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Jurisprudence : Droit d'auteur

vendredi 05 octobre 2007
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Cour d’appel d’Aix en Provence 5ème chambre des appels correctionnels Arrêt du 5 septembre 2007

Ministère public / Aurélien D.

contrefaçon - copie privée - droit d'auteur - mise à disposition - peer to peer - reproduction - telechargement

PROCEDURE

La prévention

Aurélien D. a été cité par le ministère public devant le tribunal correctionnel de Rodez pour avoir, à Rodez, courant 2003, en tout cas depuis temps non prescrit, édité une production, en l’espèce en reproduisant 488 Cdroms, imprimé ou gravé en entier ou partie sans respecter les droits des auteurs, commettant ainsi une contrefaçon,

Infraction prévue par les articles L 335-2 al 1, al 2, L 335-3, L 112-2, L 121-8 al 1, L 122-3, L 122-4, L 122-6 du code de la propriété intellectuelle et réprimée par les articles L 335-2 al 2, L 335-5 al 1, L 335-6, L 335-7 du code de la propriété intellectuelle

Le jugement

Par jugement du 13 octobre 2004, le tribunal correctionnel de Rodez a renvoyé Aurélien D. des fins de la poursuite et a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile.

Le 14 octobre 2004, le ministère public a formé appel principal des dispositions pénales de ce jugement.

Le 19 octobre 2004, les parties civiles ont interjeté appel des dispositions civiles de ce jugement.

L’arrêt de la cour d’appel du 10 mars 2005

Par arrêt contradictoire du 10 mars 2005 la cour d’appel de Montpellier a confirmé le jugement sur l’action publique et débouté les parties civiles de leurs demandes. Cette décision a fait l’objet d’une rectification d’erreur matérielle par arrêt du 14 avril 2005.

L’arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2006.

Sur les pourvois formés par le procureur général près la cour d’appel de Montpellier et les parties civiles, la Cour de cassation, chambre criminelle, par arrêt du 30 mai 2006, a, au visa de l’article 593 du code de procédure pénale, cassé cet arrêt en toutes ses dispositions tant pénales que civiles, et a renvoyé la cause et les parties devant la cour d’appel d’Aix en Provence.

DISCUSSION

En la forme,

Attendu que Aurélien D., régulièrement cité à sa personne, comparait assisté de son conseil ;

Que les parties civiles ne comparaissent pas et sont représentées par leur conseil ;

Qu’il sera statué par arrêt contradictoire à l’égard des parties ;

Attendu que les appels formés par le ministère public et les parties civiles sont recevables pour avoir été interjetés dans les formes et délais légaux.

Au fond

Rappel succinct des faits

Le 19 février 2003, les gendarmes de la brigades recherches de Rodez ont découvert au domicile de Aurélien D., étudiant en 1ère année d’IUT, 488 Cdroms reproduisant des films ou des dessins animés, dûment répertoriés et numérotés, qui ont été, des aveux mêmes de Aurélien D., téléchargés sur internet pour un tiers et pour les deux autres tiers copiés à partir de Cdroms prêtés par des copains. Selon ses déclarations aux services de gendarmerie, il n’a jamais vendu ou échangés ces Cdroms, se contentant d’en prêter à des copains ou de les regarder avec deux ou trois copains. Il a admis savoir qu’il est interdit de télécharger des films sur internet.

Le tribunal correctionnel l’a relaxé en relevant que les films reproduits étaient en exemplaire unique, qu’aucun élément de la procédure n’établissait la diffusion des copies contrefaites par internet, ou leur projection illicite, que la loi n’interdit pas les copies ou reproductions à l’usage privé du copiste, qu’une redevance sur les supports vierges ou les appareils de reproduction prévoit une compensation pour les détenteurs de droits sur les œuvres et que la preuve d’un usage autre que strictement privé n’est pas rapportée.

La cour d’appel a confirmé le jugement en soulignant qu’un usage à titre collectif de ces copies n’était pas démontré et que tout au plus le prévenu avait admis avoir regardé une de ces copies en présence d’un ou 2 copains et en avoir prêté à quelques copains et que l’on ne pas déduire de ces faits que les copies litigieuses n’ont pas été réalisées en vue d’un usage privé.

La Cour de cassation, dans son arrêt du 30 mai 2006, a cassé l’arrêt de la cour d’appel en soulignant qu’il a confirmé la décision de relaxe, sans s’expliquer sur les circonstances dans lesquelles les œuvres avaient été mises à la disposition du prévenue, et sans répondre aux conclusions des parties civiles qui faisaient valoir que l’exception de copie privée prévenu par la loi qui constitue une exception au monopole de l’auteur sur son œuvre, suppose pour être retenue que la source soit licite et nécessaire exempte de toute atteinte aux prérogatives des titulaires de droits sur l’œuvre concernée.

Moyens des parties

Dans leurs conclusions, les parties civiles demandent à la cour d’infirmer le jugement, de déclarer Aurélien D. coupable des faits qui lui sont reprochés et de faire application de la loi pénale. Sur l’action civile, elles demandent la condamnation du prévenu à leur verser à chacune des dommages-intérêts ainsi que 500 € sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale, ainsi que la publication de l’arrêt à intervenir aux frais du prévenu dans le journal Libération et sur le site internet www.01net.com sans que le coût de ces insertions puisse excéder 1500 €.

Le ministère public a requis la réformation du jugement et la condamnation du prévenu à une peine d’amende.

Dans ses conclusions, le prévenu demande la confirmation du jugement à titre principal en faisant valoir que l’infraction n’est constituée ni dans son élément matériel, ni dans son élément moral, et à titre subsidiaire, la confusion de la peine à intervenir avec la peine de 6 mois d’emprisonnement avec sursis pour escroquerie prononcée le 8 septembre 2006 par le tribunal correctionnel de Montauban.

Motifs de la décision

Au fond

Sur l’action publique :

Sur la culpabilité

Attendu que lors d’une perquisition effectuée au domicile de Aurélien D. dans le cadre d’une garde à vue ordonnée pour d’autres faits, les gendarmes ont découvert deux sacoches contenant 488 Cdroms portant des inscriptions manuscrites constituées par un nom de film et un numéro d’ordre ; que les gendarmes ont imprimé à partir du disque dur de l’ordinateur de Aurélien D. une liste de 509 titres de films et ont constaté qu’au moins 17 Cdroms correspondant à des films répertoriés dans cette liste étaient manquants ;

Que lors de son audition par les gendarmes, Aurélien D. a expliqué avoir téléchargé environ un tiers de ces films sur Internet grâce au logiciel Edonkey et les deux autres tiers à partir de Cdroms prêtés par des amis ; qu’interrogé sur les Cdroms manquants, il a déclaré les avoir prêtés à des amis, tout en affirmant ne pas les vendre ni les échanger, reconnaissant tout au plus visionner certains films avec des amis ;

Attendu que Aurélien D. a ainsi reconnu avoir reproduit des oeuvres de l’esprit, en l’espèce des films, sur des Cdroms, soit par téléchargement sur Internet grâce à l’utilisation d’un logiciel “peer to peer”, soit à partir de Cdroms prêtés par des amis provenant eux mêmes de la copie de DVDs ; qu’en prêtant ensuite les films ainsi enregistrés sur Cdroms à des amis, il les a diffusés, comme cela ressort de ses propres déclarations et de l’absence de 17 Cdroms correspondant à des films dûment répertoriés sur la liste de 509 titres établie par Aurélien D. ; qu’en outre, en utilisant un logiciel de type “peer to peer”, Aurélien D. a non seulement reproduit le film téléchargé sur le disque dur de son ordinateur, mais l’a également mis à la disposition de tous les utilisateurs du même logiciel, participant ainsi à sa diffusion auprès du public ;

Que Aurélien D. ne justifie pas, dans un cas comme dans l’autre, avoir procédé à ces reproductions, représentations ou diffusions après avoir obtenu l’autorisation des auteurs de ces oeuvres cinématographiques ou de leurs ayants droits qui de ce fait ont un caractère illicite ; qu’en procédant de la sorte, il a commis le délit de contrefaçon prévu et réprimé par les articles L. 335-2 et L 335-3 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que le fait que le prévenu a déclaré lors de son audition par les gendarmes pratiquer l’informatique depuis deux ans, la découverte lors de la perquisition de son domicile de 488 Cdroms reproduisant des oeuvres cinématographiques et d’une liste de ces oeuvres contrefaites dans son ordinateur, et le fait que certains Cdroms ainsi répertoriés sur la liste étaient manquants car en cours de prêt, établissent que le délit de contrefaçon, constitué par la reproduction et la diffusion de ces 488 Cdroms, n’est pas atteint par la prescription triennale, sans qu’il soit nécessaire de rechercher la date de chacun des enregistrements illicites, la prescription courant à compter du dernier acte de contrefaçon ;

Que le prévenu ne saurait s’exonérer de sa responsabilité pénale en se prévalant des exceptions de représentations privées effectuées exclusivement dans un cercle de famille ou de copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste, prévues par l’article L. 122-5 1° et 2° du code de la propriété intellectuelle ; que ces exceptions ne peuvent recevoir application pour le prêt de Cdroms à des amis comme en l’espèce ; que par un tel usage des copies, qui implique qu’il n’a aucun contrôle sur l’utilisation et la diffusion qui en seront faites par ses amis, Aurélien D. s’est situé manifestement en dehors du cercle de famille et de l’usage privé du copiste prévu par la loi ; qu’il en va de même pour l’oeuvre copiée, puis mise à disposition d’un large public par le biais d’un logiciel de type “peer to peer” ;

Que Aurélien D. ne justifie pas des circonstances ayant pu le conduire à commettre une erreur de droit, en se croyant autorisé à effectuer la copie et la diffusion de films sans autorisation ; qu’étant étudiant dans le département informatique d’un lUT lors des faits, il ne pouvait qu’être particulièrement sensibilisé aux problèmes découlant, au regard des droits des auteurs d’oeuvres de l’esprit, de la réalisation de copies de ces oeuvres sur des supports tels que des Cdroms, notamment grâce à un téléchargement sur Internet ;

Q’il convient d’infirmer le jugement et de déclarer Aurélien D. coupable du délit de contrefaçon d’oeuvres de l’esprit ;

Sur la peine

Attendu qu’en l’absence d’antécédents judiciaires du prévenu lors des faits, il convient de faire une application modérée de la loi pénale et de condamner le prévenu à une amende en partie assortie du sursis ; qu’il n’y a pas lieu à confusion avec la condamnation du 8 septembre 2006 ;

Qu’il convient en outre, en application de l’article L.335-6 du code de la propriété intellectuelle, d’ordonner la confiscation des 488 Cdroms saisis par les gendarmes et la publication du présent arrêt par extraits dans le quotidien Libération et sur le site Internet www.01net.com ;

Sur l’action civile

Attendu que la contrefaçon de films entrave leur distribution officielle, que ce soit en salle ou sur support vidéo ou DVD, et a une effet direct pénalisant sur les résultats des sociétés de production et d’édition de ces films ; qu’en outre, elle dévalorise l’image de ces œuvres et en dégrade la qualité artistique ;

Sur les demandes des sociétés de production cinématographique

Attendu qu’à titre de réparation de leur préjudice, les sociétés de production cinématographique demandent chacune l’allocation d’un euro à titre de dommages-intérêts ; que la contrefaçon des œuvres qu’elles ont produites leur cause un préjudice direct ; qu’il convient de les recevoir en leurs constitutions de parties civiles et de faire droit à leurs demandes ;

Sur les demandes des sociétés d’édition vidéo

Attendu que les sociétés éditrices d’œuvres cinématographiques demandent l’allocation au titre du préjudice subi pour chaque film contrefait d’une somme forfaitaire de 30 €, correspondant au prix de vente moyen d’un DVD à l’unité ; qu’il convient de faire droit à leurs demandes sur la base de 15 € par film contrefait ;

Attendu que lesdites sociétés demandent en outre la réparation du préjudice moral résultant pour elles de l’atteinte à l’image de leur marque ; que l’allocation d’une somme additionnelle, d’un montant de 300 € pour chacune d’entre elles, est justifiée de ce chef ;

Qu’il convient de condamner Aurélien D. à payer :
– à la société Twentieth Century Fox Home Entertainment France, la somme de 750 € ;
– à la société Buena Vista Home Entertainment, la somme de 465 € ;
– à la société Gaumont Columbia Tristar Home video, la somme de 1035 € ;
– à la société Paramount Home Entertainement France, la somme de 585 € ;
– à la société Universal Pictures Video France, la somme de 435 € ;
– à la société Warner Bros France, la somme de 735 € ;

Sur les demandes des syndicats professionnels

Attendu que le Sev défend les intérêts professionnels des éditeurs de vidéogrammes, la Fndf ceux des distributeurs de films ; qu’ils peuvent, à ce titre, exercer les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant préjudice à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent ;

Qu’eu égard au volume de l’activité illicite de Aurélien D., les préjudices en cause seront évalués à la somme de 750 € pour chacun des syndicats professionnels ;

DECISION

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire à l’égard des parties, en matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu l’arrêt de cassation du 30 mai 2006,

En la forme,

. Reçoit les appels formés par le ministère public, le Sev, la Fndf, la société Twentieth Century Fox Home Entertainment France, la société Buena Vista Home Entertainment, la société Gaumont Columbia Tristar Home video, la société Paramount Home Entertainement France, la société Universal Pictures Video France, la société Warner Bros France, la société Twentieth Century Fox Film Corporation, la société Columbia Pictures Industries, la société Tristar Pictures, la société Disney Enterprises, la société Paramount Pictures Corporation, la société MGM Entertainment, la société Warner Bros, la société Universal City Studios, la société Dreamworks,

Au fond,

. Infirme le jugement entrepris.

Sur l’action publique,

. Déclare D. Aurélien coupable du délit de contrefaçon d’oeuvre de l’esprit,

. Condamne Aurélien D. à une amende délictuelle de 15 000 €,

. Dit qu’il sera sursis à l’exécution de la peine d’amende à hauteur de 12 000 € dans les conditions des articles 132-39 et suivants du Code pénal,

. Compte tenu de l’absence du condamné au prononcé de la décision, le président n’a pu lui donner l’avertissement prévu par l’article 132-39 du Code pénal ;

. Rejette sa demande de confusion de peines,

. Ordonne en application de l’article L 335-6 du code de la propriété intellectuelle :
– la confiscation des 488 Cdroms saisis par les gendarmes,
– la publication, aux frais du condamné, du présent arrêt par extraits dans le quotidien Libération et sur le site internet www.01net.com,

Sur l’action civile,

. Reçoit le Sev, la Fndf, la société Twentieth Century Fox Home Entertainment France, la société Buena Vista Home Entertainment, la société Gaumont Columbia Tristar Home video, la société Paramount Home Entertainement France, la société Universal Pictures Video France, la société Warner Bros France, la société Twentieth Century Fox Film Corporation, la société Columbia Pictures Industries, la société Tristar Pictures, la société Disney Enterprises, la société Paramount Pictures Corporation, la société MGM Entertainment, la société Warner Bros, la société Universal City Studios, la société Dreamworks, en leurs constitutions de partie civile ;

. Condamne Aurélien D. à payer aux sociétés Twentieth Century Fox Film Corporation, Columbia Pictures Industries, Tristar Pictures, Disney Enterprises, Paramount Pictures Corporation, MGM Entertainment, Warner Bros, Universal City Studios et Dreamworks 1 € chacune à titre de dommages-intérêts,

. Condamne Aurélien D. à payer :
– à la société Twentieth Century Fox Home Entertainment France, la somme de 750 € ;
– à la société Buena Vista Home Entertainment, la somme de 465 € ;
– à la société Gaumont Columbia Tristar Home video, la somme de 1035 € ;
– à la société Paramount Home Entertainement France, la somme de 585 € ;
– à la société Universal Pictures Video France, la somme de 435 € ;
– à la société Warner Bros France, la somme de 735 € ;

. Le condamne également à payer au Sev et à la Fndf la somme de 750 € chacun à titre de dommages-intérêts,

. Le condamne encore à payer au Sev, la Fndf, la société Twentieth Century Fox Home Entertainment France, la société Buena Vista Home Entertainment, la société Gaumont Columbia Tristar Home video, la société Paramount Home Entertainement France, la société Universal Pictures Video France, la société Warner Bros France la somme de 500 € chacun en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale,

. Rejette toute autre demande.

La cour : M. Jardel (président),

Avocats : Me Christophe Canivet, Me Christian Soulie

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