Jurisprudence : Contenus illicites
Tribunal de grande instance de Lyon Ordonnance de référé du 4 juillet 2005
Foncia Groupe / Fernand C., ARC, Unarc
contenus illicites - dénigrement - diffamation
FAITS ET PROCEDURE
Faisant valoir que depuis plus de deux ans elle était la cible d’attaques véhémentes, diffamatoires et dénigrantes dans de nombreux articles, notamment ceux datés des 23 février, 9, 16, 23 mars et 13 avril 2005 publiés sur le site de l’Association des Responsables de Copropriété (ARC) accessibles à l’adresse www.unarc.asso.fr, que certains de ces propos ont été repris dans les bulletins mensuels de l’ARC, la société Foncia Groupe a assigné Fernand C., en qualité de président de l’ARC et directeur de publication du site internet www.unarc.asso.fr, l’ARC ainsi que l’Union nationale des associations de responsables de copropriété (Unarc) à l’effet de :
– ordonner la suppression de tous les propos diffamatoires et dénigrants, respectivement reproduits dans le tableau de la pièce n°15 et notamment ceux repris aux paragraphes I et II de l’assignation, portés à son encontre et publiés sur le dit site sous astreinte,
– interdire toute nouvelle diffusion de propos ou d’articles portant atteinte à son honneur ou sa considération et/ou contenant des propos constitutifs de dénigrement sur internet sous astreinte,
– ordonner la publication de la décision sur la page d’accueil du site de l’ARC selon les modalités suivantes pendant une durée de deux mois :
En partie haute du site entre le titre « actualités » et la case moteur de recherche, un lien hypertexte intitulé « Publication judiciaire : l’ARC condamnée à la demande de Foncia » en lettres majuscules noires de 1 centimètre de hauteur, ce lien renvoyant vers une page comprenant le texte intégral de la décision au format html précédé du rappel du titre précité en lettres majuscules noires de 2 centimètres de hauteur,
– ordonner la publication de la décision à intervenir dans l’édition du bulletin de l’ARC qui suit le prononcé de la décision, l’insertion devant être faite en page 1 dudit bulletin,
– ordonner la publication de la décision dans deux quotidiens nationaux au choix du demandeur aux frais de la partie défenderesse dans la limite de 7000 € par insertion,
– ordonner que la publication de la décision devra être exécutée par l’ARC au plus tard dans le jour suivant la signification de la décision sous astreinte,
– désigner un huissier de justice avec mission de constater, aux frais de l’ARC, les conditions d’exécution de la présente,
– condamner l’ARC à lui verser une provision de 1€ en réparation du préjudice d’ores et déjà subi,
– condamner la société défenderesse à lui payer une somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.
La demanderesse soutient qu’en délivrant une information tronquée pour étayer l’accusation selon laquelle elle ferait appel à des personnes douteuses ayant commis des actes pénalement répréhensibles alors qu’elles exercent leur activité sous l’enseigne Foncia, le directeur de la publication du site s’est rendu coupable de diffamation publique envers un particulier et qu’en ne citant que la partie de la décision relative aux accusations sans préciser que M. B. a, pour ces mêmes faits, été relaxé, l’ARC a voulu induire en erreur le lecteur.
Il estime que plus de 52 propos dénigrants ont été recensés depuis 2003, que la teneur des propos tenus, par leur fréquence et leur répétition, excède manifestement la libre critique, que l’ARC a manqué de prudence et d’objectivité, que les propos portent atteinte à sa réputation et ternissent son image d’honnêteté et de sérieux, que l’ARC, par le biais d’une société qu’elle a constituée en 1990, exploite une activité concurrente.
Fernand C., l’ARC et l’Unarc ont déposé, in limine litis, des conclusions d’incompétence au profit du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris et de nullité et sollicité chacun une indemnité de 5000 € pour les frais non recouvrables.
Ils ont conclu au fond au débouté des demandes comme n’étant pas fondées et estimé qu’elles relevaient de la compétence du juge du fond. Ils ont sollicité une somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.
Ils estiment que la société Foncia Groupe n’est pas directement visée au travers des propos retenus comme diffamatoires et qu’à aucun moment l’ARC n’a reproché à Foncia d’avoir recruté M. B. et n’a laissé croire qu’elle laissait prospérer de telles pratiques.
Ils soutiennent que les propos de l’ARC sont purement descriptifs et loin d’être polémiques.
La société Foncia Groupe a, par de nouvelles conclusions, maintenu ses demandes en soutenant que le tribunal de grande instance de Lyon est compétent, le fait dommageable s’étant produit en tous lieux où les informations litigieuses ont été mises à dispositions des utilisateurs éventuels du site et que l’assignation est régulière, un seul écrit étant qualifié de diffamatoire, les autres, clairement distincts, étant qualifiés de dénigrants, que l’ARC est l’éditrice du site.
Les assignations ont été dénoncées à monsieur le Procureur de la République.
DISCUSSION
Sur l’exception d’incompétence
En application de l’article 46 alinéa 3 du ncpc le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi.
Il est constant que les victimes de propos diffamants ou dénigrants diffusés en différents points du territoire national et reproduits sur internet accessible à tous, notamment à Lyon, sont en droit de saisir le juge des référés du tribunal de cette ville où, au surplus, a été dressé le procès verbal de constat révélant l’existence du site litigieux.
Sur la nullité de l’assignation
L’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 précise que la citation doit préciser et qualifier le fait incriminé et reproduire le texte de loi applicable à la poursuite.
Même si le dispositif de l’assignation délivrée ne reprend pas le texte qualifié de diffamatoire, il convient d’observer que le corps de l’assignation comporte trois parties distinctes. La première est intitulée « sur le caractère diffamatoire des propos publiés le 23 mars 2005 sur le site web ». Elle contient le texte prétendument diffamatoire et vise les textes de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse. La deuxième partie est intitulée « sur l’abus de son droit de critique par l’ARC constitutif de dénigrement vu l’article 1382 du code civil ». Elle reprend les textes prétendument dénigrants différents du premier propos. La troisième partie est relative aux réparations sollicitées. Seule la première partie serait susceptible de critique au regard de la loi de 1881 ; mais la reprise intégrale du texte litigieux et des articles d’incrimination conduit à constater la régularité de l’assignation.
Sur les personnes assignées
Les défendeurs reprochent à la société Foncia Groupe d’avoir fait délivrer les assignations à Fernand C. au siège de l’ARC et à l’Unarc en la personne de Fernand C. qui n’en est pas le président.
A l’égard de Fernand C. l’assignation qui lui était destinée a été délivrée au lieu où il exerce les fonctions de président de l’association ARC, seul domicile connu de la demanderesse. Cette irrégularité n’a d’ailleurs pas porté grief au défendeur qui a conclu et pu faire valoir ses moyens de défense.
A l’égard de l’Unarc, il est constant que Fernand C. n’en est pas le président. L’assignation qui lui a été délivrée en cette qualité est irrégulière et affecte la validité de l’acte sans qu’il soit nécessaire d’établir un grief.
Sur la diffamation
L’article 809 du ncpc donne pouvoir au juge des référés de prendre les mesures de remise en état qui s’imposent pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
L’article 29 de la loi de 1881 définit la diffamation comme étant l’allégation ou l’imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne.
Le texte litigieux est ainsi rédigé :
« Oui que se passe-t-il chez Foncia ? Nos adhérents sont d’autant plus inquiets qu’ayant levé un Kbis de cette nouvelle société, ils ont découvert, comme président, l’existence de M. B.
Un de ces adhérents du sud, originaire de Créteil, nous a alors demandé : ce n’est quand même pas le B. de Créteil ? »
Mais si, cher adhérent, c’est lui, M. B., ancien président directeur général du cabinet B. et qu’on retrouve maintenant sur votre belle côte d’azur.
Précisons que M. B., bien connu des adhérents franciliens de l’ARC avait été l’objet d’une enquête dans le cadre de l’affaire Technic Plastic dont le tribunal d’Evry a rendu compte et que nous citons :
« Il résulte de l’enquête que M. B. a reçu les avantages suivants :
– voyages payés par Technic Plastic (D195p17)
1/91 chèque de crédit dans l’agence de voyage 62000 F
1/93 séjour Annapurna (hôtel à Courchevel) 47000 F
9/93 14500 F
Total 123500 F
Il est relevé qu’il a également facturé à ses fournisseurs des honoraires pour 1267084 F TTC de 89 à 94 que le total des contributions publicitaires à la lettre du cabinet B. s’est élevé à 405698 F (D334).
S’agissant des publicités litigieuses payées par les seules entreprises de l’Essonne depuis le 1er juillet 1991 elles sont ainsi identifiées dans les pièces de la procédure (D675) :
EPHS D492 (assainissement, désinfection) publicité dans la lettre du cabinet B. ……….40027 F
Compagnie générale de Chauffe-CGC D500 (chauffage urbain) publicité dans la lettre du cabinet B. (paiements forfaitaires annuels de 20000 F HT) …….71560 F
Sarl CPTA (marchés Itec) D602 (couverture plomberie) ……..31132 F
Total ……………….142719 F
Tribunal correctionnel d’Evry-6ème chambre 1-27 avril 2004. Réf E94329280/7″.
Comme on le constate ce monsieur n’est pas un de ces hommes à qui l’on confierait son portefeuille en toute confiance. D’où les angoisses de nos adhérents ».
L’examen de ce texte montre qu’il ne contient aucune allégation à l’encontre de la société Foncia Groupe. La personne visée est M. B. qui est devenu un de ses dirigeants. Par ailleurs, la matérialité des faits imputés à M. B. n’est pas discutée. Celui-ci a effectivement fait l’objet d’une enquête pénale dans le cadre de « l’affaire Technic Plastic » et a été poursuivi. Même si la loyauté commandait d’annoncer la décision de relaxe prononcée, la relation de faits reprochés à une personne n’étant pas constitutive de diffamation, la demande présentée par la société Foncia Groupe sera rejetée.
Sur le dénigrement
Parmi les propos relevés, la société Foncia Groupe considère notamment comme dénigrants :
« Foncia comme trop souvent a tout faux »
« Mais il y a encore plus ridicule pour Foncia »
« Syndic professionnel au professionnalisme à géométrie variable »
« Foncia : syndic dans l’illégalité plus syndic ignare ? »
« Foncia et ses curieuses façons de vouloir détourner les dispositions nouvelles du décret du 27 mai 2004 qui ne l’arrangent pas »
« Foncia comme si souvent ne répond pas »
« Foncia nous écrit un rien méprisant et donneur de leçon »
« Nous rappelons d’ailleurs à Foncia qui fait mine de l’avoir oublié »
« Ce que nous critiquons -comme la commission des clauses abusives- c’est le transfert organisé qui s’apparente à une tromperie volontaire sur le niveau des honoraires. Enfonçons le clou puisque Foncia a du mal à comprendre. »
« Cette question est-elle difficile ? Non mais il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre »
« Foncia s’enfonce »
« A noter que M. L. -président du groupe Foncia- confond rémunération et facturation »
« De toute façon le président L. a tout faux »
« Nous rappelons d’ailleurs à Foncia qui fait mine de l’avoir oublié »
« Foncia qui pèse plus de 10% de la copropriété rachète en permanence des cabinets de syndic et met en place des pratiques (illégales trop souvent comme ce site le prouve abondamment »
« Est-ce notre faute si Foncia décide de faire travailler ses filiales dans les copropriétés sans respect des textes en vigueur ? »
« Est-ce notre faute si Foncia entend restreindre la liberté d’expression des copropriétaires ? »
La société Foncia Groupe ne démontre pas que les critiques émises sont dénuées de fondement. Les « abus » publiés sur le site internet sont le reflet des questions, situations ou observations faites par les adhérents de l’ARC. Ces points de vue son relatifs à la copropriété et ne concernent pas seulement la société Foncia Groupe, plaignante. En les suscitant, les commentant de manière détaillée et étayée, les publiant et les diffusant, l’ARC exerce sa liberté d’expression et son droit à la critique qui porte sur des pratiques qui peuvent parfois apparaître préjudiciables pour certains adhérents.
Aucun abus n’ayant été commis et relevé la demande présentée par la société Foncia Groupe sera rejetée en l’absence de trouble manifestement illicite.
Sur les frais non recouvrables
Aucun élément ne justifie que les parties ne succombent pas conservent à leur charge les frais non recouvrables.
DECISION
Statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,
. Au principal renvoyons les parties à se pourvoir ainsi qu’elles aviseront,
. Nous déclarons compétent,
. Rejetons l’exception de nullité des assignations fondée sur la loi de 1881,
. Déclarons nulle l’assignation délivrée à l’Unarc,
. Déboutons la société Foncia Groupe de ses demandes,
. Condamnons la société Foncia Groupe à payer à :
– Fernand C. une somme de 800 €
– l’ARC une somme de 800 €
– l’Unarc une somme de 800 €
sur le fondement de l’article 700 du ncpc.
. Laissons les dépens à la charge de la société Foncia Groupe.
Le tribunal : M. Régis Cavelier (premier vice président)
Avocats : Me Yves Bismuth, Me Olivier Pardo, Me Thibault Verbiest, Me Yves Philip de Laborie
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.