Jurisprudence : Vie privée
Tribunal de Grande Instance de Paris, Ordonnance de référé du 5 juillet 2002
Hubert M./ Société Edition La Découverte, Société Vivendi Universal Publishing Services
atteinte à la vie privée - correspondance privée - filtrage - forum de discussion - ouvrage - vie privée
Nous, Président,
Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil,
Vu l’assignation introductive de la présente instance du 20 juin 2002 aux termes de laquelle Hubert M. nous demande :
– de juger que ses messages et adresse e-mail, diffusés sur la « liste de discussion fermée » du site « dgse.org », relèvent du régime de la correspondance privée,
– de dire, en conséquence, que la publication de ses messages et de son adresse e-mail, dans le livre « l’Effroyable mensonge, Thèses et foutaises sur les attentats du 11 septembre », écrit par Mes Guillaume D. et Jean G. et respectivement édité et diffusé par les deux sociétés assignées, les Editions La Découverte et la société Vivendi Universal Publishing Services, caractérise une atteinte intolérable à sa vie privée,
– et d’ordonner, à titre de réparation du préjudice causé par cette atteinte, diverses mesures, (suppression dans le livre des passages litigieux, communiqué judiciaire dans le magazine Livre Hebdo), ainsi que l’allocation à son profit d’une indemnité provisionnelle de 30 000 €, la somme de 3000 € étant, en outre, réclamée sur le fondement de l’article 700 du ncpc ;
Vu les écritures en réponse, remises à la barre par les défenderesses qui concluent à l’irrecevabilité des prétentions du demandeur en l’absence de preuve d’un dommage imminent ou d’un trouble manifestement illicite, et, en tout état de cause, au rejet de ces prétentions, au motif que les échanges d’informations diffusés sur le site litigieux ne revêtent pas le caractère privé allégué, en l’absence de véritable sélection des internautes intervenant sur ce site, et que, de surcroît, la vie privée du requérant n’étant pas mise en cause par les informations que l’intéressé a diffusées sur ce site, la publication de ces informations dans le livre « l’Effroyable mensonge », ne peut avoir porté atteinte à la vie privée de Hubert M., les défenderesses sollicitent, dans ces conditions, le paiement de la somme de 4000 € en remboursement de leurs frais irrépétibles ;
La discussion
Attendu qu’il résulte des conclusions et pièces versées aux débats que le livre « l’Effroyable mensonge », paru au début de ce mois de juin, aux éditions La Découverte, a été écrit par Mes D. et G., en réaction à un précédent ouvrage, « l’Effroyable imposture », dans lequel l’auteur, M. Thierry M., prétendait, selon la « quatrième de couverture » du livre, présentement incriminé, « qu’aucun avion ne se serait écrasé sur le Pentagone le 11 septembre 2001 et que l’explosion serait, en réalité, un attentat de militaires américains d’extrême droite, poursuivant de sombres desseins anti-démocratiques » ;
Qu’en page 65, 66 et 67 de leur ouvrage Mes D. et G., associent Hubert M. à cette thèse, en se fondant sur les « messages électroniques » qu’il a échangés sur le forum spécialisé, dgse.org, dans lequel intervenaient experts et auteurs de « l’Effroyable imposture » ; qu’ils y citent partiellement et commettent ces divers messages, en renvoyant le lecteur à se reporter, en annexe, au texte intégral des interventions de Hubert M., auxquelles, précisent-ils, ils ont « pu accéder », ces messages qui constituent les seuls documents joints en annexe du livre, portant, en outre, l’adresse électronique du demandeur, ainsi libellée, « h.mv.@w… » ;
Attendu que Hubert M. soutient que ses messages électroniques ont été diffusés sur « un espace discussion fermé, accessible seulement à des internautes sélectionnés au préalable et liés par une communauté d’intérêt » ; que le régime juridique de la correspondance privée devant, dès lors, être appliqué à ces messages, leur reproduction dans un ouvrage, librement accessible au public, caractérise une atteinte à sa vie privée, comme la publication de son adresse électronique ;
Attendu qu’au titre de son préjudice, le requérant expose qu’il est « haut fonctionnaire, spécialiste du renseignement », nécessairement soucieux de s’entourer de la plus grande discrétion, et que dans ces conditions la publication critiquée lui cause un tort considérable, professionnel et personnel, dans la mesure où il en résulte un discrédit de nature à compromettre la « suite de sa carrière » ;
Attendu que si le caractère non public du forum « dgse.org », allégué par Hubert M., était établi, cette juridiction serait, sans doute, en mesure de constater que la reproduction dans l’ouvrage « l’Effroyable mensonge », de ses messages et de son adresse électronique, porte atteinte à certaines prérogatives personnelles de l’intéressé ;
Mais attendu qu’en l’espèce, force est de constater que le prétendu caractère privé, ou non public, apparaît, à tout le moins, sérieusement contestable ;
Attendu qu’en effet, il résulte des propres écritures du demandeur, que la sélection des internautes autorisés à intervenir sur le site litigieux procède, seulement, d’un système de questionnaires successifs auxquels chaque usager est tenu de répondre sans qu’apparaisse, à quelque moment que ce soit, la garantie, la certitude de son identité véritable ; qu’ainsi, à le supposer théoriquement restreint par un tel système de sélection, l’accès des internautes à ce site demeure, en réalité, ouvert au public, en l’absence de dispositions permettant de réserver effectivement l’usage du site à certains internautes déterminés, de manière sûre et précise, en fonction de certains éléments, préalablement vérifiés, et non, simplement déclarés par les intéressés ;
Qu’en effet, si le caractère non public d’un site suppose, il est vrai, une sélection des internautes, cette sélection doit être fondée sur un choix positif des usagers, qui permette d’assurer leur nombre restreint et leur communauté d’intérêt, et non, comme en l’espèce, sur un simple « filtrage » qui, quelles que soient les mises en garde diffusées sur le site, dépend des seules déclarations des internautes, n’offre donc aucune garantie sérieuse, quant à l’accès limité du site et demeure, dès lors, en principe, accessible à tous ;
Attendu que le caractère prétendument « fermé » ou « privé » du site « dgse.org.com » est loin, dans ces conditions d’apparaître manifeste ; que les prétentions du demandeur ne sauraient, dans ces conditions, prospérer devant le juge des référés ;
Attendu que cette juridiction relève, en outre, que Hubert M., alors même qu’il se présente comme « haut fonctionnaire, spécialiste des renseignements », à ce titre, nécessairement soucieux de s’entourer de la plus grande discrétion, est intervenu sur le site litigieux, sous sa véritable identité et sans faire preuve d’une particulière réserve ;
Attendu que les éléments ci-dessus conduisent, en conséquence, cette juridiction à rejeter non seulement les demandes formulées par Hubert M. dans son assignation, mais également la requête oralement formée par son conseil en application de l’article 811 du ncpc ;
Attendu que, pour autant, l’équité n’impose pas de faire application de l’article 700 du ncpc au profit des défenderesses ;
La décision
Statuant publiquement en premier ressort, par ordonnance contradictoire,
. Disons n’y avoir lieu à statuer en référé sur les demandes de Hubert M. ni à faire application de l’article 811 du ncpc ;
. Rejetons la demande des défendeurs fondée sur l’article 7 du ncpc ;
. Laissons les dépens à la charge du demandeur.
Le tribunal : Mme Bezio (vice président)
Avocats : SCP Montbrial & Associés, SCP Lafarge – Flecheux – Campana – Le Blevennec
Notre présentation de la décision
Voir décision de Cour de cassation
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