Jurisprudence : Droit d'auteur
Cour d’appel de Paris 13ème chambre, section A Arrêt du 17 janvier 2007
Roberts A.D., Olivier C., Marcio M.M. / Chanel, Céline et autres
droit d'auteur
PROCEDURE
La prévention :
Roberts A.D. a fait l’objet d’une citation à la requête du procureur de la République de Paris pour avoir à Paris, du 6 mars 2003 au 10 mars 2003, et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription pénale, et, en tout cas sur le territoire national, reproduit, représenté, ou diffusé par quelque moyen que ce soit une œuvre de l’esprit en violation des droits de son auteur définis par la loi en l’espèce, en diffusant sur le site internet de la société Viewfinder « www.firstview.com », sans autorisation des maisons de haute couture concernées et hors les limites de l’accréditation accordée aux journalistes photographes pour leur divulgation, des photographies, reproductions des images de création des modèles et défilés de haute couture, prêt-à-porter ayant eu lieu du 6 mars 2003 au 10 mars 2003, au préjudice de la Fédération française de la couture et du prêt-à-porter, et des sociétés Christian Dior Couture, Chanel, Jean Paul Gauthier, Gaulme, Hermes Sellier, Hermes International, Céline, Givenchy, Kenzo, Christian Lacroix, Loewe et Louis Vuitton Malletier,
Olivier C. a fait l’objet d’une citation à la requête du Procureur de la République de Paris pour avoir à Paris, du 3 mars 2003 au 10 mars 2003, et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription pénale, et, en tout cas sur le territoire national, reproduit, représenté, ou diffusé par quelque moyen que ce soit une œuvre de l’esprit en violation des droits de son auteur définis par la loi en l’espèce, en cédant à Mario M., sans autorisation des Maisons de haute couture concernées et hors les limites de l’accréditation qui lui avait été accordée pour leur divulgation, des photographies, reproductions des images de création des modèles et défilés de haute couture, prêt-à-porter ayant eu lieu du 6 mars 2003 au 10 mars 2003, au préjudice de la Fédération française de la couture et du prêt-à-porter, et des sociétés Christian Dior Couture, Chanel, Jean Paul Gauthier, Gaulme, Hermes Sellier, Hermes International, Céline, Givenchy, Kenzo, Christian Lacroix, Loewe et Louis Vuitton Malletier,
Marcio M.M. a fait l’objet d’une citation à la requête du procureur de la République de Paris pour avoir à Paris, du 6 mars 2003 au 10 mars 2003, et en tout cas depuis temps non couvert par la prescription pénale, et, en tout cas sur le territoire national, reproduit, représenté, ou diffusé par quelque moyen que ce soit une œuvre de l’esprit en violation des droits de son auteur définis par la loi en l’espèce, en diffusant sur le site internet de la société Viewfinder « www.firstview.com », sans autorisation des Maisons de haute couture concernées et hors les limites de l’accréditation accordée aux journalistes photographes pour leur divulgation, des photographies, reproductions des images de création des modèles et défilés de haute couture, prêt-à-porter ayant eu lieu du 6 mars 2003 au 10 mars 2003, au préjudice de la Fédération française de la couture et du prêt-à-porter, et des sociétés Christian Dior Couture, Chanel, Jean Paul Gauthier, Gaulme, Hermes Sellier, Hermes International, Céline, Givenchy, Kenzo, Christian Lacroix, Loewe et Louis Vuitton Malletier,
Le jugement :
Le tribunal, par jugement contradictoire à l’encontre des prévenus et à l’égard des parties civiles, a :
Sur l’action publique :
– déclaré Roberts A.D. non coupable et l’a relaxé des fins de la poursuite pour les faits qualifiés de contrefaçon par diffusion ou représentation d’œuvre de l’esprit au mépris des droits de l’auteur, faits commis du 6 mars 2003 au 10 mars 2003, à Paris et sur le territoire national, infraction prévue par les articles L 335-3, L 335-2 al. 2, L 112-2, L 121-2 al. 1, L 122-2, L 122-4, L 122-6 du code de la propriété intellectuelle et réprimée par les articles L 335-2 al. 2, L 335-5 al. 1, L 335-6, L 335-7 du code de la propriété intellectuelle,
– déclaré Olivier C. non coupable et l’a relaxé des fins de la poursuite pour les faits qualifiés de contrefaçon par diffusion ou représentation d’œuvre de l’esprit au mépris des droits de l’auteur, faits commis du 3 mars 2003 au 10 mars 2003, à Paris et sur le territoire national, infraction prévue par les articles L 335-3, L 335-2 al. 2, L 112-2, L 121-2 al. 1, L 122-2, L 122-4, L 122-6 du code de la propriété intellectuelle et réprimée par les articles L 335-2 al. 2, L 335-5 al. 1, L 335-6, L 335-7 du code de la propriété intellectuelle,
– déclaré Marcio M.M. non coupable et l’a relaxé des fins de la poursuite pour les faits qualifiés de contrefaçon par diffusion ou représentation d’œuvre de l’esprit au mépris des droits de l’auteur, faits commis du 6 mars 2003 au 10 mars 2003, à Paris et sur le territoire national, infraction prévue par les articles L 335-3, L 335-2 al. 2, L 112-2, L 121-2 al. 1, L 122-2, L 122-4, L 122-6 du code de la propriété intellectuelle et réprimée par les articles L 335-2 al. 2, L 335-5 al. 1, L 335-6, L 335-7 du code de la propriété intellectuelle,
Sur l’action civile :
– déclaré recevables, en la forme, les constitutions de partie civile de la Fédération française de la couture et du prêt-à-porter, des couturiers et des créateurs de mode, des sociétés Christian Dior Couture, Chanel, Jean Paul Gauthier, Gaulme, Hermes Sellier, Hermes International, Céline, Givenchy, Kenzo, Christian Lacroix, Loewe et Louis Vuitton Malletier,
– rejeté quant au fond les demandes des parties civiles en raison de la décision de relaxe,
– déclaré irrecevables les demandes des prévenus formées au titre de l’article 472 du code de procédure pénale,
DECISION
Statuant sur les appels formés par l’ensemble des parties civiles et par le ministère public, à l’encontre des dispositions pénales et civiles du jugement du 17 juin 2005 du tribunal de grande instance de PARIS (31ème chambre), qui a relaxé les trois prévenus des faits de contrefaçon par diffusion ou représentation d’une œuvre de l’esprit aux mépris des droits de l’auteur et débouté les parties civiles de leurs demandes.
FAITS ET DEMANDE
La Fédération française de la couture a mis en place depuis 1968, un système destiné à contrôler strictement les exploitations des images de mode prises en France ; seuls les médias souscrivant aux conditions générales d’utilisation édictées (notamment limitation à sept modèles par maison de couture, finalité exclusive d’information du public à l’exclusion de toute exploitation commerciale), sont autorisés à reproduite les photographies et vidéogrammes réalisés lors des défilés de mode ; le mécanisme est le suivant : les organes de presse souscrivent auprès de la Fédération un « engagement de presse » dans lequel ils désignent les photographes dont ils demandent l’accréditation pour assister aux défilés et en réaliser des images, chacun pour son compte, en principe en leur faisant signer un accord d’exclusivité totale ; la Fédération établit alors une liste de presse sur laquelle figurent les noms des personnes accréditées qui sont ensuite invitées directement par les Maisons de couture ; les photos ainsi prises ne peuvent être reproduites ou représentées que sur les seuls médias pour le compte desquels le photographe a été accrédité.
Il a été constaté qu’un site internet appartenant à la société de droit américain Viewfinder à l’adresse « firstview.com », proposait à la consultation libre, à la consultation payante et à la vente, des photos et vidéos reproduisant les vêtements et défilés de Maisons de couture françaises ; malgré des condamnations pour contrefaçon prononcées au civil en 2001 par le tribunal de grande instance de Paris contre la société Viewfinder, celle-ci a poursuivi son activité ; il est apparu qu’elle se fournissait notamment auprès de plusieurs photographes établis à Paris disposant d’une accréditation, les photos étant transmises à partir d’une société Zeppelin située à Paris 2ème, dirigée par le photographe Marcio M.M.
Des constats effectués sur le site « firstview.com » le 10 mars 2003 par les agents assermentés de l’Agence pour la Protection des Programmes, ont amené la Fédération française de la couture et plusieurs Maisons de couture à déposer une plainte, qui a conduit à l’interpellation, le 11 mars 2003, à l’issue d’un défilé de Marcio M.M., Roberts A.D. et Olivier C., tous trois photographes professionnels bénéficiant d’une accréditation au nom de divers organes de presse ; une perquisition a été effectuée au siège de la société Zeppelin où ont été découverts six Cdrom de photographies réalisées lors des défilés de prêt-à-porter à Paris entre le 6 et 10 mars 2003, et a été constatée une transmission de fichiers photos à la société Viewfinder au moment même de l’intervention.
Marcio M.M., gérant de la société Zeppelin et actionnaire de la société américaine Viewfinder à hauteur de 40% des parts et Roberts A.D. actionnaire de Viewfinder à hauteur de 47% des parts, ne contestaient pas la transmission des photos sur le site internet, mais soutenaient qu’il s’agissait d’une pratique fréquente, autorisée aux Etats-Unis, dont il ignorait qu’elle pouvait donner lieu à une infraction pénale en France ; ils précisaient en outre ne pas connaître les termes de « l’engagement de presse » souscrit par les médias ayant proposé leur accréditation ; Olivier C. qui travaillait en « free lance » et vendait ses photos à la société Zeppelin, soutenait ne pas savoir quelle diffusion en était faite.
Pour relaxer les prévenus et débouter les parties civiles de leurs demandes, le tribunal a essentiellement retenu que les photographies n’avaient, à l’époque des faits examinés, officiellement reçu aucune notification précise quant à la diffusion des photographies qu’ils avaient été invités à prendre au cours des défilés et qu’on ne pouvait caractériser à leur encontre l’élément intentionnel du délit qui leur est reproché.
Devant la cour
Les sociétés Louis Vuitton Malletier, Céline, Kenzo, Loewe et Givenchy (groupe LVMH), concluent à l’infirmation du jugement dont appel auquel elles font grief, en premier lieu d’avoir retenue que la photographie d’un modèle de couture ne constituait pas une œuvre composite tributaire des droits de l’auteur de l’œuvre première, en second lieu d’avoir omis de se prononcer sur l’élément matériel de l’infraction qui était parfaitement constitué et en troisième lieu d’avoir ignoré qu’en matière de contrefaçon l’intention coupable est présumée ; elles font valoir notamment :
– que les modèles de haute couture ou de prêt-à-porter constituent des créations originales expressément mentionnées dans la liste des œuvres protégées au titre du droit d’auteur énumérées par l’article L 112-2 du code de la propriété intellectuelle ; que les photographies litigieuses reproduisaient et incorporaient de fait des œuvres préexistantes et avaient ainsi la qualité d’œuvres composites dont la définition donnée par l’article L 113-2 du code de la propriété intellectuelle, vise toutes les oeuvres, sans distinction de genre, contrairement à ce qu’à retenu le tribunal ; qu’en mettant sur un même plan les droits des photographes et ceux des modèles photographiés, les premiers juges ont méconnu le droit exclusif et opposable à tous de l’auteur de l’œuvre première (en l’espèce celui des créateurs de mode) d’autoriser ou d’interdire la reprise de son œuvre dans une œuvre seconde ;
– que l’élément matériel de l’infraction est parfaitement établi, les prévenus ayant reproduit, fait reproduire et représenter les clichés litigieux sur divers supports informatiques à des fins de commercialisation, alors qu’ils ne disposaient d’aucune autorisation pour le faire ; que les invitations à participer aux défilés ne leur conféraient aucun droit d’utilisation des photographies qu’ils étaient amenés à prendre pour le compte et au nom des organes de presse qui avaient obtenu leur accréditation ;
– que l’élément intentionnel est caractérisé, les prévenus n’apportant nullement la preuve qu’ils pouvaient croire, de bonne foi, pouvoir librement reproduire ou faire reproduire les clichés et en confier l’exploitation à un tiers ; qu’en leur qualité de photographes professionnels exerçant depuis plus de 20 ans à Paris ils ne peuvent prétendre ignorer les contours du droit d’auteur français ; qu’en outre la société Viewfinder a été condamnée à six reprises par le juge français pour avoir contrefait des droits de Maisons de couture ; qu’ils ne peuvent se prévaloir du droit du public à l’information lequel ne saurait valoir exception au droit d’auteur ; qu’ils ne pouvaient déduire de l’accréditation qu’ils étaient autorisés à reproduire les clichés ; que de plus Marcio M.M. s’étant vu refuser l’accréditation qu’il avait sollicitée pour la société Viewfinder ;
– sur leur action civile : qu’elles sont fondées à demander réparation du dommage provoqué sur le sol français par les actes de contrefaçon poursuivis qui leur ont causé un préjudice important en raison de l’atteinte portée à leur image, des investissements réalisés pour créer et promouvoir leurs modèles et de l’ampleur de la fraude ; que le site « firstview » présentait encore les 21 et 23 octobre 2003 un grand nombre de photos litigieuses alors que les prévenus s’étaient engagés à les supprimer du site, et que ces activités contrefaisantes se poursuivent toujours ; que la gravité du préjudice est soulignée par le succès du site qui fait l’objet de très nombreuses requêtes ; elles demandent en conséquence :
• la condamnation solidaire des trois prévenus à payer à chacune des sociétés 150 000 € de dommages-intérêts,
• d’ordonner la publication de la décision à intervenir dans 10 journaux professionnels dans la limite de 6000 € par publication,
• d’ordonner la confiscation et la destruction de tous les matériels contrefaisants,
• de condamner solidairement les prévenus à payer à chacune des sociétés la somme de 80 000 € au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale,
La Fédération française de la couture, les sociétés Christian Dior Couture, Chanel, Jean Paul Gauthier, Gaulme, Hermes Sellier, Hermes International, Christian Lacroix, concluent à l’infirmation du jugement en faisant valoir :
– que l’élément matériel de l’infraction est caractérisé et reconnu par les prévenus qui se sont bien livrés à des actes successifs de contrefaçon par reproduction ; qu’ils ont en outre méconnu la destination des créations de mode des Maisons plaignantes et qu’il est indifférent qu’aucun accord contractuel n’existe entre eux et ces dernières et/ou qu’ils aient accédé licitement aux défilés pour prendre leurs photographies ; que l’acte de représentation illicite est constitué dès lors que l’œuvre n’était pas destinée à être présentée au public selon les conditions autorisées et définies préalablement par l’auteur ; qu’en tout état de cause tout usage des photographies de mode, œuvres composites, est nécessairement subordonné à l’autorisation préalable des Maisons de couture ;
que les photographes présents sur les défilés bénéficient d’une accréditation afin de permettre à des supports autorisés de disposer de photographies des créations protégées par le droit d’auteur ; que toute autre exploitation de ces photographies constitue une fraude à la fois des droits d’auteurs dont sont titulaires les Maisons de couture, du système d’autorisation (engagement de presse et accréditation) mis en place par la Fédération et des systèmes d’autorisation directe adoptés par les Maisons de couture aux termes desquels les photographes ne sont investis d’aucun droit d’exploitation des images qu’ils captent lors des défilés ;
– que l’élément moral de l’infraction est constitué, les prévenus ne rapportant pas la preuve qu’il ne connaissaient pas les droits des plaignantes ; qu’au contraire, étant des photographes de mode très expérimentés ayant entre 20 et 30 années d’expérience, travaillant pour le compte de médias précisément désignés, ils ne pouvaient ignorer que n’ayant pas signé l’engagement de presse ils n’étaient pas autorisés à faire un usage propre de ces photographies ; que les décisions judiciaires rendues en 2001 à l’encontre de la société Viewfinder dont Roberts A.D. et Marcio M.M. sont actionnaires, avait attiré l’attention des photographes sur les droits exclusifs attachés aux modèles, accessoires et défilés reproduits sur les photographies ; que le fait qu’ils aient accès aux défilés ne saurait constituer une quelconque tolérance, et qu’ils ont trahi la confiance des Maisons de couture et de la Fédération en détournant à leur profit l’invitation accordée dans le seul but de la stricte information du public via des médias préalablement identifiés ;
– sur les arguments adverses : que le droit à l’information n’est pas une exception au droit exclusif d’auteur, que l’activité des prévenus en rapport avec le site « firstview » ne saurait être rattaché à l’exercice des droits prévus par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ; que ce site n’est en aucune manière assimilable à une agence de presse ; qu’aucune « tolérance » des Maisons de couture ne peut être invoquée quant à d’éventuels sites contrefacteurs et qu’au demeurant la « tolérance » des ayants droits est indifférente en matière de contrefaçon de droits d’auteur.
– sur leur préjudice : qu’il est d’ordre moral et d’ordre patrimonial ; qu’il se mesure en fonction de la valeur à laquelle il est porté atteinte, des investissements importants consacrés par les Maisons de couture à la création, la promotion et la protection de leurs créations de mode, défilés, marques et image de luxe ; qu’il se mesure aussi à raison de l’ampleur de l’atteinte portée et que le site « firstview » est la plus grande banque d’images de mode au monde ; que les pièces comptables des revenus très importants de leur acticité contrefaisante ; elles demandent en conséquence :
• la condamnation solidaire de trois prévenus à verser : 100 000 € de dommages-intérêts à la Fédération française de la couture, 150 000 € de dommages-intérêts respectivement aux sociétés Christian Dior Couture, Chanel, Jean Paul Gauthier, Gaulme, Hermes Sellier, Hermes International, Christian Lacroix ;
• d’ordonner la publication de l’arrêt à intervenir dans 11 journaux professionnels sans que le coût de chaque publication ne puisse excéder la somme de 5000 € HT par insertion ;
• d’ordonner la confiscation et la destruction des matériels contrefaisants ;
• de condamner solidairement les prévenus à payer à la Fédération française de la couture et aux sociétés plaignantes la somme globale de 90 000 € au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale ;
Madame l’avocat général, reprenant les termes de la requête d’appel, souligne que l’argumentation des prévenus sur leur ignorance de la loi française, du contenu de l’engagement de presse et de l’accord d’exclusivité, n’est pas de nature à renverser la présomption de mauvaise foi applicable au délit de contrefaçon, selon laquelle l’élément intentionnel de l’infraction résulte, sauf preuve contraire, de l’existence même du fait matériel lequel est établi et reconnu par les prévenus ; elle requiert l’infirmation du jugement sur l’action publique, demande à la cour de déclarer les trois prévenus coupables du délit de contrefaçon et de les condamner à des peines d’amende.
Marcio M.M. et Roberts A.D., par conclusions commune :
– rappellent en préalable que la constitution du délit de contrefaçon suppose une communication de l’œuvre au public et que les débats, selon la prévention, doivent être limités à la seule diffusion des photographies sur internet, ils font valoir qu’ils ne sauraient être regardés comme les auteurs de la contrefaçon ; qu’en effet : le responsable de la mise en ligne des photographies sur le site « firstview » est la société Viewfinder et qu’ils ne sont pas poursuivis en qualité de dirigeants de cette société ; que le responsable transmission des photographies à la société Viewfinder est la société Zeppelin et que Marcio M.M. n’est pas poursuivi en qualité de responsable de cette société ; que les prévenus se contentent de prendre des photographies et de remettre leurs cartes à la société Zeppelin laquelle ne constitue pas un public ; qu’à supposer la contrefaçon établie, ils ne pourraient être regardés que comme complices du complice Zeppelin, ce qui interdit de retenir leur responsabilité pénale ;
– font valoir que l’élément du délit n’est pas constitué et qu’ils ne l’ont jamais reconnu ; qu’en effet ils ne sont pas liés par les termes de l’accréditation, les organes de presse ne faisant souscrire aucun engagement aux photographes ; qu’ils étaient invités par les Maisons de couture sans qu’aucune restriction ne leur soit notifiée et alors que ces invitations sont principalement envoyées aux personnes qui ont la capacité de relayer dans le public les créations de mode ; que les jugements civils invoqués sont inopérants puisqu’ils concernent la société Viewfinder et non les prévenus ; sur le cas particulier de Roberts A.D., que ses photos des 6 au 10 mai 2003 n’ont pas été, pour des raisons techniques, mises sur le site internet par la société Zeppelin ;
– font valoir l’absence de l’élément moral ; qu’en effet les prévenus étant accrédités et invités aux défilés, pensaient pouvoir légitimement transmettre leurs photographies en vue de leur diffusion au public, pensée partagée par la profession, et n’avaient donc aucune conscience de porter atteinte aux droits d’auteur ; qu’en outre il existe une divergence entre le droit français et le droit américain, mise en exergue par le jugement de l’Etat de New York du 29 septembre 2005 rendu au sujet de l’exécution aux Etats-Unis des jugements civils français de 2001 rendus à l’encontre de la société Viewfinder, qui a retenu que les activités de cette société rentraient dans le cadre de l’Amendement sur la liberté d’expression ; que l’erreur de droit peut donc être admise au bénéfice des prévenus ;
– subsidiairement sur l’action civile, ils soutiennent que le préjudice est démesurément étendu par les parties civiles ; que le système des accréditations est défaillant car les organes de presse ne font pas signer aux photographes les engagements d’exclusivité, et que la Fédération elle-même ne respecte pas le système puisqu’elle accorde des accréditations au même photographe pour plusieurs magazines ; que les parties civiles ne peuvent demander réparation qu’au titre de 5 jours de diffusion portant uniquement sur les défilés s’étant déroulés au cours de ces mêmes 5 jours, et que pour le préjudice subi en France, qu’il convient donc de limiter les réparations financières et en nature ; qu’enfin il apparaît qu’au cours des journées visées, les Maisons Gaulme, Christian Lacroix et Kenzo n’ont pas défilé et que leur action civile doit donc être déclarée irrecevable ;
– ils sollicitent la condamnation solidaire de toutes les parties civiles à leur payer la somme de 55 000 € en application de l’article 472 du code de procédure pénale.
Olivier C., par conclusions, demande à la cour de constater que les éléments constitutifs de l’infraction ne sont pas réunis, de confirmer le jugement en ce qu’il l’a relaxé des fins de la poursuite, de débouter les parties civiles et de condamner chacune à lui verser la somme de 5000 € sur le fondement de l’article 472 du code de procédure pénale ; il fait notamment valoir :
– les limites de la prévention le concernant, puisque pendant la période visée, il n’a participé qu’aux défilés Dior, Céline, Jean Paul Gauthier et Givenchy ;
– qu’il ne « cède » pas ses photos à Marcio M.M. mais les « confie » à la société Zeppelin laquelle le rémunère ensuite pour les photos qu’il a pu vendre ; que cette société ne constitue pas le public auquel l’oeuvre protégée doit être communiquée pour constituer le délit de contrefaçon ; qu’en outre les photos prises à l’occasion de défilés précités n’ont pas été mises en ligne immédiatement ;
– qu’il ne peut être tenu par les termes de l’engagement de presse, l’accréditation n’étant pas donnée aux photographes mais aux organes de presse, lesquels, dans les faits, ne font souscrire aucun engagement aux photographes ; qu’en l’invitant directement en sa qualité de photographe à assister aux défilés, les Maisons de couture l’ont nécessairement autorisé à prendre des photos ;
– que l’élément moral n’est pas caractérisé puisqu’il ignorait l’existence de l’engagement de presse et que sa mauvaise foi ne saurait être présumée en l’absence de caractérisation de l’élément matériel de la contrefaçon ;
– que les Maisons de couture ne justifient aucunement d’un préjudice, tout un chacun pouvant avoir accès via internet ou via la presse spécialisée à l’intégralité des modèles présentés à l’occasion des défilés.
DISCUSSION
Sur l’action publique
Considérant qu’il est constant que les créations de mode et les défilés de mode sont au terme des articles L 112-1 et L 112-2 du code de la propriété intellectuelle, des œuvres de l’esprit qui bénéficient de la protection du Livre 1 dudit code et que les Maisons de couture sont titulaires des droits d’auteur sur ces créations et défilés dès lors qu’ils présentent un caractère d’originalité, ce qui n’est pas contesté en l’espèce s’agissant des défilés s’étant déroulés à Paris du 06 au 10 mai 2003 ; qu’à ce titre elles disposent du droit d’autoriser ou pas la reproduction ou la diffusion de ces créations ; qu’en l’espèce il est reproché aux prévenus d’avoir diffusé (pour Marcio M.M. et Roberts A.D.) ou cédé en vue de leur diffusion (pour Olivier C.) sur le site internet de la société Viewfinder « firstview.com », des photographies, reproductions des images ou modèles présentés lors des défilés, et ce sans autorisation des titulaires des droits.
Considérant, sur l’élément matériel de l’infraction, qu’il est établi par les constats, les éléments résultant de la perquisition effectuée au sein de la société Zeppelin et les auditions réalisées pendant l’enquête, que des photographies prises au cours de défilés en cause, principalement par Marcio M.M., gérant de la société Zeppelin, mais aussi par Roberts A.D. et Olivier C., ont été remises à la société Zeppelin où elles ont été gravées sur Cdrom, puis dupliquées et transmises directement à l’ordinateur de la société Viewfinder sise à New York où elles ont été mises à disposition du public sur le site internet « firstview.com », et ce quelques heures après les défilés ; que la matérialité de la diffusion, constituée dès la remise de photos à la société Zeppelin en vue de leur communication au public, est donc caractérisée, à l’encontre de Marcio M.M. qui en tant que gérant de la société responsable de la transmission des photographies en vue de leur mise en ligne donnait personnellement des instructions en ce sens, à l’encontre de Roberts A.D. qui a remis ses photos à la société Zeppelin en toute connaissance de leur destination même si certaines d’entre elles n’ont pu être mises immédiatement en ligne pour des raisons techniques, et à l’encontre de Olivier C. qui ne peut prétendre avoir remis ses photos sans envisager qu’elles puissent être diffusées ;
Qu’il est en outre établi que cette diffusion s’est faite sans l’autorisation des titulaires de droits d’auteur concernés ; que cette autorisation ne saurait se déduire de l’accréditation dont bénéficiaient les prévenus pour assister aux défilés et y faire des photographies, celle-ci n’étant accordée que pour le compte des seuls médias qui en avaient faits la demande ; que c’est en vain que les prévenus soutiennent n’être pas liés par les termes de « l’engagement de presse » dont ils disent n’avoir jamais eu connaissance et n’avoir pas signé d’accord d’exclusivité quant à leurs clichés, dès lors qu’ils se savaient invités dans le cadre d’une accréditation de presse ; que la cour observe d’ailleurs que Marcio M.M. qui avait sollicité, sans succès, une accréditation pour la société Viewfinder, est mal fondé à soutenir ignorer le système mis en place sous l’égide de la Fédération de la couture ;
que même en admettant qu’ils aient été invités à ces défilés à titre personnel en raison de leur notoriété, il ne ressort pas du dossier qu’ils aient les uns ou les autres reçu un quelconque mandat des Maisons de couture concernées pour diffuer leurs créations dans le public ; que de surcroît Marcio M.M. et Roberts A.D., dirigeants de Viewfinder, connaissaient les décisions rendues en 2001 par le tribunal de grande instance de Paris qui leur avaient été personnellement notifiées, au terme desquelles la diffusion de photographies prises lors d’autres défilés était reconnue comme acte de contrefaçon ;
que l’argument selon lequel la procédure d’engagement de presse serait inadaptée ou mal respectée en raison de la pluralité d’accréditations dont peut bénéficier un même photographe et de l’absence de contrôle efficace sur la signature des accords d’exclusivité, est inopérant quant à la responsabilité personnelle des prévenus ; qu’enfin, Marcio M.M., Roberts A.D. et Olivier C., professionnels de la photographie de mode de longue date, n’ignorant ni les règles des Maisons de couture ni celles régissant leurs propres droits d’auteur, savaient qu’ils n’étaient pas habilités à exploiter des photographies de modèles sur lesquels ils n’avaient aucun droit ni à leur donner une autre destination que celle autorisée par leurs créateurs ; qu’en conséquence, l’élément matériel du délit de contrefaçon est caractérisé à l’encontre des trois prévenus.
Considérant que l’élément intentionnel de l’infraction est établi à l’encontre de Marcio M.M., Roberts A.D. et Olivier C., qui ne peuvent se prévaloir d’aucune autorisation de diffusion et ne rapportent pas la preuve de leur bonne foi ; qu’au contraire les deux premiers cités savaient qu’ils n’avaient pas obtenu l’accréditation demandée pour Viewfinder, et qu’Olivier C. bien que connaissant l’existence de « firstview.com » n’a effectué aucune diligence pour éviter la mise en ligne de ses photos ; que la bonne foi de Marcio M.M. et Roberts A.D. ne saurait résulter de la décision judiciaire américaine au terme de laquelle les actes litigieux ne sont pas répréhensibles sur le territoire de l’Etat de New York, alors que les éléments constitutifs de l’infraction ont été commis sur le sol français et qu’ils connaissent leur caractère illégal en France de par les jugements précités rendus en 2001.
Considérant en conséquence l’infraction caractérisée en tous ses éléments à l’encontre des trois prévenus, la cour par infirmation du jugement entrepris, déclarera Marcio M.M., Roberts A.D. et Olivier C. coupables des faits visés à la prévention et entrera en voie de condamnation ainsi qu’il sera dit dans le dispositif, prenant en considération dans le prononcé des sanctions la moindre implication d’Olivier C. quant au nombre de photos concernées et parce qu’il est étranger à la société Viewfinder.
Sur l’action civile
Considérant que les faits dont se sont rendus coupables les prévenus ont causé directement à la Fédération de la couture en charge de l’intérêt collectif de la profession et aux Maisons de couture dont les images des défilés ont été diffusées sans leur autorisation, un préjudice qu’il convient de réparer ; que pour la Fédération de la couture qui a subi une atteinte à sa crédibilité du fait du détournement du système de protection qu’elle avait mis en place même s’il présentait des défaillances, la cour dispose des éléments lui permettant de fixer à la somme de 15 000 € le montant des dommages-intérêts devant lui être alloués ; que pour les Maisons de couture, il convient de prendre en considération l’atteinte portée à leur image dont elles ont perdu le contrôle ainsi que le préjudice causé par la divulgation prématurée et non choisie de leurs créations aggravé par le fait que le délai s’écoulant entre les présentations de modèles et leur commercialisation peut être mis à profit par les contrefacteurs de vêtements et accessoires de mode ;
que la cour fixera la somme de 30 000 € le montant des dommages-intérêts alloués à chacune des Maisons de couture partie civile, à l’exception toutefois des sociétés Gaulme, Christian Lacroix et Kenzo, dont il n’est pas établi qu’elles aient organisé de défilé pendant la période du 06 au 10 mai 2003 visée à la prévention ; que Marcio M.M., Roberts A.D. et Olivier C. seront tenus solidairement de ces condamnations civiles au bénéfice de la Fédération française de la couture, des sociétés Christian Dior Couture, Céline, Chanel, Jean Paul Gauthier, Givenchy, mais que seuls Marcio M.M., Roberts A.D. seront tenus à indemnisation des sociétés Hermes Sellier, Hermes International, Loewe et Louis Vuitton Malletier.
Considérant qu’il y a lieu d’ordonner la publication par extraits de l’arrêt à intervenir dans trois journaux professionnels au choix des parties civiles, aux frais solidaires de Marcio M.M., Roberts A.D. et Olivier C., sans que le coût de chaque publication tendant à ordonner la confiscation et la destruction du matériel contrefaisant, sera rejetée n’étant pas adaptée au cas d’espèce.
Considérant que les demandes formulées par les parties civiles au titre des frais irrépétibles exposés est justifiée dans son principe, qu’il y sera fait droit à hauteur de la somme globale de 15 000 € pour la Fédération française de la couture, les sociétés Christian Dior Couture, Chanel, Jean Paul Gauthier et les sociétés Hermes Sellier, Hermes International, et à la hauteur de la somme globale de 15 000 € pour les sociétés Loewe, Louis Vuitton Malletier, Givenchy et Céline ;
DECISION
La cour, statuant publiquement et contradictoirement à l’encontre des prévenus et à l’égard des parties civiles,
. Reçoit les appels des parties civiles et du ministère public ;
. Infirme le jugement entrepris ;
Sur l’action publique
. Déclare Marcio M.M., Roberts A.D. et Olivier C., coupables des faits de contrefaçon par diffusion ou représentation d’œuvre de l’esprit au mépris des droits de l’auteur visés à la prévention ;
. Condamne Marcio M.M. à 8000 € d’amende ;
. Condamne Roberts A.D. à 8000 € d’amende ;
. Condamne Olivier C. à 3000 € d’amende ;
Le(s) condamné(s) n’étant pas présent(s) au jour du délibéré, l’avertissement prévu par l’article 707-3 du code de procédure pénale, n’a pu être donné.
Sur l’action civile
. Condamne solidairement Marcio M.M., Roberts A.D. et Olivier C. à payer aux parties civiles les sommes suivantes à titre de dommages-intérêts :
– à la Fédération Française de la couture : 15 000 €,
– à la société Christian Dior couture : 30 000 €,
– à la société Jean Paul Gauthier : 30 000 €,
– à la société Chanel : 30 000 €,
– à la société Céline : 30 000 €,
– à la société Givenchy : 30 000 €
. Condamne solidairement Marcio M.M. et Roberts A.D. à payer :
– aux sociétés Hermes International et Hermes Sellier : 30 000 €,
– à la société Louis Vuitton Malletier : 30 000 €
– à la société Loewe : 30 000 €
. Déboute les sociétés Gaulme, Christian Lacroix et Kenzo, de leurs demandes,
. Ordonne la publication par extraits de l’arrêt à intervenir dans trois journaux professionnels au choix des parties civiles, aux frais solidaires de Marcio M.M., Roberts A.D. et Olivier C., sans que le coût de chaque publication ne puisse excéder la somme de 5000 € par insertion ;
. Condamne solidairement Marcio M.M., Roberts A.D. et Olivier C. à payer en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale :
– la somme globale de 15 000 € à la Fédération française de la couture, les sociétés Christian Dior Couture, Chanel, Jean Paul Gauthier et les sociétés Hermes Sellier, Hermes International,
– la somme globale de 15 000 € aux sociétés Loewe, Louis Vuitton Malletier, Givenchy et Céline
. Rejette toute autre demande.
La cour : M. Guilbaud (président), M. Waechter et Mme Geraud Charvet (conseillers)
Avocats : Me Jean Marc Fedida, Me Jean Denis Galdos Del Carpio, Me Thierry Marembert, Me Vincent Fauchoux
Notre présentation de la décision
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