Jurisprudence : Contenus illicites
Tribunal de grande instance de Lyon 14ème chambre du tribunal correctionnel Jugement du 21 juillet 2005
Groupe Mace / Gilbert D.
contenus illicites - diffamation - forum de discussion - hébergeur - len
LE TRIBUNAL
Attendu que Gilbert D. a été cité par exploit de Me Fradin huissier de justice à Lyon en date du 22 janvier 2005, à la demande du Groupe Mace, pour comparaître à l’audience du 1er mars 2005 ; que la citation est régulière en la forme ;
Attendu que Gilbert D. est prévenu :
d’avoir à Lyon et sur le territoire national le 26 octobre 2004, allégué ou imputé un fait portant atteinte à l’honneur ou à la considération de Groupe Mace, particulier, par écrit en publiant sur le forum de discussion du site www.achetenligne.com un message intitulé : « Ne vous mariez pas chez point mariage ». Lequel message contenant des propos dissuadant les lecteurs d’acheter chez Point Mariage ou chez Complicité.
faits prévus par les articles 32 al. 1, 23 al. 1, 29 al. 1, 42 de la loi du 29 juillet 1881 et réprimés par les articles 32 al. 1 de la loi du 29 juillet 1881.
Attendu que Gilbert D. comparait ; qu’il convient de statuer contradictoirement à son encontre ;
Attendu que Gilbert D. est prévenu :
d’avoir à Lyon (69) et sur le territoire national le 26 octobre 2004, allégué ou imputé un fait portant atteinte à l’honneur ou à la considération de Groupe Mace, particulier, par écrit en publiant sur le forum de discussion du site « www.achetenligne.com » les messages suivants :
« Re : Ne vous mariez pas chez Point Mariage
Posté par la veritée sur le groupe macé le 26 octobre 2004 à 19:14:55 : en réponse à Ne vous mariez pas chez Point Mariage posté par o.s.@free.fr le 17 septembre 2004 à 18:05:59:
Bonjour à tous et à toutes
Tout d’abord je me présente, je suis vendeuse chez point mariage depuis
[…]
Merci de m’avoir lu… »
Faits prévus par les articles 32 al.1, 23 al 1, 29 al. 1, 42 de la loi du 29 juillet 1881 et réprimés par l’article 32 al. 1 de la loi du 29 juillet 1881
« Bonjour à tous et à toutes
Tout d’abord je me permets, je suis vendeuse chez point mariage depuis
[…]
Merci de m’avoir lu… »
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS
Gilbert D. exploite un site web intitulé : « Achète en ligne – Guide du shopping sur internet », site proposant de l’information et un guide d’achat relatif aux sites de commerce électronique et offrant aux internautes une forme de discussion.
La société Groupe Mace a constaté, courant novembre 2004, l’existence sur ce forum de discussion, de plusieurs sujets dédiés aux enseignes « Point Mariage » et « Complicité », sous lesquelles elle exerce son activité, constituée de la conception, la fabrication, la distribution et la promotion de vêtements et accessoires dans le domaine du mariage sous lesdites enseignes, à travers 98 points de vente en France.
Le Groupe Mace considère que le message posté le 26 octobre 2004, intitulé « Ne vous mariez pas chez Point Mariage », tel que libellé à la prévention, constaté par voie d’huissier les 9 et 13 décembre 2004, ainsi que le message, mis en ligne du 26 octobre 2004 au 17 décembre 2004, par une personne se disant « vendeuse chez point mariage », tel que libellé à la prévention, contiennent des contenus diffamatoires visant le Groupe Mace et les enseignes « Point Mariage » et « Complicité ».
Mis en demeure, le 14 décembre 2004, par la société Groupe Mace de supprimer les contenus litigieux dudit site, Gilbert D. a répondu positivement à cette demande le 18 décembre 2004.
Par citation du 22 janvier 2005, la société Groupe Mace, représentée par Me Rolland Verniau, sollicite de voir :
– condamner Gilbert D., en sa qualité de directeur de publication du site « achetenligne.com » coupable de diffamation publique envers un particulier ;
– condamner celui-ci à verser la somme de 45 000 € au titre des préjudices d’image et de manque à gagner ;
– ordonner la publication du jugement aux frais de celui-ci dans les titres « Marions-nous » et « Mariée Magazine » ;
– condamner celui-ci aux frais d’exécution engagés, outre le versement de la somme de 3000 € en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale.
Me P.M. Durade-Replat (Selarl Delsol & associés), avocat du prévenu, plaide oralement, au soutien de conclusions déposées et visées, la relaxe du prévenu en application de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004, le débouté de la partie civile de l’ensemble de ses demandes, la condamnation de celle-ci au versement de la somme de 3000 € en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale, et subsidiairement, la réduction du quantum des dommages-intérêts alloués.
DISCUSSION ET MOTIFS
Sur l’action publique :
Sur la citation introductive d’instance et sur les conclusions déposées par la partie civile
Attendu qu’en matière de délit de presse, l’acte initial introductif d’instance fixe définitivement et irrévocablement la nature et l’étendue de la poursuite quant aux faits et à leur qualification ;
Qu’en l’espèce, le tribunal s’en tient à la citation du 22 janvier 2005 et aux textes visés au dispositif de celle-ci, sans égard au dispositif des conclusions déposées à l’audience, lesquelles visaient supplémentairement l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 et l’article du 29 juillet 1982 ;
Que par ailleurs, le tribunal relève que si l’acte introductif d’instance vise irrégulièrement l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881, ledit texte prévoyant la peine applicable au délit d’injure, alors que le texte édictant la peine applicable à la diffamation a son siège à l’article 32 de cette même loi, il n’appartient cependant pas au tribunal, en l’absence de l’invocation de la nullité éventuelle de la citation par le prévenu, de relever d’office la nullité de la citation pour violation de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, et ce conformément à la jurisprudence relative à l’article 385 du code de procédure pénale (Ch. Crim 12 mars 1996) ;
Sur le fond
Sur l’applicabilité de la loi du 30 septembre 1986 et de la loi du 21 juin 2004 et sur l’inapplicabilité de la loi du 29 juillet 1982 :
Attendu qu’aux termes de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 (nouvel article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986) ;
« …
2- Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par les destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services, si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible.
3- Les personnes visées au 2 ne peuvent voir leur responsabilité pénale engagée à raison des informations stockées à la demande d’un destinataire de ce services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicite ou si, dès le moment où elles en ont eu connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces informations ou en rendre l’accès impossible.
7- Les personnes mentionnées aux 1 et 2 ne sont pas soumises à une obligation générale de surveiller les informations qu’elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites ».
Attendu qu’en l’espèce, le forum de discussion créé par Gilbert D. est un forum modéré a posteriori ; que celui-ci a déclaré contrôler trois ou quatre fois par semaine » l’ensemble des messages et n’avoir pas eu son attention spontanément attiré par les messages incriminés et visés à la prévention ;
Que la partie civile estime, pour sa part, que Gilbert D. assume en tant que créateur et administrateur du site, la fonction de directeur de publication et ce conformément à l’article 93- de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle qui dispose que « tout service de communication audiovisuelle est tenu d’avoir un directeur de la publication… Lorsque le service est fourni par une personne physique, le directeur de la publication est cette personne physique » ;
Que cependant l’article 93-3 disposant que : « Au cas où l’une des infractions prévues par le chapitre IV de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est commise par un moyen de communication audiovisuelle, le directeur de la publication ou, dans le cas prévue au deuxième alinéa de l’article 93-2 de la présente loi, le co-directeur de la publication sera poursuivi comme auteur principal, lorsque le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public. A défaut, l’auteur, et à défaut de l’auteur, le producteur sera poursuivi comme auteur principal. Lorsque le directeur ou le co-directeur de la publication sera mis en cause, l’auteur sera poursuivi comme complice ». Il en découle que la responsabilité éditoriale est conditionnée par la fixation préalable du contenu litigieux ;
Que tel n’est pas le cas dans l’hypothèse d’un organisateur de forum qui ne dispose pas de la capacité de prendre connaissance des messages avant la communication au public ;
Qu’à cet égard, la recommandation du Forum des droits sur l’Internet prévoyait le 8 juillet 2003 « qu’en application de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, à défaut de fixation préalable, l’auteur principale de l’infraction est l’auteur du message ou le créateur du forum si l’auteur ne peut pas être identifié » ;
Attendu que la loi du 21 juin 2004 (loi pour la confiance dans l’économie numérique) a remplacé, dans les articles 93-2 et 93-3 précités de la loi du 29 juillet 1982, les mots « communication audiovisuelle » par les mots « communication au public par la voie électronique », tout en gardant l’exigence de la fixation préalable à condition de l’engagement de la responsabilité du directeur de publication ;
Qu’il s’en infère l’inapplicabilité de la loi du 29 juillet 1982 aux organisateurs de forum de discussion modéré a posteriori ;
Qu’ainsi, la jurisprudence de la cour de Cassation résultant d’un arrêt du 8 décembre 1998, à laquelle le conseil de la partie civile parait s’être référé implicitement et selon laquelle « le producteur du service peut être poursuivi comme auteur principal, même si ce message n’a pas été fixé préalablement à sa communication à public et ce en application de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 », est désormais obsolète, la matière fort évolutive au gré des modifications législatives récentes ;
Qu’ainsi, dans sa même recommandation du 8 juillet 2003, le Forum des droits du l’internet « invitant le juge à appliquer l’article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986, modifié par la loi du 1er août 2000, à l’organisateur du forum de discussion qui se limite à une activité de stockage de contenus fournis par un destinataire du service à sa demande » ; que ledit article 43-8 prévoit que « les personnes physiques ou morales qui assurent, à titre gratuit ou onéreux, le stockage direct et permanent pour mise à disposition du public de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature accessibles par ces services, ne sont pénalement ou civilement responsables, par ces services, ne sont pénalement ou civilement responsables du fait du contenu de ces services que si, ayant été saisies par une autorité judiciaire, elles n’ont pas agi promptement pour empêcher l’accès à ce contenu » ;
Que si dès l’entrée en vigueur de cet article 43-8, il a été considéré que le régime de responsabilité ainsi défini concernait uniquement les fournisseurs d’hébergement, la question de l’applicabilité de ce régime aux organisateurs de forum de discussion s’est ensuite rapidement posée ;
Que désormais le responsable d’un forum non modéré ou modéré a posteriori doit être considéré comme un hébergeur au sein de la loi puisqu’il assure le stockage direct des messages diffusés sans porter de regard préalable sur ces derniers ;
Que le recours aux travaux parlementaires de la loi du 21 juin 2004 tend à démontrer que les promoteurs de ladite loi ont manifesté leur intention de rendre applicable aux organisateurs de forums de discussion l’article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986 ; que selon les débats parlementaires, il convient en effet de se référer davantage à la définition communautaire du prestataire d’hébergement, telle que définie à l’article 14 de la directive européenne du 8 juin 2000, laquelle ne limite pas l’activité d’hébergement à la prestation purement technique mais identifie plus précisément l’ensemble des « fonctions d’intermédiation » qui ne relèvent pas du simple transfert d’information ;
Qu’il se déduit de ce qui précède qu’il convient de faire application, au cas de la présente espèce, de la loi du régime de responsabilité « allégée » prévu par la loi du 21 juin 2004, certains auteurs n’ayant pas hésité à évoquer « une situation ubuesque » à ce propos (Dreyer, « Interrogations sur la responsabilité pénale des fournisseurs d’hébergement », Légipresse, juin 2004) ;
Qu’en l’espèce, le message considéré comme diffamatoire ayant été supprimé du site par Gilbert D., dans les 24 heures de la demande formulée par la société Groupe Mace, le prévenu a ainsi agi promptement dès qu’il a eu connaissance du caractère illicite du message ;
Que dès lors, en application de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004, il convient de renvoyer Gilbert D. des fins de la poursuite ;
Sur l’action civile :
Attendu que la constitution de partie civile de la société Groupe Mace est régulière et recevable en la forme ;
Qu’il convient cependant de débouter celle-ci de l’ensemble de ses demandes, compte tenu de la relaxe du prévenu ;
Que de même il convient de rejeter la demande de versement d’une somme de 3000 € sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale, une demande reconventionnelle à titre indemnitaire ne pouvant être sollicitée que sur le fondement des articles 472 ou 800-2 du code de procédure pénale.
DECISION
Statuant publiquement, en premier ressort et part jugement contradictoire, à l’égard de Gilbert D. ;
Sur l’action publique
. Renvoie Gilbert D. des fins de la poursuite,
Sur l’action civile
. Déboute la société Groupe Mace de l’ensemble de ses demandes, compte tenu de la relaxe du prévenu.
Le tribunal : M. Schir (président), Mme Vannier et M. Cavelier (juges assesseurs)
Avocats : Me Verniau, Me Coiffet
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.