rapport de l’affaire
le conseil des parties civiles a été entendu en sa plaidoirie et a déposé des conclusions,
Le Président a ensuite déclaré que l’arrêt serait prononcé à l’audience du 06 février 2017.
Décision :
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,
Les faits sont les suivants
Le juge d’instruction de Nice a convoqué monsieur C. qui était présenté comme le co-auteur de la chanson. Il n’a pas comparu. Son adresse a fini par être retrouvée à Paris, et une commission rogatoire a été envoyée au doyen des juges d’instruction de Paris.
Ce dernier a suggéré au juge de Nice de procéder par visio conférence.
Monsieur C. a fini par être entendu par le juge d’instruction parisien dans le cadre d’un interrogatoire de première comparution le 15 juillet 2015. Il a expliqué qu’il avait écrit la musique et n’avait rien à voir avec le texte.
Il n’était donc pas mis en examen.
Un article de presse de Nice Matin en date du 29 juillet 2015 était joint au dossier, faisant état de ce que B. avait été censuré, et n’avait pu monter sur scène, comme c’était prévu, au concert de N., au théâtre de V. L’organisateur, M., se défendait de faire de la politique. La commune niait être à l’origine de l’interdiction de B. de monter sur scène. Le rappeur disait qu’il n’y avait rien de méchant dans sa chanson..
A partir de cet article et après diverses investigations, le rappeur était identifié comme étant monsieur B.
Il était entendu sous le régime de l’audition libre.
Il reconnaissait être l’auteur des paroles de la chanson, mais niait avoir voulu insulter ou diffamer monsieur A.
Il adoptait une défense consistant à dire que le maire de X. était pour lui un modèle de réussite pour ceux qui n’ont pas de diplôme, et, qu’il citait, dans sa chanson, d’autres personnes se prénommant A.
Monsieur A. était entendu par le juge d’instruction le 1er février 2016. Le juge d’instruction lui expliquait toutes ses diligences.
Monsieur A. confirmait les termes de sa plainte
Le 7 avril 2016, monsieur B. était à son tour entendu par le juge d’instruction.
Il disait parler de lui-même dans la chanson, et ne citer la partie civile que pour dire que lui même n’avait pas de diplôme et pourrait devenir maire. Il ne fallait pas prendre ce qu’il disait au premier degré. Il raconte ce qu’il ferait s’il était maire, mais ne le serait jamais. Il n’est pas responsable de la mauvaise interprétation des gens.
Il précisait que sa chanson n’était pas une réponse à l’arrêté anti-drapeau du maire (qui ne voulait pas de drapeaux étrangers dans les rues de X. lors de la coupe du monde de football en juillet 2014).
Il y avait plusieurs dans sa chanson. Il ne voulait diffamer personne, et indiquait que, quand il « fait des morceaux », il ne se demande pas comment les gens vont les interpréter.
Dans l’article de Nice Matin du 4 juillet, Monsieur C. reconnaissait que la chanson pouvait « embêter » monsieur A. Monsieur B. avait redit que c’était du second degré ; « c’est taquin mais fait gentiment avec un peu d’humour », avait-il dit.
A l’audience de la Cour
Cité par acte remis à Parquet Général, monsieur B. n’a pas comparu.
L’avocat de monsieur A., qui le représentait régulièrement, a demandé à la Cour:
– de recevoir l’appel formé par monsieur A. et par la ville de X. et de le déclarer recevable ;
– de réformer le jugement du 6 octobre 2016 sur les dispositions civiles en ce qu’il a débouté les parties civiles de leurs demandes au seul motif de la relaxe de monsieur B. ;
– de dire et juger que monsieur B. a commis le délit de diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public, en 1’espèce monsieur A., pris en sa qualité de maire de la commune de X., les 1er et 4 juillet 2014, par la publication des écrits ci-dessus rappelés et distribués par un moyen de communication au public ;
– de dire et juger que monsieur B. a commis une faute de nature à engager sa responsabilité civile à l’égard de monsieur A. et de la ville de X. ;
– d’accueillir monsieur A. et la ville de X. en leur constitution de partie civile ;
– ce faisant, de condamner monsieur B. à payer à monsieur A. la somme d’un euro à titre de dommages-intérêts.
– de condamner monsieur B. à payer à monsieur A. la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale.
Le Ministère Public n’a pas formulé d’observations.
DISCUSSION
Attendu qu’à défaut d’appel du Ministère Public, la relaxe de monsieur B. est définitive ; que la compétence de la Cour, en l’état du seul appel de la partie civile sur les dispositions civiles, se limite à déterminer si monsieur B. a commis une faute civile dans la !imite des faits objets de la prévention, de nature à engager sa responsabilité ;
Attendu que monsieur A. soutient que, par les paroles de la chanson, l’auteur et interprète se disant B., tente totalement de faire croire qu’il est un homme politique malhonnête, immoral et entretenant des relations sulfureuses avec le milieu criminel ; que les faits allégués sont erronés et de nature à porter atteinte à son honneur et à sa dignité ;
Attendu qu’il ajoute que, par diverses paroles, monsieur B. entend affirmer qu’il est un homme politique vulgaire, menant un train de vie élevé et usant de cet apparat pour se comporter en individu machiste auprès de la gent féminine, un homme politique raciste, un homme politique véreux, usant de son influence à des fins personnelles et illicites, entretenant des relations d’affaire avec le milieu criminel et mafieux, et donc sensé commettre diverses infractions à la loi pénale, en sa qualité d’élu .
Qu’il estime que, par des allégations mensongères, monsieur B. lui impute un comportement immoral, indigne de la fonction d’élu, ainsi que de possibles infractions pénales en relation avec sa qualité de personne exerçant une fonction publique (corruption, trafic d’influence…) ; qu’il lui est donc imputé, a minima sous forme d’insinuation et de sous-entendus, un mélange des genres douteux, des relations suspectes avec le milieu criminel et mafieux, de probables infractions pénales et globalement un comportement malhonnête et indigne de la fonction publique qu’il exerce.
Attendu que l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur les infractions en matière de presse dispose que « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés » ;
Attendu qu’il est constant que monsieur A. est le sujet principal de la chanson, puisqu’il en constitue le titre, même si d’autres personnes prénommées « A. » y sont nommées ;
Attendu que la chanson, diffusée sur le site « youtube » et qui a fait l’objet d’un article dans le quotidien Var Matin, a été diffusée publiquement ;
Attendu toutefois que, pour constituer une diffamation, l’allégation ou l’imputation qui porte atteinte à l’honneur et à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d’une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l’objet d’une preuve ou d’un débat contradictoire ;
Attendu qu’en l’espèce, les propos tenus dans la chanson restent vagues, même s’ils font allusion à d’éventuels goûts de luxe, à des pratiques policières douteuses, à la mafia et à une situation de non droit ; qu’ils ne se rapportent à aucun fait précis ;
Que les termes employés dans la chanson, par leur généralité, ne permettent en aucun cas d’en rapporter la preuve contraire; qu’ils ne sont que l’expression de la contestation de la classe dirigeante qui reste dans le cadre d’une certaine forme d’expression artistique ; que les propos incriminés s’inscrivent dans le genre du rap dont l’objet est souvent de décrire le mal être social et de critiquer les symboles du pouvoir, sans malveillance particulière ;
Attendu qu’il en résulte que monsieur A. n’établit pas, dans la limite des poursuites, de faute civile à l’encontre de monsieur B. et que la Cour confirmera le jugement déféré en ce qu’il l’a débouté de ses demandes ;
Attendu qu’aucune considération d’équité ne commande de faire application de l’article 475-1 du Code de Procédure Pénale ;
DÉCISION
LA COUR,
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement à l’égard de monsieur A. et par arrêt de défaut à l’égard de monsieur B., en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi,
EN LA FORME
Reçoit l’appel de la partie civile.
AU FOND
DIT que monsieur A. n’établit pas dans la limite des poursuites de faute civile à l’encontre de monsieur B.
CONFIRME en conséquence le jugement déféré en ses dispositions civiles.
DIT n’y avoir lieu de faire application de l’article 475-1 du code de procédure pénale en faveur de monsieur A.
Le tout conformément aux articles visés au jugement, au présent arrêt, et aux articles 512 et suivants du Code de Procédure Pénale.
La Cour : Monsieur Cibiel (président), Madame Renou, Madame Crutchet (conseillers), Madame Bresson, Madame Raysseguier (greffiers)
Avocat : Me Borgidni
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