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Jurisprudence : Vie privée

mercredi 16 décembre 2009
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Cour de cassation Chambre sociale Arrêt du 8 décembre 2009

Sergio G. / Peugeot Citroën automobiles

faute - fichiers - images - licenciement - ordinateur - pornographie - salarié - vie privée

Statuant sur le pourvoi formé par M. Sergio G., contre l’arrêt rendu le 11 mars 2008 par la cour d’appel de Rennes (5ème chambre prud’homale), dans le litige l’opposant à la société Peugeot Citroën automobiles, société anonyme, défenderesse à la cassation ;

La société Peugeot Citroën automobiles a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;

Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

Donne acte à la société Peugeot Citroën automobiles du désistement de son pourvoi incident ;

DISCUSSION

Sur le premier moyen

Vu l’article L. 1121-1 du code du travail ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. G., qui avait été engagé le 2 novembre 1994 en qualité de technicien d’études et méthodes/dessinateur CAO par la société Peugeot Citroën automobiles, a été licencié le 12 juillet 2002 pour avoir conservé sur son poste informatique des fichiers à caractère pornographique et zoophile ; qu’il a saisi la juridiction prud’homale le 10 mars 2006 d’une demande de paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive outre un solde de prime de mobilité ;

Attendu que pour débouter le salarié de ses demandes en retenant l’existence d’une faute justifiant le licenciement, l’arrêt énonce que les fichiers contenant des photos à caractère pornographique qui portaient atteinte à la dignité humaine, enregistrés et conservés dans son ordinateur dans un fichier archive accessible par tout utilisateur, établissent le détournement par le salarié du matériel mis à sa disposition en violation des notes de service et constituent un risque de favoriser un commerce illicite en portant atteinte à l’image de marque de l’employeur ;

Qu’en statuant ainsi, alors, que la seule conservation sur son poste informatique de trois fichiers contenant des photos à caractère pornographique sans caractère délictueux ne constituait pas, en l’absence de constatation d’un usage abusif affectant son travail, un manquement du salarié aux obligations résultant de son contrat susceptible de justifier son licenciement, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le second moyen

Et attendu que la cassation intervenue sur le premier moyen entraîne par voie de conséquence celle du chef du dispositif relatif au solde de la prime de mobilité ;

Et attendu qu’en application de l’article 627 du code de procédure civile, il y a lieu de casser sans renvoi en appliquant la règle de droit appropriée ;

DECISION

Par ces motifs :

. Casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt de la cour d’appel de Rennes 11 mars 2008 ;

. Dit n’y avoir lieu à renvoi du chef de la cassation ;

. Dit le licenciement intervenu sans cause réelle et sérieuse ;

. Renvoie devant la cour d’appel de Caen pour statuer sur les seules conséquences du licenciement ;

. Condamne la société Peugeot Citroën automobiles aux dépens ;

. Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Peugeot Citroën automobiles à payer à M. G. la somme de 2500 € ;

. Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Moyens produits par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux Conseils, pour M. G.

Premier moyen de cassation

Le moyen fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir débouté Monsieur G. de ses demandes de dommages-intérêts d’un montant de 32 000 € au titre du préjudice matériel et de 3000 € au titre du préjudice moral et de l’avoir condamné à verser à la société PCA la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Aux motifs que selon la lettre de licenciement il est reproché à Monsieur G. : « Le 26 juin 2002, lors d’un contrôle des postes informatiques en votre présence et celle d’un huissier de justice, nous avons découvert qu’à l’occasion de votre travail, vous aviez conservé sur le disque dur de votre poste informatique un fichier dénommé « enculade43.zip » contenant 60 images à caractère pornographique et constaté la présence de deux fichiers à caractère zoophile. » ;
que Monsieur G. ne conteste pas que des fichiers de l’ordinateur de l’entreprise, qui avait été mis à sa disposition pour effectuer son travail, comportaient des documents pornographiques, ainsi que cela résulte d’un constat d’huissier en date du 26 juin 2002, fait en sa présence et avec son consentement qui a rendu compte du contenu de ces fichiers, mais il soutient que ce constat a été fait en violation de ses droits s’agissant de correspondance privée et qu’il est nul ; qu’il résulte de la jurisprudence la plus récente de la Cour de Cassation que l’employeur, qui a mis à la disposition de son salarié un ordinateur pour les besoins de son activité professionnelle, garde un droit de regard sur son utilisation et peut vérifier que les documents enregistrés dans des fichiers dits « personnels » sont ou non étrangers à l’activité professionnelle et ont ou non un caractère répréhensible ;
que la vérification du contenu de l’ordinateur de Monsieur G., ayant été fait en sa présence et avec son consentement, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et de libertés fondamentales, de l’article 9 du Code Civil et de l’article L.120-2 du Code du Travail ; que contrairement à ce que soutient le salarié, les fichiers litigieux de son ordinateur n’étaient pas personnels ;
dans ce cas, ils auraient été sécurisés par un mot de passe connu seulement de Monsieur G., mais doivent être réputés à usage professionnels, ils restaient donc en permanence accessibles par toute personne de l’entreprise ayant accès à son bureau, ce qui permet d’en déduire qu’en l’absence de Monsieur G. des salariés de l’entreprise ou des intervenants extérieurs (informaticiens, réparateurs, personnels d’entretien,…) ayant quelques notions sommaires d’informatique, avaient la possibilité d’ouvrir ces fichiers, de prendre connaissance de leur contenu, de les exporter vers d’autres ordinateurs du réseau intranet du groupe PSA Peugeot Citroën ou encore d’en faire des copies pour eux-mêmes sur des disques du type clef USB ou MP 3 ;
qu’il importe peu de savoir comment ces fichiers sont parvenus sur l’ordinateur de Monsieur G., ( de son fait, par transfert des images d’un autre poste du réseau ou encore par copie d’enregistrements de disques ) alors que, si ce salarié avait été victime de la part d’un tiers d’une très mauvaise plaisanterie, il lui était facile de supprimer immédiatement de son ordinateur tous ces fichiers et de le sécuriser pour éviter ce genre d’incident, alors qu’il les a conservés pour son usage personnel, ce qui constitue manifestement une faute ; que manifestement le nombre important de documents photographiques à caractère nettement pornographique qui constitue une atteinte à la dignité de la Femme, enregistrés et conservés dans l’ordinateur dans un fichier archive, immédiatement et très facilement accessible par tout utilisateur, permet d’établir que Monsieur G. a détourné le matériel mis à sa disposition ;
qu’or, ce salarié engagé en 1994 ne pouvait ignorer les nombreuses notes de service dont le PV du CCE du 25 avril 2002 et la note de service du 24 juin 2002 rappelant aux utilisateurs de poste informatique qu’elle devait être la conduite à tenir pour éviter des « atteintes à la dignité des personnes et aux bonnes moeurs » ; qu’enfin, l’accès libre à cette banque de photos pornographiques qui permettait à quiconque d’en prendre connaissance, de les enregistrer et de les transmettre à d’autres personnes par voie informatique, constituait un véritable risque de favoriser un commerce illicite et portait manifestement atteinte à l’image de marque de la société PCA et au groupe PSA ; que, dans ces conditions, la société PCA, devant le comportement de Monsieur G. qui portait gravement atteinte à la dignité humaine ne pouvait que se séparer de ce salarié.

Alors d’une part qu’un fait imputé au salarié relevant de sa vie personnelle ne peut caractériser un manquement aux obligations découlant de son contrat de travail constitutif d’une faute ; qu’il en résulte que lorsque l’employeur a connaissance, à l’occasion du travail, d’informations à caractère privé concernant un salarié, il ne saurait s’en prévaloir pour le sanctionner ;
qu’en considérant que Monsieur G. avait commis une faute justifiant son licenciement en stockant sur son ordinateur professionnel de fichiers à caractère pornographique et zoophile, sans aucune diffusion, ce dont il résultait que le salarié avait été licencié pour des faits à caractère strictement privé mettant en cause les moeurs la Cour d’appel a violé ensemble l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 9 du Code civil et les articles L.122-14-3 (devenu L.1232-1) et L.122-40 (devenu L.1331-1) du Code du travail.

Alors encore que le caractère personnel d’un fichier ne résulte pas seulement de son caractère crypté ou de sa couverture par un mot de passe, mais encore de son contenu ; qu’en déduisant du seul fait que le fichier n’était pas sécurisé par un mot de passe qu’il n’était pas personnel, la Cour d’appel a statué par un motif inopérant et n’a pas justifié sa décision au regard des textes susvisés.

Alors en tout cas qu’un risque de trouble objectif dans le fonctionnement de l’entreprise ne permet pas en lui-même de prononcer une sanction disciplinaire à l’encontre de celui par lequel il est survenu ; qu’en considérant, pour dire que le licenciement de Monsieur G. était justifié par une cause réelle et sérieuse, que ses agissements constituaient un véritable risque de favoriser un commerce illicite et portaient manifestement atteinte à l’image de marque de la société PCA et au groupe PSA, ce dont il résultait que les juges d’appel n’avaient pas caractérisé un manquement distinct de ce trouble éventuel, la Cour d’appel a violé ensemble l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 9 du Code civil et les articles L.122-14-3 (devenu L.1232-1), L.122-40 (devenu L.1331-1) du Code du travail.

Alors encore que la faute résulte d’une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail ; que ne constitue pas une faute l’utilisation passive de l’outil informatique à des fins personnelles de façon limitée, sans aucune répercussion sur la bonne exécution de la prestation de travail ; qu’en considérant que le nombre important de documents photographiques à caractère pornographiques permettait d’établir que le salarié avait détourné le matériel mis à sa disposition, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, dans quelle mesure cette utilisation personnelle de l’ordinateur professionnel avait nui à la bonne qualité de la prestation de travail de Monsieur G., la Cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles des articles L.122-14-3 (devenu L.1232-1) et L.122-40 (devenu L.1331-1) du Code du travail.

Alors enfin qu’en affirmant péremptoirement que Monsieur G. ne pouvait ignorer les nombreuses notes de service réglementant l’usage de l’outil informatique, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, s’il en avait effectivement eu connaissance, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.122-14-3 (devenu L.1232-1) et L.122-40 (devenu L.1331-1) du Code du travail.

Second moyen de cassation

Le moyen fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir débouté Monsieur G. de sa demande de rappel de salaire d’un montant de 8483,77 € au titre du solde de la prime de mobilité et de l’avoir condamné à verser à la société PCA la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Aux motifs que selon les dispositions de la note en date du 1er janvier 2001 article 5-3 de l’employeur, la prime de mobilité n’est versée qu’aux salariés présents au sein du groupe à la date de sa distribution ; que le contrat de travail de Monsieur G. ayant été rompu le 12 octobre 2002, à compter de cette date, il ne peut prétendre au bénéfice de cette prime ; qu’il lui reste à percevoir la somme de 1414 €.

Alors que lorsqu’elle est payée en exécution d’un engagement unilatéral de l’employeur, une prime constitue un élément de salaire et est obligatoire pour l’employeur dans les conditions fixées par cet engagement ; que l’employeur ne saurait en limiter les conditions d’octroi sans information régulière des salariés concernés ; qu’il n’était pas contesté que la société s’était engagée à verser à Monsieur G. une prime de mobilité selon un échéancier annuel étalé sur 5 ans, de 1999 à 2003 ;
qu’en déboutant Monsieur G. de sa demande de rappel de salaire correspondant aux années 2002 et 2003, postérieures à son licenciement, au motif que selon la note du 1er janvier 2001, la prime de mobilité n’était versée qu’aux salariés présents au sein du groupe à la date de sa distribution, sans rechercher sous quelles conditions l’employeur s’était engagé envers Monsieur G. et si celui-ci avait été informé de la teneur de la note du 1er janvier 2001, la Cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 1134 du Code civil.

Alors en tout état de cause que la cassation à intervenir sur le premier moyen s’étendra au chef de dispositif relatif au rappel de salaire correspondant au solde de la prime de mobilité, en application de l’article 1178 du Code civil.

La Cour : M. Bailly (président), Mme Grivel (conseiller référendaire rapporteur), MM. Béraud, Moignard (conseillers),

Avocats : SCP Masse-Dessen et Thouvenin, SCP Gatineau et Fattaccini.

Notre présentation de la décision

 
 

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