Jurisprudence : Diffamation
Tribunal de Grande Instance de paris 17ème ch, chambre de la presse Jugement du 12 octobre 2000
Alain B. / Association Vienne Informatique
devoir de vigilance - forum de discussion - propos injurieux - responsabilité de l'hébergeur
Thierry M. et Alain B.., informaticiens, ont élaboré un système de forums de discussion d’un nouveau type, baptisé » NiouZeNet « , en stockant un forum sur un seul ordinateur serveur, permettant ainsi d’établir un dialogue rapide entre les utilisateurs.
Ils ont, en outre, rédigé une liste de recommandations (charte, » Netiquette « , code de déontologie) que doivent respecter les différents forums de discussion ainsi gérés.
L’association Vienne Informatique – union des associations et clubs informatiques du département de la Vienne – est une association fondée le 31 décembre 1984 qui est soumise aux dispositions de la loi du 1er juillet 1901.
Cette association se compose des représentants du conseil général de la Vienne, de tous les maires ou leurs représentants qui ont bénéficié de l’action mise en place par le conseil général en faveur de l’informatique et, enfin, d’un responsable par club informatique adhérent, après admission par le conseil d’administration de l’association.
Elle a pour objet de » regrouper les associations et clubs informatiques communaux et leur apporter les prestations suivantes :
– formation, animation,
– diffusion de logiciels informatiques et télématiques,
– liaison avec le service de maintenance,
– rencontres, échanges, information,
– toutes actions de nature à développer la mise en place du plan informatique départemental « .
Cette association dispose sur internet d’un » serveur de news » qui permet aux adhérents des clubs informatiques de la Vienne, depuis le mois d’août 1997, de bénéficier de l’apport de plusieurs forums de discussion, en accédant au système » NiouZeNet « .
La page d’accueil du serveur de l’association précise par ailleurs :
– qu’il s’agit » d’un serveur indépendant qui n’est pas relié à d’autres serveurs de Usenet. Tous les articles postés restent donc uniquement sur ce serveur » ;
– qu’il existe » deux hiérarchies de groupes de discussion sur ce serveur :
. vi.* Groupes de discussion réservés aux clubs informatiques faisant partie de Vienne Informatique,
. nzn.* Groupes de discussion publics, accessibles par tout le monde (…) » et il est renvoyé à » la section NiouZeNet » qui indique, notamment, le groupe « nzn.fr.niouzenet ».
Il est, en outre, indiqué à la page 2 du site que ce dernier est accessible de deux manières :
– » sans authentification : dans ce cas, vous aurez accès à tous les groupes de la hiérarchie NiouZeNet hébergée sur le serveur » ;
– » avec authentification : vous aurez accès à tous les groupes des hiérarchies NiouZeNet et Vienne Informatique « .
Très vite, des difficultés sont apparues dans la gestion du forum « nzn.fr.niouzenet » relatives à la convivialité de celui-ci et à l’application de la charte élaborée par Alain B.. au point de dégénérer en un véritable conflit ouvert entre celui-ci et ses utilisateurs.
Procédure
Dans le cadre d’une assignation en date du 17 juin 1999, Alain B.. estime, sur le fondement des articles 9 et 1382, 1383 du code civil, que l’association Vienne Informatique a porté atteinte » à l’intimité de sa vie privée, à son honneur et à sa réputation » en diffusant sur le forum de discussion « nzn.fr.niouzenet » :
– des propos tenus par Gérard Fernandez le qualifiant, le 14 novembre 1997, de » petit chef sur l’ensemble des forums français » puis, le 17 novembre suivant, de » fou, malade mental, psychopathe » ;
– le message qui lui a été adressé par Alfred Heckenmeyer : » Arrête tes conneries de nazi à la con, tu es pire que le sida, oui le sida on peut s’en protéger, mais toi chapeau bas tu as trouvé le virus imparable. Tu es une plaie sale et gluante, une honte pour tous les internautes, tu me dégoûtes, tu es tout ce que je n’aime pas » ;
– les affirmation de Pierre Grandjean : » Je pense que si B.. avait vécu du temps de l’Occupation, il aurait sans scrupules vendu et envoyé à la déportation : ses voisins, ses relations, ses amis… à la Gestapo » ;
– les insinuations de Gérard Ferrandez : » Au fait y a un truc qui aiguise ma curiosité… tu travailles ? non parce que moi j’ai pas l’impression, ça prend du temps toutes ces conneries non ? » ;
– en juin 1998, les propos d’Edouard Bernard, qui estime que le demandeur est un » paranoïaque qui hurle » ;
– la réponse de Philippe Marasse (ingénieur au conseil général de la Vienne et administrateur bénévole des serveurs de l’association Vienne Informatique) à la requête d’Alain B.., tendant à mettre un terme à ces diffusions : » Pour l’histoire du paranoïaque et de la camisole, je trouve que c’est une jolie métaphore » ;
– les propos du cofondateur de NiouZeNet, Thierry M., qui a qualifié le demandeur de » pollueur » et de » saboteur qui distille la calomnie à longueur d’articles » ;
– l’intervention de Pierre Grandjean qui le traite de » trou du cul » et celle d’Alfred Heckenmeyer qui accrédite l’idée qu’il est » débile » ;
– les déclarations dont le ou les auteurs ne sont pas identifiés, selon lesquelles les idées d’Alain B.. sont comparables à celles soutenues dans » Mein Kampf « .
Moyens et prétentions des parties
Alain B.. et l’association Vienne Informatique ont conclu respectivement les 5 et 12 mai 2000, par dernières conclusions récapitulatives.
Le tribunal se réfère expressément et par visa à ces écritures, pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du nouveau code de procédure civile.
Alain B.. fait valoir que :
– en dépit de trois lettres de réclamation adressées à l’association Vienne Informatique les 11, 29 août et 14 septembre 1998, celle-ci a laissé circuler pendant plus de douze mois des propos discréditant sa personnalité alors :
. qu’elle ne pouvait techniquement intervenir,
. qu’elle lui a interdit l’accès aux forums de discussion,
. qu’elle a diffusé ses coordonnées personnelles sur le forum ;
– la fonction de l’association Vienne Informatique excède le rôle d’un simple transporteur d’informations, dès lors qu’elle héberge, gère et anime le forum de discussion « nzn.fr.niouzenet » ;
– la défenderesse a manqué à son devoir de veiller à la bonne moralité de ceux qu’elle héberge.
Alain B.. demande, en conséquence, au tribunal sous le bénéfice de l’exécution provisoire de :
– dire et juger que l’association Vienne Informatique a eu un comportement fautif, lui causant un préjudice moral certain et direct ;
– condamner l’association Vienne Informatique à procéder à la publication de la décision à intervenir pendant un mois sur la page d’accueil des sites http://www.niouze.net, http://www.niouzenet.org et http://www.vienneinfo.org, à ses frais, sous astreinte de 5 000 F par jour de retard à compter de la date de la décision à intervenir aux justifications des diligences en ce sens ;
– dire et juger qu’il ne doit pas être l’objet de procédure d’exception pour accéder et participer aux forums NiouZeNet ;
– condamner l’association Vienne Informatique à lui verser la somme de 120 000 F à titre de dommages-intérêts pour atteinte à l’intimité de sa vie privée, à son honneur et à sa réputation ;
– dire et juger que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir ;
– condamner l’association Vienne Informatique à lui payer la somme de 25 000 F en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
– condamner l’association Vienne Informatique aux entiers dépens, lesquels comprendront les frais de constat d’huissier, dont distraction sera ordonnée, pour ceux la concernant, au profit de Me Gérard Haas, avocat, conformément à l’article 699 du nouveau code de procédure civile
L’association Vienne Informatique réplique que :
– Alain B.. n’a eu de cesse de harceler les serveurs de NiouZeNet, dont l’association, en diffusant depuis 1997 des messages polémiques, afin d’obtenir leur adhésion à la liste de recommandations (charte) qu’il a rédigée lors de la mise en place du système ;
– la polémique générée par le demandeur a atteint un tel niveau que M. Marasse, qui anime l’ensemble des forums hébergés sur le serveur de l’association, a décidé le 30 novembre 1997 de » purger » le forum « nzn.fr.niouzenet », puis, dans un second temps, d’inviter ses usagers à la courtoisie dans les discussions ;
– Alain B.. a, cependant, téléchargé certains des propos désagréables circulant sur le serveur, ainsi que des messages privés reçus dans sa boîte aux lettres, pour de nouveau les diffuser sur le forum et relancer la polémique ;
– contrairement aux allégations du demandeur, la jurisprudence n’a pas consacré le principe de la responsabilité de l’hébergeur, au regard du contenu qu’il héberge.
L’association rappelle, à cet égard, qu’elle ne perçoit aucune rémunération en contrepartie de l’hébergement sur son serveur, de sites ou de forums de discussion publics quels qu’ils soient et qu’elle n’offre ni ne garantit l’anonymat aux » contributeurs « , lesquels sont responsables des messages qu’ils postent sur les forums hébergés.
A titre subsidiaire, elle ajoute que ces forums n’ont jamais été modérés, conformément à la volonté des fondateurs du système élaboré par Alain B.. et qu’il ne peut donc être prétendu qu’elle aurait pour rôle de gérer les messages reçus sur le groupe de discussion et notamment de les lire avant qu’ils ne soient postés sur celui-ci.
Elle estime que, dans ces conditions, elle n’a ni encouragé ou facilité les messages reçus par Alain B.. et qu’il appartient à celui-ci d’agir contre leurs auteurs dont l’identité est connue.
L’association Vienne Informatique prétend, dès lors, que l’action intentée par Alain B.. constitue de sa part une ultime manœuvre pour la faire plier à ses volontés, alors qu’il a lui-même contribué au préjudice qu’il invoque.
La défenderesse demande, en conséquence, au tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, de :
– débouter Alain B.. de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– condamner Alain B.. à lui verser la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts et avec intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir,
– condamner Alain B.. à lui verser la somme de 15 000 F en application de l’article 700 du NCPC, outre les entiers dépens conformément aux dispositions de l’article 699 du même code.
Motifs
Attendu qu’il n’est pas contesté que l’association Vienne Informatique est un fournisseur d’hébergement qui offre notamment aux contributeurs la possibilité d’accéder à un forum de discussion particulier via un nouveau système – le NiouZeNet – dont il est acquis au débat que les dialogues sont mis à jour de manière quasi instantanée et qu’ils peuvent être consultés librement, pendant plusieurs jours, sans aucune modération et par un large public ;
que le tribunal constate que l’association Vienne Informatique a veillé au respect des règles de la » Netiquette « , en mettant en place un ensemble de précautions déontologiques et éthiques à l’attention de tous les internautes qui ont accédé, par son intermédiaire, à une discussion publique, en leur signalant page 3 de son site qu’il est possible d’obtenir la charte mise en place à cet effet 1998, en visitant » le miroir » du site NiouZeNet ;
que, ce faisant, elle a permis aux hébergés et aux » contributeurs » d’être informés des droits et, surtout, des obligations qui sont les leurs, et a pris les précautions nécessaires et raisonnables pour éviter de léser les droits des tiers ;
Attendu que la particularité de l’espèce est liée au fait que le forum « nzn.fr.niouzenet », sur lequel les propos litigieux ont été diffusés, a justement pour objet d’instaurer un dialogue sur les modalités de gestion techniques et éthiques, du système NiouZeNet, en vue de la rédaction d’une nouvelle charte de fonctionnement ;
Attendu qu’il n’est pas contesté que le conflit opposant le rédacteur de la premier charte aux utilisateurs de ce système a dégénéré en prise à partie individuelle d’Alain B.., dans le cadre d’un débat public, au point que l’association Vienne Informatique a dû intervenir et » purger » certains dialogues contraires aux règles de bienséance et de courtoisie élémentaires, ce qui démontre, si besoin en était, que la défenderesse a la possibilité technique d’intervenir a posteriori sur le forum et de ne pas laisser sur le site des dialogues injurieux ;
Attendu qu’Alain B.. maintient, cependant, que cette intervention a été insuffisante et que l’association a engagé sa responsabilité, en laissant les propos litigieux revenir, puis se maintenir sur le forum de discussion « nzn.fr.niouzenet » ;
Attendu que, pour justifier le bien-fondé de ses prétentions et établir l’existence des propos injurieux dont il aurait été victime pendant plusieurs mois, Alain B.. verse aux débats deux procès-verbaux de constat :
. le premier, daté du 6 novembre 1998, fait état de la réception » d’un Zip 100 Disk contenant une disquette » ainsi que d’un » CD-Rom portant la mention Imation CD-R650/74 contenant le forum « nzn.fr.niouzenet » sur le serveur Vienne Informatique et contenant les propos tenus du 28 novembre 1997 au 31 mai 1998 » ;
que ces deux pièces ne sont, cependant, pas dans le dossier et ne figurent d’ailleurs pas dans la liste des pièces communiquées à l’association Vienne Informatique, étant observé qu’il n’a pas été produit de support écrit de leur contenu ;
que seul le procès-verbal de constat proprement dit est mentionné dans cette liste ;
. le second, daté du même jour, reprend en copie la retranscription de certains des propos tenus à des dates différentes sur le forum « nzn.fr.niouzenet » et dont, seul, celui du jeudi 26 février 1998 est poursuivi par le demandeur, soit : » arrête (…) les conneries de nazi à la con, tu es pire que le sida, oui le sida on peut s’en protéger, mais toi chapeau bas tu as trouvé le virus imparable. Tu es une plaie sale et gluante, une honte pour tous les internautes, tu me dégoûtes, tu es tout ce que je n’aime pas. » ;
que l’existence, voire la date des autres propos incriminés par Alain B.., ne figurent pas dans ce constat et ne permettent donc pas au tribunal de vérifier la chronologie des faits dénoncés par le demandeur ;
Attendu qu’à l’exception unique et ponctuelle du second constat d’huissier en date du 6 novembre 1998, qui d’ailleurs ne rapporte pas la totalité des discussions poursuivies par le demandeur, il n’est donc pas établi que des propos injurieux ont été diffusés après l’intervention de l’association, voire qu’ils ont perduré après l’établissement de ce constat ;
qu’en l’état, Alain B.. ne démontre donc pas que l’association Vienne Informatique a manqué de vigilance et n’est pas intervenue sur le site dans les limites de ses compétences, étant observé que ce tribunal n’est saisi, à ce jour, d’aucune demande tendant à la suppression sur ce même site des discussions incriminées ;
Attendu qu’il convient, en outre, de considérer qu’Alain B.. a largement alimenté cette polémique en maintenant que, contre l’avis de l’ensemble de ses interlocuteurs, ses revendications sur son propre site internet – qui, imprimé, représente un dossier de 65 pages – en critiquant systématiquement les termes de la nouvelle charte et en rappelant la censure dont il a fait l’objet de la part des différents serveurs adhérant au NiouZeNet ;
qu’enfin, il y a lieu de constater que :
– le demandeur a toujours connu l’identité des différents intervenants et pouvait directement et individuellement s’adresser aux auteurs des propos litigieux pour essayer d’y mettre un terme ;
– Alain B.. a choisi de rédiger trois courriers ayant pour objet de rétablir sa propre charte au sein du système NiouZeNet, mais que ces lettres n’ont pas été adressées au dirigeant de l’association, mais à M. Monory, président du conseil général de la Vienne, afin qu’il intervienne auprès de celle-ci ;
– que, dans ces conditions, Alain B.. doit être débouté de sa demande en indemnisation ;
Attendu qu’Alain B.. ne rapporte pas la preuve de ce que l’association Vienne Informatique, qui n’est d’ailleurs qu’un des hébergeurs du site « groupe nzn.fr.niouzenet », lui en interdise toujours l’accès ;
que sa demande relative à la procédure d’exception, dont il serait l’objet de la part de l’association pour accéder et participer aux forums NiouZeNet, doit en conséquence être rejetée.
Sur la demande d’indemnisation formée par l’association Vienne Informatique
Attendu que l’association Vienne Informatique ne démontre pas qu’Alain B.. a agi dans l’intention de nuire, alors qu’en l’espèce le demandeur a pu se méprendre sur l’étendue de ses droits ;
qu’il y a donc lieu de la débouter de sa demande en dommages-intérêts.
Sur l’exécution provisoire Attendu que les circonstances de l’espèce rendent sans objet l’exécution provisoire de la présente décision.
Sur les frais irrépétibles
Attendu que les conditions d’application des dispositions de l’article 700 du NCPC ne sont pas réunies en faveur des parties ;
qu’il convient, dès lors, de les débouter des demandes formées à ce titre.
Sur les dépens
Attendu qu’Alain B.. succombe dans ses prétentions ; qu’il sera condamné aux entiers dépens qui seront recouvrés dans les conditions de l’article 699 du NCPC.
La décision
Le tribunal, par jugement prononcé en audience publique, par décision contradictoire susceptible d’appel :
. déboute Alain B.. de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
. déboute l’association Vienne Informatique de sa demande en dommages-intérêts ;
. dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire de la présente décision ;
. dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du NCPC ;
. condamne Alain B.. à supporter les entiers dépens avec distraction au profit des avocats qui en ont fait la demande dans les formes de l’article 699 du NCPC.
Le tribunal : Mme Catherine Bézio (vice-président), Mmes Isabelle Pulver et Corinne Hermerel (juges).
Avocats : Mes Gérard Haas et Joëlle Méar.
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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.