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Jurisprudence : Vie privée

mercredi 19 avril 2006
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Tribunal administratif de Clermont-Ferrand 2ème chambre Jugement du 6 avril 2006

Corinne N. / Collège Teilhard de Chardin

blog - diffamation - injure - sanction - vie privée

Vu la requête, enregistrée le 10 juin 2005, présentée pour Corinne N., agissant tant en son nom personnel qu’au nom de son fils mineur, Erwin S., par la SCP Teillot Blanc-Barbier Chaput-Dumas ; Corinne N. demande au tribunal :
– d’annuler la décision du 15 avril 2005 par laquelle le recteur de l’académie de Clermont-Ferrand a procédé à l’exclusion définitive de son fils du collège Teilhard de Chardin de Chamalières ;
– de condamner l’Etat à lui verser la somme de 1500 € au titre de l’article L 761-1 du code de justice administrative ;

DISCUSSION

Sur les conclusions à fin d’annulation :

En ce qui concerne le moyen tiré d’un vice de procédure :

Considérant qu’aux termes de l’article 31-1 du décret n°85-924 du 30 août 1985 modifié relatif aux établissements publics locaux d’enseignement : « Toute décision du conseil de discipline de l’établissement ou du conseil de discipline départemental peut être déférée au recteur de l’académie, dans un délai de huit jours à compter de sa notification, soit par le représentant légal de l’élève, ou par ce dernier s’il est majeur, soit par le chef d’établissement. Le recteur d’académie décide après avis d’une commission académique. La juridiction administrative ne peut être régulièrement saisie qu’après mise en œuvre des dispositions de l’alinéa précédent » ; qu’aux termes de l’article 6 du décret n°85-1348 du 18 décembre 1985 modifié relatif aux procédures disciplinaires dans les collèges, les lycées et les établissements d’éducation spéciale : « (…) Le chef d’établissement précise à l’élève cité à comparaître les faits qui lui sont reprochés et lui fait savoir qu’il pourra présenter sa défense oralement ou par écrit ou en se faisant assister par une personne de son choix. Si l’élève est mineur, cette communication est également faite aux personnes qui exercent à son égard la puissance parentale ou la tutelle, afin qu’elles puissent produire leurs observations. Elles sont entendues sur leur demande par le chef d’établissement et par le conseil de discipline. Elles doivent être informées de ce droit. La possibilité soit pour la famille ou l’élève s’il est majeur, soit pour le chef d’établissement, de faire appel de la décision du conseil de discipline auprès du recteur d’académie dans un délai de huit jours conformément aux dispositions de l’article 31 (alinéa 2) du décret relatif aux établissements publics locaux, doit être en outre portée à leur connaissance. Les membres du conseil de discipline, l’élève cité à comparaître, son représentant légal et la personne éventuellement chargée de l’assister pour présenter sa défense peuvent prendre connaissance du dossier auprès du chef d’établissement (…) ; qu’aux termes de l’article 8 dudit décret : (…) Le recteur d’académie décide après avis d’une commission académique réunie sous sa présidence ou celle de son représentant. (…) Les modalités prévues pour le conseil de discipline en matière d’exercice des droits de la défense sont applicables à la commission ainsi que les dispositions de l’article 7 (dernier alinéa) du présent décret (…) » ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, par une lettre en date du 30 mars 2005, Corinne N. a été avisée de la date de la séance de la commission académique d’appel au cours de laquelle la situation de son fils serait évoquée et de sa faculté de prendre connaissance, en présence de celui-ci, du dossier disciplinaire le concernant ; qu’elle a en outre été informée que son enfant pouvait présenter sa défense oralement ou par écrit et se faire assister par une personne de son choix ; que, dès lors, la requérante n’est pas fondée à soutenir que la décision du 15 avril 2005 serait intervenue au terme d’une procédure irrégulière, l’appel téléphonique litigieux, en date du 15 avril 2005 et émanant des services rectoraux, étant au demeurant sans influence sur la légalité de ladite décision ;

En ce qui concerne le moyen tiré d’une erreur de droit :

Considérant qu’aux termes de l’article 3 du décret n°85-924 du 30 août 1985 précité : « Le règlement intérieur adopté par le conseil d’administration définit les droits et les devoirs de chacun des membres de la communauté scolaire. Il détermine notamment les modalités selon lesquelles sont mis en application : 1° La liberté d’information et la liberté d’expression dont disposent les élèves, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité ; 2° Le respect des principes de laïcité et de pluralisme ; 3° Le devoir de tolérance et de respect d’autrui dans sa personnalité et dans ses convictions ; 4° Les garanties de protection contre toute agression physique ou morale et le devoir qui en découle pour chacun de n’user d’aucune violence ; 5° La prise en charge progressive par les élèves eux-mêmes de la responsabilité de certaines de leurs activités. Le règlement intérieur comporte un chapitre consacré à la discipline des élèves. Les sanctions qui peuvent être prononcées à leur encontre vont de l’avertissement et du blâme à l’exclusion temporaire ou définitive de l’établissement ou de l’un de ses services annexes. La durée de l’exclusion temporaire ne peut excéder un mois. Des mesures de prévention, d’accompagnement et de réparation peuvent être prévues par le règlement intérieur. Les sanctions peuvent être assorties d’un sursis total ou partiel. Il ne peut être prononcé de sanctions ni prescrit de mesure de prévention, de réparation et d’accompagnement que ne prévoirait pas le règlement intérieur. Toute sanction, hormis l’exclusion définitive, est effacée du dossier administratif de l’élève au bout d’un an. Le règlement intérieur est porté à la connaissance des membres de la communauté scolaire. Tout manquement au règlement intérieur justifie la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire ou de poursuites appropriées » ;

Considérant que les dispositions susmentionnées se bornent à rappeler que les sanctions autres que celles instituées par les dispositions réglementaires précitées doivent être, pour pouvoir être prononcées, expressément prévues par le règlement intérieur ; qu’elles n’ont ainsi ni pour objet ni pour effet de subordonner l’application des sanctions prévues par l’article 3 du décret du 30 août 1985 à leur mention dans le règlement intérieur ; que, dès lors, en prononçant la sanction ferme de l’exclusion définitive alors que le règlement intérieur adopté le 7 juin 2001 ne prévoit qu’une telle sanction assortie du sursis, le recteur de l’académie de Clermont Ferrand n’a commis aucune erreur de droit ;

En ce qui concerne le moyen tiré d’une erreur dans la qualification juridique des faits :

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, par une décision en date du 21 mars 2005, le principal du collège Teilhard de Chardin à Chamalières a procédé à l’exclusion définitive de Erwin S., fils de la requérante alors âgé de 14 ans, au motif que celui-ci avait diffusé sur son site internet des propos injurieux et offensants à l’encontre de professeurs et d’élèves fréquentant ledit collège ; qu’au vu d’un avis favorable à une telle mesure émis le 14 avril 2005 par la commission académique d’appel, le recteur de l’académie de Clermont-Ferrand maintint, le 15 avril 2005, la sanction d’exclusion définitive frappant l’adolescent considéré ; que la présence non contestée au sein du « blog » de ce dernier – auquel un certain nombre de personnes avisées de l’adresse de ce site avaient accès – d’un ensemble d’élucubrations caractérisées par leur incontestable bêtise et une profonde vulgarité, mettant en cause nommément des élèves et des professeurs enseignant à l’intérieur de l’établissement public local était de nature à justifier légalement le prononcé d’une sanction disciplinaire ; que ce constat n’est nullement modifié par les circonstances que l’acte reproché a été commis à l’extérieur de l’enceinte scolaire, dès lors que, par sa qualification diffamatoire et injurieuse, il était de nature à perturber le bon fonctionnement du service public et que la charte d’utilisation d’internet ne régit que l’usage des ordinateurs appartenant au collège ; que, toutefois et nonobstant l’atteinte aussi sérieuse que compréhensible à la sensibilité de personnes outragées par un comportement puéril et irresponsable qui ne saurait être excusé d’une quelconque manière par l’ignorance alléguée de l’adolescent des dangers inhérents à la communication électronique, il est constant que cet agissement n’a engendré aucune violence physique ni connu de réitération ; qu’en outre, le jeune Erwin – par ailleurs excellent élève – ne possédait aucun antécédent disciplinaire ; que, dès lors, si les faits dont il s’est rendu coupable justifiaient une sanction susceptible d’aller jusqu’à l’exclusion temporaire de l’établissement, ils n’impliqueraient cependant pas, en eux-mêmes, l’application immédiate de la sanction la plus sévère prévue à l’article 3 susmentionné du décret du 30 août 1985, à savoir l’exclusion définitive ; que, par suite, en prononçant cette dernière à l’encontre du jeune Erwin S. et à raison des faits considérés, le recteur de l’académie de Clermont-Ferrand a commis une erreur d’appréciation entachant sa décision du 15 avril 2005 d’excès de pouvoir ; que celle-ci doit, dès lors, être annulée ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’aux termes de l’article L 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation » ;

Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions susmentionnées de Corinne N. ;

DECISION

Article 1e : La décision susvisée du 15 avril 2005 est annulée.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Corinne N. est rejeté.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Corinne N. et au ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Copie sera transmise au recteur de l’académie de Clermont-Ferrand.

Le tribunal : M. Jullien (président), M. Blanchet et Mme Guillot (conseillers)

Avocat : SCP Teillot Blanc-Barbier Chaput-Dumas

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