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Jurisprudence : Responsabilité

jeudi 14 mai 2009
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Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 3ème section Jugement du 13 mai 2009

L'Oréal et autres / eBay France et autres

contrefaçon - hébergeur - lcen - publicité - responsabilité - ventes

FAITS ET PRETENTIONS

Le Groupe L’Oréal à travers ses différentes sociétés est l’un des acteurs mondiaux majeur dans le domaine de la création, de la fabrication et de la distribution de parfums, de cosmétiques et de produits de soins. Parmi les parfums célèbres créés par ce Groupe figurent notamment ceux de Lancôme (Trésor, O de Lancôme, Hypnôse…) ceux de Cacharel (Amor, Amor Amor, Anaïs Anaïs etc…) ceux d’Armani (Acqua di Gio, Armani Code …) et ceux de Ralph Lauren (Polo, …). Ces parfums figurent parmi les plus vendus au monde.

Le Groupe L’Oréal est organisé comme suit :
– les sociétés L’Oréal, Lancôme Parfums Beauté & Cie, The Polo company L.P. et GA Modefine sont titulaires des différentes marques désignant les produits ;
– la société L’Oréal Produit de Luxe France distribue et vend les produits de marques en France ;
– les sociétés Parfums Cacharel et Compagnie, Prestige & Collections International, Lancôme Parfums et Beauté & Cie et Parfums Ralph Lauren sont habilitées à donner des agréments dans le cadre des réseaux de distribution sélective respectivement pour les marques Cacharel, Armani, Lancôme et Ralph Lauren.

Les huit sociétés demanderesses, toutes filiales du Groupe L’Oréal sont donc titulaires, distributeurs ou agréent les distributeurs des différentes marques en cause à savoir :
– Poême (marque française) n° 97 681 429 déposée le 6 juin 1997,
– Lancôme (marque française) n° 1 595 133 déposée le 25 juin 1980
– Trésor (marque française) n° 1 369 732 déposée le 8 septembre 1986
– Ô de Lancôme (marque française) n° 1 396 098 déposée le 26 février 1987
– Attraction (marque internationale désignant la France) n° 561 070 déposée le 5 octobre 1990,
– Hypnose (marque française) n° 04 3 328 579 déposée le 8 décembre 2004
– Ô oui (marque française) n° 98 711 81 déposée le 6 janvier 1998
– Miracle (marque française) n° 99 809 054 déposée le 24 août 1999
– Magie Noire (marque française) n° 1 462 107 déposée le 25 avril 1988 dont la société Lancôme Parfums et Beauté et Cie est titulaire,
– Ralph (marque française) n° 00 3 004 déposée le 28 janvier 2000,
– Polo (marque française) n° 1 501 334 déposée le 16 décembre 1987
– Polo Sport Ralph Lauren (marque française) n° 94 549 529 déposée le 16 décembre 1994
– Ralph Lauren (marque française) n° 1 438 048 déposée le 1er décembre 1987,

dont la société The Polo Lauren Company LP est titulaire.

– Sensi (marque française) n° 01 3 088 386 déposée le 12 mars 2001,
– Romance (marque internationale désignant la France) n° 520 904 déposée le 16 mars 1988,
– Anaïs Anaïs (marque française) n° 1 655 375 déposée le 12 avril 1991,
– Liberté (marque française) n° 06 3 442 618 déposée le 25 juillet 2006,
– Loulou (marque française) n° 11 375 092 déposée le 22 octobre 1986,
– Noa (marque française) n° 98 735 338 déposée le 4 juin 1998,
– Amor Amor (marque française) n° 02 3 197 314 déposée le 3 décembre 2002,

dont la société l’Oréal est titulaire.

– Acqua Di Gio (marque française) n° 668 975 déposée le 14 janvier 1997,
– Armanimania (marque française) n° 698 896 déposée le 26 août 1998
– Emporio Aramni Elle (marque internationale désignant la France) n° 700088 déposée le 24 septembre 1998,
– Emporio Armani Lui (marque internationale désignant la France) n° 700 380 déposée le 24 septembre 1998,
– Armani (marque internationale désignant la France) n° 502 876 déposée le 1er mai 1986,
– Armani Code (marque internationale désignant la France) n° 862 342 déposée le 29 août 2005,
– City Glam (marque internationale désignant la France) n° 874 149 déposée le 18 octobre 2005,
– Armani Mania (marque internationale désignant la France) n° 805 456 déposée le 28 mai 2003.

dont la société GA Mode fine SA est titulaire.

Les sites internet “eBay” offrent des plates-formes de ventes aux enchères permettant à des vendeurs professionnels ou non d’offrir sous le bénéfice de l’anonymat, des produits à la vente, et à des internautes d’en faire l’acquisition.

Ces services sont rémunérés moyennant un montant tarifé pour la publication de l’offre et un montant proportionnel au prix final auquel le produit sera vendu.

Des services supplémentaires sont proposés aux vendeurs : rédaction des offres, mise en avant de celle-ci, mise à disposition d’outils statistiques, possibilité d’ouvrir une boutique, possibilité d’assistance par un “coaching” spécifique, possibilité de faire vendre par un partenaire etc.

S’agissant de l’exploitation de la version française de la plate-forme eBay, le Groupe Ebay est organisé de la manière suivante :
– la société Ebay Inc, société de droit de l’Etat de Californie est l’hébergeur technique du site « www.eBay.fr”
– la société Ebay International AG, société de droit suisse exploite les prestations de service proposés sur le site “ebay.fr”.
– la société Ebay Europe Sarl est une société de droit luxembourgeois qui est le cocontractant des vendeurs et acheteurs sur eBay résidant ou domiciliés au sein de l’Union Européenne ; c’est notamment elle qui prélève les commissions sur les vendeurs.
– la société Ebay France, société française est la régie publicitaire et le correspondant des internautes sur le site français ; elle assure également la représentation du Groupe Ebay en France.

Le Groupe Ebay a réalisé au niveau mondial un chiffre d’affaires de près de 6 milliards de dollars US en 2006 et ses bénéfices sont en constante augmentation.

Les sociétés demanderesses soutiennent que les plateformes Ebay sont devenues l’un des principaux canaux de distribution de la contrefaçon de parfums et de produits cosmétiques, les volumes écoulés par vendeur écartant l’hypothèse de revente de produits offerts : soit il s’agit de faux produits soit il s’agit de produits authentiques vendus en violation des réseaux de distribution sélective. Elles ont introduit plus d’une centaine d’actions judiciaires à l’encontre des vendeurs et les quarante décisions intervenues ont toutes reconnu qu’il s’agissait de contrefaçon.

Mais malgré cela, il a encore été possible aux demandeurs de découvrir à l’aide de l’un des mots-clefs correspondants, des offres proposant ouvertement des copies de ses parfums (“faux parfum” “imitation” « senteur se rapprochant”…) ou des tableaux de concordance.

Estimant que le Groupe Ebay ne prenait pas de mesures suffisantes pour endiguer la vente de produits de parfums et de cosmétiques contrefaits sur ses plates-formes dès lors qu’il se réfugiait derrière sa qualité de simple hébergeur et voulait faire peser la charge du contrôle de sa plateforme par les titulaires de droit et ce, alors que des mesures sont possibles ainsi que le démontre l’exemple d’autres concurrents, le Groupe L’Oréal I’a mis en demeure par lettre du 22 mai 2007.

Les négociations amiables ayant échoué, par assignation du 27 juillet 2007, les huit sociétés précitées du Groupe L’Oréal ont assigné les sociétés Ebay France, Ebay lnc, Ebay Europe Sarl et Ebay International AG en contrefaçon de marques, violation de leur réseaux de distribution sélective et responsabilité civile pour faute et négligence.

Par dernières conclusions signifiées le 4 décembre 2008, les huit sociétés du Groupe L’Oréal demandent au tribunal, au visa notamment des articles L 713-1, L 713-2, L 713-3, L 716-1 et L 716-5 du Code de Propriété Intellectuelle, des articles 1382, 1383 et suivants du code civil, de l’article 442-6 1° du code du commerce, de la Loi pour la Confiance dans l’Economie numérique et de l’article L 121-18 du code de la consommation, de :
– dire qu’elles sont recevables et bien-fondées en leurs demandes ;
– constater qu’elles sont titulaires des marques précitées ;
– constater que les sociétés Ebay concourent toutes à l’exploitation de la plate-forme de commerce en ligne accessible à l’adresse “ebay.fr” ;
– rejeter la fin de non-recevoir tirée du prétendu défaut de qualité à agir en défense des sociétés Ebay lnc, France et Europe Sarl ;
– dire que le rôle des sociétés Ebay ne se limite pas à une simple prestation technique de stockage mais relève au contraire d’une activité d’éditeur, de régie publicitaire, de courtier en ligne et de prestataire de services relevant de la responsabilité de droit commun ;
– dire qu’en mettant à la disposition du public moyennant rémunération les moyens de faire apparaître des offres à la vente et de vente portant sur des parfums, cosmétiques et produits de soin reproduisant et/ou imitant leurs marques et en vendant des espaces publicitaires renvoyant vers des offres contrefaisantes et de façon générale par leur rôle actif dans la promotion et la commercialisation de faux produits de marques et de parfums de concordance, les sociétés Ebay défenderesses se sont rendues coupables de contrefaçon au sens des articles L 713-2 et L 713-3 du Code de Propriété Intellectuelle ;
– dire qu’en exploitant une plate-forme de vente aux enchères sur lesquels étaient proposés des produits de contrefaçon, en reproduisant et/ou en imitant leurs marques, les sociétés Ebay ont commis des actes de contrefaçon au sens des mêmes articles ;
– dire que les sociétés Ebay ont participé directement ou à tout le moins indirectement à la violation de réseaux de distribution sélective dont elles ne pouvaient ignorer l’existence ;
– dire qu’en ne mettant pas en place les moyens techniques qu’il leur appartenait de prendre afin de limiter ou empêcher la diffusion de contrefaçons et de ventes illicites sur la plateforme de commerce électronique qu’elles éditent et animent, les sociétés Ebay ont commis une faute et des négligences au sens des articles 1382 et 1383 du code civil ;

à titre subsidiaire, si le tribunal devait retenir la seule qualification d’hébergeur pour toutes les activités d’Ebay ;
– dire que les sociétés Ebay en qualité d’hébergeur engagent leur responsabilité de droit commun du fait de leur négligence coupable face aux contrefaçons et ventes illicites de produits de marques sur les sites “ebay.fr”, ces sociétés ayant été mises en connaissance de cause des violations des droits des demanderesses et en tout état de cause ne pouvant les ignorer du fait de la nature même de l’activité et du risque créé inhérent à celle-ci ;

en conséquence quelle que soit la qualification retenue s’agissant des sociétés Ebay :
– interdire sous astreinte à ces sociétés de faire usage de leurs marques directement ou indirectement en particulier pour promouvoir ou permettre la commercialisation de faux produits de marque et de concordance de leurs parfums ;
– interdire sous astreinte à ces sociétés de, directement ou indirectement, promouvoir et/ou commercialiser des produits sous leurs marques en violation de leurs réseaux de distribution sélective ;
– ordonner aux dites sociétés défenderesses de mettre en place les mesures nécessaires, techniques et humaines pour prévenir les actes illicites précédemment listés : système de filtrage des annonces dans la rubriques “Beauté, bien-être, parfums”, affichage des coordonnées du vendeur lorsque celui-ci offre plus de 3 produits de marques des demanderesses ;
– condamner solidairement les sociétés Ebay à leur payer la somme de 2 millions d’€ à titre de provision du fait des actes de contrefaçon de marques et celle de 1,5 million au titre de l’atteinte à leurs réseaux de distribution sélective et de leurs négligences fautives,
– désigner un expert pour donner des éléments d’évaluation sur leur préjudice définitif,
– condamner solidairement les sociétés Ebay à leur payer une indemnité de 245 000 € sauf à parfaire en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

la décision à intervenir étant assortie de son exécution provisoire et de l’autorisation de sa publication sur le site internet des défenderesses et dans différents journaux ou revues ainsi que de sa diffusion par un courriel adressé aux personnes ayant consulté le dit site.

Les sociétés Ebay dans leurs dernières écritures signifiées le 20 novembre 2008 exposent sur les faits et la procédure que :

– Ebay International AG exploite la plate-forme de commerce électronique “ebay.fr” qui met en relation des internautes désirant vendre ou acheter des biens : les offres de vente mises en ligne par les utilisateurs de la plate-forme sont stockées par cette société sur site et mises à disposition du public ;
– pour s’inscrire l’internaute dispose d’un formulaire et accepte les conditions générales d’utilisation du site et le règlement sur le respect de la vie privée ; il se choisit un pseudonyme, choisit le titre de l’annonce, le contenu et la photographie qui ne sont jamais modifiés par la société Ebay ; le processus d’enchères ou de ventes à prix fixe est complètement automatisé et le rôle d’Ebay est limité à l’envoi de courriels informatifs notamment sur l’évolution des enchères aux différents utilisateurs qui sont parties prenantes ; la société Ebay est un tiers au contrat de vente, n’étant jamais en possession de l’objet ou du paiement et n’intervenant pas dans la livraison ;
– les vendeurs et acquéreurs disposent d’un certain nombre d’outils d’aide à la saisie et de recherche d’annonces ; ils peuvent s’ils sont expérimentés disposer d’un espace personnalisé ou “Boutique eBay”, participer au programme Powerseller afin de bénéficier d’un service clients dédié. Est également mis à leur disposition un programme d’aide en ligne à la résolution de litiges “le gestionnaire de litiges”. Ces services sont facultatifs et additionnels ;
– le coût total associé à la vente d’un objet sur Ebay correspond à la somme des frais d’insertion variables en fonction : du prix de mise en vente, des frais d’option éventuels et de la commission sur le prix final ;
– après la réalisation de la transaction, les acheteurs et les vendeurs sont invités à évaluer leur cocontractant et peuvent mettre en ligne des commentaires sur le déroulement de la vente. Pour chaque membre est affiché un profil d’évaluation qui correspond à la somme des évaluations positives laissées par les membres avec lesquels il a réalisé des transactions ;
– depuis une décennie, Ebay a mis en place des moyens humains et logiciels pour lutter contre la contrefaçon qui correspondent à la dépense de plus d’une dizaine de millions d’€ par an, 2000 employés travaillant exclusivement à la lutte contre les contenus illicites. En effet, Ebay est une plate-forme reposant sur la confiance qui lie les membres appartenant à la communauté ebay : la présence de contenus illicites détourne les utilisateurs et nuise à l’image de la plateforme ;
– la lutte contre la contrefaçon est fondée sur fa coopération avec les titulaires de droits de propriété intellectuelle car Ebay n’est pas en mesure d’identifier les produits contrefaisants mis en vente sur ses sites car elle ne les a pas en sa possession et ne peut les identifier simplement sur photographies surtout s’agissant de parfums, les faux se différenciant des vrais par des détails mineurs ;
– Ebay a mis en place un outil efficace et reconnu, le programme VeRo qui permet aux titulaires de droits de signaler en ligne l’existence d’un objet pouvant porter atteinte à ses droits et d’en solliciter le retrait : ce programme existe depuis 1998 et a été utilisé par 18 000 titulaires de droit dans le monde ; après examen de ces plaintes, Ebay supprime les annonces et avertit les utilisateurs de cette mesure de retrait et des sanctions encourues : 90% des contenus signalés le sont dans les 12 heures et la majorité dans un délai de 4 heures. La participation au programme VeRo est gratuite, simple et rapide ;
– les titulaires de droits peuvent créer des pages dites “perso” où ils peuvent décrire à l’attention des acheteurs potentiels leur entreprise, leurs produits et leurs marques ainsi que des conseils pour éviter d’acquérir des produits contrefaisants ;
– les utilisateurs participent également à la lutte contre la contrefaçon : au bas de chaque annonce grâce à un lien “signaler cet objet”, les utilisateurs peuvent appeler l’attention des équipes Ebay sur un objet précis qui peut être retiré si l’information s’avère exacte ;
– Ebay effectue quotidiennement des recherches à partir des mots-clefs suivants : copie, imitation, faux, réplique, idem, reproduction, façon, type, tendance ; les annonces dont le caractère contrefaisant est avéré sont retirées du site ;
– Ebay a conçu une échelle de sanctions pour les utilisateurs mettant en place des annonces proposant des produits illicites : suppression de l’annonce, avertissement, suspension temporaire ou définitive du compte ebay, interdiction de recréer de nouveaux comptes utilisateur, transmission des informations aux autorités nationales ; en 2006, 1 792 600 annonces illicites ont été retirées et 367 771 comptes utilisateurs ont été suspendus pour ce motif ;
– Ebay coopère avec les autorités nationales et internationales pour lutter contre la contrefaçon ;
– après la lettre du 22 mai 2007 que lui a adressée le Groupe L’Oréal et bien que les faits dénoncés ne soient pas précis, Ebay a supprimé les contrefaçon alléguées et a présenté au Groupe L’Oréal les mesures de lutte contre la contrefaçon qu’elle avait mises oeuvre et celles qu’elle pourrait mettre en place ;
– malgré la volonté de coopération qu’Ebay avait démontrée, le Groupe L’Oréal a mis fin aux discussions et a décidé de recourir à des procédures contentieuses démontrant ainsi qu’il ne souhaitait pas lutter contre la contrefaçon de ses produits mais priver les consommateurs du commerce électronique ; dans la présente instance, il allègue 97 annonces prétendument contrefaisantes alors que sur le site Ebay en moyenne en juin 2007, 15 856 annonces concernent des produits des marques du Groupe L’Oréal ;
– en juillet 2007, le Groupe L’Oréal a engagé, concomitamment dans quatre pays de l’Union Européenne, une action judiciaire à l’encontre des sociétés Ebay : en Belgique, au Royaume-Uni, en France et en Espagne ; en Belgique, le tribunal de commerce dé Bruxelles dans un jugement du 31 juillet 2008 a qualifié la prestation offerte par Ebay de prestation d’hébergeur et l’a exempté de toute responsabilité ; les autres procédures sont encore pendantes.

Sur le fond, les sociétés Ebay soutiennent que :
– les demandes formées à l’encontre des sociétés Ebay Inc, France et Europe Sarl sont irrecevables car ces sociétés ne sont ni hébergeurs, ni exploitantes du site “ebay.fr” : la société Ebay Inc. n’est que l’hébergeur technique de ce site, la société eBay France a pour activité le développement et la promotion de la marque eBay auprès du public français et c’est à ce titre et pour le compte de la société Ebay International AG qu’elle a signé la Charte de confiance des plates-formes de ventes entre internautes du 8 juin 2006 et non en qualité d’hébergeur ou d’exploitante ; la société eBay Europe Sarl est la société contractuellement liée aux utilisateurs domiciliés ou résidant dans l’Union Européenne ;
– seule la société Ebay International AG est l’exploitante du site “ebay.fr” et elle doit être considérée comme un intermédiaire fournissant un service d’hébergement ; sa responsabilité ne peut être fondée que sur la LCEN au titre du contenu des annonces qu’elle ne fait qu’héberger ou des produits mis en vente sur ses sites par ses utilisateurs ;
– cette société n’exerce de contrôle ni sur les utilisateurs de sa plate-forme ni sur le contenu mis en ligne par ces derniers ; elle n’exerce aucun droit de regard sur le contenu des annonces ni sur leur titre, les candidats vendeurs étant seuls rédacteurs des contenus et fournisseurs des photographies, mis en ligne ; cela résulte expressément des conditions d’utilisation de la plate-forme ; la licence qu’elle se fait consentir sur les informations n’est sollicitée qu’aux fins d’être licitement autorisée par les utilisateurs, à diffuser sur ses sites les informations transmises ; l’architecture, du site qu’elle conçoit n’a aucune incidence sur le contenu des annonces ; elle permet uniquement une meilleure consultation du site et une meilleure lisibilité des annonces étant souligné que le site litigieux héberge simultanément plus de quatre millions d’annonces ; les compléments d’informations qui sont proposés aux vendeurs concernent des produits de grande consommation (appareils photos, téléphones portables, appareils électroménagers) et leur utilisation n’est nullement obligatoire ;
– les autres services que cette société propose à savoir le programme “power seller”, les outils statistiques et les boutiques ebay ont pour objectif d’aider ces utilisateurs à mieux rédiger leurs annonces pour qu’elles aboutissent à des ventes ; dans le même esprit, Ebay propose aux acheteurs des suggestions d’achats pour faciliter leur navigation sur la plate-forme ; le service paypal sert à sécuriser les paiements ; un service de garantie” est offert dans certaines conditions quand l’acheteur démontre que l’objet acheté n’a pas été livré ou si celui-ci ne correspond pas à la description fournie dans l’annonce et le remboursement ne s’effectue qu’à partir d’un certain montant ; le service de téléphonie en ligne est là aussi au service des vendeurs et des acheteurs mais n’intervient pas sur le contenu des annonces ;
– son activité de mise en ligne des annonces ne saurait faire qualifier la société Ebay International AG de régie publicitaire au sens de l’article 26 de la loi 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques dès lors qu’elle n’est pas vendeur d’un espace publicitaire au sens de ladite loi et que les annonces mises en ligne visent à la vente des biens et non à leur promotion et que d’ailleurs les “petites annonces” ne sont pas concernées par ces dispositions légales ;
– en tout état de cause, si le tribunal s’estime confronter à une difficulté d’interprétation de la Directive e-commerce et en particulier de son article 14, le tribunal peut faire usage du droit de question préjudicielle qui lui est conféré par l’article 234 du Traité instituant la Communauté Européenne ;
– Ebay étant un hébergeur, aucune obligation générale de surveillance du site ne peut lui être imposée en application de l’article 6-1 7° de la LCEN ; les mesures prises par un site comme PriceMinister tiennent au modèle tant économique, que technique ou juridique de cette plate-forme qui intervient comme mandataire de l’acheteur , suivant un prix fixe et uniquement sur le territoire français, modèle très différent de celui d’Ebay ; les mesures prises pour lutter contre la contrefaçon ne sont pas factices ;
– Ebay a respecté les obligations mises à sa charge par la LCEN car :

* les sociétés demanderesses n’ont pas respecté dans leurs signalements des annonces contrefaisantes, les prescriptions légales (pas de description ni de localisation des dites annonces…),

* elles n’ont pas justifié de la licéité de leur réseau de distribution sélective, étant relevé que leur part de marché dans les produits cosmétiques sur le marché français dépasse le pourcentage leur permettant de bénéficier de l’exemption prévue par le règlement CE n° 2790/1999 et que l’existence de “clauses noires” dans les avenants internet conclues par les demanderesses avec leurs distributeurs les excluent également du bénéfice de cette exemption,

* elle n’a aucun moyen de vérifier l’authenticité des produits mis en vente, n’ayant pas l’expertise voulue pour ce faire et ce, d’autant que la plupart des vendeurs sont des particuliers ;

* c’est aux vendeurs qu’il appartient de faire figurer les éléments d’identification, l’obligation d’Ebay étant uniquement de mettre ces informations à disposition des acquéreurs via les pages perso des dits vendeurs ou dans le règlement de leur boutique “ebay” ; il ne lui appartient pas de vérifier l’exactitude des informations fournies par les utilisateurs et l’emploi de pseudonymes par les vendeurs sur internet est parfaitement licite ;

– la responsabilité d’Ebay ne saurait non plus être poursuivie sur le fondement du droit commun de la contrefaçon :

* le Groupe L’Oréal ne fait pas la démonstration du caractère contrefaisant des annonces figurant dans les deux constats d’huissier qu’il produit ; il ne produit que des indices qui n’apportent pas la preuve certaine de la contrefaçon ;

* l’examen des tests d’achat réalisés à la demande du Groupe l’Oréal démontre que seuls des détails mineurs lui ont permis de différencier les parfums authentiques des contrefaçons ; or ces détails ne sont pas visibles sur les photographies des produits vendus ;

* aucun acte matériel de la contrefaçon n’est imputable à Ebay :
– la reproduction des marques litigieuses figure soit dans le titre des annonces soit dans la description de l’objet rédigés par les utilisateurs ; ce n’est pas Ebay qui fait un rapprochement entre l’objet proposé à la vente et les marques mentionnées dans les annonces ; les adresses web générées automatiquement par reprise du titre de l’annonce mise en ligne par l’utilisateur n’est qu’une ressource technique permettant de localiser une page web et non des produits ou des services ;
– Ebay ne peut être poursuivie en responsabilité pour fourniture de moyens car aucune disposition en droit civil ne vise cette “incrimination” qui n’existe qu’en droit des brevets ; en droit pénal, cette infraction nécessite la preuve d’un acte de complicité tendant à la réalisation de l’infraction principale et d’un élément intentionnel preuves qui font présentement défaut dès lors qu’Ebay a mis en place des moyens importants de lutte contre la contrefaçon (programme VeRo, signalement des contenus illicites par les internautes, didacticiels …) ;
– les annonces comparant la senteur olfactives des parfums mis en vente aux parfums des demanderesses ne sont pas illicites (arrêt CJCE du 14 mai 2002 de la CJCE Michaël Hôlterhoffc/ Ulrich Freiesleben) dès lors que la très grande majorité d’entre elles n’indiquent pas qu’il s’agit d’un parfum de l’une de ces marques ; en tout état de cause, il n’est pas démontré qu’Ebay a eu connaissance de ces tableaux de concordance ;
– aucune violation des clauses d’interdiction de revente hors réseau n’est démontrée : d’une part les demanderesses ne démontrent pas la licéité de leur réseau et d’autre part seuls les vendeurs qui, s’ils sont professionnels et n’appartiennent pas au réseau, doivent prouver qu’il se sont approvisionnés dans des conditions licites, étant relevé que les produits vendus sur Ebay peuvent provenir de pays européens non couverts par des accords de distribution sélective, dans lesquels les réseaux ne sont pas étanches, sont sans interdiction de revente hors réseau ou dans lesquels n’existent aucune exemption comparable à celle de l’article 81 du Traité CE ;
– Ebay n’a commis aucun des actes de parasitisme qui lui est reproché : elle ne favorise pas le développement des produits des demanderesses sur internet et la présentation des annonces n’a rien de dévalorisant pour ceux-ci, la qualité de celle-ci étant comparable à celle des sites internet des distributeurs agréés et correspondant aux possibilités illimitées offertes par internet en termes de présentation ;
– en tout état de cause, le Groupe L’Oréal n’a subi aucun préjudice : aucune pièce ne justifie les dommages qu’il allègue (désorganisation de leurs réseaux de distribution sélective, dépenses de surveillance des annonces et du traitement des litiges, atteinte à l’image…) et ce, d’autant que les constats produits ne justifient que d’un très faible nombre de vente de produits des marques en cause sur la plate-forme Ebay et que le Groupe L’Oréal a connu une croissance certaine en 2006 et 2007 ;
– les demanderesses ne précisent pas quelle est la répartition entre elles des différents préjudices invoqués et ce, malgré la différence de leur rôle dans l’exploitation de leurs marques et réseaux de distribution ; par ailleurs, elles ne sauraient revendiquer l’ensemble des ventes de leurs produits sur Ebay, le report de celles-ci dans leurs réseaux de distribution sélective n’étant pas évident ;
– la demande de désignation d’un expert est infondée car il appartient aux demanderesses d’apporter la preuve du dommage qu’elles subissent ;
– si des mesures d’injonction sont prononcée malgré leur prohibition par la Directive e-commerce et la LCEN elles ne peuvent concerner que le site “ebay.fr” et doivent être précises quant aux contenus concernés et limitées dans leur durée.

En définitive, les sociétés Ebay demandent au tribunal de :
– déclarer irrecevables pour défaut de qualité à agir en défense les demandes dirigées à l’encontre des sociétés eBay Inc, eBay Europe Sarl et eBay France,
– débouter les demanderesses de leurs prétentions et les condamner in solidum aux dépens et à leur payer, à chacune, une indemnité de 50 000 € en application de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

DISCUSSION

Sur la mise hors de cause de certaines sociétés eBay

Les défenderesses opposent, en application de l’article 32 du Code de Procédure Civile, l’irrecevabilité des demandes formées à l’encontre des sociétés eBay Inc, eBay France et eBay Europe SarlK car leur qualité à agir ferait défaut puisqu’elles ne sont ni hébergeurs, ni exploitantes du site “ebay.fr ».

Il ressort des pièces produites que les trois sociétés eBay précitées interviennent dans la gestion du site “ebay.fr » : la société eBay Inc est l’hébergeur technique de ce site sur ses serveurs, la société Ebay France assure la représentation des autres sociétés eBay sur le territoire français et la société Ebay Europe est la cocontractante des utilisateurs domiciliés ou résidant dans l’Union Européenne.

Dès lors, les défenderesses en opposant leur défaut de qualité à agir en défense, formulent en réalité des moyens au fond visant à contester toute responsabilité dans les actes incriminés par les demanderesses compte tenu de leur rôle respectif dans la gestion du site “ebay.fr”.

L’exception d’irrecevabilité est en conséquence rejetée.

Sur le cadre juridique des prestataires intermédiaires dans le commerce électronique

II est constant que les opérateurs intervenant dans le commerce électronique ont un régime de responsabilité relevant du droit commun sauf à démontrer que leur activité relève du régime “aménagé” prévu par la Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 et sa loi de transposition en droit français.

– sur la directive 2000/31/1 CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique

Aux termes de son considérant 40, cette Directive précise que “les divergences existantes et émergentes entre les législations et les jurisprudences des Etats membres dans le domaine des prestataires de services agissant en qualité d’intermédiaire empêchent le bon fonctionnement du marché intérieur, en particulier en gênant le développement des services transfrontaliers et en produisant des distorsions de concurrence (…) “. Elle ajoute dans son considérant 41 “la présente directive instaure un équilibre entre les différents intérêts en jeu et établit des principes qui peuvent servir de base aux normes et aux accords adoptés par les entreprises”.

Aussi, la Directive met-elle en oeuvre un régime de responsabilité spécifique pour certaines activités des prestataires intermédiaires de service.

Dans sa section 4, elle distingue trois catégories d’activités de prestataires intermédiaires, c’est-à-dire d’opérateurs qui fournissent, stockent, ou transmettent des contenus sous forme électronique à la demande de destinataire de services, c’est-à-dire non seulement du consommateur du contenu mais également de toute personne qui rend accessible ce contenu que ce soit à titre personnel ou professionnel :
– le simple transport (formule désignant la fourniture d’accès mais aussi l’activité de transmission de contenus sur un réseau réalisé par le simple opérateur de communications électroniques) ;
– le ”coaching” (formule désignant la fourniture d’un service consistant à transmettre sur un réseau de communication, des informations fournies par un destinataire du service avec une prestation de stockage automatique, intermédiaire et temporaire dans le but de rendre plus efficace la transmission ultérieure de l’information à la demande d’autres destinataires du service) ;
– l’hébergement (formule désignant la fourniture d’un service consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service).

Pour ces trois catégories de prestations, le régime de responsabilité des prestataires est limitée et il ne peut leur être imposé d’obligation générale de surveillance sur les contenus qu’ils stockent ou transmettent, pas plus que de procéder à une recherche active de faits ou circonstances indiquant des activités illicites.

La Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN) du 21 juin 2004 a transposé en droit français la Directive précitée.

Elle reprend les trois régimes distincts de la Directive à savoir :
– le statut d’hébergeur qui est défini aux termes de l’article 6-1 2° comme “les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toutes nature fournis par des destinataires de ces services”.

Ce fournisseur d’hébergement bénéficie d’une limitation de responsabilité du fait des contenus hébergés ; il ne peut être responsable sur le plan civil et pénal des informations stockées que dans les cas :

* où il avait “effectivement connaissance de l’activité et de l’information illicites” et “dès le moment où il en a eu connaissance” n’a pas “agi promptement pour retirer ces informations ou en rendre l’accès impossible » ;

* le destinataire du service d’hébergement agit sous son autorité ou son contrôle.
– le statut de fournisseur d’accès (défini comme assurant une activité de fourniture d’accès à un réseau de télécommunication) et de transporteur (défini comme une activité de transmission de contenu sur un réseau de télécommunications) ;
– le statut de prestataire assurant une fonction de cache.

Ces deux dernières catégories bénéficient également d’une limitation de régime de responsabilité.

Il ressort de ces dispositions que les régimes de responsabilité “aménagés” ne sont attachés qu’aux activités précédemment définies.

Il convient en conséquence de rechercher le statut de l’activité faisant grief, un intermédiaire technique dans la prestation de services qu’il offre, pouvant avoir différentes activités dont les unes bénéficient du régime de responsabilité “aménagé” et dont les autres relèvent de la responsabilité de droit commun, étant précisé que le régime “aménagé” étant un régime d’exception au droit commun, son champ d’application doit être apprécié strictement.

Sur les faits incriminés par les sociétés du Groupe L’Oréal

Il ressort du dispositif des dernières écritures des sociétés demanderesses qu’en définitive celles-ci font grief au titre de la contrefaçon et de la violation de leur réseau de distribution sélective, aux sociétés eBay de :
– mettre à disposition moyennant rémunération des annonces d’offre de vente portant sur des parfums ou produits cosmétiques contrefaisants ;
– vendre des espaces publicitaires renvoyant à ces offres contrefaisantes ;
– mettre en place des moyens de promotion et de commercialisation de tels produits contrefaisants ;
– d’exploiter une plate-forme de vente aux enchères sur lesquels sont proposés des produits de contrefaçon.

Sur le régime applicable aux différentes activités concernées par ces griefs

– sur la mise à disposition moyennant rémunération d’annonces portant sur des produits contrefaisants :

Il est acquis aux débats que sur le site “ebay.fr” :

* les vendeurs (particuliers ou professionnels) s’inscrivent suivant un formulaire électronique leur permettant d’accepter les conditions générales d’utilisation du site ; ils se choisissent des pseudonymes ;

* ils rédigent et mettent en ligne leurs annonces suivant une procédure électronique proposée par le site celles-ci comportent notamment un titre, une description de l’objet et une photographie prise par eux ainsi qu’un prix; des outils logiciels d’aide à la rédaction leur sont proposés ;

* le processus d’enchères ou de vente à prix fixe est automatisé ;

* le paiement et la livraison du produit vendu ont lieu sans intervention de la plate-forme ;

* un service de paiement sécurisé et un service de garantie sont proposés et différents services d’aides optionnels sont proposés aux vendeurs ;

* Ebay perçoit du vendeur une rémunération consistant en des frais d’insertion de l’annonce, des frais de commission sur le prix de vente du produit et des frais pour les services additionnels.

Les sociétés Ebay soutiennent que cette activité relève du régime de l’article 6-1 2° de la LCEN puisqu’elles assurent pour la mise à disposition des internautes un service de stockage des annonces rédigées et mise en ligne par les vendeurs.

Les sociétés du Groupe L’Oréal répliquent que si eBay “héberge” des “offres” “postées” par les tiers, il s’agit d’une activité accessoire par rapport à son activité commerciale d’expIoitante d’une plate-forme de courtage aux enchères sur internet pour laquelle elle est soumise à une responsabilité de droit commun.

Il convient de rappeler qu’eu égard aux possibilité offertes par les nouvelles technologies, les prestations commerciales sur internet sont de nature toujours plus complexes, les opérateurs pouvant réaliser sur un même site des activités de nature très différentes. C’est ainsi par exemple qu’un fournisseur d’accès pourra également sur son site proposer à ses clients différents services : messagerie, forum de discussion, partages de vidéos, actualités, météo, liens avec d’autres sites, audition de musique, lecture de vidéos, liens commerciaux, encarts publicitaires etc.

Dans ces conditions, il n’est plus possible de raisonner pour un prestataire en activité principale et en activité accessoire, cette distinction n’étant plus pertinente dans le commerce électronique.

Il convient en conséquence de s’interroger sur la nature de l’activité liée à la mise en ligne des annonces contrefaisantes sur le site “ebay.fr” et à la vente des produits contrefaisants.

Au niveau technique, les sociétés Ebay stockent les annonces réalisées par les vendeurs et les mettent en ligne pour leur compte.

Si, ces sociétés encadrent le processus de rédaction, proposent des aides à celle-ci (utilisation d’informations standards, d’un logiciel de manipulation de photos…), il n’en demeure par moins qu’en définitive, seul le vendeur décide de l’objet mis en vente, du titre de l’annonce, du prix de l’objet, de sa description et de la photographie diffusée ainsi que de la mise en ligne de l’annonce dont il peut d’ailleurs décider du retrait et que tout le processus de la vente (échange de l’accord des parties, paiement du prix et livraison du produit) s’effectue en dehors de l’intervention d’Ebay.

Ebay joue un rôle d’intermédiation dans le rapprochement des vendeurs et des acquéreurs mais elle le fait via la mise à disposition de moyens techniques (logiciels et matériels) sans intervention sur le contenu des offres, les négociations entre les cocontractants et l’exécution du contrat. D’ailleurs, les conditions d’utilisation d’eBay indiquent parfaitement aux utilisateurs du site qu’elle ne procède à aucun contrôle des annonces et qu’elle ne prend aucun engagement quant à la bonne fin des transactions.

Certes, sa prestation est payante et une partie du prix est basé sur celui de la transaction réalisée entre le vendeur et l’acquéreur mais cette assiette est librement consentie par le vendeur qui adhère à la plate-forme et n’est nullement illicite et là encore, elle n’entraîne aucun contrôle sur le processus de la vente.

Si effectivement, les sociétés eBay se font consentir une licence des droits sur les informations, cette autorisation d’exploitation n’est demandée aux vendeurs que pour permettre la diffusion des annonces pendant le temps de leur mise en ligne ; elle ne change pas la nature de l’activité d’eBay dans le stockage et la mise en ligne des annonces.

La structuration du site “ebay.fr” résultant de la conception par les sociétés Ebay d’une architecture et de l’instauration de catégories de classement d’objets relève d’une nécessité imposée par la nature et le nombre des annonces mises en ligne (plus de quatre millions en moyenne) pour faciliter leur consultation par les acquéreurs potentiels mais n’a aucune incidence sur les annonces et les transactions.

Enfin, les services additionnels offerts par eBay (programme PowerSeller, outils statistiques, service paypal, boutiques ebay…) sont des outils facultatifs permettant aux vendeurs d’améliorer la commercialisation des produits qu’ils offrent en vente mais sans incidence sur leur liberté de rédaction des annonces, de mises en ligne, de transaction et de garantie des acquéreurs.

Les sociétés Ebay dans leur activité de stockage et de mise en ligne d’annonces ne sauraient non plus être considérées comme exerçant une activité de régie et de support publicitaire, les annonces n’assurant aucune promotion des produits mais présentant une offre en vente de ceux-ci.

En conséquence, le tribunal considère que I’activité de stockage et de mise en ligne d’annonces exercée par Ebay doit être qualifiée d’activité d’hébergement au sens de la Directive et de la loi précitées, l’aide qu’elle apporte aux vendeurs n’emportant pas autorité ou contrôle de celui-ci au sens de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004.

– sur la vente d’espaces renvoyant à des annonces contre faisan tes et la mise en place de moyens de promotion et de commercialisation de produits contre faisant

Si l’activité d’Ebay de stockage et de mise en ligne des annonces relève du régime de l’hébergement, il n’en est pas de même pour les moyens de promotion qu’elle met en oeuvre sur son site pour inciter les internautes à visiter son site, son rôle alors n’étant plus passif ni pour les activités de régie publicitaire qu’elle exerce également.

C’est ainsi qu’elle ne peut revendiquer son statut d’hébergeur :

* s’agissant des rubriques figurant sur sa page-écran qui ne sont pas indispensables à cette activité mais qui relève de la promotion de celle-ci, il en est par exemples ainsi des rubriques “vendez”, “tout savoir”, “tout connaître”, “planète eBay”, “à la une d’eBay” et “plus recherchés” (page d’accueil du 10 mai 2007) ;

* des bandeaux publicitaires et liens commerciaux figurant sur ses pages-écran.

Ces activités étant d’une nature différente et n’étant pas indispensables à l’activité d’hébergement relèvent du régime de responsabilité de droit commun, le régime aménagé d’hébergeur ne pouvant s’apprécier que restrictivement ainsi qu’il a été dit précédemment.

Sur l’activité d’exploitante de la plate-forme de ventes aux enchères en ligne

Cette activité regroupant les activités précédemment examinées bénéficie du régime de responsabilité propre à chacune d’entre elles sans qu’un régime l’emporte sur les autres.

– sur la responsabilité d’hébergeur des sociétés Ebay

Ainsi qu’il a été dit précédemment, la responsabilité d’un hébergeur ne peut être engagée à raison des informations stockées à la demande d’un destinataire de service s’il n’avait pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits ou circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible.

L’article 6 de la loi du 21 juin 2004 précise que la connaissance des faits litigieux est présumée acquise par l’hébergeur lorsqu’il lui est notifié les éléments suivants :
– la date de la notification,
– si le notifiant est une personne physique : ses noms, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et heure de naissance ; si le requérant est une personne morale ; sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement ;
– les noms et domicile du destinataire ou s‘il s‘agit d’une personne morale sa dénomination et son siège social,
– la description des faits litigieux et leur localisation précise ;
– les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et justifications de faits,
– la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des in formations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté.

Il est certain que la lettre du 22 mai 2007 du Groupe L’Oréal à la société Ebay Europe Sarl ne portaient pas les éléments précités puisqu’il s’agissait pour le Groupe L’Oréal de dénoncer un phénomène de contrefaçon de ses marques persistant sur l’ensemble des plateformes eBay à destination des internautes européens et non de dénoncer telles ou telles annonces particulières.

Mais, il n’est pas contestable que sont mises en ligne régulièrement des annonces d’offre en vente portant sur des parfums ou des produits cosmétiques portant les marques des sociétés demanderesses et ce, sans l’autorisation de celles-ci, les produits étant soit des faux soit des produits acquis en dehors des réseaux de distribution sélective (cf. les constats et pages écran produits aux débats et les jugements intervenus contre des vendeurs).

Les échanges de courriers entre les parties entre mai et juillet 2007 montrent que les pourparlers engagés ont échoué en raison d’une divergence sur les mesures à prendre pour prévenir la contrefaçon : le Groupe L’Oréal aurait souhaité que des contrôles à priori soient effectués par EBay sur les annonces alors que les sociétés Ebay voulaient améliorer les systèmes de prévention déjà mises en place et notamment incitaient les sociétés du Groupe L’Oréal à utiliser son programme VeRo.

Il est avéré que la prévention de la contrefaçon sur la plate-forme Ebay se heurte dans le domaine des parfums et des cosmétiques à des difficultés importantes tenant :
– au nombre d’annonces (en moyenne 15 856 en juin 2007 sur le site ebay.fr) ;
– à la difficulté, à la lecture de celles-ci, de repérer les annonces illicites en raison de la qualité des contrefaçons qui nécessite l’examen matériel du produit (modifications de détails mineurs entre l’authentique et le faux) ;
– à l’anonymat des vendeurs qui certes est imposée pour la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel mais qui facilitent par la multiplication des pseudonymes pour un même vendeur, la réitération d’annonces contrefaisantes ;
– à l’existence d’un réseau de distribution sélective dont les conditions ne sont pas homogènes sur l’ensemble du territoire de l’Union Européenne, ce qui permet aux vendeurs sur “ebay”des acquisitions de produits bénéficiant de l’épuisement du droit de marques auprès de fournisseurs qu’ils ne renseignent pas dans leur annonce.

Cette prévention est pourtant indispensable non seulement parce qu’il s’agit d’activités illicites mais également parce qu’elle porte sur des produits pouvant mettre en péril la santé publique.

Aussi, le tribunal considère que la prévention de la contrefaçon ne sera efficace dans ce domaine que par une collaboration étroite entre les titulaires des droits de marques et les sociétés Ebay. Pour atteindre l’objectif commun de diminution de la contrefaçon et au vu des contraintes de l’autre, les parties devront accepter la mise en oeuvre de mesures dont elles partageront dans des conditions à définir entre elles les frais de prise en charge étant souligné qu’aucun type de mesure ne doit être écarté à priori.

Afin d’aider les parties à se mettre d’accord, le tribunal leur propose de recourir à une mesure de médiation judiciaire et sursoit à statuer sur le principe de responsabilité des sociétés Ebay pour les faits relevés dans les constats d’huissier produits aux débats ainsi que sur les demandes d’indemnisation y afférent.

– sur la responsabilité des sociétés Ebay du fait de leurs activités promotionnelles et publicitaires

Le tribunal est dans l’incapacité au vu des écritures des demanderesses de trouver les faits précis qu’elles incriminent au titre des activités promotionnelles et publicitaires des sociétés Ebay, étant relevé que l’existence de liens commerciaux sur “ebay.fr” utilisant des mots-clefs argués de contrefaçon font l’objet d’une autre instance pendante devant la 2ème section de la 3ème chambre de ce tribunal.

S’il est certain que la sélection d’annonces comportant une reproduction ou une imitation de marque et leur mise en valeur sur les pages écran du site ”ebay” peut constituer des contrefaçons, encore faut-il que les demanderesses définissent précisément lesquelles, le tribunal ne pouvant sans excéder sa saisine, faire une analyse en ce sens des pages du site “ebay” produites aux débats.

Dans ces conditions, le tribunal rejette le grief de contrefaçon du chef de ces activités.

Sur les autres demandes

S’agissant de la violation des réseaux de distribution sélective des sociétés du groupe L’Oréal, ces demandes sont fondées sur les mêmes faits que précédemment. Dès lors sont rejetées celles qui relèvent des activités promotionnelles ou publicitaires de eBay. Pour celles fondées sur l’activité de stockage et de mise en ligne des annonces, il est sursis à statuer.

Les sociétés du Groupe L’Oréal font également grief aux société défenderesses sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil de n’avoir pas mis en oeuvre les moyens techniques qu’il leur appartenait de prendre afin de limiter ou empêcher la diffusion de contrefaçons ou de ventes illicites sur la plate-forme électronique “ebay.fr”.

Si les principes de loyauté et de libre concurrence attachés à toute activité commerciale imposent à toute entreprise intervenante sur le marché de s’assurer que son activité ne génère pas des actes illicites au préjudice de tout opérateur tiers, cette obligation n’est pas de résultat mais de moyens, la Directive précitée ayant interdit aux états d’imposer au prestataires de services dont le régime de responsabilité était limité, une obligation de surveillance à caractère général.

En l’espèce, les sociétés Ebay justifient avoir mis en oeuvre des moyens importants de lutte contre la contrefaçon : clause contractuelle, message à destination des vendeurs et des acquéreurs, signalement par les internautes d’annonces illicites, programme VeRo à destination des titulaires de droits, création de pages “perso” par ces derniers, personnel dédié, lancement de recherche sur la base de mot-clé (copie, imitation etc…).

En outre, il y a lieu de relever qu’après la réception du courrier du 22 mai 2007 adressé par le Groupe L’Oréal, les sociétés Ebay se sont déclarées prêtes à engager des pourparlers pour améliorer la situation existante au regard des spécificités exposées par ces sociétés. Ces pourparlers ont été rompus unilatéralement par les sociétés du Groupe L’Oréal qui ont préféré la voie contentieuse.

Dans ces conditions, le tribunal considère que les sociétés Ebay n’ont commis aucune faute sur ce fondement.

Compte tenu de la proposition de médiation formée par le tribunal, aucune considération d’équité ne commande de faire application de l’article 700 en l’état.

DECISION

Par ces motifs, le tribunal, statuant contradictoirement, par décision en premier ressort et remise au greffe,

. Rejette l’exception d’irrecevabilité des demandes dirigées à l’encontre des sociétés eBay lnc, eBay France et eBay Europe,

. Dit que pour leur activité de stockage et de mise en ligne des annonces d’offres en vente sur le site “ebay.fr”, les sociétés Ebay bénéficient du régime de responsabilité aménagé d’hébergeur prévu par l’article 6-2 de la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique ;

. Dit que pour les autres activités qui ne sont pas indispensables à l’exercice de cette activité d’hébergement, les sociétés Ebay relèvent du régime de responsabilité de droit commun,

. Déboute les demandes des sociétés du Groupe L’Oréal fondées sur des faits relevant de ces dernières activités,

. Dit que les sociétés Ebay ont, par la mise en oeuvre des moyens de lutte contre la contrefaçon sur leur plate-forme électronique rempli leur obligation de loyauté vis-à-vis des autres opérateurs du marché et déboute les sociétés du Groupe L’Oréal de leurs demandes fondées sur les articles 1382 et 1383 du code civil ;

Sur les autres demandes, propose aux parties afin de trouver une issue amiable à leur différend de mettre en oeuvre une mesure de médiation judiciaire telle que prévue aux articles 131-1 et suivants du Code de Procédure Civile ;

Pour ce faire, renvoie les parties à l’audience de la mise en état du lundi 25 mai 2009 à 8 heures 45 pour donner leur position sur le recours à cette mesure,

En l’attente sursoit à statuer sur ces demandes,

. Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

. Réserve les dépens.

Le tribunal : Mme Elisabeth Belfort (vice-président), Mme Agnès Thaunat (vice président), Mme Florence Gouache (juge)

Avocats : Me Isabelle Leroux, Me Thomas Rouhette

Cette décision est frappée d’appel.

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