Jurisprudence : Responsabilité
Cour d’appel de Paris 14ème chambre, section B Arrêt du 21 novembre 2008
Bloobox Net / Olivier M.
diffusion - éditeur - hébergeur - information - internaute - lien hypertexte - responsabilité - site - vie privée
FAITS ET PROCEDURE
Vu l’appel formé par la société Bloobox Net de l’ordonnance de référé rendue le 26 mars 2008 par le président du tribunal de grande instance de Paris qui a :
– condamné la société Bloobox Net à payer à M. Olivier M. la somme de 1000€à titre de provision et celle de 1500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– rejeté le surplus de la demande de M. Olivier M. ;
– rejeté les demandes reconventionnelles de la société Bloobox Net ;
– condamné la société Bloobox Net aux dépens ;
Vu les conclusions en date du 18 septembre 2008 par lesquelles la société Bloobox Net demande à la cour, par voie d’infirmation, de :
– dire abusive l’action en justice intentée par M Olivier M. ;
en conséquence,
– condamner M. Olivier M. à une amende civile qu’il plaira à la cour de fixer et à lui payer la somme de 30 000 € à titre de provision sur dommages et intérêts ;
– ordonner à M. Olivier M. de notifier à la société Bloobox Net chaque contenu présent sur le site www.fuzz.fr qu’il considérera comme illicite à l’avenir, par courrier électronique puis par lettre recommandée avant toute assignation ;
– dire que la société Bloobox Net n’est pas éditeur du lien hypertexte et du titre litigieux ;
– dire que la société Bloobox Net en tant que fournisseur du lien hypertexte doit être qualifiée d’hébergeur de celui-ci au sens de l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ;
– dire que la société Bloobox Net est hébergeur du titre litigieux au sens de l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ;
– dire que la société Bloobox Net a retiré promptement les contenus litigieux dès qu’elle en a eu connaissance ;
en conséquence,
– dire que la société Bloobox Net n’a commis aucune faute du fait de la diffusion du lien hypertexte et du titre litigieux sur son site internet www.fuzz.fr ;
à titre subsidiaire,
– dire qu’il existe une contestation sérieuse quant à la qualification d’éditeur de la société Bloobox Net au titre du lien hypertexte et du titre en litige et qu’il n’y avait dès lors pas lieu à référé ;
– dire que M. Olivier M. n’a subi aucun préjudice du fait de la diffusion du lien hypertexte et du titre litigieux sur son site internet www.fuzz.fr ;
– confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a jugé que la décision à intervenir n’avait pas à faire l’objet d’une mesure de publication ;
– condamner M. Olivier M. outre aux dépens, au payement de la somme de 6000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions en date du 25 septembre 2008 par lesquelles M. Olivier M. demande à la cour, au visa des articles 4, 9 et 1382 du code civil et 809 du code de procédure civile et sous divers constats, de :
– confirmer l’ordonnance entreprise sauf sur le montant de l’indemnisation provisionnelle qui lui a été allouée ;
A titre reconventionnel,
– condamner la société Bloobox Net à lui payer la somme de 29 000 € en réparation de son préjudice moral ;
en tout état de cause
– condamner la société Bloobox Net, outre aux dépens, au payement de la somme de 4500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
DISCUSSION
Considérant que la société Bloobox Net, qui a pour objet social la conception web et multimédia, édite sur internet un site accessible à l’adresse www.fuzz.fr ; qu’elle diffuse sur ce site des informations, dont certaines dans une rubrique “people” ont trait à l’actualité et à la vie privée d’artistes et de personnalités du spectacle ;
Que le 31 janvier 2008, ce site a publié une “brève” rédigée en ces termes : Kylie Minogue et Olivier M. réunis et peut-être bientôt de nouveau amants” accompagnée d’un titre “Kylie Minogue et Olivier M. toujours amoureux, ensemble à Paris” lui-même assorti d’un lien renvoyant à un article publié le 30 janvier 2008 sur le site www.célébrités-stars.blogspot.com
“La chanteuse Kylie Minogue qui a fait une apparition aux NJR Music Awards a ensuite été vue avec son ancien compagnon l’acteur français, Olivier M.
La star a été vue à Paris promenant son chien …. et alors qu’elle allait avec son ancien fiancé chez Yves & Laurent puis au café de Flore où elle aimait déjà se rendre lorsqu’elle habitait Paris afin de recevoir le traitement pour soigner son cancer ;
L‘actrice âgée de 39 ans a créé bien malgré elle une petite émeute… alors qu’elle promenait son chien avec Olivier M. dans le rues de Paris.
Rappelons que les deux célébrités se sont séparées au mois de février 2007 lorsque l’acteur a été surpris en charmante compagnie et alors que Kylie Minogue suivait un lourd traitement contre le cancer.
La star australienne est ensuite allée à la gare pour prendre un train Eurostar en direction de Londres mais elle pourrait d’après ses proches bientôt revoir Olivier M. régulièrement” ;
Qu’invoquant une intrusion intolérable dans la sphère de son intimité, M. Olivier M. a saisi le juge des référés aux fins de voir constater cette atteinte à la vie privée et obtenir réparation de son préjudice moral, notamment voir ordonner le retrait immédiat de l’article sous astreinte, condamner la société Bloobox Net au payement d’une provision de 30 000 € en réparation du préjudice moral et ordonner la publication de l’ordonnance sur la page du site internet sous astreinte ;
Que c’est dans ces conditions que l’ordonnance entreprise a été rendue ; que le premier juge a dit qu’en renvoyant au site www.célébrités-stars.blogspot.com, en agençant différentes rubriques telles que celle intitulée “people” et en titrant en gros caractères “Kylie Minogue et Olivier M. toujours amoureux, ensemble à Paris”, la société Bloobox Net a opéré un choix éditorial ; qu’il l’a considérée comme un éditeur de service de communication en ligne au sens de l’article 6 III 1 c de la loi susvisée renvoyant à l’article 93-2 de la loi du 21 juillet 1982 et par suite, responsable de la diffusion de propos portant atteinte à la vie privée de M. M. ;
Considérant qu’en cause d’appel, la société Bloobox Net revendique le statut d’hébergeur au sens de l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique pour rejeter toute responsabilité tandis que M. M. lui attribue le rôle d’un éditeur ;
Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 rappelé à l’article 1er de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, le respect de la vie privée constitue une limite à la communication au public par voie électronique ;
Considérant que l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 distingue les différents prestataires de cette communication en ligne ; que l’éditeur est, selon l’article 6-I-1, défini comme la personne ou la société qui “édite un service de communication en ligne” à titre professionnel ou non c’est à dire qui détermine les contenus mis à la disposition du public sur le service qu’elle a créé ;
Qu’en revanche, aux termes de l’article 6-I-2, l’hébergeur est la personne ou la société qui assure “même à titre gratuit pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sans ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services” ; que l’article 6-I-7° de la même loi précise que les hébergeurs ne sont pas soumis une obligation générale de surveillance des informations qu’ils stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites “ ;
Qu’au vu de ce qui précède, le “prestataire technique” au sens de l’article 6 de la loi susvisée assure, en vue de leur communication au public en ligne, le stockage de données fournies par des tiers, et n’est pas, contrairement à l’éditeur, personnellement à l’origine des contenus diffusés ;
Considérant qu’il convient d’apprécier si, au regard des dispositions de la loi du 21 juin 2004, la société Bloobox Net détermine les contenus qui sont mis en ligue et si elle a la maîtrise du contenu éditorial des informations proposées sur son site et des titres résumant les informations ;
Considérant qu’il n’est pas contesté que la société Bloobox Net est éditrice du site www.fuzz.fr ;
Que ce site interactif offre aux internautes d’une part la possibilité de mettre en ligne des liens hypertextes en les assortissant de titres résumant le contenu des informations et d’autre part le choix d’une rubrique telle que ”économie”, « média”, “sport” ou “people” etc. dans laquelle ils souhaitent classer l’information ; qu’ainsi, le 31 janvier 2008, un internaute a rédigé et déposé sur la rubrique “people” du site www.fuzz.fr un lien hypertexte renvoyant vers le site www.célébrités-stars.blogspot.com en ces termes : “Kylie Minogue et Olivier M. réunis et peut-être bientôt de nouveau amant ? » et l’a assorti du titre suivant : “ Kylie Minogue et Olivier M. toujours amoureux ensemble à Paris” ;
Que c’est l’internaute qui utilisant les fonctionnalités du site, est allé sur le site source de l’information, www.célébrités-stars.blogspot.com, a cliqué sur le lien, l’a recopié sur la page du site de la société Bloobox Net avant d’en valider la saisie pour le mettre effectivement en ligne sur le site www.fuzz.fr et a rédigé le titre ; qu’ainsi, l’internaute est l’éditeur du lien hypertexte et du titre ;
Que le fait pour la société Bloobox Net créatrice du site www.fuzz.fr de structurer et de classifier les informations mises à la disposition du public selon un classement choisi par elle permettant de faciliter l’usage de son service entre dans la mission du prestataire de stockage et ne lui donne pas la qualité d’éditeur dès lors qu’elle n’est pas l’auteur des titres et des liens hypertexte et qu’elle ne détermine pas les contenus du site, source de l’infirmation, www.célébrités-stars.blogspot.com que cible le lien hypertexte qu’elle ne sélectionne pas plus ; qu’elle n’a enfin aucun moyen de vérifier le contenu des sites vers lesquels pointent les liens mis en ligne par les seuls internautes ;
Qu’au vu de ce qui précède, il résulte que la société Bloobox Net ne peut être considérée comme un éditeur au sens de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, sa responsabilité relevant du seul régime applicable aux hébergeurs ;
Considérant qu’à l’exception de certaines diffusions expressément visées par la loi relatives à la pornographie enfantine, à l’apologie des crimes contre l’humanité et à l’incitation à la haine raciale que l’hébergeur doit, sans attendre une décision de justice, supprimer sa responsabilité civile ne peut être engagée du fait des informations stockées s’il n’a pas effectivement eu connaissance de leur caractère illicite ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer les données ou en rendre l’accès impossible ;
Qu’il appartient à celui qui se plaint d’une atteinte à ses droits d’en informer l’hébergeur dans les conditions de l’article 6-l-5° de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 ; que dès cette connaissance prise, l’article 6-I-2 de la loi impose à l’hébergeur d’agir promptement” ; qu’en l’espèce, M. Olivier M. n’a adressé à la société Bloobox Net aucune mise en demeure en ce sens avant de l’assigner ;
Que dans ces conditions, les demandes de M. Olivier M. doivent être rejetées et l’ordonnance infirmée ;
Considérant que la société Bloobox Net n’est pas recevable à solliciter la condamnation de M. M. au paiement d’une amende civile, cette décision relevant du seul office du juge ;
Considérant que la société Bloobox Net ne justifie pas des circonstances ayant fait dégénérer en abus le droit pour M. M. d’agir en justice ; que la demande en payement de dommages et intérêts pour procédure abusive doit être écartée ;
Considérant que l’équité commande de ne pas prononcer de condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Considérant que M. M. qui succombe en ses prétentions doit supporter les dépens de première instance et d’appel ;
DECISION
Par ces motifs :
. Infirme l’ordonnance entreprise ;
. Déclare irrecevable la demande de la société Bloobox Net en payement d’une amende civile ;
. Déboute la société Bloobox Net de sa demande en payement de dommages et intérêts ;
. Dit n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
. Condamne M. Olivier M. aux dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du même code.
Le tribunal : Mme Henriette Schoendoerffer (président), Mmes Martine Provost-Lopin et Sophie Darbois (conseillers)
Avocats : Me Olivier Iteanu, Me Emmanuel Asmar.
Notre présentation de la décision
Voir décision de Cour de cassation
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.