Jurisprudence : Droit d'auteur
Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 1ère section Jugement du 25 novembre 2008
Wizzgo / M6 Web et autres
contrefaçon - copie privée - droit d'auteur - préjudice - publicité - site internet
FAITS ET PROCEDURE
Au mois de mai 2008, la société Wizzgo a mis à la disposition des internautes un service leur permettant d’obtenir gratuitement la copie des programmes des chaînes de télévision numérique terrestre (TNT) sur leur ordinateur, au moyen d’une plate-forme technologique supportant un site internet www.wizzgo.com.
La société Wizzgo propose à la personne intéressée, de télécharger sur son ordinateur le logiciel iWizz qui permet l’interaction avec la plateforme Wizzgo puis de s’inscrire en indiquant un certain nombre de données personnelles. L’internaute devenu utilisateur, peut alors opérer une sélection sur un guide des programmes mis à sa disposition. La société Wizzgo réalise, ensuite, une copie cryptée du programme choisi qu’elle adresse à l’utilisateur qui pourra seul la décrypter. Une mention préalable à la visualisation lui indique “copie privée réalisée par et pour vos soins, exclusivement destinée à votre usage personnel dans le cadre du cercle de famille”.
Les 13 et 19 juin 2008, les sociétés du groupe M6 ont mis en demeure la société Wizzgo de cesser toute exploitation des programmes pour lesquels elles sont titulaires de droits de propriété intellectuelle.
Elles ont ensuite assigné la société Wizzgo en référé devant le président du tribunal de grande instance de Paris et par une ordonnance du 6 août 2006, celui-ci a fait interdiction sous astreinte à la défenderesse de reproduire et mettre à la disposition du public au moyen du logiciel iWizz, les programmes diffusés sur les chaînes M6 et W9. Cette ordonnance qui a été exécutée, fait l’objet d’un appel.
Le 1er septembre 2008, la société Wizzgo estimant que cette interdiction était de nature à compromettre la viabilité de son service, a fait assigner à jour fixe les sociétés Métropole télévision, Edi TV (W9), M6Web, Studio 89 productions et C productions devant le tribunal de grande instance de Paris afin de faire constater la licéité du service qu’elle propose à l’adresse www.wizzgo.com et d’obtenir réparation à titre provisionnel du préjudice subi à la suite des mesures d’interdiction ordonnées par le juge des référés. Elle réclame, enfin, une indemnité sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
Les sociétés Télévision française 1 (TF1), TF1 vidéo et e-TF1 d’une part, les sociétés NT1 et Panorama d’autre part, sont intervenues volontairement à l’instance.
Les défenderesses ont formé à l’encontre de la société Wizzgo des demandes reconventionnel les tendant à obtenir des mesures d’interdiction ainsi que l’indemnisation du préjudice résultant de l’atteinte à leurs droits de propriété intellectuelle. Elles invoquent également des actes de concurrence déloyale.
La société Wizzgo expose que son service fournit exactement les mêmes prestations qu’un magnétoscope traditionnel, ajoutant que la copie qu’il délivre fait l’objet d’un marquage qui assure la traçabilité de la copie et de son utilisateur au moyen de données de connexion permettant son identification. Pour établir le caractère licite de ce service, la société Wizzgo invoque les exceptions de copie transitoire et de copie privée des articles L122-5 et L211-3 du Code de la propriété intellectuelle.
La société Wizzgo fait ainsi valoir que c’est l’utilisateur qui crée la copie privée en rapatriant la copie transitoire cryptée sur son ordinateur et en la décryptant. Elle explique donc que son service permet la création de deux types de copie par deux personnes distinctes, entrant chacune dans le cadre d’une exception légale.
Elle soutient, en effet, que la copie transitoire qu’elle réalise, remplit les conditions des articles L122-5-6 et L211-3-5 du Code de la propriété intellectuelle car elle est provisoire et fait partie intégrante d’un procédé technique, la plate-forme technologique Wizzgo, qui se suffit à elle-même. Elle ajoute que la copie transitoire a pour objet de permettre l’utilisation licite de l’oeuvre et qu’elle n’a pas de valeur économique propre puisque cryptée et inexploitable, même si elle s’inscrit dans le cadre d’une activité économique destinée à générer des recettes publicitaires. Enfin, elle fait valoir que la copie transitoire n’est pas uniquement autorisée dans le cadre des opérations de “browsing” et de “caching” et que le marquage des copies ne peut être considéré comme une modification de l’information de nature à exclure l’application de l’exception de copie provisoire.
La société Wizzgo soutient ensuite qu’elle n’a pas la qualité de copiste dans le cadre de la réalisation de la copie privée. Elle rappelle que le service offert à l’utilisateur est entièrement gratuit, qu’elle ne retire aucun bénéfice analogue à celui d’un éditeur et que la copie privée ne fait l’objet d’aucune exploitation commerciale car la société ne diffuse pas d’annonces publicitaires lors de la visualisation des programmes mais insère celles-ci uniquement dans des espaces qui lui sont propres. Elle relève que les moyens nécessaires à la réalisation de la copie privée (ordinateur et logiciel) sont détenus exclusivement par l’utilisateur et exploités par lui seul.
La société Wizzgo déclare enfin que son service ne porte pas atteinte à l’exploitation normale des programmes et aux intérêts légitimes des défenderesses. Elle soutient, en effet, qu’elle ne détourne pas les téléspectateurs de la télévision, ce qui serait susceptible d’affecter l’estimation de l’audience des chaînes et d’avoir des conséquences sur leurs recettes publicitaires. Elle ajoute que le service Wizzgo ne fournit pas des prestations identiques à M6 replay et qu’il ne peut donc lui être reproché aucune atteinte à l’exploitation des programmes. Enfin, la société Wizzgo rappelle que sa plate-forme n’a d’autre objet que de fournir un magnétoscope virtuel ayant les mêmes fonctions qu’un magnétoscope traditionnel et que pas plus que ce dernier, elle ne porte atteinte aux intérêts légitimes des défenderesses mais qu’au contraire, elle attire spécialement l’attention des utilisateurs sur la responsabilité qu’ils encourraient en enfreignant les règles relatives à la copie privée.
La société Wizzgo conclut donc à la licéité de son activité ainsi qu’au rejet des demandes reconventionnelles des sociétés défenderesses fondées sur l’atteinte au droit d’auteur et aux droits voisins. Subsidiairement, elle conteste la réalité et l’étendue des préjudices allégués.
La société Wizzgo conteste, par ailleurs, l’existence d’une atteinte à la marque M6 et tout en reconnaissant la présence de la marque W9 sur la page d’accueil de son site internet, elle déclare qu’il s’agit d’une référence nécessaire, exclusive de tout risque de confusion et de toute contrefaçon. A titre subsidiaire, elle conteste la réalité et l’étendue du préjudice allégué.
Enfin, la société Wizzgo s’oppose aux demandes formées sur le fondement de la concurrence déloyale en reprenant les moyens et arguments précédemment développés et en relevant la nature différente des prestations fournies par son service et ceux mis en avant par la société TF1.
La société Wizzgo maintient donc sa demande en indemnisation du préjudice qu’elle subit du fait de la mesure d’interdiction relative aux programmes de deux importantes chaînes de télévision. Elle invoque un préjudice d’image et les difficultés suscitées par la procédure judiciaire auprès des investisseurs potentiels. Elle réclame la somme provisionnelle de 15 000 €, outre la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
Les sociétés du groupe M6 invoquent les droits d’auteur dont elles sont cessionnaires, les droits voisins de producteur, d’artiste-interprète et d’entreprise de communication télévisuelle. Elles font valoir que la société Wizzgo a porté atteinte à ces droits en reproduisant et en communiquant au public 210709 copies représentant 3583 heures de programmes diffusés sur les chaînes M6 et W9. Elles ajoutent que la société Wizzgo a, en outre, intégré un marquage et crypté les programmes, en violation des dispositions des articles L131-9 et L331-22 du Code de la propriété intellectuelle.
Les sociétés du groupe M6 soutiennent que la société Wizzgo ne peut se prévaloir de l’exception de copie privée qui suppose que la copie soit strictement réservée à l’usage de celui qui la réalise. Or, les défenderesses font valoir que la société Wizzgo est le copiste et que les copies qu’elle réalise ne sont pas destinées à son usage personnel mais à celui de ses clients. Elles relèvent que cette activité est de nature commerciale destinée à générer des revenus provenant de la vente d’espaces publicitaires et de la vente des données relatives à ses utilisateurs. Les défenderesses ajoutent que la société Wizzgo porte atteinte à l’exploitation normale de leurs programmes compte tenu des risques de diffusion illicite que font courir ces copies. Elles reprochent également à la société Wizzgo de détourner les utilisateurs de la télévision, de permettre l’accès des programmes depuis l’étranger et de priver d’intérêt les services M6 replay ainsi que les rediffusions des programmes. Elles soutiennent que ces effets portent atteinte à leurs intérêts légitimes en diminuant l’audience des chaînes de télévision M6 et W9, ce qui a pour effet de réduire les recettes publicitaires, les sommes prélevées au profit des auteurs ainsi que les investissements pour la production et l’acquisition d’oeuvres nouvelles, et de mettre en péril l’existence de nouveaux services comme M6 replay et M6 Web. Elles concluent qu’une activité qui élude toute rétribution des droits de propriété intellectuelle qui structure la création et la production audiovisuelle, remet en cause l’économie fragile de ce secteur.
Les sociétés du groupe M6 excluent également l’application de l’exception de copie transitoire car les copies réalisées n’ont pour objet ni une transmission efficace dans un réseau entre tiers par un intermédiaire ni une utilisation licite de l’oeuvre. Elles ajoutent que la société Wizzgo modifie l’information en procédant à son encryptage et en y intégrant un marquage sans respecter les dispositions de l’article L332-22 du Code de la propriété intellectuelle. Enfin, surabondamment, les défenderesses soutiennent que les copies ne présentent pas de caractère transitoire et qu’elles ont une valeur économique propre puisque les recettes publicitaires que génère ce service, sont directement fonction du nombre d’internautes utilisateurs.
Aussi, les défenderesses forment des demandes reconventionnelles tendant à la réparation de leurs préjudices en assimilant le service proposé par la société Wizzgo au service de vidéo à la demande. Elles réclament ainsi des dommages intérêts, la publication d’un communiqué judiciaire sur la page d’accueil du site www.wizzgo.com et dans deux quotidiens nationaux ainsi que l’interdiction d’exploiter le logiciel iWizz.
Les sociétés Métropole télévision et M6 Web en qualité respectivement de titulaire et de licenciée, reprochent en outre à la société Wizzgo d’avoir contrefait leur marque W9 pour désigner des produits et services identiques ou similaires à ceux visés dans l’enregistrement, en reproduisant celle-ci sur la page d’accueil de son site. Les défenderesses réclament ainsi chacune la somme forfaitaire de 10 000 € pour la reproduction non autorisée de leur marque comme marque d’appel.
Enfin, les sociétés du groupe M6 reprochent à la société Wizzgo des agissements parasitaires puisque son activité repose sur l’exploitation non rémunérée de leurs investissements. Les défenderesses relèvent, en outre, le caractère trompeur des informations diffusées par la société Wizzgo sur la licéité de son activité. En dernier lieu, la société Métropole télévision invoque l’avantage illégitime dont a bénéficié la société Wizzgo par rapport au service catch up tv qu’elle-même venait de mettre en place deux mois auparavant, en mars 2008. La société M6 Web réclame ainsi la somme de 30 000 € titre de dommages intérêts et les quatre autres sociétés chacune la somme de 10 000 €. Elles sollicitent, enfin, chacune une indemnité de 7500 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile et l’exécution provisoire du jugement.
Les sociétés du groupe TF1 déclarent qu’elles ont également adressé à la société Wizzgo une lettre de mise en demeure de cesser de reproduire leurs programmes et qu’elles ont saisi le juge des référés pour obtenir des mesures d’interdiction. Elles font valoir qu’elles ont intérêt à ce qu’il soit statué sur la licéité de l’activité de la société Wizzgo et concluent à la recevabilité de leur intervention volontaire.
Les sociétés intervenantes comme les sociétés du groupe M6, font valoir qu’il n’existe pas d’unité de personne entre le copiste et l’utilisateur et que la copie réalisée n’est pas destinée à un usage privé, peu important qu’elle soit remise gratuitement. Elles ajoutent que ces seules circonstances suffisent à écarter l’application de l’exception de copie privée sans qu’il soit nécessaire de rechercher s’il existe une atteinte à l’exploitation normale des programmes et aux intérêts légitimes des défenderesses.
Les sociétés du groupe TF1 écartent également l’exception de copie transitoire car la copie réalisée est définitive et n’est pas destinée à une utilisation licite des oeuvres dès lors que l’exception de copie privée n’est pas applicable. Elles relèvent, en outre, que les copies réalisées par la société Wizzgo ont une valeur économique propre et qu’elles portent atteinte à l’exploitation normale des programmes.
Les sociétés e-TF1 et TF1 vidéo soutiennent, par ailleurs, que l’activité de la société Wizzgo réalise une concurrence déloyale à l’égard de leurs propres services de mise en ligne des émissions de TF1 sur le site tf1.fr et de vidéo à la demande sur le site tf1.vision car elle tire profit de la notoriété, du savoir-faire et des investissements de TF1.
Elles sollicitent donc des mesures d’interdiction, la communication par la société Wizzgo d’informations lui permettant d’évaluer leur préjudice et d’ores et déjà, la publication d’un communiqué judiciaire sur le site wizzgo.com et dans deux quotidiens nationaux, le tout avec exécution provisoire. Enfin, elle réclame une indemnité de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
La société NT1 qui édite et diffuse les programmes de la chaîne de télévision NT1 et la société Panorama qui exploite lesdits programmes sur supports vidéo, sont également intervenues volontairement à l’instance. Elles indiquent qu’elles avaient également adressé une lettre de mise en demeure à la société Wizzgo et qu’elles ont saisi le juge des référés. Elles concluent à la recevabilité de leur intervention volontaire et faisant valoir que leurs programmes sont reproduits sans leur consentement en violation de l’article L216-1 et L215-1 du Code de la propriété intellectuelle, elles relèvent le caractère illicite de l’activité de la société Wizzgo.
Comme les autres défenderesses, elles écartent l’application des exceptions de copie privée et de copie transitoire. Elles invoquent également une atteinte à l’exploitation normale des programmes et des vidéogrammes et une atteinte à leurs intérêts légitimes. Elles déclarent ainsi qu’en cryptant les informations et en utilisant un procédé de marquage, la société Wizzgo s’approprie des pouvoirs qui n’appartiennent qu’aux titulaires des droits de propriété intellectuelle. Elles sollicitent donc des mesures d’interdiction, la communication d’informations leur permettant d’évaluer leur préjudice et la publication d’un communiqué judiciaire. Enfin, elles réclament une indemnité de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
DISCUSSION
Sur l’atteinte aux droits d’auteur et droits voisins
Le raisonnement juridique de la société Wizzgo tendant à démontrer la licéité de son activité repose sur l’existence de deux copies réalisées successivement par deux personnes distinctes : la société demanderesse puis l’utilisateur.
Il est constant que l’utilisateur demande à la société Wizzgo de procéder pour lui à l’enregistrement des programmes des chaînes de TNT qu’il a sélectionnés, que c’est donc la société Wizzgo qui va procéder à cet enregistrement puis qui va le transmettre à l’utilisateur sous une forme cryptée. Celui-ci doit ensuite procéder à son décryptage s’il veut visionner le programme.
Cependant, le fait de procéder à un décryptage ne constitue pas une opération d’enregistrement et de copie mais une opération technique qui rend accessible dans un langage clair, des informations pré-existantes, en leur restituant leur forme première.
Ainsi, la copie décryptée n’est pas une copie distincte de la copie réalisée par la société Wizzgo et l’opération de décryptage accomplie par l’utilisateur ne fait pas de lui un copiste. Il convient d’ailleurs de relever que les débats n’ont pas fait apparaître la nécessité technique de ces opérations de cryptage et de décryptage dans la transmission de la copie et que celles-ci paraissent davantage répondre à un besoin de confidentialité allégué par la demanderesse.
Dès lors, la copie réalisée par la société Wizzgo ne présente pas de caractère transitoire puisque décodée, elle pourra être conservée de manière définitive par son utilisateur.
Cette copie est, par ailleurs, dotée d’une valeur économique propre puisqu’elle constitue l’assise de l’activité commerciale de la société Wizzgo laquelle repose sur la création et le développement d’un groupe d’utilisateurs de ce service d’enregistrement en ligne, réceptifs à des annonces publicitaires.
Par ailleurs, la société Wizzgo étant le créateur de la copie mais n’en étant pas l’utilisateur, l’exception de copie privée n’est pas applicable et la réalisation de la copie, même si elle ne génère pas directement une recette, ne présente donc pas de caractère licite.
Ainsi, ce n’est que surabondamment que le présent jugement reprendra les développements de l’ordonnance de référé du 6 août 2008 sur les atteintes à l’exploitation normale des programmes et aux intérêts légitimes des défenderesses par une activité qui élude le paiement des droits de propriété intellectuelle et qui perturbe l’équilibre économique de la création et de la production des oeuvres audiovisuelles.
La société Wizzgo étant mal fondée à se prévaloir des exceptions de copie transitoire et de copie privée, son activité doit être déclarée contrefaisante à l’égard de :
– des sociétés Métropole télévision, Edi TV. M6 Web, Studio 89 productions et C productions, pour avoir reproduit et communiqué au public les programmes diffusés sur les deux chaînes de télévision M6 et W9 sans les autorisations qu’elles auraient dû accorder en leurs qualités de cessionnaires des droits d’auteur et d’artistes-interprètes, de producteurs et d’entreprises de communication audiovisuelle,
– des sociétés TF1, TF1 vidéo et e-TF1 pour avoir reproduit et communiqué au public les programmes diffusés sur la chaîne de télévision numérique TF1 et sur les sites www.tf1.fr et www.tf1vision.com sans les autorisations qu’elles auraient dû consentir en leurs qualités titulaires des droits d’exploitation des oeuvres, de producteur et d’entreprise de communication audiovisuelle,
– des sociétés NT1 et Panorama pour avoir reproduit et communiqué au public les programmes diffusés sur la chaîne de télévision NT1 sans les autorisations qu’elles auraient dû consentir en leur qualité d’entreprise de communication audiovisuelle pour la première et de cessionnaire de droits d’auteur et de producteur de vidéogrammes pour la seconde.
Il y a donc lieu de rejeter la demande de la société Wizzgo tendant à voir déclarer licite le service d’enregistrement des programmes en ligne accessible à l’adresse www.wizzgo.com et obtenir une indemnisation du préjudice résultant des mesures d‘interdiction prises en référé.
En revanche, il y a lieu de faire droit aux demandes des sociétés
– Métropole télévision, Edi TV, M6Web. Studio 89 et C productions
– TF1, TF1 vidéo et e-TF1,
– NT1 et Panorama,
tendant à obtenir l’interdiction sous astreinte pour la société Wizzgo de copier, reproduire, communiquer ou/et mettre à la disposition du public via le service Wizzgo et/ou le logiciel iWizz les oeuvres et programmes produits ou diffusés par elles.
Les sociétés du groupe M6 sollicitent, par ailleurs, une indemnisation forfaitaire du préjudice résultant de l’exploitation de leurs programmes. Selon les informations communiquées en exécution de l’ordonnance de référé du 6 août 2008, la société Wizzgo a réalisé 119 329 copies de programmes diffusés sur la chaîne M6 et 95 380 copies de programmes diffusés sur la chaîne W9. Par ailleurs, elle déclare que les recettes publicitaires générées par son service de téléchargement en ligne se sont élevées à 1294,76 €.
Les demanderesses reconventionnelles exposent que le service proposé par la société Wizzgo se rapproche de celui de la vidéo à la demande en ce qu’il permet à l’utilisateur d’obtenir et de conserver les programmes des chaînes M6 et W9. Elles ajoutent que le prix moyen de vidéo à la demande est de 2,76 € ttc et que le prix obtenu après une remise distributeur de 30 % est en moyenne de 1,60 € ht par copie réalisée et téléchargée.
La société Wizzgo critique ce mode d’évaluation en faisant valoir que le service de vidéo à la demande de M6 vidéo est actuellement désactivé, que les tarifs proposés ne sont donc pas justifiés et qu’il n’existe pas de manque à gagner. Elle rappelle, par ailleurs, la faiblesse des recettes publicitaires qu’a créées son activité et propose que le préjudice allégué par les demanderesses reconventionnelles soit évalué sur cette base.
Selon l’article L331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle, l’indemnisation forfaitaire telle que sollicitée par les demanderesses, ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a été porté atteinte.
Il y a lieu de constater que l’indemnisation forfaitaire ne tient pas compte des recettes ou bénéfices que l’activité contrefaisante a pu engendrer.
Par ailleurs, les sociétés du groupe M6 se réfèrent à la vidéo à la demande pour évaluer leur préjudice dans la mesure où c’est ce service qui se rapproche le plus de celui proposé par la société Wizzgo et que les tarifs qui auraient pu être appliquer si celle-ci avait sollicité l’autorisation de reproduire les programmes, auraient donc pu être du même ordre de grandeur. Dans ce cadre, il importe peu que les services de M6 vidéo ne soient pas actifs dès lors qu’il s’agit d’un mode d’évaluation des droits perdus et non pas du calcul d’un manque à gagner de cette branche d’activité. Par ailleurs, il y a lieu de constater que le tarif proposé par les demanderesses ne présente pas de caractère excessif au regard du marché.
Ainsi, compte tenu des éléments soumis au tribunal le préjudice subi par la société Métropole télévision sera fixé à la somme forfaitaire de 230 478 € et celui subi par la société Edi TV à la somme forfaitaire de 190 760 €.
Les autres demanderesses reconventionnelles ne disposant pas des éléments nécessaires pour apprécier l’étendue de leur préjudice, il sera fait droit à leurs demandes de communication d’information.
Enfin, à titre de réparation complémentaire du préjudice subi, il y aura lieu de prévoir la publication d’un communiqué judiciaire sur le site internet de la société Wizzgo ainsi que dans des quotidiens nationaux dans les termes du dispositif du présent jugement.
Sur l’atteinte au droit des marques
La société Métropole télévision est titulaire de la marque dénominative W9 déposée à l’Inpi le 4 septembre 2000, et enregistrée sous le numéro 3049751 pour des produits et services des classes 9, 16, 25, 28, 35, 36, 38, 41 et 42.
Selon un contrat publié au registre national des marques le 31 mars 2008, la société M6 Web est titulaire d’une licence d’exploitation.
Un procès-verbal de constat réalisé par huissier de justice le 11 juin 2008 a fait apparaître que la marque W9 figurait sur la page d’accueil du site www.wizzgo.com , au côté d’un ensemble de petites icônes et la mention “Gratuit enregistrez toute la TNT”.
La reproduction de la marque sur la page d’accueil du site ne constitue pas une référence nécessaire car la marque ne figure pas dans une liste des chaînes de télévision susceptibles de donner lieu à la mise en oeuvre de l’enregistrement en ligne mais sert à illustrer une annonce publicitaire “Gratuit enregistrez toute la TNT” et est ainsi utilisée comme marque d’appel pour entraîner l’adhésion des internautes au service d’enregistrement en ligne proposé par la société Wizzgo.
La reproduction et l’usage non consentis de la marque W9 constituent donc un acte de contrefaçon.
La chaîne de télévision W9 est une des chaînes de TNT les plus performantes. Sa marque a été utilisée pour les besoins de promotion du service d’enregistrement Wizzgo pendant 2 mois et a été vue par des centaines de milliers d’internautes, 214 000 s’étant effectivement inscrits.
Compte tenu de ces éléments, il sera alloué à la société Métropole télévision et à la société M6Web la somme de 10 000 € chacune, à titre de dommages intérêts.
Sur la concurrence déloyale et parasitaire
Les sociétés du groupe M6 reprochent à la société Wizzgo de tirer indûment profit des investissements qu’elles réalisent en s’affranchissant des coûts de production, acquisition et promotion des oeuvres audiovisuelles ainsi que des règles relatives à la communication audiovisuelle.
Les sociétés du groupe M6 reprochent également à la société Wizzgo sa publicité fondée sur la licéité de son service qui affaiblit les messages relatifs à la lutte contre la contrefaçon.
Enfin, la société M6 Web fait valoir que le service d’enregistrement Wizzgo est venu en concurrence avec son service de catch up tv intitulé M6 replay, qu’elle avait lancé au mois de mars 2008 qui ne propose pas le visionnage des longs métrages diffusés sur M6 en l’absence de cession des droits ni la possibilité de réaliser une copie.
Les sociétés du groupe TF1 déclarent également que l’activité commerciale de la société Wizzgo réalise une concurrence déloyale à leur égard en permettant d’accéder gratuitement de manière illicite à l’ensemble des programmes et en tirant ainsi profit des investissements, du savoir-faire et de la notoriété de TF1. Elles font ainsi valoir que le service d’enregistrement de la société Wizzgo concurrence les services de la société e-TF1 qui met en ligne les programmes de la société TF1 et de la société TF1 vidéo qui propose un service de vidéo à la demande.
Cependant, il n’apparaît pas que les faits reprochés à la société Wizzgo dans le cadre de la concurrence déloyale et parasitaire soient distincts des faits de contrefaçon dans la mesure ou ce sont ces derniers qui permettent effectivement à la société Wizzgo de s’affranchir des coûts que génèrent la production et l’acquisition des oeuvres audiovisuelles et de bénéficier des investissements réalisés par les demanderesses reconventionnelles.
Le fait que la société Wizzgo ait prétendu que son activité était licite est également intimement liée à la possibilité d’invoquer ou non l’exception de copie privée et au caractère contrefaisant du service proposé.
Enfin, le caractère fautif de la concurrence que le service d’enregistrement en ligne peut représenter pour les services assez proches de vidéo à la demande ou de streaming ne repose que sur la contrefaçon.
Dès lors, les demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire seront rejetées.
L’exécution provisoire compatible avec la nature de l’affaire est nécessaire afin de mettre fin au dommage résultant d’un procédé illicite en ce qu’il fait échec aux règles de la propriété intellectuelle. Cette nécessité toutefois n’apparaît pas pour la mesure de publication dans des quotidiens nationaux.
Il sera alloué aux défenderesses les sommes fixées au dispositif, sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile
DECISION
Statuant publiquement par mise à disposition du jugement au greffe, contradictoirement et en premier ressort,
. Déclare recevables les interventions volontaires des sociétés TF1 et e-TF1 et TF1 vidéo, NT1 et Panorama,
. Dit que la société Wizzgo ne peut valablement se prévaloir des exceptions de copie transitoire et de copie privée,
. Dit que la société Wizzgo a commis des actes de contrefaçon en reproduisant et communiquant au public, sans autorisation, des programmes produits et diffusés par les sociétés :
– Métropole télévision, Edi TV, M6Web, Studio 89 productions et C Productions,
– TF1, e-TF1 et TF1 vidéo.
– NT1 et Panorama,
. Fait interdiction à la société Wizzgo de copier, reproduire, communiquer et mettre à la disposition du public au moyen du logiciel iWizz, les programmes produits et ou diffusés par les sociétés
– Métropole télévision, Edi TV, M6Web, Studio 89 productions et C Productions,
– TF1, e-TF1 et TF1 vidéo,
– NT1 et Panorama,
sous astreinte de 10 000 € par infraction constatée passé la signification du jugement,
. Condamne la société Wizzgo à publier en partie haute de la page d’accueil du site www.wizzgo.com ou de tout autre site qui pourrait lui être substitué, pendant une durée d’un mois, dans le délai de quarante huit heures suivant la signification du jugement le communiqué suivant :
“par un jugement du 25 novembre 2008, le tribunal de grande instance de Paris a jugé que les copies des programmes diffusés sur les chaînes de télévision M6, W9, TF1 et NT1 réalisées par la société Wizzgo pour le compte des internautes ne relevaient pas de l’exception de copie privée et de copie transitoire et portaient atteinte aux droits de propriété intellectuelle des producteurs et diffuseurs de ces programmes.
En conséquence, la société Wizzgo a été condamnée à indemniser les préjudices subis et à cesser de copier et mettre à la disposition du public les programmes diffusés par les chaînes M6, W9, TF1 et NT1. »
. Ordonne la publication de ce même communiqué dans deux quotidiens nationaux choisis d’un commun accord par l’ensemble des sociétés demanderesses reconventionnelles, aux frais de la société Wizzgo et dans la limite de trois mille euros ht par insertion, sous astreinte de 1000 € par jour de retard passé la date à laquelle le jugement aura acquis un caractère définitif,
. Condamne la société Wizzgo à payer à la société Métropole télévision, Studio 89 productions et C Productions ensemble la somme de 230 478 € du fait des copies non autorisées de programmes effectuées à partir de la chaîne de télévision M6,
. Condamne la société Wizzgo à payer à la société Edi TV, Studio 89 productions et C Productions ensemble la somme de 190 760 € du fait des copies non autorisées de programmes effectuées à partir de la chaîne de télévision W9,
. Enjoint à la société Wizzgo de communiquer :
1/ aux sociétés TF1, e-TF1 et TF1 vidéo :
– le nombre d’heures total de programmes copiés sur la chaîne de télévision TF1 et transférés de la mise en place du service jusqu’au prononcé du jugement,
– la liste et le nombre d’heures détaillé par programmes copiés de TF1 depuis la mise en place du service jusqu’au prononcé du jugement,
– le montant des recettes publicitaires et commerciales (cessions de données personnelles, d’adresses internet) générées par le site www.wizzgo.com et le service d’enregistrement en ligne qu’il permet,
ces communications devant être assorties de toutes pièces justificatives correspondantes,
dans le délai de quinze jours suivant la signification du jugement et sous astreinte de 5000 € par jour de retard passé ce délai,
2/ aux sociétés NT1 et Panorama :
– le nombre d’heures total de programmes copiés sur la chaîne de télévision NT1 transférés de la mise en place du service jusqu’au prononcé du jugement,
– la liste et le nombre d’heures détaillé par programmes copiés de NT1 depuis la mise en place du service jusqu’au prononcé du jugement,
– le nombre d’internautes inscrits au service d’enregistrement en ligne au jour du prononcé du jugement,
– le montant des recettes publicitaires générées par le site www.wizzgo.com et le service d’enregistrement en ligne qu’il permet,
dans le délai de quinze jours suivant la signification du jugement et sous astreinte de 5000 € par jour de retard passé ce délai,
. Se réserve la liquidation des astreintes,
. Donne acte aux sociétés :
– TF1, e-TF1 et TF1 vidéo d’une part,
– NT1 et Panorama d’autre part,
de leurs réserves relatives à toutes actions en réparation des préjudices subis une fois qu’il aura été satisfait à leur demande de communication de pièces,
. Dit que la société Wizzgo a commis une contrefaçon de la marque W9 en la reproduisant sur la page d’accueil de son site www.wizzgo.com,
. La condamne à payer à la société Métropole télévision et à la société M6 Web la somme de 10 000 € chacune, à titre de dommages intérêts,
. Dit qu’il n’est pas établi que la société Wizzgo a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire distincts de la contrefaçon au préjudice des sociétés
– Métropole télévision, Edi TV, M6 Web, Studio 89 productions et C Productions,
– TF1, e-TF1 et TF1 vidéo, pour concurrence déloyale.
. Rejette les demandes en dommages intérêts des sociétés Métropole télévision, Edi TV, M6 Web, Studio 89 productions et C Productions,
. Condamne la société Wizzgo à payer sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, les sommes de :
– 2000 € à chacune des sociétés Métropole télévision, Edi TV, M6 Web, Studio 89 productions, C Productions,
– 10 000 € ensemble aux sociétés TF1, e-TF1 et TF1 vidéo,
– 10 000 € ensemble aux sociétés NT1 et Panorama,
. Ordonne l’exécution provisoire de ces dispositions à l’exception de celle relative à la publication d’un communiqué judiciaire dans deux quotidiens nationaux,
. Condamne la société Wizzgo aux dépens,
Le tribunal : Mme Marie-Christine Courboulay (vice président), Mme Marie-Claude Hervé (vice président), Mme Cécile Viton (juge)
Avocats : Me Marc Schuler, Me Anne Perrin, Me Nicolas Brault, Me Olivier Sprung, Me Danielle Elkrief
Notre présentation de la décision
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.