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Jurisprudence : Responsabilité

mardi 30 octobre 2001
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Tribunal de Grande Instance de Paris Ordonnance de référé du 30 octobre 2001

Association "J'accuse !...action internationale pour la justice" (AIPJ), La Licra, et autres c/ Association Française d'Accès et de Services Internet (AFA), 13 fournisseurs d'accès et prestataires techniques d'Internet

filtrage - fournisseur d'accès - hébergeur - incitation à la haine raciale - responsablité

Vu les assignations délivrées les 1er août et 17 septembre 2001 à la société SkyNetWeb Ltd, enregistrée à notre cabinet, sous le n° 01/61563 ;

I – L’origine du litige : le site portail Front14

Ce site www.front14.org, créé et hébergé aux Etats-Unis, fédère, anime et héberge un nombre important de pages personnelles à connotation raciste, antisémite, xénophobe, nationaliste, suprémaciste, dédiées au combat contre “ les sous-races, la juiverie, la dictature juive, l’envahissement islamique ” au nom de la supériorité de la race aryenne et offre aux titulaires de ces pages un large éventail de services en ligne.

II – Les éléments en débat à notre audience du 29 juin 2001

Soutenant que ses multiples démarches auprès du fournisseur d’hébergement pour obtenir la cessation de l’hébergement de ce site sont demeurées vaines et estimant, dans ces conditions, que seuls les fournisseurs d’accès nationaux pouvaient, à l’instar de leurs homologues suisses, mettre un terme au trouble résultant de la possibilité d’accéder à ce site, d’en visualiser le contenu et de pratiquer des échanges à connotations essentiellement racistes, l’association J’accuse, qui s’est donnée pour objectif statutaire de combattre le racisme et l’antisémitisme sous toutes ses formes et sur toute forme de support, et dont la qualité pour agir n’est pas contestée, a assigné les défenderesses auxquelles elle fait grief de ne pas vouloir mettre en œuvre les moyens dont elles disposent pour mettre un terme au trouble illicite alors surtout qu’elles ont un devoir naturel d’action contre les perversions de la liberté d’expression et de communication, afin qu’il leur soit ordonné sous astreinte de prendre toutes les mesures de nature à rendre impossible toute consultation à partir du territoire français par leur abonnés respectifs situés sur ce territoire du site www.front14.org et des sites utilisateurs ou hébergés ou présentés et qu’elles soient condamnées chacune à lui verser la somme de 1 euro à titre de dommages-intérêts provisionnels, outre celle de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, ladite condamnation étant assortie d’une mesure de publication aux frais avancés des défenderesses dans la limite de 4 000 euros par publication devant être consignés sur le compte Carpa de leurs conseils.

Les différents intervenants volontaires à titre principal appuient la demande de l’association J’accuse et sollicitent respectivement la prise des mesures figurant au dispositif de leurs écritures auxquelles il y a donc lieu de se reporter.

Les différentes défenderesses, après avoir souligné le refus de l’association J’accuse d’engager une réflexion sérieuse sur le sujet avec l’AFA et ses adhérents, font valoir pour l’essentiel et tout d’abord que le caractère collectif et indéterminé de la mesure sollicitée est surprenant dans la mesure où certains sites désignés sont en construction, que d’autres ne véhiculent pas un message manifestement illicite, que d’autres dont les contenus sont publiés en langue étrangère ne visent manifestement pas les intervenantes se connectant depuis le territoire national et enfin qu’une quarantaine de sites désignés ne sont pas accessibles par suite d’un filtrage mis en place par l’hébergeur. Elles insistent ensuite sur la nécessité de désigner préalablement les URL des sites dont le contenu est manifestement illicite et de mettre en cause leurs auteurs et animateurs. Elles opposent enfin à la demande l’existence d’une contestation sérieuse exclusive de la compétence du juge des référés tirée du fait que les fournisseurs d’accès, en leur qualité d’opérateur de services de télécommunications et dont à ce titre l’activité est régie par le Code des Postes et Télécommunications, sont tenus à une obligation de neutralité du transport de l’information et à une obligation de respect du secret de communication que le juge des référés ne peut modifier en y ajoutant d’autres obligations, sauf à violer le principe de séparation des pouvoirs et l’article 5 du code civil. Elles contestent avoir une “ obligation naturelle d’agir ” qui serait de toutes façons contraire aux textes qui régissent leur activité et même aux dispositions de la loi du 1er août 2000. Elles soutiennent en outre que les mesures sollicitées ne mettraient en aucun cas un terme au trouble allégué, tout en reconnaissant la légitimité de la réaction de l’association J’accuse face à ces tentatives répétées de banalisation du racisme et du nazisme. Mais elles considèrent que leur mise en cause est totalement infondée, insistant toutefois sur les nombreuses initiatives qu’elles ont prises dans les limites de leurs possibilités légales pour supprimer ou au moins limiter l’expression des comportements racistes sur le web, notamment par les nombreux avertissements en direction des utilisateurs et le rappel à ceux-ci des initiatives qu’elles se réservent de prendre en cas de constatation de violation des conditions générales d’utilisation des services.

Elles concluent en conséquence chacune, respectivement, dans les termes du dispositif de leurs conclusions.

III – Notre ordonnance du 12 juillet 2001

Estimant nécessaires une prolongation et un approfondissement de la réflexion engagée lors de l’audience du 29 juin 2001, nous avons, par l’ordonnance précitée :

1) invité les demanderesses et intervenantes volontaires à fournir des informations complémentaires sur les “sites hébergés par Front14 et à procéder à la mise en cause de l’hébergeur et des titulaires des “sites” raisonnablement identifiables,

2) invité les parties à la procédure à désigner les grands témoins qui permettront de poursuivre et d’approfondir la réflexion engagée sur les plans factuel, éthique et technique.

IV – Les audiences des 4 et 11 septembre 2001

Les demanderesses justifient de la délivrance d’une assignation à M. Devalez, présenté comme le titulaire de l’un des “sites” hébergés par Front14, et d’une assignation à parquet à l’encontre de la société SkyNetWeb Ltd, nouvel hébergeur de Front14.

L’audition des « grands témoins »
1) Les informaticiens

MM. Gordon, Lemaire et Wallon, experts judiciaires

Les trois experts admettent la faisabilité des mesures de filtrage, notamment au niveau de l’adresse IP.

M. Lemaire insiste toutefois sur le facteur temps et sur le coût de telles mesures en même temps que sur leur efficacité compte tenu de l’existence d’outils de contournement (anonymisation, par exemple, …).

MM. Gordon et Wallon considèrent pour leur part qu’il ne faut pas surestimer ce risque de “ nomadisme ” de l’internaute.

2) M. Finkielkraut, philosophe-écrivain

Il a insisté sur la nécessité de ne pas laisser se développer “l’exception de l’internet”.

Il soutient que l’internet doit être soumis à une régulation.

Il ajoute : “Il y a trop de promesses sur l’internet – il faut donc introduire le droit pour dégriser de ces promesses folles – le droit, c’est la limite à la toute-puissance – il faut lutter contre la logique de la toute-puissance que l’internet incarne pour certains”.

Il fait toutefois le constat que “ce sera difficile, d’un point de vue technique d’abord, mais aussi parce qu’aujourd’hui on invoque plus ensemble le droit et les droits de l’homme, mais on invoque au contraire les droits de l’homme contre le droit qui fixe des limites”.

Comment, interroge-t-il, faire respecter le droit livré à la démesure, à la toute-puissance du “je veux”.

Il faut, estime-t-il, réintroduire le principe de réalité dans le monde de l’internet. La promesse de l’internet est une promesse d’allégement total contre laquelle il faut se dresser.

“L’internet est un espace public où il faut des responsables car ce qu’on jette en pâture à tout le monde ce n’est pas de la correspondance privée.

Le droit permet de rétablir l’imputabilité aux choses techniques.

Aux pouvoirs publics de se saisir de ce problème. Mais ils n’en prennent pas le chemin car aujourd’hui tous les discours sont des discours idolâtres du style “Tous les problèmes peuvent être réglés par le Net” qui devient ainsi la panacée”.

3) Laurent Joffrin, journaliste

Rappelant qu’en France, c’est la loi qui fixe les règles et donc les limites à la liberté d’expression, il déclare ne pas comprendre que l’on veuille remettre en cause ce principe démocratique pour l’internet. Il ajoute “La propagande nazie est illégale en France et il est donc légitime de la censurer. Le technicien doit également s’impliquer pour faire respecter la loi car il n’est pas hors du monde. Il ne serait pas admissible que des sociétés privées parviennent pour la défense d’intérêts privés à imposer leur impérialisme juridique”.

4) M. Swetenham, chargé à la Commission européenne de la mise en œuvre du plan d’action pour un internet plus sûr

Rappelant que la Commission et le législateur européens se préoccupent du respect de la “dignité humaine sur internet”, il insiste d’abord sur la nécessité d’une coopération internationale même s’il admet que l’espoir de voir naître un même droit partout et pour tous relève de l’utopie.

Il précise les lignes d’action au niveau européen, à savoir les directives, spécialement la direction sur le commerce électronique, la mise en place de “hot lines” et l’examen de cinq projets de filtrage dont un projet visant des sites racistes, et la sensibilisation du public pour favoriser face aux dérives de l’internet, l’autodéfense de l’utilisateur.

Relativement à la question du filtrage, il observe qu’il ne s’agit pas d’une solution qui garantisse 100 % d’efficacité car il y a toujours moyen de le contourner.

5) M. Braun, du ministère de l’Education nationale

Consciente de participer au développement de l’internet, l’Education nationale insiste sur la nécessité de la formation pour un usage citoyen de l’internet. Elle met ainsi à disposition des chefs d’établissement des logiciels de filtrage et a mis en place une charte d’usage en direction des élèves.

M. Braun insiste par ailleurs sur le fait que l’Education nationale étant un grand producteur en même temps qu’un grand collecteur d’informations, il y a un risque de laisser passer des informations qui ne respectent pas les exigences de service public. D’où l’interrogation sur l’opportunité et les moyens d’un filtrage.

6) Mme Coquio, enseignante à la Sorbonne

Pour Mme Coquio, l’espace démocratique favorisant la diffusion d’informations douteuses, cet espace doit pouvoir se défendre.

Elle insiste sur le fait que l’internet est devenu aujourd’hui le refuge de tous les excès, et ce au nom de la liberté d’expression.

Mais de quelle liberté d’expression s’interroge-t-elle ? On n’y trouve pas l’ombre d’une pensée, ni l’ombre d’une opinion démocratique. Tout est en fait provocation.

On va même jusqu’à nier la victime. L’internet devient une liberté d’agression qui vise à séduire l’enfance et l’adolescence. Mais ce qui se passe sur l’internet dépasse le virtuel.

Personne ne peut se déclarer neutre face à ses excès.

7) M. Robinowitch, sociologue

Il s’interroge sur le fait de savoir si l’usage actuel de l’internet ne conduit pas à un affaiblissement de la démocratie et s’il ne va pas favoriser la disqualification des interdits parce que l’internet c’est le vecteur d’un moi tout puissant.

Il rappelle que la culture démocratique n’avait pas pris au sérieux la puissance mortifère du nazisme et que ce qui est arrivé peut arriver de nouveau.

8) M. Beaulieu, directeur d’un laboratoire de physique théorique

Après avoir rappelé le processus de création du web, il s’est exprimé sur la difficulté d’envisager des mesures de filtrage efficaces.

9) M. Kaplan, vice-président de l’Internet Society

Après avoir insisté sur le fait que si 54 % des internautes se connectent depuis leur domicile, les autres se connectent depuis l’école, l’université, l’entreprise, … et que, face à ce constat, il est difficile de trouver des moyens d’actions efficaces. Sans doute, estime-t-il, conviendrait-il de se rapprocher davantage de l’internaute.

Que perdrait-on en imposant aux opérateurs des mesures de filtrage et our quels gains ?

Et pourquoi ne viser que l’AFA et pas les autres ? Deux interrogations qui, selon lui, méritent débat.

10) M. Meindl, professeur de droit constitutionnel

Pour lui, il appartient aux pouvoirs publics et aux juridictions de prendre les mesures qui touchent à la liberté d’expression mais en veillant à concilier liberté d’expression avec les contraintes liées aux systèmes de communication. Mais, en l’absence de loi, l’intervention du juge peut-elle se substituer à la loi quand bien même le juge serait-il une garantie au sens de la jurisprudence constitutionnelle.

Il insiste sur le fait que le concours apporté à la sauvegarde de l’ordre public est étranger à l’exploitation des systèmes de communication et qu’il y aurait donc risque de rupture d’égalité devant les charges publiques entre les divers fournisseurs d’accès si certains se voyaient imposer des dépenses au titre des mesures de régulation les FAI assignées et pas les autres.

11) Mme Marzouki, président de l’IRIS

Déniant aux prestataires techniques tout droit sur le choix de l’information à diffuser et leur déniant en conséquence tout droit de contrôle des internautes, Mme Marzouki se prononce en conséquence contre tout filtrage, même s’il est rendu possible par la loi, même s’il est ordonné par un juge, estimant qu’un procédé de filtrage consisterait à rediriger par un glissement subtil, le contrôle et la culpabilité sur le citoyen et estimant que les moyens de lutte contre les discours de haine existent pour peu qu’on veuille s’en donner les moyens.

12) Joël Boyer, magistrat, secrétaire général de la Cnil

Joël Boyer déclare partager le sentiment de révolte des demandeurs devant le développement de sites racistes et attentatoires à la dignité de l’être humain. Mais il considère qu’une mesure de filtrage n’aurait aucune efficacité et qu’en tout cas elle ne permettrait pas d’atteindre les véritables auteurs du trouble que sont les titulaires des sites ou des pages personnelles.

V – Les débats à l’audience du 2 octobre 2001

Les demanderesse et intervenantes volontaires ont réitéré l’ensemble de leurs demandes dans les termes de leurs dernières écritures, regrettant que les défenderesses se fassent uniquement les “parangons” de l’intérêt supérieur de leur liberté et des impossibilités techniques auxquelles on prétendrait les soumettre et insistant sur la faiblesse du risque invoqué par les défenderesses de voir perdre toute efficacité à d’éventuelles mesures de filtrage à raison de l’existence de moyens de contournement, le nomadisme des internautes étant marginal ainsi que l’ont indiqué MM. Wallon et Gordon.

Les défenderesses, après avoir sollicité le prononcé d’un sursis à statuer motivé par le fait que la demanderesse n’aurait pas satisfait aux termes de l’ordonnance du 12 juillet 2001, réitèrent leur position antérieure en insistant sur le fait qu’une mesure de blocage ou de filtrage de l’accès n’a aucun encadrement légal ; qu’elle n’aurait qu’une efficacité toute relative et ne mettrait donc pas fin au trouble allégué compte notamment tenu de l’existence de nombreux procédés de contournement décrits par M. Lemaire ; qu’elle entraînerait en revanche une atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques et engendrerait une atteinte à l’égalité entre les FAI, ce qui a été souligné par M. Meindl ; qu’elle aurait d’importantes conséquences sur leurs performances, selon M. Lemaire ; et enfin, qu’elle conduirait à une atteinte à la protection des données personnelles, au respect de la vie privée et au secret des communications, risque envisagé par M. Boyer.

M. Devalez sollicite, outre la nullité de l’assignation pour absence de tout moyen de droit susceptible de justifier sa mise en cause personnelle, sa mise hors de cause, soutenant qu’il ne saurait assumer une quelconque responsabilité personnelle tant au titre du portail Front14 que du ou des sites de la WCOTC qu’il ne représente pas, ainsi que la condamnation des demanderesse et intervenantes volontaires au paiement d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Le représentant du ministère public dit chercher vainement le débat dans cette affaire, considérant que rien ne fonde l’assignation qui est vide, vide illustré par l’ordonnance du 12 juillet qui réclamait ce qui aurait dû y figurer et dont l’exécution n’a abouti qu’à la mise en cause d’un petit maniaque qui échange avec d’autres maniaques, sur des sites dont la fréquentation est très faible, ce qui aurait dû conduire les défenderesses à soulever immédiatement l’incompétence du juge des référés, retenant pourtant l’existence de carences administratives et politiques, fruit d’une incertitude quant à l’existence d’une véritable volonté politique concernant internet.

Vu, pour le surplus, ensemble, les écritures des parties et les pièces versées aux débats

Discussion

Sur la demande de sursis à statuer

Attendu qu’il y a lieu de considérer qu’il a été satisfait par la demanderesse aux termes de notre ordonnance du 12 juillet 2001 puisque, en effet, celle-ci justifie, d’une part, de la délivrance d’une assignation au nouvel hébergeur du site portal Front14 et, d’autre part, de recherches en vue de l’identification d’éditeurs français de contenus hébergés par le site portail qui ont permis la délivrance d’une assignation à M. Devalez ; qu’il ne saurait lui être fait grief de ne pas avoir atteint l’ensemble des éditeurs de contenus français compte tenu de la difficulté connue en matière d’identification d’internautes, hébergés de surcroît à l’étranger.

Sur la demande de l’association J’accuse et des intervenantes volontaires

1) Sur la qualification du site portail Front14

Attendu que le site Front14 est accessible depuis la France et peut être visualisé en France ;

Attendu qu’il résulte de l’analyse de l’ensemble des pièces contradictoirement produites aux débats que ce site qui prône, dans sa globalité, la supériorité de la race blanche et qui encourage à la haine et à la discrimination contre les Juifs, les Arables, les noirs et les métèques et, d’une façon générale, contre ce qui est appelé les “sous-races” et dont la carte éditoriale est complétée par des photographies et des animations révélatrices des objectifs poursuivis par ses initiateurs, présente à l’évidence les caractères d’un trouble manifestement illicite au sens de l’article 809 du nouveau code de procédure civile ;

Attendu que ce constat vaut donc pour le site dans son intégralité, chacun des “contributeurs” au développement dudit site et, par conséquent, chacun des auteurs de contenus hébergés par ce site ayant nécessairement adhéré à sa charte éditoriale et ayant fait sien les buts poursuivis par ses concepteurs et animateurs ;

2) Sur la demande à l’encontre de la société SkyNetWeb Ltd, hébergeur du site portail Front14

Attendu que, jusqu’à la date de l’assignation introductive d’instance, ce site était hébergé par la société GCI domiciliée aux Etats-Unis dans l’Etat de l’Alaska ;

Attendu que cette société a fait connaître à la demanderesse sa décision de supprimer l’hébergement dudit site ;

Attendu que, depuis lors, ce site est hébergé par la société SkyNetWeb Ltd., domiciliée aux Etats-Unis 3500 Boston Street Baltimore MD 21224, qui a été régulièrement assignée ;

Attendu que, selon les pièces produites, cette société a une parfaite connaissance des termes de la demande que la demanderesse et les intervenantes volontaires ont formée à son encontre ;

Attendu que la société SkyNetWeb Ltd. n’a pas comparu, ni personne pour elle ;

Attendu qu’il y a lieu d’analyser l’assignation délivrée à cette société comme une demande de réquisition judiciaire au sens de la loi du 1er août 2000 ;

Attendu qu’invitation et, en tant que de besoin, injonction sont donc faites à cette société de préciser les mesures qu’elle compte prendre pour mettre un terme au trouble illicite constitué par l’existence même du site portail Front14 qu’elle héberge, au sens de la loi française comme au sens de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Déclaration universelle des droits de l’homme, trouble dont la réalité avait d’ailleurs été parfaitement admise par le précédent hébergeur du site :

Attendu qu’elle disposera d’un délai de réponse de dix jours à compter de la notification de la présente décision.

3) Sur la demande formée à l’encontre de M. Devalez

Attendu que l’assignation remplit les conditions de l’article 56 du nouveau code de procédure civile ; que l’exception de nullité ne saurait donc prospérer ;

Attendu que M. Devalez étant l’animateur désigné par “l’Eglise Mondiale du Créateur”, ainsi qu’en fait foi l’organigramme de ce groupement et qui, à ce titre, a pris part au développement du site Front14, se verra ordonner, sous astreinte, de rendre impossible toute consultation des pages hébergées chez Front14 à l’adresse www.front14.org/wcotcFrance et dont la lecture ne laisse place à aucune interrogation sur les buts de ce groupement qui demande, par exemple, d’éliminer toute transaction avec les juifs et recommande de ne pas employeur “des nègres ou autres métèques”, et donc de n’avoir de rapports qu’avec “sa propre famille raciale”.

4) Sur la demande formée à l’encontre des fournisseurs d’accès et de l’AFA

Attendu que les FAI, défendeurs, et l’AFA plaident leur stricte neutralité en leur qualité de simple opérateur de télécommunications et l’absence de toute obligation légale et de toute responsabilité de leur part dans la régulation d’internet, insistant néanmoins sur les nombreuses initiatives qu’ils ont prises en concertation avec de nombreux partenaires dont les pouvoirs publics nationaux ou européens afin de favoriser un usage responsable d’internet et de lutter contre les contenus incitant à la haine ;

Attendu qu’en l’état de notre droit positif, les fournisseurs d’accès n’ont, en effet, aucune autre obligation que celle de fournir à leurs clients des outils de filtrage ;

Mais attendu que s’ils n’ont aucune obligation personnelle de filtrage, ils n’ont pas pour autant une obligation de fournir un accès à internet ;

Qu’ils déterminent, en effet, librement les conditions auxquelles ils soumettent la fourniture d’un tel accès, sous la réserve qu’un éventuel recours contre une décision de refus d’accès qui serait jugé abusive ;

Qu’il leur sera donc laissé le soin de déterminer “librement” les mesures leur apparaissant nécessaires et possibles dans le prolongement du constat que nous venons de faire quant au caractère illicite du site Front14 ;

Attendu, et en tout état de cause, qu’il ne sera pas possible de différer longtemps encore le débat sur une participation plus dynamique de l’ensemble des acteurs d’internet et donc des prestataires techniques, en ceux compris les fournisseurs d’accès, à la nécessaire régulation du réseau, et ce pur deux motifs au moins ;

Attendu, et tout d’abord, qu’il est vain d’espérer en une autorégulation même minimale d’internet, réseau de plus en livré à la “démesure”, à la toute-puissance du “je veux” et “devenu le dernier refuge de tous les excès, de toutes les provocations” et “le moyen de toutes les agressions” (pédophilie, prostitution, racisme, négationnisme, …), ce qu’ont stigmatisé plusieurs “grands témoins” ;

Attendu, ensuite, qu’est bien réel le risque de voir se développer des “paradis de l’internet” comme se sont déjà développés des “paradis fiscaux” où il sera de plus en plus difficile d’attendre les cyberdélinquants de tous poils qui pourront ainsi bénéficier non seulement d’un éventuel environnement juridique ponctuellement favorable mais, en outre, de la “neutralité” des prestataires techniques, et à l’encontre desquels les victimes ne seront plus à même de faire réellement valoir leurs droits, sauf à envisager la mise en œuvre d’importants moyens, notamment d’ordre financier, pour engager des actions à l’étranger et répondre aux moyens dilatoires qui ne manqueront pas de leur être opposés, autant dire une mission presque impossible ; qu’il y aurait là, à l’évidence, rupture d’égalité devant l’accès à la justice, pour reprendre au moins en partie une expression déjà émise dans le cadre du présent débat ;

Attendu que, sous les remarques qui précèdent, il sera statué dans les termes du dispositif, étant précisé qu’il ne sera pas fait application des dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile et que seront rejetées toutes les autres demandes des parties.

Décision

Statuant publiquement, et en premier ressort et par ordonnance réputée contradictoire :

. rejetons la demande de sursis à statuer ;

. constatons que le site portail Front14, actuellement accessible à l’adresse www.front14.org, constitue dans son intégralité, et donc dans ses diverses déclinaisons, le trouble manifestement illicite tel que défini à l’article 809 du nouveau code de procédure civile ;

. invitons et, en tant que de besoin, ordonnons à la société SkyNetWeb Ltd. de préciser dans les dix jours de la notification de la présente décision, les mesures qu’elle compte prendre afin de mettre un terme au trouble illicite résultant, pour les demanderesse et intervenantes volontaires, de l’existence même du site portail Front14 ;

. ordonnons à M. Devalez, sous astreinte de 1 000 F par jour à compter du dixième jour qui suivra la notification de la présente décision, de rendre impossible toute consultation des pages personnelles hébergées sur le site www.front14.org à l’adresse www.front14.org/wcotcFrance ;

. laissons aux défenderesses, fournisseurs d’accès, sous l’animation ou en collaboration avec l’AFA, le soin de déterminer librement les mesures qui leur apparaîtront nécessaires et possibles en l’état des moyens techniques existants, dans le prolongement de notre constat du caractère illicite du site portail Front14 ;

. rejetons toutes autres demandes ;

. disons n’y avoir lieu à application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;

. laissons provisoirement à chaque partie la charge de ses propres dépens à l’exception de ceux qui sont nés de la demande dirigée contre M. Devalez qui resteront à la charge de ce dernier, à charge pour lui de solliciter le cas échéant leur remboursement à la XCOTC.

Le Tribunal : M. Jean-Jacques Gomez (tenant l’audience publique des référés par délégation du président du tribunal), Michèle Seguin (Greffier)

Avocats : Mes Lilti, Weber, Jakubowicz et Korman.

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