Jurisprudence : E-commerce
Cour de cassation Chambre financière, commerciale et économique Arrêt du 16 février 2010
France Télécom, Orange France / Bouygues et autres
concurrence - distribution - e-commerce - exclusivité - suspension
Statuant sur le pourvoi n° V 09-11.968 formé par :
1°/ la société France Télécom, société anonyme,
2°/ la société Orange France, société anonyme,
contre un arrêt rendu le 4 février 2009 par la cour d’appel de Paris (1ère chambre, section H), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Bouygues Télécom, société anonyme,
2°/ à l’association Union fédérale des consommateurs Que Choisir (UFC-Que Choisir),
3°/ à la société Française de radiotéléphonie, société anonyme,
4°/ au ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi, domiciliée en cette qualité à la Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF),
5°/ à l’Autorité de la concurrence, représentée par le président du Conseil de la concurrence,
défendeurs à la cassation ;
En présence de :
1°/ la société Apple Sales International, dont le siège est à Cork (Irlande),
2°/ la société Apple Inc, dont le siège est en Californie (Etats-Unis),
Statuant sur le pourvoi n° S 09-65.440 formé par :
1°/ la société Apple Sales International,
2°/ la société Apple Inc,
contre le même arrêt rendu, dans le litige les opposant :
1°/ à la société France Télécom,
2°/ à la société Orange France,
3°/ à la société Bouygues Télécom,
4°/ à l’association Union fédérale des consommateurs Que Choisir (UFC-Que Choisir),
5°/ à la société Française de radiotéléphonie,
6°/ au ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi,
7°/ à l’Autorité de la concurrence, représentée par le président du Conseil de la concurrence,
défendeurs à la cassation ;
Les demanderesses au pourvoi n° V 09-11.968 invoque, à l’appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
Joint les pourvois n° V 09-11.968 formé par la société France Télécom et la société Orange et n° S 09-65.440 formé par la société Apple Sales International et la société Apple Inc, qui attaquent le même arrêt ;
Statuant sur le pourvoi n° S 09-65.440 formé par les sociétés Apple Sales International et Apple Inc (les sociétés Apple) ;
Donne acte aux sociétés Apple de leur désistement ;
Statuant sur le pourvoi n° V 09-11.968 formé par la société France Télécom et la société Orange ;
DISCUSSION
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que, se plaignant d’avoir été exclue de la commercialisation du terminal mobile vendu sous la dénomination iPhone, la société Bouygues Télécom (Bouygues) a, le 18 septembre 2008, saisi le Conseil de la concurrence, devenu l’Autorité de la concurrence, (le Conseil) de pratiques mises en oeuvre dans le cadre de la distribution de l’iPhone sur le marché français et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires sur le fondement de l’article L. 464-1 du code de commerce ;
que, par décision n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008, le Conseil, après avoir sollicité l’avis de l’Arcep, et avoir retenu l’existence d’une atteinte grave et immédiate portée à l’économie du secteur des services de téléphonie mobile et à l’intérêt des consommateurs en raison d’accords d’exclusivités liant les sociétés Apple aux sociétés France Télécom et Orange relativement au terminal iPhone fabriqué par Apple, exclusivités susceptibles de contrevenir aux dispositions des articles L. 420-1 du code de commerce et 81 du traité CE, a prononcé des mesures conservatoires consistant notamment en la suspension de clauses contractuelles faisant d’Orange l’opérateur mobile exclusif pour les terminaux iPhone et de celles désignant Orange en qualité de grossiste habilité à titre exclusif à acheter des produits iPhone à des fins de distribution ;
Sur la recevabilité du pourvoi, contestée par la défense :
Attendu que la recevabilité du pourvoi immédiat est contestée par la société Bouygues au motif que les dispositions du code de procédure civile ne cédant que devant les dispositions expressément contraires du code de commerce ou aménageant des modalités propres aux recours contre les décisions du Conseil, la recevabilité du pourvoi en cassation est, en matière de mesures conservatoires, régie par les dispositions des articles 606 et 608 du code de procédure civile ;
Mais attendu que les arrêts de la cour d’appel de Paris statuant sur recours formés contre des décisions du Conseil prises au titre de l’article L. 464-1 du code de commerce, peuvent, par application des dispositions des articles L. 464-7 et L. 464-8 du même code, être frappées d’un pourvoi en cassation dans le délai d’un mois à compter de leur notification ; qu’il s’ensuit que le pourvoi est recevable ;
Attendu que le premier moyen, le deuxième moyen, pris en sa neuvième branche et le troisième moyen, pris en ses quatrième, cinquième, huitième, neuvième et dixième branches, ne seraient pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :
Vu les articles 81 du traité CE, L. 420-1 et L. 464-1 du code de commerce ;
Attendu que, pour dire les exclusivités accordées par Apple à Orange susceptibles d’être contraires aux dispositions de l’article 81 du traité et L. 420-1 du code de commerce, l’arrêt, statuant par motifs propres et adoptés, constate qu’en vertu du partenariat liant ces sociétés, Orange est, en France, l’opérateur mobile exclusif pour les terminaux iPhone, qu’Orange est également le grossiste exclusif de ces produits et que l’exclusivité qui lui est consentie en qualité d’opérateur de réseau est renforcée dans les contrats de distribution sélective proposés par Apple à ses distributeurs agréés, qui prévoient que ceux-ci doivent offrir à la vente la gamme complète des services de téléphonie mobile d’Orange pour l’iPhone et que, s’ils peuvent vendre les terminaux « nus », c’est à la condition que ces derniers soient bloqués pour n’accepter que des cartes SIM du réseau Orange, étant précisé que le consommateur demandant le déverrouillage de l’appareil pour l’utiliser sur un autre réseau avant un délai de six mois, doit acquitter une somme de 100 € ;
qu’il relève que ces exclusivités, qui conduisent à ce que l’iPhone soit commercialisé uniquement avec un abonnement Orange, excluent toute commercialisation de ce terminal dans les réseaux monomarques des opérateurs de réseau concurrents d’Orange et imposent à un consommateur désireux d’acquérir un iPhone de souscrire simultanément un contrat chez Orange, ou d’acquitter des frais de « désimlockage » injustifiés, augmentant ainsi le coût de changement d’opérateur et rendant donc le contournement du monopole plus difficile et de fait des plus limité ;
qu’il rappelle que l’Arcep a souligné dans son avis la durée exceptionnelle de l’exclusivité ainsi consentie à Orange, soit 5 ans pour tous les produits de la gamme iPhone au lieu de, habituellement, 3 à 6 mois et pour un modèle de terminal donné et relève que la durée de l’exclusivité, serait-elle réduite à trois ans par la volonté d’Apple qui s’en est contractuellement réservé la possibilité, est disproportionnée au regard des investissements spécifiques consentis par Orange ;
qu’il précise que l’iPhone, qui se distingue d’autres smartphones par son ergonomie d’usage, a vocation à bénéficier de l’effet de levier résultant de la position largement prééminente d’Apple, sur le marché des baladeurs numériques grâce à l’iPod, et sur celui du téléchargement payant de musique en ligne ; qu’il relève que le champ et la durée de l’exclusivité consentie à Orange, jointe à l’attractivité particulière de l’iPhone est de nature à conférer à Orange un avantage concurrentiel majeur ;
qu’il retient que, compte tenu de la faible intensité compétitive qui règne d’ores et déjà sur le marché des services de téléphonie mobile, dont celui de l’internet mobile est un nouveau segment, tenant aux circonstances que les opérateurs sont peu nombreux (3 licences et quelques Mvno), qu’ils ont pour habitude de coupler la vente de terminaux avec des engagements de durée et que les coûts de changement d’opérateurs sont élevés, cet avantage est susceptible de renforcer la position d’Orange, leader sur le marché des services de téléphonie mobile avec 43,8 % du parc d’abonnés en septembre 2008, devant SFR, 33,7 % et Bouygues, 17,3 % et d’affaiblir un peu plus la concurrence que peuvent se faire les opérateurs mobiles sur ce marché ;
qu’il ajoute qu’un risque de cloisonnement vertical du marché pourrait résulter des effets cumulatifs de tels partenariats si d’autres opérateurs choisissaient de se faire concéder des exclusivités similaires, telle l’exclusivité d’un an consentie à SFR sur le Blackberry Storm de RIM ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l’existence de terminaux concurrents de l’iPhone fabriqué par Apple, nouvel entrant sur le marché des terminaux, n’était pas de nature à permettre à des opérateurs de téléphonie mobile concurrents d’Orange, de proposer aux consommateurs des offres de services de téléphonie et internet haut débit mobiles associées à des terminaux, concurrentes de celles proposées par Orange avec l’iPhone, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;
Et sur le deuxième moyen, pris en sa cinquième branche :
Vu les articles 81 § 3 du traité CE, L. 420-4 et L. 464-1 du code de commerce ;
Attendu que, pour écarter l’argumentation des sociétés France Télécom et Orange selon lesquelles l’exclusivité accordée à Orange était justifiée par la nécessité d’amortir les investissements consentis par celle-ci pour le lancement de l’iPhone, l’arrêt, après avoir déterminé le montant des investissements spécifiques à prendre en compte, retient que le bénéfice net réalisé par Orange en commercialisant des services de téléphonie mobile associés à l’iPhone montre que la durée de l’exclusivité était disproportionnée au regard des investissements spécifiques consentis par Orange ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la prise en compte de l’intégralité du chiffre d’affaires généré par les communications mobiles des acheteurs d’iPhones, et non d’un revenu additionnel, ne revenait pas à considérer qu’Orange aurait perdu ou n’aurait pas gagné l’intégralité des clients ayant souscrit à ses offres de services de téléphonie mobile comprenant un iPhone si elle n’avait pas commercialisé ce terminal, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;
DECISION
Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
. Casse et annule, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 4 février 2009, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;
. Fait masse des dépens et les met pour moitié, d’une part à la charge de la société Bouygues Télécom et, d’autre part à la charge de la société Française de radiotéléphonie ;
. Vu l’article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à chacune des sociétés France Télécom et Orange la somme globale de 2500 € et rejette les autres demandes ;
. Vu l’article R. 470-2 du code de commerce, dit que sur les diligences du directeur de greffe de la Cour de cassation, le présent arrêt sera notifié, par lettre recommandée avec accusé de réception, à la Commission européenne, à l’Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l’Economie ;
. Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
Moyens produits au pourvoi n° V 09-11.968 par la SCP Defrenois et Levis, avocat aux Conseils pour les sociétés France Télécom et Orange France.
Premier moyen de cassation
Il est fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté le recours des sociétés France Télécom et Orange contre la décision du Conseil de la concurrence n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008 relative à des pratiques mises en oeuvre dans la distribution des iPhones ;
1°) Aux seuls motifs que :
«Sur la motivation de la décision
(…) la décision contient l’énoncé des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement et qui permettent d’en contrôler la légalité et (…), sous couvert du grief non fondé de défaut de motifs, les requérantes discutent la pertinence du raisonnement suivi par le Conseil, que la cour examinera dans l’exercice de son pouvoir de réformation» ;
1°) Alors que le Conseil de la concurrence doit motiver sa décision et pour ce faire, prendre en considération les éléments versés aux débats ; que la cour d’appel doit contrôler cette motivation et cette prise en compte des éléments versés aux débats ; qu’en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si le Conseil de la concurrence ne s’était pas exonéré de toute motivation au regard des données essentielles versées au débats par les exposantes, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 455 du code de procédure civile, de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 sur la motivation des actes administratifs et de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
2°) Aux motifs que :
«Sur les droits de la défense, les exigences du procès équitable et le principe de la contradiction
(…)
aucune disposition du code de commerce n’impose de délais pour la mise en état des procédures de mesures conservatoires, qui se caractérisent par l’urgence et dont l’instruction doit permettre, dans un temps nécessairement restreint, de réunir le plus d’éléments possibles sur le bien-fondé de la demande et, lorsque le rapporteur général, usant de la faculté qu’il tient de l’article R. 463-8 du code précité, décide, en vue d’assurer une meilleure organisation des débats, de fixer des délais aux parties pour le dépôt de leurs écritures, le dépôt de pièces ou d’écritures après l’expiration du temps imparti ne saurait justifier, sur ce seul fondement, leur rejet de la procédure, dès lors que les parties adverses ont bénéficié d’un temps suffisant pour y répondre ;
(…) le Conseil, ayant rappelé que la procédure mise en oeuvre pour instruire une demande de mesures conservatoires doit être adaptée à l’urgence tout en respectant le principe du contradictoire, a estimé à juste titre qu’en l’espèce, le délai de sept jours, porté à neuf à la demande de Orange et France Télécom pour leur permettre de répondre aux observations, études et pièces en répliques de la plaignante déposées le 10 novembre 2008, et encore le délai de huit jours dont elles ont disposé pour répondre par écrit ou oralement en séance, le 27 novembre 2008, aux nouvelles études et pièces déposées par le 19 novembre 2008, étaient suffisants au regard de ce principe» ;
Alors qu’en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si l’attitude de Bouygues Télécom, son dépositionnement et le retard délibéré dans le déploiement de son réseau 3G, n’était pas en totale contradiction avec la saisine du Conseil de la concurrence dénonçant les conditions de distribution de l’iPhone 3G, caractérisant un manquement au devoir supérieur de loyauté, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du principe supérieur de loyauté ;
Et alors qu’en ne répondant pas au moyen tiré de la déloyauté du comportement procédural de Bouygues Télécom qui, ayant saisi le Conseil de la concurrence d’une procédure d’urgence, a déposé une semaine avant le délai imparti aux exposantes pour y répondre, 150 pages d’écritures accompagnées de 33 annexes dont 200 pages d’études économiques quand tous ces documents auraient pu être déposés en même temps que la saisine, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile, ensemble l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
3°) Aux motifs que :
«(…) de même, le déclassement des pièces prévu par l’article R. 463-15 du code de commerce n’est soumis à aucun délai et les documents initialement retirés du dossier, à la demande d’Orange, au titre du secret des affaires, ne le sont restés que quatre jours, étant observé que les requérantes ne pouvaient espérer qu’ils le resteraient puisqu’ils contenaient l’essentiel des clauses fondant les pratiques dénoncées et que, de toute façon, elles en connaissaient le contenu puisque c’étaient elles qui les avaient produites ; qu’elles ne sauraient en outre se plaindre de l’absence de notification de griefs antérieurement à la séance, qu’aucun texte ne prévoit, ni prétendre avoir ignoré quelles étaient les mesures susceptibles d’être prononcées alors qu’elles avaient connaissance des demandes formées par Bouygues Télécom à ce titre» ;
Alors qu’en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si les services d’instructions n’avaient pas adopté un comportement déloyal, attentatoire aux droits de la défense et au principe du contradictoire en déclassant, quelques jours avant la séance et après le dépôt des dernières écritures des exposantes, des documents classés secret des affaires dans des conditions ne permettant pas aux exposantes d’organiser leur défense en considération de documents qui, lorsqu’elles ont dû déposer leurs écritures, étaient classés secrets, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des principes de loyauté, des droits de la défense et du contradictoire, ensemble les articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et L. 463-4 du code de commerce ;
Alors qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du principe de l’instruction à charge et à décharge et de l’article L. 464-1 du code de commerce et de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et L. 463-4 du code de commerce ;
4°) Aux motifs que :
«si l’instruction devant le Conseil de la concurrence doit être pleinement contradictoire, l’absence éventuelle de pièces dans le dossier soumis aux parties n’est de nature à entraîner l’annulation de la décision que s’il est avéré qu’elle a porté atteinte à leurs intérêts ; (…) à cet égard, si le Conseil ne nie pas que partie des documents cités par la décision n’ont pas été soumis aux requérantes, la cour observe que ces dernières ne prétendent pas qu’elles en auraient discuté la teneur – ou l’exactitude, s’agissant pour l’essentiel de données publiques que la décision cite pour décrire le fonctionnement global des marchés concernés et dont, en leur qualité d’opérateurs de téléphonie mobile, elles avaient nécessairement connaissance (suivi des « indicateurs mobiles » publié par l’Arcep relatif au parc total de clients, parts de marché de Apple au titre de la commercialisation mondiale des smartphones, parts d’Orange, en données parc, sur le marché de la téléphonie mobile) ou de la reprise d’appréciations précédemment exprimées dans un avis, cette référence ne leur conférant d’ailleurs pas un caractère incontestable pour les parties, et que, pour ce qui est des documents transmis « à titre confidentiel » par SFR, il n’est pas précisé s’ils avaient fait l’objet d’une décision de classement au titre du secret des affaires et, de toute façon, si la décision s’y réfère en termes généraux, les données qu’elle cite à ce titre au point 168 ne concernent que Bouygues Télécom ; (…) ainsi, aucune atteinte aux intérêts de France Télécom et d’Orange ne résulte du défaut de communication invoqué» ;
6°) Alors que le Conseil de la concurrence ne peut utiliser des éléments qui n’ont pas été soumis à la contradiction des parties, de sorte qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé les articles L. 463-1 du code de commerce, ensemble l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Deuxième moyen de cassation (l’absence de caractérisation d’une quelconque atteinte à la concurrence)
Il est fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté le recours des sociétés France Télécom et Orange contre la décision du Conseil de la concurrence n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008 relative à des pratiques mises en oeuvre dans la distribution des iPhones ;
1°) Aux motifs que :
«Sur l’atteinte à la concurrence
(…) des mesures conservatoires peuvent être décidées, sur le fondement de l’article L. 464-1 du code de commerce, par le Conseil de la concurrence, dans les limites de ce qui est justifié par l’urgence, en cas d’atteinte grave et immédiate à l’économie générale, à celle du secteur intéressé, à l’intérêt des consommateurs ou à l’entreprise plaignante, dès lors que les faits dénoncés, et visés par l’instruction dans la procédure au fond, apparaissent susceptibles, en l’état des éléments produits aux débats, de constituer une pratique contraire aux articles L. 420-1 ou L. 420-2 du même code, pratique à l’origine directe et certaine de l’atteinte relevée ;
(…) le prononcé de mesures conservatoires n’est donc justifié que si, tout d’abord, il apparaît que la pratique dénoncée et visée par l’instruction est susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle ;
(…) à cet égard, la décision retient à juste titre que le système de distribution mis en place par Apple, et notamment le contrat de partenariat exclusif signé entre Apple et Orange pour une durée de cinq ans, est, sous réserve de l’instruction en cours, susceptible d’être contraire aux dispositions de l’article 81 du Traité CE et L. 420-1 du code de commerce ;
(…) en effet, en vertu de ce partenariat. Orange est l’opérateur exclusif chargé par Apple de distribuer l’iPhone en France, il est également le grossiste exclusif de ce produit en France, l’exclusivité qui lui est consentie en qualité d’opérateur de réseau est renforcée dans les contrats de distribution sélective proposés par Apple à ses distributeurs agréés, qui prévoient que ceux-ci doivent offrir à la vente la gamme complète des services de téléphonie mobile pour l’iPhone d’Orange en France et que, s’ils peuvent vendre les terminaux « nus », c’est à la condition que ces derniers soient équipés d’une carte SIM bloquée sur le réseau Orange, enfin, les distributeurs agréés ne peuvent s’approvisionner qu’auprès d’Orange et ne peuvent, ni importer, ni exporter des iPhones au sein de la communauté européenne ;
(…) ces exclusivités croisées, qui conduisent à ce que l’iPhone soit commercialisé uniquement avec un abonnement Orange, excluent toute commercialisation de l’iPhone dans les réseaux monomarques des opérateurs de réseau concurrents d’Orange et imposent à un consommateur désireux d’acquérir un iPhone de souscrire simultanément un contrat chez Orange, ou d’acquitter des frais de « désimlockage » injustifiés, augmentant ainsi le coût de changement d’opérateur et, partant, rendant le contournement du monopole plus difficile ;
(…) , d’ailleurs, le dossier révèle que ce contournement reste des plus limités, puisque, s’agissant des iPhones 3G activés chez les différents opérateurs, dont partie a d’ailleurs pu être achetée à l’étranger, SFR en a déclaré 2000 en août 2008 sur un total de 2505 « désimlockages » enregistrés par Apple et contre 133 590 terminaux vendus par Orange au même moment (cote 2431 et suivantes), et Bouygues Télécom 2500 en octobre 2008 (p. 73 des observations en réponse au recours de France Télécom et Orange) à rapprocher des 300.000 terminaux 3G qu’Orange a déclaré avoir vendus en novembre 2008 ;
(…) c’est vainement également que les sociétés Orange et France Télécom prétendent que le « simlockage » auquel il est procédé au profit du réseau orange en cas de vente d’un terminal « nu » serait normal, alors que l’Arcep elle-même a affirmé le contraire en rappelant que le « simlockage » ne tire sa justification que de ce qu il permet à un opérateur ayant subventionné un terminal de recouvrer les coûts engagés lorsque le client change prématurément de fournisseur de services ;
(….) l’exclusivité ainsi consentie à Orange, dont la durée exceptionnelle a été soulignée par l’Arcep dans son avis (5 ans pour tous les produits de la gamme au lieu de, habituellement, 3 à 6 mois et pour un terminal donné), jointe à l’attractivité particulière du terminal, qui a vocation a bénéficier de l’effet de levier résultant de la position largement prééminente de Apple, grâce à l’iPod sur le marché des baladeurs numériques – 48 % environ de part de marché en France en 2007 (cité page 6 de l’avis l’Arcep), loin devant les concurrents dont les parts respectives n’excèdent pas 10 %- et sur le marché du téléchargement payant de musique en ligne, proportionnel au parc d’iPods, étant encore souligné que les iPhones sont actuellement commercialises par Orange à un prix inférieur à celui des iPods de capacité égale, est de nature à conférer à cet opérateur un avantage concurrentiel majeur ;
(…) compte tenu de la faible intensité compétitive qui règne d’ores et déjà sur le marché des services de téléphonie mobile, tenant aux circonstances – que les requérantes ne contestent pas – que les opérateurs sont peu nombreux (3 licences et quelques Mvno) qu’ils ont pour habitude de coupler la vente de terminaux avec des engagements de durée et que les coûts de changement d’opérateurs sont élevés, cet avantage est susceptible de renforcer encore la position d’Orange sur le marché des services de téléphonie mobile et d’affaiblir un peu plus la concurrence que peuvent se faire les opérateurs sur ce marché, indépendamment du comportement antérieur de ces derniers ;
(…) c’ est à bon escient en outre que le Conseil a retenu le risque de cloisonnement du marché qui pourrait résulter des effets cumulatifs de tels partenariats, en particulier si d’autres opérateurs choisissaient, en riposte, de se faire concéder des exclusivités similaires, risques dont SFR elle-même a confirmé la réalité, en précisant dans ses conclusions (pages 9 et 10) qu’elle dispose d’ores et déjà d’une exclusivité d’un an sur le Blackberry Storm de RIM, conçue, précisément, dans une optique de stratégie défensive ;
(…) c’est donc par une appréciation pertinente que la cour fait sienne que le Conseil se fondant comme il le devait sur les caractéristiques du marché concerné ce que France Télécom et Orange lui reprochent à tort, a retenu qu’en l’état du dossier dont il était saisi, il existait une atteinte à la concurrence résultant du système de distribution mis en place par Apple, de nature à justifier le prononcé de mesures conservatoires, sous réserve que les autres conditions prévues par l’article L.464-1 soient réunies» ;
Alors d’une part qu’en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si l’existence sur le marché de terminaux, concurrents directs de l’iPhone n’excluait pas que l’exclusivité en cause ait un quelconque effet d’éviction ou de barrière à l’entrée, de sorte qu’elle ne portait pas atteinte à la concurrence, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 81 du traité, L.420-1 et L. 464-1 du code de commerce ;
Alors de deuxième part qu’en appréciant la durée de l’exclusivité en cause de manière abstraite, selon les pratiques usuelles du marché, sans égard aux caractéristiques concrètes de la relation contractuelle en cause et des investissements effectivement réalisés, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de des articles 81 du traité, L. 420-1 et L. 464-1 du code de commerce ;
Alors de troisième part qu’en statuant comme elle l’a fait, sans examiner, comme elle y était invitée, l’intensité de la concurrence sur le secteur de l’internet haut débit mobile, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 81§1 du traité CE, L. 420-1 et L. 464-1 du code de commerce ;
Alors de quatrième part qu’en fondant sa décision sur la position d’Orange sur le marché et l’avantage concurrentiel obtenu par celle-ci, sans pour autant caractériser ni une position dominante ni une exploitation abusive par l’obtention d’un avantage concurrentiel par d’autres moyens que ses mérites, la cour d’appel s’est prononcée par des motifs inopérants, en violation des articles 81§1 du traité CE, L. 420-1 et L. 464-1 du code de commerce ;
2°) Aux motifs que :
«Sur l’exemption en raison des gains d’efficience :
(…) si l’article 81§1 du Traité CE interdit tous accords entre entreprises toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, en dérogation à cette règle le paragraphe 3 du même article prévoit que cette interdiction peut être déclarée inapplicable aux accords qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans imposer aux entreprises des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs, ni donner à ces entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d’éliminer la concurrence ;
(…) même en retenant les évaluations actuelles d’Orange – soit 106 M€ d’investissements spécifiques dont 60 millions pour l’iPhone 2G et 42 millions pour l’iPhone 3G, outre 4 millions indistinctement attribués aux deux modèles bien qu’elle n’en justifie que par les déclarations de son directeur financier, la cour estime que l’appréciation du Conseil demeure pertinente ;
(…) en effet, en premier lieu, si, lorsqu’un distributeur a réalisé des investissements pour protéger ou bâtir l’image d’une marque ou pour lancer un produit nouveau, il doit en être tenu compte au titre des gains d’efficience dans la mesure où seule une durée contractuelle suffisamment longue peut lui assurer un retour sur investissement dans des conditions économiquement raisonnables, le Conseil objecte avec raison que ces investissements spécifiques sont de ceux qui présentent le caractère de coûts fixes, indépendamment des quantités qui seront vendues ultérieurement et que ne sauraient donc être retenues à ce titre des dépenses ayant la nature de coûts variables, notamment celles qui sont engagées une fois la vente réalisée, comme le subventionnement du terminal 3G (54,3 M€) ou les sommes versées au titre du partage de revenus pour l’iPhone 2G (35,6 M€) ; (…) ainsi, les investissements spécifiques à prendre en compte en l’espèce s’élèvent, après déduction de ces deux postes, à 16,7 millions d’€ pour les deux modèles dont 6,6 millions d’€ pour l’iPhone 3G ;
Or (…) au 17 décembre 2008, Orange a déclaré avoir vendu 150 000 iPhones 2G et 450 000 iPhones 3G, (…) elle a également précisé qu’en moyenne, ses clients s’engagent pour 18 mois et dépensent mensuellement 86 € HT et qu’elle-même réalise une marge nette (Ebitba) de l’ordre de 40 % ; qu’il suit de là qu’au terme de 18 mois, les 450 000 clients ayant acheté un iPhone 3G auront permis à Orange de dégager un chiffre d’affaires de services de téléphonie de 696 600 000 € (450 000 x 86 x 18), soit un bénéfice de 278 640 000 € (696 600 000 x 40 %) dont il faut déduire le coût de subvention de l’iPhone (310 € en moyenne) soit 139 500 000 € pour 450 000 appareils, de sorte que son bénéfice net s’établit à 139 140 000 € (278 640 000 -139 500 000), étant précisé que, pour cette appréciation du retour sur investissement, c’est la totalité du prix de l’abonnement qu’il convient de prendre en compte et non un simple revenu additionnel puisque la vente des appareils subventionnés est conditionnée par une durée d’engagement ou de réengagement de 18 mois en moyenne ;
(…) ainsi en moins de cinq mois, Orange s’est assurée, avec les seuls modèles 3G, un bénéfice net de près de 140 millions d’€, pour des investissements spécifiques de 165 millions pour les deux modèles, ce dont il résulte que la durée d’exclusivité de 5 ans serait-elle réduite à 3 ans par la volonté de Apple, est largement disproportionnée au regard des investissements spécifiques consentis par Orange, étant encore souligné que ce constat demeure exact même en retenant le chiffre de 46 M€ avancé par cette dernière» ;
Alors qu’en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si la prise en compte de l’intégralité du chiffre d’affaires généré par les communications mobiles des acheteurs d’iPhone et non un revenu additionnel ne revenait pas à considérer qu’Orange aurait perdu ou n’aurait pas gagné l’intégralité des acheteurs d’iPhone si elle ne l’avait pas commercialisé, en sorte que cette prise en compte de l’intégralité du chiffre d’affaires procède d’une erreur de raisonnement, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 81§3 du traité CE, L. 420-4 et L. 464-1 du code de commerce ;
3°) Aux motifs que :
«S’agissant du risque, que si Apple était un nouvel entrant sur le marché des terminaux téléphoniques. Orange ne saurait nier la notoriété mondiale de cette marque en 2007 et le succès considérable que l’iPhone avait rencontré dans les pays où il avait déjà été lancé, ce que ses représentants ont d’ailleurs admis au cours de l’instruction, en relatant que le rapport de force était du côté d’Apple, qu’eux-mêmes espéraient, grâce à l’iPhone qui avait « bien marché aux Etats-Unis », attirer un « type de client technophile à fort revenu » et bénéficier d’une « retombée d’image » favorable en s’associant à «une marque qui aborde la technologie de manière simple tout en véhiculant une « image d’innovation », ce qui leur paraissait important sur le marché naissant de l’internet mobile ; (…) ainsi, le risque invoqué n’est pas démontré» ;
Alors qu’en ne tenant pas compte, comme elle y était invitée, de ce que la notoriété d’Apple et le lancement réussi de l’iPhone dans d’autres pays n’enlevaient pas toute incertitude sur les ventes en France, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 81§3 du traité, L. 420-4 et L. 464-1 du code de commerce ;
4°) Aux motifs que :
«s’agissant du sur-subventionnement allégué et du profit qui en résulterait pour le consommateur, (…) c’est par des considérations pertinentes que la cour fait siennes que le Conseil a relevé que le fait qu’il soit contractuellement prévu n’en fait pas nécessairement la contrepartie de l’exclusivité consentie, alors que le premier contrat signé par Apple avec les opérateurs de différents pays, qu’ils soient ou non exclusifs, prévoyait une obligation de subventionnement, que le Conseil (points 32 et 33) a également constaté qu’il existait des subventionnements éminemment variables pour divers terminaux 3G, pouvant atteindre 700 €, sans lien avéré avec une éventuelle exclusivité, et qu’en principe le subventionnement d’un terminal trouve sa contrepartie dans la durée de l’engagement de l’utilisateur, voire dans le type de forfait choisi, ce dernier élément étant confirmé, pour ce qui est de l’iPhone 3G, par les constatations du Conseil selon lesquelles le prix de ce terminal, en juillet 2008, variait en fonction du forfait souscrit (point 34) ; (…) en outre le Conseil fait valoir à juste titre qu’il résulte du tableau produit par Orange (point 33) que des terminaux vendus par un seul opérateur ne bénéficient pas d’un niveau de subvention supérieur à ceux offerts par plusieurs opérateurs en concurrence, ce qui tend à démontrer l’absence de lien de causalité entre le niveau de subvention et l’exclusivité» ;
Alors d’une part qu’en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si, en vertu des stipulations du contrat conclu entre Orange et Apple, le sur-subventionnement n’était pas une contrepartie de l’exclusivité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du code civil, 81§3 du traité, L. 420-4 et L. 464-1 du code de commerce ;
Alors d’autre part qu’ en ne tenant pas compte, comme elle y était invitée, du caractère exceptionnel du subventionnement en cause, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 81§3, L.420-4 et L. 464-1 du code de commerce ;
5°) Aux motifs que :
«sur l’application du règlement d’exemption n° 2790-1999 de la Commission du 22 décembre 1999 concernant l’application de l’article 81 paragraphe du traité CE à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (…) l’article 81§1 du Traité CE interdit tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence mais (…) le règlement susvisé a déclaré l’interdiction inapplicable à certaines catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées ;
(…) aux termes de l’article 4, d, de ce règlement, l’exemption ne s’applique pas aux accords verticaux qui, directement ou indirectement, isolement ou cumulés avec d’autres facteurs sous le contrôle des parties, ont pour objet la restriction des livraisons croisées entre distributeurs à l’intérieur d’un système de distribution sélective, y compris entre les distributeurs opérant à des stades différents du commerce ;
(…) tel est le cas des documents contractuels produits et des clauses d’exclusivité qu’ils contiennent, en particulier du contrat de distribution signé entre Orange et Apple qui interdit à Orange d’acheter les produits agréés auprès d’autres sources qu’Apple, sauf accord préalable écrit de ce dernier (article 2 du Premier Avenant, du 15 mai 2008, cote 3515 du dossier) qui incite Orange à veiller à ce que le produit ne soit pas vendu à un acheteur qui entendrait l’exporter en dehors de la France et lui interdit de procéder à des ventes croisées actives (points 70 et 71 de la décision), combiné aux contrats signés entre Orange et les distributeurs agréés, qui obligent ces distributeurs à se fournir en terminaux exclusivement et directement auprès d’Orange et leur interdisent de s’approvisionner auprès d’autres sources sans l’accord écrit et préalable d’Orange, enfin qui ne leur permettent la revente que dans les points de vente autorisés en France (point 79) ;
(…) au surplus, ainsi que le souligne Bouygues Télécom, le système de distribution de l’iPhone ainsi mis en place, assorti de l’obligation faite aux détaillants agréés d’associer à chaque terminal vendu une prestation de téléphonie mobile Orange, y compris en cas de vente de terminal « nu », en fait obligatoirement assorti d’une carte SIM bloquée sur le réseau Orange et alors qu’une simple opération de « désimlockage” engendre en l’espèce des frais plutôt dissuasifs, contrevient également à l’article 4, c, du règlement d’exemption, qui proscrit la restriction des ventes actives ou des ventes passives aux utilisateurs finals par les membres d’un système de distribution sélective qui opèrent en tant que détaillants sur le marché ;
(…) l’existence même de ces clauses, telles qu’elles se révèlent à ce stade de la procédure, constitue donc un obstacle à l’exemption ; (…) il n’y a pas lieu dès lors d’examiner le moyen tiré des parts de marché respectives de Apple et de Orange et de l’application de l’article 3 du règlement» ;
Alors qu’en examinant les conditions de l’exemption de l’exclusivité litigieuse, issue de l’accord conclu par Orange et Apple en octobre 2007 en considération d’accords postérieurs, conclus en 2008, la cour d’appel a violé les articles 4 c) et d) du règlement de la Commission 2790/1999 sur l’application de l’article 81 § 3 du traité CE à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées.
Troisième moyen de cassation
(L’absence de caractérisation d’une atteinte grave et immédiate justifiant les mesures conservatoires ordonnées et le caractère disproportionné de ces mesures)
Il est fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté le recours des sociétés France Télécom et Orange contre la décision du Conseil de la concurrence n° 08-MC-01 du 17 décembre 2008 relative à des pratiques mises en oeuvre dans la distribution des iPhones ;
1°) Aux motifs que :
«il a déjà été dit que l’exclusivité d’une durée exceptionnelle consentie à orange pour la commercialisation de l’iPhone, jointe à l’attractivité particulière du terminal, est de nature à conférer à cet opérateur un avantage concurrentiel majeur qui, compte tenu de la faible intensité compétitive qui règne d’ores et déjà sur le marché des services de téléphonie mobile, est susceptible de renforcer encore sa position sur le marché des services de téléphonie mobile et d’affaiblir un peu plus la concurrence que peuvent se faire les opérateurs sur ce marché ;
(…) cette situation porte, dès à présent, gravement atteinte aux intérêts du secteur et, simultanément, à ceux des consommateurs ;
(…) en effet, le marché du terminal en France se caractérise par une forte dynamique de renouvellement (en 2006, près d’un client français sur trois avait l’intention de renouveler son appareil dans les douze mois, essentiellement pour disposer d’un terminal « plus moderne »), et celui du terminal multimédia en particulier, en plein développement, connaît une forte croissance : le déploiement des réseaux mobiles haut débit est récent, des offres illimitées d’échanges de données sont apparues à la fin de l’année 2007 et le parc client est en augmentation rapide (plus du double en un an chez Orange au 30 septembre 2008) ;
(…) de fait, l’iPhone 3G a connu en France depuis sont lancement en juillet 2008 un succès spectaculaire : 35 000 articles vendus au cours des quatre premiers jours, 300 000 en quatre mois (soit 15% des ventes brutes d’Orange) et 450 000 en cinq mois ;
(…) en l’état des éléments figurant au dossier, il peut être considéré que cette explosion même si elle a été accentuée par les fêtes de fin d’année, compte tenu du caractère parfaitement saisonnier du marché (point 213), et qu’elle est incontestablement liée à l’effet de nouveauté, ne risque pas, compte tenu du succès mondial de l’iPhone, de retomber rapidement dans des proportions significatives : en juin 2008, l’iPhone 2G était le troisième smartphone le plus vendu au monde, derrière le Blackberry de RIM, et, au troisième trimestre 2008, alors que l’iPhone 3G était le portable le plus vendu aux Etats-Unis, Apple a dépassé RIM en vendant 7 millions d’iPhone 3G, accomplissant ainsi une croissance de 523% en un an (points 35 à 37) ;
or, (…) ce développement se fait essentiellement au détriment des autres opérateurs puisqu’Orange elle-même a déclaré que 50% de ses ventes d’iPhone 3G correspondait à de nouveaux clients (point 38) ; (…) cette captation d’abonnés est quasiment irréversible puisque ceux-ci s’engagent en moyenne pour 18 mois et que nombre d’entre eux étaient, jusqu’à ce jour, rapidement rendus captifs d’Apple par le biais de l’iTunes Music Store avec lequel ils étaient mis en relation directe par le logiciel iTunes, incontournable dès la phase d’activation du terminal, et dont l’emprise était décrite avec force par les professionnels (point 48 relatant les déclarations de représentants de la Fnac : «plus les clients ont acheté des morceaux téléchargés sur iTunes (…), plus ils sont captifs d’Apple», «après 6 mois d’utilisation sur la base d’un album acheté par mois, le client est de fait captif») ;
(…) à cet égard, si Apple a annoncé son intention de lever rapidement les DRM sur 80% du catalogue vendu sur iTunes Store, la cour relève que le communiqué qui en fait état précise aussi que les clients déjà titulaires de morceaux téléchargés pourront les convertir « au format iTunes Plus sans DRM » à condition d’acquitter 0,30 € par chanson ou 30% du prix de l’album ; (…) ce supplément de prix, sachant qu’un morceau est en moyenne vendu 0,99 € apparaît suffisamment élevé pour qu’il puisse d’ores et déjà être considéré que peu de ces « anciens clients » profiteront de l’opportunité ; (…) ainsi, si le nouveau dispositif dont se prévalent les sociétés Apple Inc. Et Apple Sales International paraît de nature à assouplir pour l’avenir les possibilités de migration vers la concurrence de nouveaux propriétaires d’iPhone ou d’iPod, il ne saurait avoir pour effet de rendre instantanément leur liberté à l’ensemble de ceux qui, actuellement détenteurs d’un iPhone ou d’un iPod, possèdent déjà une bibliothèque musicale achetée sur iTunes Store et qui auront peu d’intérêt, dans l’immédiat, à quitter le système et à se tourner vers les opérateurs concurrents ;
(…) l’ensemble de ces éléments caractérise l’atteinte grave et immédiate qui, en l’absence de mesures conservatoires, risque d’être portée au secteur des services de téléphonie mobile, en particulier au marché de l’internet mobile, en pleine structuration ;
(…) cette situation est préjudiciable, aussi, aux consommateurs, actuellement privés de la liberté de choix de l’opérateur s’ils veulent acheter un iPhone et fortement incités à demeurer durablement chez Orange après un tel achat, à plus forte raison s’ils sont détenteurs d’une bibliothèque musicale acquise sur iTunes Store» ;
Alors d’une part qu’en estimant que la situation porterait gravement atteinte au secteur et aux consommateurs sans avoir caractérisé d’effet d’éviction qui résulterait de l’exclusivité concernant les iPhone, lesquels ne sont pas indispensables à l’accès au secteur concerné, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 464-1 du code de commerce ;
Alors de deuxième part qu’en appréciant l’existence d’une prétendue atteinte aux opérateurs concurrents sans égard aux positions respectives de ces derniers sur le secteur concerné, lesquelles attestaient de l’absence de tout risque immédiat et certain d’éviction, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 464-1 du code de commerce ;
Alors de troisième part qu’en déduisant du succès de l’iPhone en France et dans d’autres pays l’existence d’une atteinte immédiate et certaine, la cour d’appel s’est prononcée par des motifs inopérants, en violation de l’article L. 464-1 du code de commerce ;
Alors de quatrième part qu’il résulte des constatations de la décision et de l’arrêt que l’exclusivité en cause a été conclue en octobre 2007, et que ce n’est qu’en septembre 2008, soit près d’un an après, que Bouygues a saisi le Conseil de la concurrence d’une demande de mesures conservatoires, de sorte que la condition d’immédiateté de l’atteinte alléguée n’était pas remplie et qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé l’article L. 464-1 du code de commerce ;
Alors de cinquième part qu’en ne prenant pas en considération, comme elle y était invitée, le dépositionnement volontaire de Bouygues, lequel impliquait l’absence de causalité directe et certaine entre l’exclusivité en cause et l’atteinte prétendue, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 464-1 du code de commerce ;
Alors de sixième part qu’en l’absence de toute atteinte aux opérateurs concurrents, résultant de l’absence de tout risque d’éviction, aucune atteinte au secteur n’était caractérisée, de sorte qu’en estimant qu’une atteinte grave et immédiate risquait d’être portée au secteur concerné, la cour d’appel a violé l’article L. 464-1 du code de commerce ;
Alors de septième part qu’en ne prenant pas en considération dans son appréciation de la liberté de choix du consommateur, comme cela le lui était demandé, l’existence de nombreux terminaux concurrents de l’iPhone, la possibilité d’acquérir un iPhone et de le faire fonctionner sur un autre réseau que le réseau Orange et l’impossibilité de déterminer si le choix du terminal précède le choix de l’opérateur ou en découle, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 464-1 du code de commerce ;
2°) Aux motifs que :
«étant observé qu’Orange, au moment où la décision a été rendue, avait déjà bénéficié de 14 mois d’exclusivité sur l’iPhone 2G et de 5 mois sur l’iPhone 3G et que le dossier a révélé qu’en trois mois, les investissements spécifiques qu’elle avait consentis pour l’iPhone 3G avaient été largement récupérés, les mesures conservatoires prononcées, consistant pour l’essentiel à suspendre l’exclusivité sur les modèles actuellement commercialisés ou à la limiter à trois mois sur tous les futurs modèles d’iPhone, dans l’attente de la décision au fond, apparaissent justifiées et limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l’urgence» ;
Alors d’une part qu’en considérant le temps de récupération des investissements effectués par Orange pour les iPhone d’ores et déjà commercialisés, et non l’aptitude des mesures ordonnées à réparer les atteintes prétendues et leur caractère strictement limité à l’urgence, la cour d’appel s’est prononcée par des motifs inopérants privant sa décision de base légale au regard de l’article L. 464-1 du code de commerce ;
Alors d’autre part qu’en estimant d’une part qu’une durée d’exclusivité de trois à six mois serait habituelle, d’autre part que l’injonction de ne pas prévoir d’exclusivité de plus de trois mois serait proportionnée à l’urgence, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l’article L. 464-1 du code de commerce ;
Alors enfin qu’en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si les mesures ordonnées n’emportaient pas de conséquences irréversibles pour Orange, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L.464-1 du code de commerce.
La Cour : Mme Tric (président), Mme Beaudonnet (conseiller référendaire rapporteur), MM. Petit, Jenny, Mmes Pezard, Laporte, Bregeon, M. Le Dauphin, Mme Mandel (conseillers), M. Sémériva, Mmes Farthouat-Danon, Michel-Amsellem, MM. Pietton, Salomon, Mme Maitrepierre (conseillers référendaires), M. Bonnet, avocat général,
Avocats : SCP Defrenois et Levis, Me Spinosi, SCP Baraduc et Duhamel, SCP Piwnica et Molinié, SCP Thomas-Raquin et Bénabent.
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