Jurisprudence : Marques
Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 3ème section Jugement du 19 octobre 2005
Free / Lyonnaise Communication Noos
contrefaçon - lien commercial - marques - moteur de recherche - mots clés - publicité
FAITS ET PROCEDURE
La société Free est un fournisseur d’accès internet qui exploite l’accès par la ligne téléphonique. Elle est propriétaire de la marque dénominative « Free » n°1 734 391 déposée le 25 octobre 1989 et régulièrement renouvelée pour désigner les services suivants : « service télématique grand public, messagerie conviviale, petites annonces, service de stockage, de réception et de diffusion de messages » en classe 38 de la classification internationale.
La société Lyonnaise Communication fournit elle aussi des accès internet mais par le moyen du câble.
La société Free a fait réaliser un constat d’huissier en date du 22 mai 2003 duquel il résulte qu’en entrant la requête « Free fai adsl » dans le moteur de recherche « Google.fr » on obtenait, en premier lien commercial, le site www.noos.fr sous l’intitulé :
« Fai Adsl Free
www.noos.fr Offre Noos 512 K pour 29€/mois. Modem gratuit. Jusqu’au 24 août »
Autorisée par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris en date du 11 juillet 2003 la société Free a fait procéder à une saisie contrefaçon dans les locaux de la société Lyonnaise Communication et dans ceux de la société Google France.
Par assignation du 1er août 2003, la société Free reproche à la société Lyonnaise Communication d’avoir indexé ses pages sur le moteur de recherche Google au moyen des mots clés Free, Fai et Adsl et ainsi d’avoir commis une contrefaçon par reproduction et à tout le moins par imitation de la marque « Free », d’avoir porté atteinte à la dénomination sociale Free, au nom commercial Free et aux codes télématiques 3615 Free et free.fr et d’avoir commis des actes de concurrence déloyale caractérisés par une publicité illicite, car fausse ou de nature à induire en erreur.
En réparation la société Free sollicite l’interdiction de l’usage par la société Lyonnaise Communication, de la marque Free et du terme Adsl ainsi que la somme de 500 000 € en réparation des actes de contrefaçon de la marque Free et celle de 500 000 € en réparation des actes d’usurpation de la dénomination sociale, du nom commercial et des codes télématiques Free, ainsi que des actes complémentaires de concurrence déloyale et parasitaire, notamment concrétisés par le détournement de la clientèle de la société Free.
Enfin, la société Free demande la publication du jugement à intervenir ainsi que l’exécution provisoire et la somme de 5000 € par application de l’article 700 du ncpc.
Par dernières écritures la société Free maintient ses prétentions.
Suivant dernières conclusions la société Lyonnaise Communication sollicite reconventionnellement la nullité de la marque Free par application de l’article L 711-2 b) du code de la propriété intellectuelle au motif qu’il s’agirait d’un signe descriptif pour des services de télécommunication présentés comme libres et gratuits et à titre subsidiaire par application de l’article L 711-3 c) du code de la propriété intellectuelle au motif que la marque serait déceptive, le service n’étant pas gratuit.
En défense elle fait valoir qu’elle n’est pas intervenue dans le référencement effectué par le moteur de recherche Google mais uniquement dans les liens commerciaux qui ne sont pas incriminés. Reconventionnellement elle sollicite la somme de 15 000 € pour procédure abusive et celle de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc ainsi la publication du jugement et l’exécution provisoire.
DISCUSSION
Sur la validité de la marque « Free » n°1 734 391
Sur son caractère descriptif
Attendu que l’article L 711-2b) du code de la propriété intellectuelle visé par la défenderesse dispose que :
« Le caractère distinctif d’un signe de nature à constituer une marque s’apprécie à l’égard des produits ou services désignés.
Sont dépourvus de caractère distinctif :
[…]
b) les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation de service.
[…]
Le caractère distinctif peut, sauf dans le cas prévu au c, être acquis par l’usage ».
Mais attendu que ce texte est issu de la loi n°91-7 du 4 janvier 1991 qui est postérieure au dépôt de la marque.
Attendu qu’il convient donc de faire application de l’article 3 alinéa 4 de la loi du 31 décembre 1964 qui dispose quant à lui que :
« Ne peuvent, en outre, être considérées comme marques :
[…]
Celles qui sont composées exclusivement de termes indiquant la qualité essentielle du produit ou du service, ou la composition du produit ».
Attendu que sous l’empire de cette loi ancienne la jurisprudence considérait que si l’usage est impropre à conférer la validité à une marque affectée d’un vice indélébile, il en va autrement dès lors que la durée et l’importance de cet usage ont apporté à la marque un surcroît de distinctivité qui, à l’origine, lui faisait seulement défaut.
Attendu que la marque « Free » se compose de l’adjectif anglais « free » qui signifie gratuit ou libre.
Attendu que la société Lyonnaise Communication soutient qu’une partie notable du public français concerné en 1989, au jour du dépôt de la marque, par l’accès au réseau internet comprenait le sens de l’adjectif anglais « free », les termes anglais étant facilement employés par les personnes s’intéressant à l’informatique, à preuve le terme freeware lentement remplacé par le néologisme « graticiel ».
La défenderesse poursuit en exposant que la société Free a commencé par proposer des accès à faible débit par modem qui avaient la particularité d’être d’une durée illimitée et d’être présentés au consommateur comme gratuit celui-ci ne devant s’acquitter que du prix de la communication téléphonique entre son modem et la société Free.
Attendu que si l’on peut considérer que dans les premiers temps de l’internet grand public en France les consommateurs concernés étaient assez férue d’informatique et que dans ces conditions ils pouvaient comprendre le terme « free » comme l’indication de la qualité essentielle du service alors proposé par la société Free, il n’en va manifestement plus de même aujourd’hui dès lors que d’une part l’usage de l’internet s’est généralisé et que d’autre part la société Free est devenue le premier fournisseur d’accès Adsl en France lequel n’a jamais été présenté comme gratuit et tend à supplanter l’internet bas débit.
Attendu qu’ainsi l’usage intensif démontré de la marque « Free » ayant acquis à cette dernière la distinctivité qui lui manquait lors de son dépôt, la demande de nullité de ce chef doit être rejetée.
Sur son caractère déceptif
Attendu que l’article L 711-3 c) du code de la propriété intellectuelle visé par la défenderesse dispose que :
« Ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe :
[…]
c) De nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service. »
Attendu que comme précédemment, il faut relever que ce texte résulte de la loi du 4 janvier 1991 et qu’il convient de faire application de l’article 3 alinéa 3 de la loi du 31 décembre 1964 qui dispose que :
« Ne peuvent, en outre, être considérées comme marques :
Celles qui sont constituées exclusivement de la désignation nécessaire ou générique du produit et du service ou qui comportent des indications propres à tromper le public ; »
Attendu que le signe Free, s’il a pu évoquer pour un public spécialisé la gratuité d’un premier service, n’est pas en lui-même une indication propre à tromper le public français s’agissant d’accès internet Adsl payant étant relevé que le public ayant des rudiments de langue anglaise pourra y voir l’évocation de la liberté conféré par une liaison rapide et que la société Free justifie de ce qu’elle a toujours communiqué sur le prix de son offre Adsl en ne laissant jamais penser qu’elle pourrait être gratuite ; que dans ces conditions, la demande de nullité de ce chef de déceptivité est mal fondée.
Sur les actes de contrefaçon
Attendu que le lien commercial relevé par le constat d’huissier sous la forme d’un lien internet renvoyant au site de la société Lyonnaise Communication dans les termes suivants :
« Fai Adsl Free
www.noos.fr Offre Noos 512 K pour 29€/mois. Modem gratuit. Jusqu’au 24 août »
constitue manifestement une publicité au profit de la défenderesse fondée sur une offre commerciale précise, une liaison de 512 K pour un prix mensuel de 29 €, dotée d’une prime, un modem, et limitée dans le temps, jusqu’au 24 août.
Attendu que cette publicité reproduit en titre la marque Free après deux acronymes courants pour désigner un service visé à l’enregistrement de celle-ci à savoir un « service télématique grand public » et ainsi constitue un acte de contrefaçon par reproduction au sens de l’article L 713-2 a) du code de la propriété intellectuelle.
Attendu de plus que pour faire apparaître une telle publicité la société Free a mandaté la société Optimum Media Direction pour organiser une campagne publicitaire sur le moteur de recherche Google.fr en choisissant comme mots clés permettant à la publicité d’apparaître à l’écran un certain nombre de mots dont Free.
Attendu qu’en agissant ainsi la défenderesse a aussi commis des actes de contrefaçon par reproduction de la marque Free.
Sur les actes de concurrence déloyale
Attendu que par ces mêmes actes la société Lyonnaise Communication a usurpé la dénomination sociale et le nom commercial « Free » et porté atteinte aux codes internet et minitel « Free » dont use la société Free.
Attendu qu’il est fait grief à la société Lyonnaise Communication d’avoir utilisé les mots clés « promo adsl », « couverture adsl », « fai adsl », « adsl offre », « installation adsl », « adsl pro », « adsl forfait », « fournisseur adsl » pour présenter son offre câble aux internautes à la recherche d’informations sur la technologie concurrente qu’est l’Adsl.
Attendu qu’il convient tout d’abord de relever, malgré les dénégations de la défenderesse, que l’Adsl et le câble désignent bien à ce jour, dans l’usage courant, deux technologies concurrentes utilisées pour accéder au réseau internet dans des gammes de débit comparables.
Attendu que le seul fait de capter l’attention des internautes intéressés par une technologie pour leur présenter une solution technique directement concurrente de nature à satisfaire leurs besoins n’est pas en soi une faute.
Mais attendu qu’il en va différemment si l’ont entretient une confusion entre les deux solutions.
Attendu que tel est le cas en l’espèce ; qu’en effet à la requête « Free fai adsl » correspond une publicité ne faisant aucune référence au câble mais au contraire intitulée « Fai Adsl Free » ce qui laisse penser au consommateur d’attention moyenne qu’il est en présence d’un fournisseur d’accès internet utilisant l’Adsl ce qui, à ce jour, n’est pas le cas de la société Lyonnaise Communication.
Attendu qu’en se présentant comme un fournisseur d’accès internet utilisant la technologie Adsl la société Lyonnaise Communication a commis un acte de publicité illicite car de nature à induire en erreur et ainsi engagé sa responsabilité.
Sur les mesures réparatrices
Attendu que le préjudice causé par la contrefaçon de marque sera réparé par l’allocation de la somme de 30 000 € compte tenu notamment de la visibilité offerte par le moteur de recherche Google et de la renommée de la marque Free.
Attendu que le préjudice engendré par les actes de concurrence déloyale sera réparé par la somme de 30 000 € en tenant toujours compte de la visibilité propre au moteur de recherche Google.
Attendu qu’il n’y a pas lieu d’ordonner une mesure de publication aux frais de la défenderesse, le préjudice de la société Free étant totalement indemnisé par les sommes allouées eu égard à l’ancienneté des faits.
Sur les frais irrépétibles
Attendu que l’équité commande d’allouer à la société Free la somme de 5000 € par application de l’article 700 du ncpc.
Sur l’exécution provisoire
Attendu qu’il convient d’ordonner l’exécution provisoire compte tenu de l’ancienneté des faits.
Sur les dépens
Attendu que la société Lyonnaise Communication qui succombe supportera les dépens.
DECISION
Le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,
. Rejette les exceptions de nullité pour défaut de distinctivité et pour déceptivité de la marque « Free » n°1 734 391,
. Dit qu’en reproduisant la marque Free dans une publicité et à titre de mot clé pour faire apparaître une publicité pour un service visé à l’enregistrement, la société Lyonnaise Communication a commis des actes de contrefaçon par reproduction de la marque « Free » au sens de l’article L 713-2 a) du code de la propriété intellectuelle,
. Dit qu’en utilisant dans une publicité pour son service d’accès à internet par le câble les mots Free et Adsl la société Lyonnaise Communication a porté atteinte à la dénomination sociale, au nom commercial et aux codes télématiques Free et a commis des actes de publicité de nature à induire le consommateur en erreur,
En conséquence :
. Condamne la société Lyonnaise Communication à payer à la société Free :
– la somme de 30 000 € en réparation des actes de contrefaçon de marque
– la somme de 30 000 € en réparation des actes de concurrence déloyale,
. Dit n’y avoir pas lieu à une mesure de publication aux frais de la société Lyonnaise Communication,
. Condamne la société Lyonnaise Communication à payer à la société Free la somme de 5000 € par application de l’article 700 du ncpc,
. Ordonne l’exécution provisoire,
. Condamne la société Lyonnaise Communication aux dépens.
Le tribunal : Elisabeth Belfort (vice président), Agnès Thaunat (vice président), Pascal Mathis (juge)
Avocats : Me Yves Coursin, Me François Illouz
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