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Jurisprudence : Diffamation

lundi 03 avril 2006
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Tribunal de grande instance de Paris 17ème chambre – Chambre de la Presse Jugement du 17 mars 2006

Commune de Puteaux / Christophe G.

article de presse - bonne foi - citation - diffamation - directeur de la publication - len - loi du 29 juillet 1981 - site internet

PROCEDURE

Par exploit d’huissier en date du 5 octobre 2004, le ministère public, agissant à la suite de deux plaintes déposées par la mairie de Puteaux les 18 juin et 20 juillet 2004, a fait citer devant ce tribunal, à l’audience du 9 novembre suivant, Christophe G., directeur de la publication du site internet accessible à l’adresse www.monputeaux.com, prévenu d’avoir, à Puteaux et Paris, le 26 avril 2004, diffusé dans la rubrique « revue de presse » de ce site, accessible par un lien hypertexte, un extrait d’article paru dans « Le Parisien » le 26 avril 2004 assorti des commentaires suivants :
« Le Parisien, dans ses pages nationales révèle aujourd’hui une nouvelle affaire trouble touchant la mairie de Puteaux. Cette fois, cela concerne les conditions d’attribution du marché de « Puteaux en neige ». Rappelons que notre ville a dépensé 1 million d’euros l’hiver dernier pour cette manifestation ! Et cela, rien qu’en prestations de services extérieures. C’est donc sans compter toutes les dépenses annexes engagées par les services municipaux. Cette somme (considérable !) est bien supérieure aux manifestations équivalentes organisées par d’autres municipalités en France. Pourquoi ? Comment ? Nous avons peut être un début de réponse dans cet article du Parisien :
« La mairie de Puteaux (Hauts de Seine) est assignée devant le Tribunal administratif par une ancienne employée. Cette dernière affirme que son licenciement est la conséquence de la dénonciation qu’elle a faite à ses supérieurs d’un marché public qu’elle estimait pour le moins sujet à caution. La Mairie nie en bloc et avance l’incompétence de cette femme pourtant expérimentée. Les 19 et 20 avril derniers, l’ancienne salariée dit avoir reçu des menaces téléphoniques d’un homme qui lui conseillant « de laisser tomber » sans quoi elle verrait « comment ça se passe quand on touche aux amis ». Pour ces faits, elle a déposé une main courante puis une plainte auprès de la police ».
« Ayant moi-même reçu ce genre d’appels téléphoniques (insultes et menaces que j’ai enregistrées et diffusées sur mon site!), vous pouvez imaginer mon choc en lisant ces lignes dans le Parisien. Ce témoignage est à recevoir avec sérieux »,

propos comportant à l’encontre d’un corps constitué, en l’espèce la mairie de Puteaux, l’imputation des faits diffamatoires précis suivants :

– d’avoir mis un terme brutal au contrat de Mme Anne Marie F. non en raison de motifs liés à sa compétence ou plus généralement à la qualité de son service, mais parce qu’elle aurait dénoncé un marché public, en l’espèce les conditions d’attribution du marché public « Puteaux en neige » qui serait sujet à caution ;
– de s’être rendue complice d’une infraction pénale par instructions voire même d’en être l’auteur en proférant des menaces, fait prévu et réprimé par les articles 222-17 et le cas échéant 121-7 du code pénal, en l’espèce en ayant fait téléphoner à Mme F., par « un homme » qui lui aurait demandé de « laisser tomber sans quoi elle verrait comment cela se passe quand on touche aux amis » d’une part et ayant téléphoner à Christophe G., auteur de la revue de presse, d’autre part,

faits prévus et punis par les articles 23, 29 al. 1, 30, 42, 43 et 48 al. 1 de la loi du 29 juillet 1881, 93-3 de la loi du 29 juillet 1982.

DISCUSSION

Sur les propos poursuivis

Il résulte du constat d’huissier produit par la partie civile que le texte visé à la prévention figurait, le 26 mai 2004, sur le site internet accessible à l’adresse www.monputeaux.com sous le titre « 26.04.2004 Revue de presse : Nouveaux remous à la mairie de Puteaux (LE PARISIEN) », étant précisé, d’une part, que la partie de ce texte présentée comme une citation du quotidien Le Parisien, qui en constitue le deuxième paragraphe, était reproduite, sur le site, en italiques, distincts des caractères classiques utilisés pour le premier et le troisième paragraphes, et introduite par le sous titre -qui n’a pas été repris à la prévention- : « Extrait de l’article du Parisien : » et, d’autre part, qu’à la suite du texte figuraient un lien hypertexte, signalé par les mots « Lire l’article du Parisien », ainsi que les mentions « Rédigé par Christophe G. le 26.04.2004 à 10H00 dans Justice, les C. ont fait, Revue de presse l Lien permanent l Commentaires ».

Christophe G. ne conteste pas être le directeur de la publication du site internet qu’il a créé et anime seul ni être, également, le rédacteur du texte incriminé.

Sur l’action publique

Sur le caractère diffamatoire des propos poursuivis

Il convient de rappeler que le 1er alinéa de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme « toute allégation ou imputation de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».

La prévention distingue à juste titre deux imputations différentes, qui sont toutes deux contenues dans le texte incriminé.

La première est celle d’avoir conclu un marché public qualifié de « sujet à caution », celui de l’opération « Puteaux en neige », pour un prix présenté comme anormalement élevé et d’avoir, de surcroît, immédiatement licencié l’employée qui avait dénoncé à ses supérieures les anomalies affectant le dit marché.

Un tel fait est précis et contraire à l’honneur et à la considération, dès lors qu’il est susceptible de constituer des violations des règles relatives aux commandes publiques, violations qu’on aurait tenté de dissimuler en licenciant abusivement une employée qui les avait découvertes.

Contrairement à ce que soutient le prévenu, c’est bien la commune de Puteaux, plaignante et partie civile, qui est visée par cette imputation, comme cela résulte des références faites à « la mairie de Puteaux » ou à « notre ville », entités à qui sont prêtées tant la passation du marché contesté que la responsabilité du licenciement litigieux.

Peu importe à cet égard que le texte poursuivi, comme la citation qui a été délivrée par le ministère public, désignent cette collectivité territoriale par l’expression, juridiquement peu pertinente, de « mairie de Puteaux », étant précisé que le prévenu ne soutient nullement que cette imprécision affecterait la régularité de l’acte introductif d’instance, mais qu’il se contente de faire valoir que la « mairie de Puteaux » ne serait pas protégée par les dispositions spéciales de l’article 30 de la loi sur la liberté de la presse, alors que la commune de Puteaux, qui a déposé plainte, après délibérations en ce sens de son conseil municipal en date des 4 juin et 18 juillet 2004, conformément aux exigences de l’article 18 (1er) de la dite loi, est bien un corps constitué, au sens de l’article 30 susvisé.

La seconde imputation diffamatoire contenue dans le texte litigieux est liée à la commission de menaces téléphoniques, adressées au mois d’avril 2004, à l’ancienne employée déjà mentionnée et à des appels insultants et menaçants qu’aurait reçus le rédacteur du texte lui-même.

C’est cependant à tort que la prévention retient que ce fait précis et contraire à l’honneur et à la considération serait imputé à la « mairie de Puteaux », qu’elle en soit auteur ou complice, alors qu’il n’est nullement affirmé, voire même simplement insinué, que la collectivité territoriale aurait animé ou inspiré l’homme qui aurait appelé son ex-employée, ou qu’elle aurait le moindre lien avec lui, ni qu’elle serait à l’origine des appels reçus par Christophe G., sur l’origine et le sens desquels aucune précision n’est d’ailleurs fournie.

Tous les éléments de l’infraction de diffamation envers un corps constitué, tels qu’ils sont définis dans les termes de la prévention, ne sont dons pas réunis, du chef de cette seconde imputation.

S’agissant de la seule première imputation, dont le caractère diffamatoire à l’encontre de l’a commune de Puteaux est retenu, le prévenu soutient à tort que la loi du 29 juillet 1881 ne saurait s’appliquer en l’espèce.

Comme l’a expressément précisé la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique, en modifiant les dispositions de l’article 23 de la loi sur la liberté de la presse, l’élément de publicité exigé par ce texte peut être caractérisé par l’usage de tout moyen de communication au public par voie électronique.

Si ce texte est intervenu postérieurement à la date de commission des faits objets de la présente poursuite, il résultait également de l’état du droit antérieur à l’entrée en vigueur de la loi de juin 2004 que les propos diffusés sur le réseau internet étaient susceptibles de constituer les infractions prévues par le chapitre IV de la loi de 1881.

L’article 23 susvisé, dans sa rédaction applicable aux présents faits, prévoyait, en effet, que la publicité pouvait résulter de l’emploi de tout support de l’écrit, de la parole ou de l’image et notamment de tout moyen de communication audiovisuelle. Et l’article 43-10 de la loi du 30 septembre 1986, alors en vigueur dans sa rédaction issue de la loi du 1er août 2000, rendait concrètement possible la poursuite des infractions de presse commises sur internet en imposant aux personnes éditant un service de communication en ligne autre que de correspondance privée de tenir à la disposition du public le nom de leur directeur de publication, au sens de l’article 93-2 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle -soit directement si elles agissaient à titre professionnel, soit, dans le cas contraire, éventuellement par l’intermédiaire de leur fournisseur d’hébergement-.

Il importe donc peu, pour l’applicabilité à la présente espèce de la loi du 29 juillet 1881, que le service de communication électronique en ligne fourni par le prévenu -lequel en était donc le directeur de la publication, en application du dernier aliéna de l’article 93-2 susvisé- n’ait pas été édité par celui-ci à titre professionnel, mais ait constitué ce qu’il est convenu d’appeler indifféremment un site personnel, des pages personnelles ou, plus récemment, un blog.

C’est enfin à tort que le prévenu soutient que l’élément de publicité exigé par la loi ne serait pas constitué en l’espèce, au motif que ses lecteurs seraient unis entre eux par une communauté d’intérêt centrée autour de la ville de Puteaux, alors qu’au contraire, par exemple, d’un forum de discussion au sein duquel une inscription préalable serait exigée sur la base d’un critère susceptible de caractériser une telle communauté, le site www.monputeaux.com était accessible à tous les internautes désireux de le visiter ou au hasard d’une recherche, quel que fût le centre d’intérêt qui les y conduisait.

Sur l’offre de preuve

Offrant régulièrement de prouver la vérité des faits diffamatoires, le prévenu doit le faire de façon parfaite, complète et corrélative à l’imputation diffamatoire dans toute sa portée et toute sa matérialité.

Si l’on excepte les pièces concernant la seconde imputation qui n’a pas été retenue, le prévenu produit (pièces 15 à 20) divers documents provenant de la procédure d’appel d’offre relative « à l’organisation d’animations sportives, culturelles et socioculturelles et de services auxiliaires de décors et de spectacles pour fêtes de fin d’année à Puteaux », qui ne permettent nullement d’établir que la consultation qu’ils concernent auraient abouti à la conclusion d’un marché douteux et anormalement cher. Aucune pièce n’est, de surcroît, produite concernant le licenciement de la salariée mentionnée dans l’article.

Enfin, aucun des trois témoins visés à l’offre de preuve que le tribunal a pu entendre ne s’est exprimé sur les faits objets de la seule imputation retenue.

Il convient en conséquence de constater que le prévenu a échoué en son offre de preuve.

Sur la bonne foi

Si les imputations diffamatoires sont réputées faites dans l’intention de nuire, le prévenu peut cependant justifier de sa bonne foi et doit, à cette fin, établir qu’il poursuivait, en diffusant les propos incriminés, un but légitime exclusif de toute animosité personnelle, qu’il a conservé dans l’expression une suffisante prudence et qu’il avait en sa possession des éléments lui permettant de s’exprimer comme il l’a fait.

Le prévenu a expliqué au tribunal qu’ayant adhéré au parti socialiste dans les jours ayant suivi le 21 avril 2002, date du premier tour de l’élection présidentielle, il a décidé de créer sur le réseau internet un site destiné à être un lieu de débat offert aux habitants de sa commune de résidence, Puteaux, site où il relate et commente les informations locales, en utilisant sa formation de journaliste, mais dans un but citoyen et désintéressé, sans esprit de propagande politique. Ce faisant, utilisant toutes les possibilités offertes par l’internet comme support de la libre expression des citoyens en dehors de tout cadre institutionnel ou commercial, il poursuivait un but légitime d’information du public local, auquel il offrait parallèlement un espace de réaction et de dialogue.

Même si l’analyse des extraits du site qui sont versés aux débats, notamment ceux qui ont été reproduits dans le constat d’huissier susvisé, démontre que le prévenu y adopte un ton volontiers critique à l’égard de l’équipe municipale, ce parti pris ne saurait être confondu avec une animosité de nature personnelle, dont aucun éléments ne vient démontrer la réalité, alors même que les témoins entendus par le tribunal ont, au contraire, fait état de manifestations d’hostilité dont Christophe G. aurait été victime de la part de responsables de la majorité municipale.

Quoique journaliste de profession, le prévenu dirigeant le site litigieux à titre purement privé et bénévole n’était pas tenu de se livrer à une enquête complète et la plus objective possible sur les faits qu’il évoquait. Il pouvait donc, dans une rubrique consacrée à une revue de presse, citer des extraits d’un article relatif à un litige mettant en cause la mairie de Puteaux publié dans le quotidien régional Le Parisien -dès lors que, comme au cas présent, il précisait exactement sa source et ne lui faisait subir aucune dénaturation-, sans avoir à vérifier le bien fondé des informations qu’il reproduisait.

Il pouvait également librement, en qualité de citoyen et contribuable local, lire dans cet article la confirmation de son opinion sur le coût excessif d’une dépense engagée par sa ville, sans avoir, à cet égard, à démontrer le bien fondé de ce point de vue en se livrant, par exemple, à une rigoureuse analyse comparative du coût de l’opération litigieuse avec les sommes déboursées par d’autres municipalités pour des prestations similaires, dès lors qu’il démontre, par la production des pièces déjà évoquées, que la dite opération a bien eu lieu et a occasionné des dépenses de l’ordre de celles qu’il évoquait.

Il l’a fait en conservant à son expression une réelle prudence, sans tirer de conclusions définitives, mais en se contentant de s’interroger sur la point de savoir si l’article qu’il citait ne constituait pas « un début de réponse » aux questions qu’il se posait sur le coût selon lui anormal de la manifestation organisé par la municipalité.

Dans ces conditions, le bénéfice de la bonne foi doit être reconnu au prévenu, qui sera renvoyé des fins de la poursuite.

Sur l’action civile

La commune de Puteaux, recevable, pour les raisons déjà exposées, en son action, du chef, du moins, de la première imputation, verra toutes ses demandes rejetées compte tenu de la relaxe ainsi intervenue.
Les dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale invoquées par le prévenu ne permettant que la condamnation de celui-ci au profit de la partie civile, et non l’inverse, les demandes formées par Christophe G. sur le fondement de ce texte seront déclarées irrecevables.

DECISION

Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’égard de Christophe G., prévenu, à l’égard de la commune de Puteaux, partie civile (art 424 du code de procédure pénale) et après en avoir délibéré conformément à la loi,

. Renvoi Christophe G. des fins de la poursuite ;

. Reçoit la commune de Puteaux en sa constitution de partie civile ;

. La déboute de toutes ses demandes ;

. Dit irrecevables les demandes formées par Christophe G. sur le fondement des dispositions de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

Le tribunal : Nicolas Bonnal (vice président), Denise Jaffuel-Quinton et Alain Bourla (assesseurs), Sandrine Alimi-Uzan (substitut)

Avocats : Me Jean Marcel Nataf, Me Jean Marc Fedida

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