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Jurisprudence : Responsabilité

lundi 18 février 2002
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Tribunal de Grande Instance de Paris Ordonnance de référé du 18 février 2002

SA Télécom City, J. M. et N. B. / SA Finance Net

devoir de vigilance - diffamation - forum de discussion - loi du 30 septembre 1986 (loi du 1er août 2000) - propos injurieux - responsabilité

Nous, président,

Après avoir entendu les conseils des parties à l’audience du 5 février 2002,

Vu l’assignation délivrée le 30 novembre 2001 par la société Télécom City, J. M. et N. B. nous demandant :

– de constater qu’il existe un trouble manifestement illicite à l’encontre de la société Télécom City et de ses dirigeants, Nicolas B. et José M., en raison des menaces, des propos diffamatoires, dénigrants et injurieux tenus sur le forum de discussion « Télécom City » situé sur le site internet édité par la société Finance Net et ayant pour adresse www.boursorama.com ;

– d’ordonner la fermeture du forum de discussion « Télécom City » situé sur le site internet édité par la société Finance Net et ayant pour adresse www.boursorama.com, afin de faire cesser les agissements délictueux commis à l’égard de Télécom City et de ses dirigeants, N. B. et J. M. aux frais de la société Finance Net, et ce sous astreinte de 20 000 F par jour de retard ;

– de condamner la société Finance Net à payer à la société Télécom City, N. B. et J. M. la somme de 10 000 F chacun, en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Vu les conclusions de la société Finance Net nous demandant :

– de constater l’absence de trouble manifestement illicite requis par l’article 809 du nouveau code de procédure civile ;

– de constater que la mesure sollicitée se heurte à des contestations sérieuses au sens de l’article 808 du même code ;

– de débouter la société Télécom City, N. B. et J. M. de l’ensemble de leurs demandes ;

– de donner acte à la société Finance Net de ce qu’elle remplit les obligations qui sont mises à sa charge aux termes de l’article 43-9 de la loi du 1er août 2000 ;

– de condamner solidairement la société Télécom City, N. B. et J. M. au paiement d’une somme de 4 000 euros en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Vu notre ordonnance en date du 21 décembre 2001 donnant acte à la société Finance Net de son engagement à justifier auprès des demandeurs du fait qu’elle avait procédé au retrait des messages incriminés et mis en œuvre les dispositifs propres à rendre impossible leur réitération et renvoyant l’examen de l’affaire à l’audience des référés du 15 janvier 2002.

Vu les dernières écritures de la société demanderesse et de ses dirigeants, en date du 15 janvier 2002, sollicitant notamment, à titre principal, la fermeture du site incriminé et, subsidiairement, d’ordonner, en tant que de besoin, à la société Finance Net le retrait des messages litigieux et la mise en œuvre des mesures de contrôle pour une durée de 6 mois sous astreinte.

Vu les dernières conclusions de la société Finance Net, en date du 15 janvier 2002, concluant essentiellement au débouté dès lors qu’il lui est donné acte de ce qu’elle remplit les obligations mises à sa charge aux termes de l’article 43-9 de la loi du 1er août 2000.

Vu notre ordonnance en date du 21 janvier 2002, renvoyant l’affaire à l’audience du 5 février 2002, pour permettre aux demandeurs de s’assurer de l’effectivité de la mise en œuvre des moyens de contrôle invoqués par la société défenderesse ;

Après avoir entendu les conseils des parties à l’audience du 5 février 2002, l’affaire ayant été mise en délibéré au 18 février 2002 ;

Rappel des faits :

La société Finance Net exploite un site internet à l’adresse www.boursorama.com ayant pour objet la diffusion d’informations boursières.

Dans ce cadre, est accessible aux utilisateurs faisant usage d’un pseudonyme un forum de discussion relatif notamment aux diverses sociétés cotées en Bourse.

Concernant la société Télécom City, il est fait valoir que plusieurs messages ayant été diffusés sur le forum la concernant ont fait apparaître l’existence de menaces de mort contre ses dirigeants, ainsi que des propos injurieux, diffamatoires et dénigrants, certains pouvant en outre présenter un caractère raciste.

C’est pour faire cesser ce type de diffusion que la société demanderesse et ses dirigeants ont engagé l’instance actuelle.

Il ressort des éléments fournis par les demandeurs qu’ont été publiés sur le site incriminé des messages, dont certains passages doivent être rappelés.

Il est ainsi précisé, dans l’un d’eux daté du 19 novembre 2001, émanant de « Risse2 » :

« (…) Il a pour client un gros mafieux de notre région qui a acheté aussi un bon stock d’actions (…) je peux vous dire que s’il perd de l’argent dans cette histoire, ça finira mal pour ces trous du culs qui nous aurons entubés (…) C’est un type qui a fait pas mal de taule mais n’a jamais été condamné pour meurtre, faute de preuves (…) C’est le genre de mec à qui il faut surtout pas la jouer, au risque de finir au fond de la Loire… ou bien dans la Seine. (…) ».

D’autres messages contiennent les propos suivants :

« (…) Je ne sais pas s’il s’agit de manipulations frauduleuses ou d’incompétence notoire (…) ».

« (…) Je vous confirme une augmentation des résultats mais de manière totalement artificielle et en ce jour de début du procès du Sentier certains feraient bien de réfléchir un peu (…) ».

« (…) Un élément positif, nous ne sommes pas négatif sur un titre mais sur une bande organisée (…) ».

« (…)précision : J. M. Malgré son nom qui y ferait penser n’est pas juif du Sentier, mais fils de bon catho espagnol de Galice !!! ».

Il ressort nettement que de tels propos, accessibles à tous, même si la société défenderesse en conteste partiellement la portée, peuvent effectivement constituer des infractions relevant du code pénal ou de la loi du 29 juillet 1881 et qu’il existe dès lors un trouble manifestement illicite justifiant la compétence du juge des référés.

Face à ces constatations, dans le cadre du renvoi ordonné, la société Finance Net a démontré, sur la base d’un constat d’huissier en date du 8 janvier 2002, la mise en œuvre d’un certain nombre de diligences.

Ont ainsi été supprimés les messages incriminés par les demandeurs dans leur assignation.

Par ailleurs, la nécessité de respecter certaines règles déontologiques et éthiques propres, notamment « à ne pas publier des messages injurieux, diffamatoires ou racistes » ou « (…) à caractère violent (…) », est indiquée aux utilisateurs du forum, préalablement à l’édition de messages, la société Finance Net se réservant le droit de supprimer sans préavis tout contenu qui ne serait pas conforme à ces conditions.

Dans ce cadre précisément, la société défenderesse a encore justifié de la mise en place :

– d’un système de filtrage permettant de retirer immédiatement du forum de discussion des messages contenant certains mots ;

– d’une intervention humaine lors de l’utilisation d’autres vocables ;

– de la possibilité pour les utilisateurs de signaler eux-mêmes l’existence d’un message posant difficulté (report d’abus) ;

– enfin, d’une surveillance spécifique, à la fois automatique et humaine, de certains forums, dont en l’occurrence celui de la société Télécom City.

Il y a lieu de constater qu’au titre du service offert, relatif à la mise en place d’un forum permettant aux utilisateurs d’échanger entre eux des messages, et indépendamment des autres activités du site « Boursorama » pouvant relever d’un régime juridique différent, la société Finance Net doit être considérée comme assurant sur ce point le stockage direct et permanent pour mise à disposition du public de messages au sens de l’article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986, modifié par la loi du 1er août 2000.

Dès lors, la société Finance Net ne peut être reconnue responsable du fait du contenu des messages concernés que si, ayant été saisie par une autorité judiciaire, elle n’a pas agi promptement pour empêcher l’accès à ce contenu, en application e l’article 43-8 de la même loi.

La société Fiance Net souligne qu’outre les diligences dont elle a justifié dans le cadre de la présente instance, elle a communiqué l’intégralité des éléments d’identification en sa possession concernant les auteurs des messages incriminés, suivant ordonnance du président du tribunal de grande instance de Nancy en date du 15 mars 2001.

La demande de fermeture du forum de discussion incriminé, qui constituerait d’ailleurs une atteinte particulièrement grave à la liberté d’expression, ne paraît nullement justifiée, dès lors qu’il est établi que la société Finance Net a procédé au retrait des messages incriminés et qu’au surplus elle a mis en place les dispositifs de contrôle propres à éviter leur réitération.

Il convient de constater qu’elle s’est engagée au maintien de ces dispositifs pendant une période de 6 mois au minium à compter de la présente ordonnance.

Il doit ainsi être constaté que la société Finance Net a désormais satisfait aux obligations légales qui étaient les siennes.

Il sera fait droit à la demande présentée, au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, par la société Télécom City, qui a dû s’adresser à justice, mais dans la limite fixée au dispositif de la présente ordonnance.

Décision

Statuant publiquement en premier ressort, par ordonnance contradictoire :

. constatons que la société Finance Net a procédé au retrait des messages incriminés et à la mise en place, pour une durée de 6 mois à compter de la présente ordonnance, de dispositifs propres à éviter leur réitération ;

. disons n’y avoir lieu à fermeture du forum de discussion relatif à la société Télécom City sur le site internet « boursorama.com » ;

. condamnons la société Finance Net à verser à la société Télécom City, J. M. et N. B., chacun la somme de 500 euros, en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;

. condamnons la société Finance Net aux dépens.

Le tribunal : M. Hervé Stephan (vice-président au tribunal de grande instance de Paris, tenant l’audience publique des référés par délégation du président du tribunal).

Avocats : SCP Déprez-Dian-Guignot et SCP Azam-Darley-Amsellem.

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.