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Jurisprudence : Contenus illicites

mardi 04 septembre 2001
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Cour de cassation, Chambre criminelle Arrêt 4 septembre 2001

Philippe A. / Ministère public

contenus illicites - convention européenne des droits de l'homme - loi du 19 juillet 1977 - sondage

La Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique tenue au Palais de Justice à Paris, le 4 septembre 2001, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire Desportes, les observations de Me Pradon, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général Commaret ;

Statuant sur le pourvoi formé par Philippe A. contre l’arrêt n° 2 de la cour d’appel de Paris, 11e chambre, en date du 29 juin 2000, qui, dans la procédure suivie contre lui pour infraction à la réglementation des sondages, a dit que les textes fondant la poursuite étaient compatibles avec la convention européenne des droits de l’homme et, après annulation du jugement entrepris et évocation, a renvoyé la cause à une audience ultérieure ;

Vu l’ordonnance du président de la chambre criminelle de ce jour prescrivant l’examen immédiat du pourvoi ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1, 11 et 12 de la loi du 19 juillet 1977, des articles 10 et 14 de la convention européenne des droits de l’homme, de l’article 90-1 du code électoral et de l’article 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

« en ce que, par l’arrêt infirmatif attaqué, la cour a annulé le jugement du tribunal correctionnel de Paris qui avait relaxé le prévenu des fins de la poursuite pour infraction aux articles 1, 11 et 12 de la loi du 19 juillet 1977 et 90-1 du code électoral pour incompatibilité avec les articles 10 et 14 de la convention européenne des droits de l’homme ;

« aux motifs que les sondages réalisés dans la perspective d’un scrutin, s’ils participent à l’information des citoyens, peuvent également avoir une influence sur leur choix » ; « que si le choix des électeurs doit être éclairé, il doit pouvoir s’exercer librement, c’est-à-dire dans des conditions de nature à préserver la réflexion personnelle, notamment dans les jours qui précèdent la consultation » ; « que les effets du sondage relèvent ainsi de la protection des droits d’autrui au sens de l’article 10.2 de la convention européenne » ; « que des sondages dans la semaine précédant un scrutin étaient une condition nécessaire de l’expression du libre choix des électeurs », condition valable en 1996 et « qui le demeure actuellement » ; « que la loi du 19 juillet 1977 ne comporte en elle-même aucune discrimination puisqu’elle est d’application générale » ; que le fait que les techniques modernes ne connaissent pas de frontière (internet – minitel) « n’est pas de nature à caractériser une discrimination au sens de l’article 14 de la convention » ; « que les articles 11 et 12 de la loi du 19 juillet 1977 sont conformes aux prescriptions des articles 10 et 14 de la convention européenne des droits de l’homme » ; « qu’il y a lieu d’annuler le jugement » ;

« alors qu’aux termes de l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme, « toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence des autorités publiques et sans considération de frontière » ; que l’alinéa 2 de cet article dispose que l’exercice de cette liberté ne peut être soumis à des restrictions qu’à condition qu’elles « constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire » ; que l’article 14 de la convention européenne dispose que la jouissance de cette liberté doit être assurée « sans distinction aucune » ; que la limitation de la liberté d’expression ne peut être limitée que par des « mesures nécessaires », c’est-à-dire qui répondent à un besoin social impérieux, dont les cas sont énoncés limitativement dans l’article 10, alinéa 2, de la convention européenne ; que l’interdiction de publication des sondages d’opinion dans la semaine précédant un scrutin, telle qu’édictée par les articles 11 et 12 de la loi du 19 juillet 1977, est incompatible avec les dispositions des articles 11 et 14 de la déclaration européenne des droits de l’homme sur la liberté d’expression ; qu’elle n’a ni pour but ni pour objet une protection des droits d’autrui ; qu’elle n’est pas de nature à protéger le libre choix des électeurs ; qu’elle est discriminatoire dans la mesure où les modes modernes de diffusion des nouvelles (internet, minitel) permettant à des organes de presse situés hors du territoire national de diffuser des résultats de sondages effectués dans la semaine précédant le scrutin, alors que les organes nationaux se le voient interdire ; que les restrictions imposées par la loi du 19 juillet 1977 ne constituent pas des « mesures nécessaires » à un « besoin social impérieux » ; et que, « dès lors, la cour n’a pu refuser de constater l’incompatibilité des articles 11 et 12 de la loi du 19 juillet 1977 avec les articles 11 et 14 de la convention européenne et renvoyer le prévenu devant la juridiction correctionnelle pour infraction aux articles 11 et 12 de la loi du 19 juillet 1977 qu’en violation des articles 11 et 14 de la convention européenne des droits de l’homme » ;

Vu l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ;

Attendu que, selon ce texte, toute personne a droit à la liberté d’expression ; que l’exercice de ce droit, qui comprend notamment la liberté de recevoir ou de communiquer des informations, ne peut comporter de conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi que lorsque celles-ci constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué qu’entre les deux tours des élections législatives de 1997, tenus respectivement les 25 mai et 1er juin, a été publié dans le journal « Le Parisien » daté du 26 mai 1997, sous le titre « Législatives 1er tour – ce que les Français ont voulu dire », un sondage réalisé par l’institut CSA ainsi qu’un article analysant ce sondage et des commentaires ; qu’à la suite d’une plainte déposée par la commission des sondages, Philippe A., directeur de publication du journal précité, a été poursuivi devant le tribunal correctionnel, sur le fondement des articles 11 et 12 de la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 et 90-1 du code électoral, pour avoir, au cours de la semaine précédant un scrutin, publié un sondage d’opinion ayant un rapport avec l’élection ; que le tribunal a relaxé le prévenu après avoir fait droit à l’exception soulevée par lui, prise de l’incompatibilité des textes précités avec les articles 10 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ; que le ministère public a interjeté appel du jugement ;

Attendu que, pour dire les textes incriminés compatibles avec les dispositions conventionnelles, annuler le jugement entrepris et évoquer, la cour d’appel se prononce par les motifs partiellement repris au moyen ;

Mais attendu qu’en interdisant la publication, la diffusion et le commentaire, par quelque moyen que ce soit, de tout sondage d’opinion en relation avec l’une des consultations visées par l’article 1er de la loi du 19 juillet 1977, les textes fondant la poursuite instaurent une restriction à la liberté de recevoir et de communiquer des informations qui n’est pas nécessaire à la protection des intérêts légitimes énumérés par l’article 10.2 de la convention susvisée ; qu’étant incompatibles avec ces dispositions conventionnelles, ils ne sauraient servir de fondement à une condamnation pénale ;

D’où il suit que l’arrêt doit être annulé.

Décision

. annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Paris, en date du 29 juin 2000 ;

Et vu l’article L. 131-5 du code de l’organisation judiciaire :

. dit que les faits poursuivis ne peuvent faire l’objet d’aucune incrimination ;

. dit n’y avoir lieu à renvoi.

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jours, mois et ans que dessus.

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Cotte, président ; M. Desportes conseiller rapporteur ; M. Joly, Mmes Chanet et Mazars, M. Beyer, conseillers de la chambre ; Mme Karsenty, conseiller référendaire.

Avocat général : Mme Commaret.

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