Jurisprudence : Vie privée
Cour de cassation Chambre sociale Arrêt du 15 décembre 2009
Bruno B. / Giraud et Migot
courrier électronique - dénigrement - employeur - faute grave - licenciement - personnel - présomption - professionnel - salarié - vie privée
Statuant sur le pourvoi formé par M. Bruno B., contre l’arrêt rendu le 3 juillet 2007 par la cour d’appel d’Angers (chambre sociale), dans le litige l’opposant à la société Giraud et Migot, société civile professionnelle, défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
DISCUSSION
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Angers, 3 juillet 2007), que M. B. a été engagé le 16 septembre 1999 en qualité de clerc de notaire par la société Giraud et Migot ; que le 24 mai 2004, il a été licencié pour faute grave après la découverte, en son absence, sur son ordinateur professionnel, de fichiers contenant notamment des courriers dénigrant l’étude auprès de tiers ; que, contestant cette mesure, le salarié a saisi la juridiction prud’homale pour obtenir l’annulation de son licenciement et la condamnation de l’employeur au paiement de ses indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Sur le premier moyen
Attendu que le salarié fait grief à l’arrêt de l’avoir débouté de sa demande en admettant la licéité des preuves, alors, selon le moyen :
1°/ que l’employeur ne peut se prévaloir, à l’encontre du salarié, d’une correspondance privée ; que des courriers de réclamation adressés à des organismes chargés de la gestion des droits sociaux constituent des courriers personnels ; qu’en considérant, au contraire, que ces courriers concernaient la vie professionnelle pour en déduire qu’ils avaient pu être retenus par la SCP Giraud-Migot à son encontre, la cour d’appel a, par fausse qualification, violé l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, l’article 9 du code civil et l’article L. 120-2 du code du travail ;
2°/ que l’employeur ne peut ouvrir des fichiers personnels sans que le salarié soit présent ou dûment appelé ; qu’en revanche, les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail sont présumés, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur peut y avoir accès hors sa présence ; qu’en considérant que la SCP Giraud-Migot était fondée à consulter les fichiers hors de la présence du salarié au seul motif que la société avait pu légitimement penser que ces fichiers étaient professionnels alors qu’il résultait de ses propres constatations que la lecture des courriers révélaient, à tout le moins pour certains, leur caractère indiscutablement personnel, faisant ainsi tomber la présomption, la cour d’appel n’a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations et, partant, a violé les règles susvisées et les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, 9 du code civil, 9 du code de procédure civile et L. 120-2 du code du travail ;
Mais attendu d’abord que les fichiers créés par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail étant présumés avoir un caractère professionnel, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, la cour d’appel, qui a constaté que les fichiers ouverts par l’employeur étaient intitulés “essais divers, essais divers B, essais divers restaurés”, en a justement déduit que ceux-ci n’ayant pas un caractère personnel, l’employeur était en droit de les ouvrir hors de la présence de l’intéressé ;
Attendu ensuite que la cour d’appel a exactement considéré que les correspondances adressées au président de la Chambre des notaires, à la caisse de retraite et de prévoyance et à l’URSSAF pour dénoncer le comportement de l’employeur dans la gestion de l’étude ne revêtaient pas un caractère privé et pouvaient être retenues au soutien d’une procédure disciplinaire ;
Que le moyen n’est pas fondé ;
Et sur le second moyen
Attendu que le salarié fait encore grief à l’arrêt de l’avoir débouté de sa demande en retenant une faute grave, alors, selon le moyen :
1°/ qu’une faute grave est la violation par le salarié de ses obligations professionnelles qui rend impossible son maintien dans l’entreprise ; qu’en considérant que l’envoi de plusieurs courriers à des organismes sociaux, portant sur des réclamations relatives aux conditions de travail et d’emploi, s’analysait en un manquement constitutif d’une faute grave, la cour d’appel a violé la règle susvisée et l’article L. 122-6 du code du travail ;
2°/ que les juges ne peuvent méconnaître la portée d’un acte clair et précis, sous peine de dénaturation ; qu’en considérant que les courriers qu’il avait adressés à la Chambre des notaires et à la caisse de retraite et de prévoyance étaient des courriers de délation qui visaient à nuire à l’étude notariale et avaient pour finalité de jeter le discrédit sur celle-ci, la cour d’appel a dénaturé lesdits courriers et, partant, a violé l’article 1134 du code civil ;
3°/ que le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de la liberté d’expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ; qu’il en résulte que l’exercice par un salarié de cette liberté ne peut justifier un licenciement que s’il dégénère en abus ; qu’en considérant que l’envoi de plusieurs courriers à des organismes sociaux portant sur des réclamations relatives aux conditions de travail et d’emploi s’analysait en un manquement constitutif d’une faute grave alors que l’envoi de tels courriers, qui ne contenaient aucun propos injurieux, diffamatoire ou excessif, ne caractérise pas un abus dans l’usage, par le salarié, de sa liberté d’expression, la cour d’appel a violé l’article L. 120-2 du code du travail ;
4°/ qu’un comportement relevant de la vie privée du salarié ne peut faire l’objet d’une sanction disciplinaire mais uniquement d’un licenciement pour motif personnel si ce comportement a créé un trouble caractérisé dans l’entreprise ; qu’en considérant que l’envoi de plusieurs courriers personnels s’analysait en un manquement constitutif d’une faute grave, la cour d’appel a violé l’article 9 du code civil et les articles L. 122-40 et L. 122-6 du code du travail ;
Mais attendu qu’ayant retenu, sans dénaturation, que dans des lettres adressées au président de la Chambre des notaires, à la caisse de retraite et de prévoyance et à l’URSSAF, le salarié jetait le discrédit sur l’étude en des termes excessifs et injurieux, la cour d’appel a pu en déduire qu’il avait ainsi manqué à ses obligations dans des conditions outrepassant sa liberté d’expression qui justifiaient la rupture immédiate du contrat de travail ; que le moyen n’est pas fondé ;
DECISION
Par ces motifs :
. Rejette le pourvoi ;
. Condamne M. B. aux dépens ;
. Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Moyens produits par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux Conseils pour M. B.
Premier moyen de cassation
Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir débouté Monsieur B. de sa demande tendant à voir dire son licenciement nul, comme reposant sur des preuves illicitement obtenues et à la condamnation de l’employeur à lui verser des dommages et intérêts et les indemnités de rupture, subsidiairement à voir dire son licenciement privé de cause, et à la condamnation de l’employeur à lui verser des dommages et intérêts et les indemnités de rupture ;
Aux motifs que la lettre de licenciement du 24 mai 2004 fait le reproche au salarié d’avoir « découvert sur son poste informatique de nombreux courriers, certains intimes, rédigés du poste informatique et durant le temps de travail, d’autres courriers de dénigrement de l’étude auprès de tiers, notamment des courriers à l’URSSAF et à la CRPCEN pour dénoncer des faits totalement inexacts, ainsi qu’au Conseil Régional des Notaires pour dénoncer les conditions de travail, la place de clerc et donc de collaborateur privilégié des notaires en raison des actes de diffamations et de la perte de confiance ne permettent plus de le conserver au sein de l’étude » ;
que les circonstances de la découverte des documents incriminés ressortent d’un procès-verbal dressé par Maître Molina, huissier de justice ; que les documents litigieux étaient répertoriés sur l’écran de l’ordinateur dédié à Bruno B. à « essai divers, essais divers B, essais divers restaurés » ; qu’ainsi donc l’étude ne fonctionnant pas en réseau, le personnel de l’étude et les notaires ont pu ouvrir ces fichiers dont ils étaient légitimement fondés à penser que ces fichiers étaient professionnels et ne contenaient pas de données personnelles ;
que dès lors, l’ouverture de ces fichiers n’a pas contrevenu à la liberté fondamentale du salarié et l’employeur a pu y avoir accès sans la présence du salarié ; qu’il résulte de la lecture de ces documents que certains sont relatifs à la vie affective imaginée de Bruno B., d’autres concernent son courrier personnel et certains sont relatifs au fonctionnement de l’étude ; que les courriers d’amour adressés à une dame C. Brigitte, ainsi que des courriers personnels adressés au maire ou à un chanteur du top 50 idole de sa grand-mère sont certes rédigés pour certains pendant les heures de travail, mais la plupart ont été rédigés pendant la pause déjeuner alors que le salarié reste sur place ; qu’aucune note interne ne fait interdiction d’utiliser l’outil informatique pour des raisons personnelles ;
que de plus cet usage n’est pas abusif et le travail du salarié n’en a pas souffert puisqu’aucun reproche professionnel ne lui a été adressé ; qu’enfin le salarié dispose sur le lieu de travail d’une sphère d’intimité qui, dès lors que son usage est modéré, lui permet de concevoir, rédiger, expédier par courriel des courriers relatifs à sa vie privée sans que l’employeur ne puisse en tirer un grief ; que les courriers relatifs au fonctionnement de l’étude ne peuvent être retenus car certains ne sont qu’interrogatifs, ainsi le courrier du 27 mars 2004 adressé au Conseil Régional est une demande concernant les frais de repas et fait état également des conditions matérielles de travail ;
qu’en revanche le courrier du 5 avril 2004 adressé à Monsieur le Président de la Chambre des Notaires est un courrier de délation qui vise à nuire à l’étude puisque le salarié fait état de faits qu’il indique être « une fraude vis-à-vis des impôts et des organismes qui recouvrent les cotisations sociales sur les salaires » et « une fraude à la convention collective », cette prétendue fraude a été dénoncée également le 8 avril suivant à la caisse de retraite et de prévoyance du personnel des notaires, le courrier adressé à l’URSSAF mentionne des « anomalies sur le lieu de travail » ;
que tous ces courriers ont pour finalité de jeter le discrédit sur l’étude auprès de ses pairs, mais également de déclencher un contrôle de la chambre ou de l’URSSAF ; que l’intention de nuire à la société qui l’employait est établie ; que ces courriers pouvaient être retenus pas l’employeur puisqu’ils ne concernant pas la sphère de la vie privée mais concernent la vie professionnelle et impliquent nommément les notaires, présentés à des institutions ayant un pouvoir disciplinaire sur eux et à des institutions investies d’un pouvoir de contrôle comme étant des fraudeurs, des « Tenardiers », des employeurs irrespectueux de la déontologie ; que ces manquements ont constitué une faute grave qui ne permettait pas le maintien du salarié même pendant le temps limité du préavis ; que le jugement sera en conséquence infirmé et le salarié débouté de ses demandes ;
Alors d’une part, que l’employeur ne peut se prévaloir, à l’encontre du salarié, d’une correspondance privée ; que des courriers de réclamation adressés à des organismes chargés de la gestion des droits sociaux constituent des courriers personnels ; qu’en considérant, au contraire, que ces courriers concernaient la vie professionnelle pour en déduire qu’ils avaient pu être retenus par la SCP Giraud-Migot à l’encontre de Monsieur B., la Cour d’appel a, par fausse qualification, violé l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, l’article 9 du code civil et l’article L120-2 du Code du travail ;
Alors à tout le moins, que l’employeur ne peut ouvrir des fichiers personnels sans que le salarié soit présent ou dûment appelé ; qu’en revanche, les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail sont présumés, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur peut y avoir accès hors sa présence ; qu’en considérant que la SCP Giraud-Migot était fondée à consulter les fichiers hors de la présence du salarié au seul motif que la société avait pu légitimement penser que ces fichiers étaient professionnels alors qu’il résultait de ses propres constatations que la lecture des courriers révélaient, à tout le moins pour certains, leur caractère indiscutablement personnel, faisant ainsi tomber la présomption, la Cour d’appel n’a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations et, partant, a violé les règles susvisées et les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, 9 du Code civil, 9 du nouveau Code de procédure civile et L120-2 du Code du travail ;
Second moyen de cassation
Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir débouté Monsieur B. de sa demande tendant à voir dire son licenciement privé de cause, et à la condamnation de l’employeur à lui verser des dommages et intérêts et les indemnités de rupture ;
Aux motifs énoncés au premier moyen
Et alors enfin qu’une faute grave est la violation par le salarié de ses obligations professionnelles qui rend impossible son maintien dans l’entreprise ; qu’en considérant que l’envoi de plusieurs courriers à des organismes sociaux, portant sur des réclamations relatives aux conditions de travail et d’emploi, s’analysait en un manquement constitutif d’une faute grave, la Cour d’appel a violé la règle susvisée et l’article L122-6 du Code du travail.
Alors que, les juges ne peuvent méconnaître la portée d’un acte clair et précis, sous peine de dénaturation ; qu’en considérant que les courriers adressés par Monsieur B. à la Chambre des Notaires et à la Caisse de Retraite et de Prévoyance étaient des courriers de délation qui visaient à nuire à l’étude notariale et avaient pour finalité de jeter le discrédit sur celle-ci, la Cour d’appel a dénaturé lesdits desdits courriers et, partant, a violé l’article 1134 du Code civil ;
Alors encore, que le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de la liberté d’expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ; qu’il en résulte que l’exercice par un salarié de cette liberté ne peut justifier un licenciement que s’il dégénère en abus ; qu’en considérant que l’envoi de plusieurs courriers à des organismes sociaux portant sur des réclamations relatives aux conditions de travail et d’emploi s’analysait en un manquement constitutif d’une faute grave alors que l’envoi de tels courriers, qui ne contenaient aucun propos injurieux, diffamatoire ou excessif, ne caractérise pas un abus dans l’usage, par le salarié, de sa liberté d’expression, la Cour d’appel a violé l’article L120-2 du Code du travail ;
Et alors en tout cas qu’un comportement relevant de la vie privée du salarié ne peut faire l’objet d’une sanction disciplinaire mais uniquement d’un licenciement pour motif personnel si ce comportement a créé un trouble caractérisé dans l’entreprise ; qu’en considérant que l’envoi de plusieurs courriers personnels s’analysait en un manquement constitutif d’une faute grave, la Cour d’appel a violé l’article 9 du Code civil et les articles L122-40 et L122-6 du Code du travail.
La Cour: Mme Collomp (président), Mme Grivel (conseiller référendaire rapporteur), Mme Mazars (conseiller doyen), MM. Bailly, Chauviré, Mmes Morin, Perony, MM. Béraud, Linden, Moignard, Lebreuil, Mmes Geerssen, Lambremon, M. Taillefer (conseillers), Mmes Agostini, Divialle, Pécaut-Rivolier, Darret-Courgeon, Guyon-Renard, M. Mansion (conseillers référendaires), M. Carré-Pierrat (avocat général)
Avocats : SCP Masse-Dessen et Thouvenin, SCP Gatineau et Fattaccini.
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