Jurisprudence : Marques
Tribunal de grande instance de Nanterre, 2ème chambre, Jugement du 13 octobre 2003
Société VIATICUM, Société LUTECIEL / Société GOOGLE FRANCE
contrefaçon - marques - moteur de recherche - mots clés
Faits et prétentions des parties
La société Viaticum exerce une activité d’agence de voyages par le biais du réseau Internet au moyen duquel elle propose la vente de billets d’avions et de séjours touristiques.
Elle dispose pour ce faire de deux noms de domaine réservés depuis le 22 juin 1999, « bdv.fr » et « bdv.tm.fr » donnant accès au site Internet par lequel elle commercialise ses produits.
Elle est titulaire de plusieurs marques déposées à l’Institut National de la Propriété Industrielle (Inpi) telles que :
– la marque « La bourse des vols » déposée le 2 décembre 1994 et enregistrée sous le n°94547750 pour désigner des produits et services des classes 9, 16, 38, 39, 41, 42 ;
– des marques déposées le 27 septembre 1996 :
« La bourse des vols », enregistrée sous le n°96643826
« La bourse des voyages » enregistrée sous le n°96643827
« 3615 BDV » enregistrée sous le n°96643821
« 3615 Bourse des vols » enregistrée sous le n°96643823
« 3615 Bourse des voyages » enregistrée sous le n°96643824
« BDV » enregistrée sous le n°96643828
– la marque « Bourse de vacances » déposée le 24 février 1997 et enregistrée sous le n°97665276.
La société Luteciel a pour activité les prestations en informatique et elle édite et gère le site Internet de la société Viaticum sous les noms de domaine suivants dont elle est titulaire :
« bourse-des-voyages.com », réservé le 15 juin 1998,
« bourse-des-vols.com », réservé le 28 janvier 1997.
Elle est par ailleurs propriétaire de deux marques déposées le 24 février 1994 :
www.bourse-des-vols.com enregistrée sous le n°97665214
et une marque figurative en couleurs comprenant la mention « 3615 Bourse des vols », enregistrée sous le n°97665217.
La société Google France a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre le 14 août 2002. Elle a été créée par la société américaine Google Inc., (devenue Google Technologie Inc.) qui exploite depuis 1998, par le biais d’un site Internet correspondant au nom de domaine « google.com », un moteur de recherches sur le réseau Internet, c’est à dire un outil informatique permettant de localiser et de restituer l’information existant dans les sites Internet grâce à des techniques de référencement par mots-clés choisis par les propriétaires de sites et grâce à des techniques d’indexation automatique.
La version française du moteur de recherche « google » a été mise en place en avril 2000 avec l’utilisation du nom de domaine « google.fr ».
Parallèlement au moteur de recherche dont l’utilisation est gratuite; la société Google France Inc a développé à compter de l’année 2001 une offre payante de services publicitaires sur ses sites, selon deux programmes dénommés « Adwords » et « Premium Sponsorship ». Dans des conditions spécifiques à chacun, et moyennant l’achat de mots-clés, ces programmes permettent à des annonceurs d’apparaître sous forme de courte annonce comportant l’adresse de leur site Internet, sur la page de résultats de la recherche du moteur « google » dans un cadre ou un bandeau intitulé « lien commercial », dès lors qu’il existe une certaine concordance entre les mots-clés achetés par l’annonceur et ceux contenues dans la recherche demandée au moteur.
Ces services publicitaires existent sur la version française du moteur « google ».
Les sociétés Viaticum et Luteciel exposent qu’elles se sont aperçues qu’en demandant au moteur de recherche « google France » une recherche sur les mots « bourse de voyages » ou « bourse des vols », correspondants à leurs marques, noms commerciaux et noms de domaine, s’affichent des liens commerciaux pointant vers les sites Internet de leurs concurrents tels que « evasion on line », « easy jet », « air portail » etc… alors qu’elles n’ont jamais donné leur autorisation ni à la société Google France, ni à ses concurrents d’utiliser leurs marques, ni leurs noms commerciaux ou noms de domaine.
N’ayant pas obtenu satisfaction à leurs demandes amiables tendant à interdire l’achat des termes précités par des annonceurs, les sociétés Viaticum et Luteciel, après autorisation obtenue le 16 décembre 2002 dans les conditions de l’article 788 du ncpc, ont par acte d’huissier de justice du 18 décembre 2002, assigné pour l’audience du 21 janvier 2003 la société Google France, lui reprochant des actes de contrefaçon de leurs marques « Bourse des voyages » et « Bourse des vols » et des actes de concurrence déloyale commis à l’occasion du fonctionnement de son moteur de recherche sur le réseau Internet, et demandant au tribunal de grande instance de Nanterre de prononcer des mesures d’interdiction et de réparation de leur préjudice.
La société Google France ayant conclu à l’irrecevabilité de l’action des sociétés Viaticum et Luteciel au motif que les faits sur lesquels elles se fondent ne peuvent pas être attribués à la société Google France mais concernent la société américaine Google Inc., et les sociétés Viaticum et Luteciel ayant conclu en réplique le jour de l’audience, le tribunal a retenu l’affaire mais en limitant les débats sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par la société Google France.
Par jugement avant dire droit du 11 février 2003, le tribunal a rejeté la demande tendant à voir déclarer irrecevable l’action des sociétés Viaticum et Luteciel contre la société Google France, a ordonné la réouverture des débats et renvoyé l’affaire à l’audience du juge de la mise en état pour permettre aux parties de conclure à nouveau sur le fond.
Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 4 juin 2003, les sociétés Viaticum et Luteciel, soutenant notamment que leur action est valablement dirigée contre la société Google France, et visant les articles L 711-2, L 713-2, L 713-3, L 713-5 et L 716-10 du code de la propriété intellectuelle, l’article L 121-1 du code de la consommation et l’article 1382 du code civil, demandent au tribunal de :
. Dire et juger que la vente et la fourniture par la société Google France à ses clients de mots-clés correspondants aux marques « bourse des vols », « bourse des voyages » et « BDV » des sociétés Viaticum et Luteciel afin de permettre, suivant les requêtes de recherche « bourse des vols », « bourse des voyages » ou « bdv » saisies par les internautes dans le moteur de recherche de la société Google France, l’affichage corrélatif dans le site Internet www.google.fr de liens hypertextes commerciaux pointant vers des sites Internet exerçant au surplus une activité strictement identique ou similaire aux marques des demanderesses, à savoir la réservation de billets d’avion et de voyages et/ou d’hôtels, constitue des actes de contrefaçon par usage desdites marques.
. Dire et juger que la vente et la fourniture par la société Google France à ses clients de mots-clés correspondants aux marques « bourse des vols », « bourse des voyages » et « BDV » des sociétés Viaticum et Luteciel afin de permettre, suivant les requêtes de recherche « bourse des vols », « bourse des voyages » ou « bdv » saisies par les internautes dans le moteur de recherche de la société Google France, l’affichage corrélatif dans le site Internet www.google.fr de liens hypertextes commerciaux pointant vers des sites Internet exerçant au surplus une activité strictement identique ou similaire aux marques des demanderesses, à savoir la réservation de billets d’avion et de voyages et/ou d’hôtels, constitue des actes de contrefaçon substitution de services.
. Dire et juger que la société Google France a commis une faute en permettant par son système de « requête large » ou « broadmatch » l’affichage de liens hypertextes commerciaux pointant vers des sites Internet exerçant au surplus une activité strictement identique ou similaire aux marques des demanderesses, à savoir la réservation de billets d’avion et de voyage et/ou d’hôtel, suivant la saisie par les internautes des requêtes « bourse des vols », « bourse des voyages », et « BDV » correspondants aux marques des sociétés Viaticum et Luteciel, alors que les éditeurs des sites Internet précités n’ont acquis auprès de la société Google France un mot clé ne correspondant qu’à une partie des marques des demanderesses ;
. Dire et juger au surplus que la société Google France a manqué à son obligation de prudence et de vigilance au préjudice des sociétés Viaticum et Luteciel en ne faisant pas droit aux demandes de ces dernières de voir cesser l’affichage de liens hypertextes de sites Internet concurrents suivant la saisie par les internautes des requêtes correspondants à tout ou parties des marques des demanderesses, y compris du fait du système dit de la « requête large » ou « broadmatch ».
. Dire et juger que la faute et la négligence ainsi commises par la société Google contribuent à la réalisation des actes de contrefaçon de marques en cause.
. Dire et juger que l’affichage, la vente et la fourniture par la société Google France à ses clients des mots-clés correspondants aux marques « bourse des vols », « bourse des voyages », et « BDV » des sociétés Viaticum et Luteciel afin de permettre, suivant les requêtes de recherche « bourse des vols », « bourse des voyages » ou « bdv » saisies par les internautes dans le moteur de recherche de la société Google France, l’affichage corrélatif dans le site Internet www.google.fr de liens hypertextes commerciaux pointant vers des sites Internet exerçant au surplus une activité strictement identique ou similaire aux marques des demanderesses, à savoir la réservation de billets d’avion et de voyages et/ou d’hôtels, constitue des actes de publicité trompeuse.
A titre subsidiaire
. Dire et juger que le procédé publicitaire commercialisé par la société Google consistant à proposer à la vente les dénominations « bourse des vols », « bourse des voyages », et « BDV » dont les sociétés Luteciel et Viaticum font usage dans le cadre de leur activité, comme mots clés, pour assurer, sous forme de liens hypertexte, le référencement privilégié des sites de ses clients et néanmoins concurrents des sociétés précitées constitue un procédé de concurrence déloyale.
En tout état de cause
. Condamner la société Google France à payer aux sociétés Viaticum et Luteciel la somme de 500 000 € à titre de dommages-intérêts.
. Ordonner à la société Google France dans le délai de 24 heures à compter du jugement à intervenir, et ce sous astreinte de 7500 € par jour de retard, de :
– cesser toute commercialisation auprès de tiers, annonceurs, clients etc. des mots « bourse des vols », « bourse des voyages », et « BDV » dans le cadre des programmes Adwords et/ou Premium, ainsi que tout programme publicitaire ;
– cesser l’affichage de tout lien hypertexte commercial, ou toute forme de publicité, lors de la saisie sur le moteur de recherche google.fr (ou google.com par envoi automatique vers le site www.google.fr) des requêtes « bourse des vols », « bourse des voyages » ou »bdv » de liens hypertextes pointant vers un quelconque site Internet appartenant à des tiers autre que ceux des sociétés Viaticum et/ou Luteciel.
. Ordonner la publication du jugement à intervenir aux frais de la société Google France dans trois journaux, notamment en ligne, au choix des sociétés Viaticum et Luteciel, sans que le coût de ces publications ne puissent être supérieurs à la somme de 50 000 € HT.
. Ordonner à la société Google France de consigner la somme de 50 000 € HT entre les mains de M. Le Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris en qualité de séquestre, sous astreinte de 7500 € par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir.
. Dire que M. le Bâtonnier attribuera cette somme à la société Viaticum ou Luteciel sur présentation d’un bulletin de commande d’insertion de la publication du jugement à intervenir.
. Ordonner en outre, à titre complémentaire, à la société Google France, aux frais de cette dernière de publier sur la première page de son site Internet www.google.fr le jugement à intervenir dans son intégralité, et ce sous astreinte de 7500 € par jour de retard 48 heures à compter de la signification du jugement à intervenir.
. Dire que la durée de cette publication en ligne sera d’un mois.
. Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant toute voie de recours, et ce sans constitution de garanties.
. Condamner la société Google France à verser aux sociétés Viaticum et Luteciel la somme de 20 000 € au titre de l’article 700 du ncpc.
. Condamner la société Google France aux frais de constats des 13, 25, 28 novembre et 2 décembre 2002 réalisés par l’Agence pour la Protection des Programmes (APP).
. Condamner la société Google France en tous les dépens, dont distraction au profit de Me Cyril Fabre (Ojfi – Alexen).
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 11 juin 2003, la société Google France demande au tribunal de :
– Ecarter des débats les pièces communiquées en anglais, non traduites, notamment certaines des pages de la pièce n°91,
– Dire et juger que les demandes de Viaticum et Luteciel sont irrecevables et mal fondées,
– Surseoir à statuer jusqu’au 17 juillet 2003 au moins, dans l’attente du dépôt des recommandations de la commission sur la responsabilité des outils de recherche,
– Renvoyer l’affaire à telle date qu’il plaira au Tribunal de fixer aux fins de ses vérifications personnelles, dans les termes de l’article 180 du ncpc,
– Dire et juger que les marques La bourse des vols n°94547750, La bourse des voyages n°96643827, La bourse des vacances n°97665216, Bourse des hôtels n°013118365, 3615 bourse des vols n°96643823, 3615 bourse des voyages n°96643824 et www.bourse-des-vols.com n°97665214 sont nulles pour défaut de caractère distinctif, dans les termes de l’article L 711-2 (b) du code de la propriété intellectuelle.
– Dire et juger que les sociétés Viaticum et Luteciel n’ont pas exploité leurs marques La bourse des voyageurs n°94547751, La bourse des vols n°94547750, la bourse des voyages n°94547749, la bourse des vols n°96643826, BDV n°96643828, 3615 BDV n°96823821, 3615 bourse des vols (avec un graphisme) n°97665217, www.bourse-des-vols.com n°97665214 et La bourse des vacances n°97665216 du 24 février 1997, en conséquence,
– Dire et juger que Viaticum est déchue de ses droits sur la marque La bourse des voyageurs n°94547751 depuis le 12 mai 2000, sur la marque bourse des vols n°94547750 depuis le 23 juin 2000, sur la marque bourse des voyages n°94547749 depuis le 12 mai 2000, sur la marque bourse des vols n°96643826 et sur les marques BDV n°96643828 et 3615 BDV n°96823821 depuis le 14 mars 2000, et que Luteciel est déchue de ses droits sur sa marque 3615 bourse des vols (avec un graphisme) n°97665217 depuis le 1er août 2002, sur sa marque www.bours-des-vols.com n°97665214 depuis le 22 août 1997, et sur sa marque La bourse des vacances n°97665216 depuis le 1er août 2002, dans les termes de l’article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle.
– En conséquence, dire et juger que les demandeurs sont irrecevables et mal fondés à vouloir opposer quelque droit que ce soit, notamment à titre de marque, sur les dénominations qu’ils opposent, et à vouloir en faire interdire l’usage à Google France.
– Dire et juger que la décision prononcée aura un effet absolu à l’égard des tiers.
– Ordonner l’inscription du jugement à intervenir au Registre National des Marques tenu par l’Inpi.
– Subsidiairement, valider la procédure d’alerte et de contrôle mise en place par google,
– Encore plus subsidiairement, si le tribunal devait entrer en voie de condamnation à l’égard de Google France, désigner tel expert aux fins notamment de déterminer si des annonceurs et dans l’affirmative lesquels et sur quelle durée, utilisent comme mots clés les dénominations « BDV », « bourse des vols », « bourse des voyages », « bourse des vacances », et « bdv ».
– Condamner conjointement et solidairement Viaticum et Luteciel à verser à Google France la somme de 100 000 € de dommages-intérêts pour procédure abusive.
– Condamner conjointement et solidairement Viaticum et Luteciel à verser à Google France la somme de 30 000 € au titre de l’article 700 du ncpc.
– Condamner conjointement et solidairement Viaticum et Luteciel en tous les dépens dont distraction au profit de Me Ranjard-Normand, avocat aux offres de droit, au titre de l’article 699 du ncpc.
La discussion
1° sur les pièces rédigées en anglais
Etant donné le secteur d’activité de la société Google France et l’usage fréquent de la langue anglaise dans tout ce qui touche au réseau Internet, la production par les sociétés Viaticum et Luteciel de documents en anglais n’est pas susceptible de nuire à l’exercice des droits de la défense ni de porter atteinte au principe du contradictoire.
Il n’y a donc aucune raison d’écarter ces pièces des débats, même s’il ne s’agit pas de documents essentiels, ni indispensables au tribunal pour trancher le présent litige.
2° sur la demande de mise hors de cause de la société Google France
La société Google France soutient que les actes reprochés teks qu’ils résultent de constats produits par les sociétés Viaticum et Luteciel sont le fait de la société américaine Google Inc. et non pas de la société Google France parce que :
-le moteur de recherche est exploité par la société américaine grâce à un robot situé en Californie (Etats Unis), c’est elle qui commercialise les services publicitaires « Premium Sponsorship » et « Adwords » même en France et bien avant la création de la société Google France,
-la société américaine est titulaire du nom de domaine « google.fr » comme du nom de domaine « google.com »,
-la société américaine paye le personnel de la société Google France, facture les clients « Adwords » et traite les réclamations en provenance de la société française.
Les sociétés Viaticum et Luteciel contestent l’exactitude et la pertinence de ces arguments et font valoir que la société Google France commercialise en France des services publicitaires à destination d’annonceurs français et que le titulaire du nom de domaine « google.fr » ne peut être que la seule société Google France immatriculée en France, qu’enfin, celle-ci se présente aux yeux des tiers comme responsable du moteur de recherche accessible à l’adresse www.google.fr et des programmes publicitaires y afférents.
Il est constant que les services de publicité critiqués par les sociétés Viaticum et Luteciel sont réalisés sur le site dénommé « google France accessible à l’adresse www.google.fr qui correspond à un nom de domaine réservé auprès de l’Afnic dès le 27 février 2000, soit plus de deux ans avant l’immatriculation de la société Google France au registre du commerce en août 2002.
Néanmoins les faits à l’origine de la présente action ont été constatés à partir de novembre 2002, après la création de la société Google France, annoncée publiquement, avec un large écho dans les médias, comme chargée de prospecter la clientèle française et de vendre les services publicitaires « Premium Sponsorship » et « Adwords ».
Les encarts publicitaires en question paraissent sur le site « google France » que les utilisateurs français d’Internet rattachent forcément à la société Google France étant donné l’identité du nom, et ce d’autant plus que la consultation de l’annuaire de l’Afnic révèle que le nom de domaine correspondant à ce site a été réservé par une société Google Inc. ayant son adresse en France ; l’adresse n’est pas celle du siège social de la société Google France et la réservation du site est antérieure à la création de cette dernière mais les utilisateurs d’Internet ne peuvent pas connaître ces particularités sans effectuer de recherches, et d’ailleurs la consultation de la base de données des tribunaux de commerce révèle qu’une seule société Google est immatriculée au registre du commerce en France à savoir la société Google France.
Le défendeur n’établit pas que la société américaine a une existence légale en France, ni même qu’elle serait répertoriée par l’Insee comme il le prétend.
En tout cas peu importe par quel moyen la société Google Inc. a obtenu de l’Afnic la réservation du nom de domaine « google.fr » dès lors qu’aux yeux des tiers la société Google France apparaît comme l’éditrice du site du même nom et qu’elle se présente comme la responsable de la commercialisation des liens publicitaires à destination de la clientèle française.
Les liens entre la société mère américaine et sa filiale, et leur organisation interne, au demeurant inconnus des usagers de « google France », n’influent aucunement sur cette apparence, et cela ne change rien au fait que la société Google France a la personnalité morale et à ce titre est responsable des actes qu’elle pose aux yeux des tiers.
Les sociétés Viaticum et Luteciel sont donc fondées à diriger leurs demandes contre la société Google France.
3° sur la demande de sursis à statuer
La société Google France fait état de travaux en cours par un groupe de réflexion dénommé « Forum des droits de l’Internet » sur la définition juridique des moteurs de recherches d’une part, et du prochain dépôt d’un rapport de la commission du parlement européen (dans le cadre de la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique) traitant notamment de la responsabilité des services de moteur de recherche d’autre part.
Elle demande au tribunal de surseoir à statuer jusqu’à ce que les résultats de ces travaux soient publiés, et même, au cas où les propositions de la commission contiendraient des recommandations en matière de « positionnement payant », jusqu’à la modification de la directive précitée et à sa transposition en droit français.
Une telle demande de sursis à statuer n’est pas justifiée au regard des dispositions de l’article 378 du ncpc. En effet le tribunal est saisi d’un litige qu’il doit trancher en fonction de l’état du droit actuellement en vigueur et il ne saurait, sous peine de déni de justice, attendre une hypothétique nouvelle réglementation pour statuer.
4° sur les vérifications personnelles du juge
La société Google France fait valoir que le tribunal ne peut trancher le litige qu’après avoir pris connaissance du système de fonctionnement des services « Adwords » et « Premium Sponsorship », de conception évolutive, et notamment des modalités de l’appel de sites par un ou plusieurs mots clés, et qu’il est donc nécessaire d’effectuer une démonstration au cours d’une audience dans le cadre de l’article 180 du ncpc relatif aux vérifications personnelles du juge.
Cependant les sociétés Viaticum et Luteciel se plaignent de faits matérialisés par des constats. Les descriptions et documents contenus dans ces constats ainsi que les explications ajoutées par les parties et notamment par le défendeur apparaissent suffisantes pour permettre au tribunal d’appréhender le principe des services publicitaires critiqués, sachant que de toutes les façons le tribunal n’aurait pas accès au coeur du système à savoir au contenu des programmes informatiques qui commandent l’affichage des annonces.
Il convient donc de statuer en l’état des éléments contenus dans les dossiers.
5° sur la validité des marques des sociétés Viaticum et Luteciel
La société Google France soulève la nullité des marques des sociétés Viaticum et Luteciel au motif qu’elles ne seraient pas distinctives.
Si les nullités absolues de la marque, prévues par les articles L 711-1 à L 711-3 du Code de la Propriété Intellectuelle peuvent être invoquées par toute personne intéressée, encore faut-il que celui qui agit justifie d’un intérêt suffisant à le faire au sens de l’article 31 du ncpc.
La société Google France a incontestablement intérêt à conteste la validité des marques qui lui sont opposées, mais on ne voit quel est son intérêt à agir en annulation des autres marques des sociétés Viaticum et Luteciel.
Ne seront donc pas examinées les demandes relatives aux marques « Bourse de vacances », « bourse des hôtels » et « bourse des voyageurs » puisque ces marques ne sont pas invoquées par les sociétés Viaticum et Luteciel à l’appui des demandes formées dans la présente instance.
A) sur le caractère distinctif des marques invoquées
L’article L 711-2 du code de la propriété intellectuelle impose que la marque ait un caractère distinctif par rapport aux produits ou services qu’elle désigne, et spécialement que les termes choisis ne soient,
*ni « la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service »,
*ni des « signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment, l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation de service ».
Le caractère distinctif doit s’apprécier au jour du dépôt de la marque.
– la marque n°94547750 « La bourse des vols » est déposée pour les produits et services suivants des classes 9, 16, 38, 39, 41, 42 : « Appareils pour l’enregistrement, la transmission, la reproduction de son ou des images, supports d’enregistrement magnétique, équipement pour le traitement de l’information et ordinateurs. Livres, revues, publications, journaux. Edition de livres, publications, revues, journaux. télécommunications, agence de presse, communications par terminaux d’ordinateurs, minitel. Organisation de voyages et de visites touristiques, accompagnements de voyageurs, location de véhicules de transports, transports de personnes et de marchandises, réservations de places pour le voyage et les spectacles. Divertissement, activités sportives et culturelles ; Organisation de concours ou de divertissements ; Prêts de livres et de revues, publication et édition de livres, journaux et revues. Restauration alimentation, hébergement temporaire, programmation pour ordinateurs ».
Manifestement cette marque est totalement arbitraire par rapport aux produits et services non soulignés en gras.
Le mot « vol » en ce qu’il peut signifier le transport aérien est évocateur des produits ou services soulignés en gras. Cependant son association avec le mot « bourse » compose une expression originale.
Certes elle peut être perçue par le consommateur comme l’offre de vente d’un grand nombre de voyages aériens, mais elle ne constitue pas la désignation nécessaire, ni la désignation générique ou usuelle d’une telle offre, ni d’aucun des produits ou services visés, ni la désignation d’une de leurs caractéristiques. Le dépôt de cette marque par la société Viaticum n’empêche nullement les autres agences de voyage de désigner leurs produits, ni de les vendre.
N’est pas plus critiquable à ce point de vue la marque de la société Luteciel www.bourse-des-vols.com enregistrée sous le n°97665214 pour les produits et services suivants des classes 38, 39, 42 :
« Télécommunications, transport ; emballage et entreposage de marchandises. Organisation de voyages. Restauration (alimentation), hébergement temporaire ; soins médicaux d’hygiène et de beauté ; services vétérinaires et d’agriculture ; services juridiques ; recherches scientifique et industrielle ; programmation pour ordinateurs ».
– la marque n°96643826 « La bourse des vols » est déposée pour les produits et services suivants de la classe 35 : « Publicité, gestion des affaires commerciales, travaux de bureau, conseils, information ou renseignements d’affaires, gestion de fichiers informatiques, organisation d’expositions à buts commerciaux ou de publicité ».
Manifestement cette marque est totalement arbitraire par rapport aux produits et services désignés.
– la marque n°96643827 « La bourse des voyages » est déposée pour les produits et services suivants des classes 16, 35, 39, 41 : « Publicité, gestion des affaires commerciales, travaux de bureau, conseils, information ou renseignementsd’affaires,gestiondefichiers informatiques, organisation d’expositions à buts commerciaux ou de publicité. Organisation de voyages et de visites touristiques, accompagnements de voyageurs, location de véhicules de transports, transports de personnes et de marchandises, réservations de places pour le voyage et les spectacles. Livres, revues, publications, journaux, éditions de revues, journaux. »
Manifestement cette marque est totalement arbitraire par rapport aux produits et services non soulignés en gras.
Le mot « voyage » est évocateur des produits ou services soulignés en gras. Cependant son association avec le mot « bourse » compose une expression originale.
Certes elle peut être perçue par le consommateur comme l’offre de vente d’un grand nombre de voyages, mais elle ne constitue pas la désignation nécessaire, ni la désignation générique ou usuelle d’une telle offre, ni d’aucun des produits ou services visés, ni la désignation d’une de leurs caractéristiques. Le dépôt de cette marque par la société Viaticum n’empêche nullement les autres agences de voyage de désigner leurs produits, ni de les vendre.
– la marque n°96643821 « 3615 BDV » est déposée pour des produits et services suivants des classes 38, 39, 42 : « Télécommunications, agence de presse, communications par terminaux d’ordinateurs, minitel. Organisation de voyages et de visites touristiques, accompagnements de voyageurs, location de véhicules de transports, transports de personnes et de marchandises, réservations de places pour le voyage et les spectacles. Restauration (alimentation), hébergement temporaire, programmation pour ordinateurs ».
Certes le chiffre « 3615 » est évocateur des services du minitel puisqu’il est un des numéros d’accès à ce service de télécommunications.
Mais associé avec les initiales BDV il compose une marque arbitraire tant par rapport aux services soulignés en gras que par rapport aux autres.
– la marque n°96643823 « 3615 bourse des vols » est déposée pour les produits et services suivants des classes 38, 39, 41, 42 : « Télécommunications, agence de presse, communications par terminaux d’ordinateurs, minitel. Organisation de voyages et de visites touristiques, accompagnements de voyageurs, location de véhicules de transports, transports de personnes et de marchandises, réservations de places pour le voyage et les spectacles. Restauration alimentation, hébergement temporaire, programmation pour ordinateurs »
De la même façon, cette marque par la combinaison de ses deux éléments est distinctive par rapport à l’ensemble des produits et services désignés lors du dépôt.
– la marque n°96643824 « 3615 bourse des voyages » est déposée pour les produits et services suivants des classes 38, 39, 41, 42 : « Télécommunications, agence de presse, communications par terminaux d’ordinateurs, minitel. Organisation de voyages et de visites touristiques, accompagnements de voyageurs, location de véhicules de transports, transports de personnes et de marchandises, réservations de places pour le voyage et les spectacles. Restauration alimentation, hébergement temporaire, programmation pour ordinateurs »
Pour les mêmes raisons que la précédente, cette marque est incontestablement distinctive.
Seront donc entièrement rejetées les demandes d’annulation reposant sur l’article L 711-2 b) du Code de la propriété intellectuelle.
B) sur la déchéance pour défaut d’exploitation des marques invoquées
L’article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que :
« encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits et services visés dans l’enregistrement pendant une période ininterrompue de cinq ans ».
L’exploitation des marques bourse des vols, bourse des voyages et BDV vaut exploitation des différentes combinaisons de ces marques, puisqu’au terme de l’alinéa 2b) de l’article précité, « l’usage de la marque sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif » est assimilé à l’usage de la marque.
L’existence des sites Internet de ventes de billets et de séjours et leur fréquentation, ainsi que le volume d’affaires réalisé, attestent que les sociétés Viaticum et Luteciel exploitent sérieusement les marques en question pour vendre des billets, des voyages et des séjours touristiques et donc pour tous les produits similaires.
Peu importe que l’exploitation soit le fait de la société Viaticum ou de la société Luteciel puisque est opérant « l’usage fait avec le consentement du propriétaire de la marque » (article L 714-5 alinéa 2 a), ce qui est le cas entre les deux sociétés pour leurs marques respectives.
Il ne fait pas de doute non plus que les marques sont exploitées dans la catégorie des « informations ou renseignements d’affaires » domaine d’activité bien présent dans le site Internet des demanderesses.
Celles-ci établissent également qu’elles se livrent sous leurs marques de base à une activité de gestion de fichiers informatiques puisqu’elles collectent les offres de nombreux voyagistes et compagnies aériennes.
Les pièces versées aux débats montrent qu’elles se livrent également sous les mêmes marques de base à des activités de régie publicitaire.
La preuve de l’usage sérieux des différentes marques invoquées est ainsi rapportée et les demandes reconventionnelles reposant sur l’article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle doivent être rejetées.
6° sur la contrefaçon
Au soutien des faits allégués, les sociétés Viaticum et Luteciel produisent principalement plusieurs constats dressés par un agent assermenté de l’Agence pour la Protection des Programmes (APP). Il convient donc de résumer ce qu’ils apportent.
Le constat de l’APP des 12 et 13 novembre 2002 :
Lorsque l’utilisateur d’Internet entre une recherche sur l’expression « bourse des vols » qui correspond à une des marques dont les sociétés Viaticum et Luteciel sont titulaires, comme « bourse des vols », sur la page de résultats de la recherche s’affichent d’une part en première ligne sous le titre [vols réguliers charters…] l’adresse d’un site Internet de vente de voyages, concurrent des sociétés Viaticum et Luteciel, d’autre part dans des petits rectangles à droite des résultats, également des annonces concernant des concurrents.
Ces annonces sont sur un fond légèrement coloré sous le titre « liens commerciaux » et donc identifiables comme de la publicité. Cependant le premier bandeau de publicité a tendance à se confondre avec les résultats de la recherche, étant disposé de la même façon, et la formule [lien commercial] étant peu visible à l’extrémité droite.
Il s’agit là du résultat des deux procédés de publicité vendus par la société Google France sur son site ; le premier intitulé « Premium Sponsorship » est ainsi défini : « Votre message publicitaire apparaît en haut des pages de résultats de recherche Google, lorsque des mots clés ou expressions acheté(e)s figurent dans les termes de recherche des utilisateurs Google ».
Le second qui s’appelle « Adwords » est ainsi présenté : « choisissez les mots clés correspondant à votre activité. Vos liens commerciaux ne s’afficheront que dans les résultats de recherche portant sur ces mots clés ».
« Adwords » vous permet de gérer votre compte personnel et avec la facturation au coût par clic (CPC), vous payez seulement quand quelqu’un clique sur votre publicité. Vous contrôlez vos coûts en établissant votre budget au quotidien au montant que vous êtes prêt à dépenser chaque jour ».
La société Google France propose à l’annonceur d’utiliser son générateur de mots clés pour l’aider à choisir les mots les plus pertinents.
Ainsi à partir du mot vol » le générateur propose une liste d’expressions autour de ce mot et spécialement « bourse des vols ».
Le constat de l’APP des 25 et 28 novembre 2002 :
Autorisé par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Nanterre en date du 14 novembre 2002, un agent de l’APP s’est rendu dans les locaux de la société Google France pour recueillir des renseignements sur la vente des mots clés correspondants aux marques des sociétés Viaticum et Luteciel.
Tout d’abord il convient d’écarter la demande de nullité du constat pour non respect des dispositions de l’article L 716-7 du code de la propriété intellectuelle. En effet, l’ordonnance a été rendue au visa des articles du ncpc, et spécialement de l’article 145. La mesure autorisée ne consiste nullement en une saisie-contrefaçon et les opérations réalisées non plus. Les faits de contrefaçon peuvent être établis par tous moyens, et le titulaire de la marque n’est pas obligé de recourir au mode de preuve régi par l’article L 716-7 du code de la propriété intellectuelle et encadré strictement du fait des mesures de saisie qu’il permet éventuellement.
Aussi en l’espèce le constat des 25 et 28 novembre 2002, qui ne relate aucune saisie, peut être valablement utilisé comme moyen de preuve.
Il en ressort qu’à la suite de la réclamation du président directeur général des sociétés Viaticum et Luteciel, « le mot bourse a été mis en négatif … cette procédure empêche l’apparition de liens commerciaux « Premium Sponsorship » lors d’une requête sur le mot bourse ».
Concernant le produit « Adwords », la société Google France prétend qu’un seul annonceur avait choisi « bourse des voyages » comme mot clé mais qu’il avait également choisi voyages comme mot clé en requête large si bien que son annonce serait apparue de la même façon même s’il avait pas choisi « bourse des voyages » ; la société Google France reconnaît que les mots « bourse » « voyage » et « vols » ont probablement été vendus dans les mêmes conditions. Elle accepte d’interdire le ciblage des marques déposées « bourse des vols » et « bourse des voyages » mais affirme qu’il ne lui est pas possible d’interdire à ses clients « Adwords » de choisir un mot tel que « vol » en spécification large.
Le constat de l’APP du 7 février 2003 :
Lorsque le moteur de recherche Google est interrogé sur « bourse des voyages », le site « google.fr » n’affiche pas de lien commercial « Premium Sponsorship » en haut de la liste des résultats mais des liens commerciaux « Adwords » sur le coté.
Interrogé sur « bourse des vols », il affiche un lien commercial « Premium Sponsorship » en haut de la liste des résultats et des liens commerciaux « Adwords » sur le coté, toujours en faveur d’annonceurs concurrents de la société Viaticum.
Le constat de l’APP du 7 mars 2003 :
Il démontre qu’à partir d’une même recherche (en l’espèce sur « anyway »), le site www.google.com n’affiche pas de lien publicitaire, à la différence du site www.google.fr où l’on trouve des petits pavés « Adwords ».
Le constat de l’APP du 14 avril 2003 :
Il concerne d’abord des recherches Google par l’intermédiaire du site de « free » sur les mots « bourse des voyages » « bourse des vols » et « bdv » et montre l’apparition de nombreux liens sponsorisés avant la liste des résultats de la recherche. Mais il s’agit sans doute de publicités vendues par la société Free.
En § II, ce constat concerne des recherches sur google.fr à partir de « bdv » et il montre uu lien commercial « Adwords » renvoyant à un site concurrent du site « bourse des voyages » des sociétés Viaticum et Luteciel.
Ainsi les différents éléments apportés par ces constats, explicités par les déclarations du directeur commercial de la société Google France et par les réponses aux réclamations du PDG des sociétés Viaticum et Luteciel; démontrent :
-que des annonces de concurrents des sociétés Viaticum et Luteciel s’affichaient en lien commercial sur la première page de résultats lorsqu’un internaute entrait la requête correspondant à une des trois principales marques de celles-ci : BDV, bourse des vols, bourse des voyages.
-que cet affichage apparaît notamment parce que la société Google France a vendu à différents clients des expressions reproduisant les trois marques précitées.
-que même si les annonceurs n’ont acquis que les mots communs vol, voyage ou bourse, leur annonce s’affiche automatiquement dès lors que l’une de ces mots figure dans la recherche de l’utilisateur de Google, en raison d’un système de « requête large » (broadmatch), qu’ainsi quand l’utilisateur du moteur de recherche saisit la marque « bourse des vols » ou « bourse des voyages » s’affichent des liens commerciaux de sociétés concurrentes de la société titulaire de ces marques.
Il est donc patent que la société Google France utilise, ou en tout cas a utilisé, les marques déposées des sociétés Viaticum et Luteciel dans des conditions telles qu’elle permet à des concurrents directs de ces sociétés de proposer à des clients potentiels des billets d’avion, voyages, séjours, etc… c’est à dire des produits et services désignés dans l’enregistrement des dites marques.
De tels faits sont contraires aux dispositions de l’article L 713-2 du code de la propriété intellectuelle qui interdisent, en l’absence d’autorisation de son propriétaire, l’usage d’une marque déposée pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement.
La société Google France oppose sa bonne foi et le fait qu’elle n’aurait pas commis d’acte positif de contrefaçon.
Mais d’une part la bonne ou la mauvaise foi est indifférente dans la commission des faits visés par l’article L 713-2 du Code de la propriété intellectuelle et d’autre part l’intervention de la société Google France comme intermédiaire dans l’offre commerciale de ses annonceurs est incontestablement un acte positif de contrefaçon. En effet même si l’achat de ces liens publicitaires s’effectue généralement « en ligne » au moyen de procédures largement automatisées, il est clair que la société Google France intervient dans cette prestation ne serait-ce que comme fournisseur pour les clients français : c’est elle qui affirme sur son site qu’elle propose « Adwords » en français et en euro. Et elle est l’interlocuteur des clients dès que nécessaire, et notamment pour la vente classique.
Ensuite la société Google France reconnaît avoir un certain contrôle des mots clés dans la mesure où son directeur commercial affirme exiger que le choix des mots clés soit directement lié aux activités de la société qui demande à afficher de la publicité sur un thème.
Enfin la société Google France apporte elle-même la preuve qu’elle a pu satisfaire les réclamations de propriétaires de marques en supprimant les mots clés acquis par des tiers au mépris des droits attachés à ces marques.
Concernant les réclamations des sociétés Viaticum et Luteciel la société Google France en a tenu compte dans le système « Premium Sponsorship ». Mais le problème subsiste pour la publicité « Adwords ».
La société Google France dit n’avoir pas pu donner satisfaction aux sociétés Viaticum et Luteciel parce que leurs exigences aboutiraient à interdire comme mot clé des mots descriptifs comme vol ou voyage.
Ainsi elle admet que même si les annonceurs n’ont acquis que les mots communs vol, voyage ou bourse, leur annonce s’affiche automatiquement dès lors que l’un de ces mots figure dans la recherche de l’utilisateur de Google, en raison d’un système de « requête large » (broadmatch). Elle affirme qu’elle ne peut pas interdire le choix de tels mots communs par ses clients annonceurs.
En réalité elle a intérêt à ce système de requête large qui permet à un maximum d’annonces de s’afficher, ce qui augmente les chances d’attirer un client potentiel sur le site de l’annonceur (« taux de clic ») et par conséquent augmente la rémunération de la société Google France.
Mais les choix économiques ou technologiques de la société Google France ne sauraient porter atteinte à des droits légitimement protégés. En l’espèce les sociétés Viaticum et Luteciel sont fondées à demander le respect intégral de leur droit de propriété sur leurs marques, et à s’opposer à tout usage non autorisé.
Il n’est pas établi que techniquement un meilleur « ciblage » ne serait pas possible ; par exemple si la requête est précisément « bourse des vols », la société Google France, sachant qu’il s’agit d’une marque protégée, devrait exclure qu’elle puisse déclencher l’affichage vers des annonceurs référencés même seulement sur une partie de l’expression.
Et il est inexact que cela aboutirait à interdire comme mot clé des mots descriptifs comme vol ou voyage : les sociétés Viaticum et Luteciel ne pouvant pas opposer leurs marques pour interdire qu’une recherche sur un tel mot pris isolément fasse apparaître des liens commerciaux vers des concurrents.
En tout cas la société Google France ne saurait se retrancher derrière la technologie mise en oeuvre pour le fonctionnement de ses services de publicité, et il lui appartient, lorsque la recherche de l’internaute porte sur une marque déposée, de trouver le moyen d’empêcher les annonces de tiers concurrents n’ayant aucun droit sur ces marques.
Les sociétés Viaticum et Luteciel sont donc fondées à demander la cessation et la réparation des actes de contrefaçon caractérisés ci-dessus.
Pour répondre à d’autres objections de la société Google France, il faut préciser que l’activité traditionnelle principale de moteur de recherche gratuit « google » n’est pas mise en cause mais seulement l’activité de vente d’espaces publicitaires entreprise par la société Google France et décrite par son directeur commercial dans les interviews versées aux débats.
Le moteur de recherche basé sur des critères objectifs n’est pas concerné dans le présent litige ; ce n’est pas l’usage de la marque dans la requête de recherches donnée au moteur qui est illicite, mais l’utilisation commerciale qui en est faite par la société Google France au profit de tiers dans ses services de publicité.
Et la société Google France ne saurait se retrancher derrière une qualité d’éditeur de moteur de recherche, ou de simple prestataire technique, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, pour tenter de se soustraire à sa responsabilité.
7° sur les autres faits reprochés
Les sociétés Viaticum et Luteciel reprochent aussi à la société Google France d’avoir engagé envers elles sa responsabilité civile en commettant des faits prévus par l’article L 716-10 du code de la propriété intellectuelle qui dispose :
« sera puni… quiconque…aura sciemment livré un produit ou fourni un service autre que celui qui lui aura été demandé sous une marque enregistrée.
Mais cet article comme tout texte pénal doit être interprété strictement et en l’espèce la société Google France n’a rien fourni personnellement.
Il n’y a donc pas lieu de retenir la substitution de produits réprimée par l’article L 716-10 du Code de la propriété intellectuelle.
Il n’a pas lieu non plus de retenir la publicité trompeuse au sens de l’article L 121-1 du code de la consommation parce que la société Google France a pu se méprendre sur l’étendue des droits conférés aux sociétés Viaticum et Luteciel par leurs marques enregistrées et il n’est pas établi qu’elle ait voulu induire le consommateur en erreur sur l’identité du prestataire des services proposé dans les liens commerciaux.
Enfin puisque l’action principale en contrefaçon est accueillie il n’est pas nécessaire d’examiner la concurrence déloyale invoquée seulement à titre subsidiaire.
8° sur les mesures de réparation
Il est incontestable que les faits de contrefaçon de marque établis de la part de la société Google France ont causé aux sociétés Viaticum et Luteciel un préjudice qui consiste dans l’atteinte portée à leur droit de propriété et au pouvoir distinctif de leurs marques.
De plus l’utilisation des marques des demanderesses pour la création de liens commerciaux a sûrement amené des clients de ces marques à se diriger vers des entreprises concurrentes, engendrant de ce fait pour la société Viaticum une perte de chiffre d’affaires indéniable bien que difficile à mesurer précisément.
Le marché du tourisme en ligne représentait en 2002 en France un volume de plus de 80 milliards d’euros ; en 2000 le chiffre d’affaires de la société Viaticum représentait 318 548 euros, en forte croissance chaque année (elle a doublé son chiffre d’affaires entre 1997 et 2000). Il faut tenir compte aussi du fort taux d’utilisation du moteur de recherche google.fr (plus de 55% du trafic francophone des moteurs de recherche).
Sans qu’il soit utile d’ordonner une mesure d’instruction, le tribunal dispose des éléments nécessaires pour fixer la réparation de ces différents chefs de préjudice à la somme de 70 000 € de dommages et intérêts globalement pour les deux sociétés demanderesses.
Pour faire cesser la contrefaçon ou éviter son renouvellement il faut faire interdiction à la société Google France d’afficher des annonces publicitaires au profit d’entreprises offrant les produits ou services protégés par les marques « bourse des vols » « bourse des voyages » et « bdv » lors de la saisie sur le moteur de recherche d’une requête sur les marques précitées, également sous peine d’astreinte par infraction constatée passé le délai d’un mois après la signification.
Il n’y a pas lieu de prononcer en plus l’interdiction de commercialiser comme mots clés la reproduction de ces mêmes marques, d’abord parce qu’une interdiction générale, ne tenant pas compte des produits et services protégés, se heurterait au principe de spécialité, ensuite qu’il suffit d’interdire le résultat auquel conduit ce procédé.
L’exécution provisoire, compatible avec ces mesures et justifiée pour mettre fin sans tarder au préjudice subi par les demanderesses, doit être ordonnée pour le paiement de dommages et intérêts et l’interdiction prononcée.
Enfin pour compléter la réparation du préjudice subi par les demanderesses, il faut ordonner à la société Google France de publier sur la page d’accueil du site google.fr, dans la huitaine du jour où le jugement sera définitif, sous peine d’astreinte, un extrait du présent jugement comportant au moins le paragraphe des motifs sur la contrefaçon et le dispositif.
9° sur les demandes accessoires
La partie perdante doit supporter les dépens par application de l’article 696 du ncpc ; en outre, il serait inéquitable de laisser les autres frais de l’instance (dont les constats qui ne sont pas compris dans les dépens énumérés par l’article 695 du ncpc) intégralement à la charge des demanderesses et à ce titre la société Google France leur paiera une somme de 5000 €.
La décision
Le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,
. Rejette les exceptions d’irrecevabilité des pièces en anglais, de mise hors de cause de la société Google France et de sursis à statuer ;
. Rejette les demandes de la société Google France tendant à l’annulation des marques des sociétés Viaticum et Luteciel pour défaut de caractère distinctif ;
. Rejette les demandes de la société Google France tendant à l’annulation des marques des sociétés Viaticum et Luteciel pour non exploitation ;
. Dit que la société Google France a commis des actes de contrefaçon des marques « bourse des vols », « bourse des voyages » et « BDV » au sens de l’article L 713-2 a) du Code de la propriété intellectuelle ;
. Condamne la société Google France à payer aux sociétés Viaticum et Luteciel la somme de 70 000 € en réparation du préjudice causé par l’usage illicite de leurs marques ;
. Interdit à la société Google France d’afficher des annonces publicitaires au profit d’entreprises offrant les produits ou services protégés par les marques « bourse des vols » « bourse des voyages » et « bdv » lors de la saisie sur le moteur de recherche d’une requête reproduisant les marques précitées, et ce sous peine d’astreinte de 1500 € par infraction constatée passé le délai d’un mois à compter de la signification du présent jugement ;
. Ordonne à la société Google France de publier pendant un mois et à ses frais sur la première page de son site Internet www.google.fr des extraits du présent jugement comprenant au moins :
– les paragraphes de la motivation depuis : « Ainsi les différents éléments apportés par les constats de l’APP… » jusqu’à « les sociétés Viaticum et Luteciel sont donc fondées à demander la cessation et la réparation des actes de contrefaçon caractérisés ci-dessus »,
– et le dispositif du jugement,
et ce dans la huitaine du jour où le jugement sera définitif, sous peine d’astreinte de 1000 € par jour de retard ;
. Se réserve le pouvoir de liquider les astreintes si nécessaire ;
. Rejette le surplus des demandes des sociétés Viaticum et Luteciel ;
. Rejette la demande de dommages et intérêts formée par la société Google France et l’ensemble du surplus des demandes reconventionnelles ;
. Ordonne l’exécution provisoire des dispositions du présent jugement relatives à l’interdiction et aux condamnations à paiement ;
. Condamne la société Google France à payer aux sociétés Viaticum et Luteciel la somme de 5000 € en application de l’article 700 du ncpc ;
. Condamne la société Google France aux dépens.
Le tribunal : Mme Hélène Jourdier (vice président), Mmes Picard et Poinseaux (vice présidents)
Avocats : Me Cyril Fabre, Me de Dampierre
Notre présentation de la décision
En complément
Maître Cyril Fabre est également intervenu(e) dans les 132 affaires suivante :
En complément
Maître De Dampierre est également intervenu(e) dans les 2 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Hélène Jourdier est également intervenu(e) dans les 16 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Marie Hélène Poinseaux est également intervenu(e) dans les 9 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Michèle Picard est également intervenu(e) dans les 21 affaires suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.