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Jurisprudence : Responsabilité

jeudi 06 mai 2010
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Tribunal de commerce de Paris 15ème chambre Jugement du 05 février 2010

Maisons Pierre / CTVL, Fousse Constructions

responsabilité

FAITS

La société Maisons Pierre (ci-après Maisons Pierre) réalise et commercialise des maisons individuelles pour une clientèle de particuliers selon un concept qu’elle a conçu au cours des années. C’est ainsi qu’elle s’est rendue compte que l’un de ses concurrents la société Fousse Constructions (ci-après Fousse) exploitant la marque Constructions Traditionnelles du Val de Loire (ci-après CTVL) appartenant à la société CTVL, se rendaient coupable selon elle de différents comportements déloyaux à son égard. Ces agissements étant notamment repris sur le site internet www.ctvl.net la société Maisons Pierre a fait procéder à un constat d’Huissier parisien pour les faire constater.

Les sociétés CTVL et Fousse, in limine litis contestent la compétence du Tribunal de Commerce de Paris au profit de celui d’Evry.

C’est ainsi que se présente l’affaire.

PROCEDURE ET PRETENTIONS

Par assignation du 2 juin 2009, délivrée à personne aux deux défendeurs, la société Maisons Pierre demande au tribunal de :

Vu l’article 1382 et 1383 du Code Civil,

* Dire que la société CTVL et la société Fousse ont pillé et utilisé les éléments composants le savoir faire, l’identité et la documentation technique, commerciale et administrative appartenant à la société Maisons Pierre ;

* Dire que la société CTVL a procédé au débauchage et à la tentative de débauchage de salariés de la société Maisons Pierre dans le but de la désorganiser et de la déstabiliser ;

* Dire que le société CTVL et la société Fousse ont commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l’égard de la société Maisons Pierre ;

En conséquence,

* Condamner in solidum la société CTVL et la société Fousse à verser à la société Maisons Pierre une indemnité qui ne saurait être inférieure à 15 millions d’€, sauf à parfaire, de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;

A titre subsidiaire,

* Nommer, au frais des défenderesses, tout expert afin de :
– se faire remettre par Maisons Pierre tout document et information permettant de déterminer la valeur de la documentation, du savoir faire et de l’identité de Maisons Pierre qui ont été repris par CTVL et Fousse sans bourse délier ;
– évaluer le montant de l’économie réalisée par CTVL et Fousse du fait de la reprise servile de l’ensemble de la documentation commerciale, technique et administrative de Maisons Pierre constituant son savoir faire et de la reprise de son identité ;
– évaluer le préjudice subit par la société Maisons Pierre du fait de l’utilisation par CTVL et Fousse sans son autorisation, de sa documentation, de son savoir faire et de son identité ;
– se faire remettre l’état des entrées et des sorties du personnel et, plus généralement, tous papiers et documents qui pourraient révéler l’étendue des débauchages de salariés illicites commis au préjudice de la société Maisons Pierre ;
– évaluer le préjudice subit par la société Maisons Pierre du fait des actes de débauchage et de détournement de clientèle commis par la société CTVL et comprenant notamment :
> le préjudice matériel subit par la société Maisons Pierre ;
> le préjudice moral subit par la société Maisons Pierre

En tout état de cause,

* Ordonner la publication de la décision à intervenir sur le site internet de la société CTVL accessible à l’adresse : www.ctvl.net et sur la page d’accueil de la société Fousse accessible à l’adresse : www.groupe-fousse-constructions.fr. Ainsi que dans quatre journaux spécialisés dans le domaine de la construction au choix de Maisons Pierre et aux frais des défenderesses sans que le coût de chacune de ces publications n’excède la somme de 5000 € H.T. ;

* Condamner in solidum la société CTVL et la société Fousse à verser chacune à la société Maisons Pierre la somme de 15 000 € au titre de l’article 700 du CPC ;

* Condamner in solidum la société CTVL et la société Fousse aux entiers dépens ;

* Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir en toutes ses dispositions, nonobstant appel et sans constitution de garantie.

Par conclusions in limite litis sur l’incompétence du Tribunal de commerce de Paris déposées à l’audience publique du 27 novembre 2009 et par conclusions en réplique sur l’incompétence déposées contradictoirement à l’audience du 18 décembre 2009, dans le dernier état de leurs écritures, les sociétés CTVL et Fousse demandent au tribunal de :

Vu les articles 46, 74 et 75 du Code de procédure civile,

* Dire qu’aucun des critères susceptibles de fonder la compétence du Tribunal de commerce de Paris dans le cadre de la présente action délictuelle n’est rempli ;

En conséquence,

* Se déclarer incompétent et renvoyer l’affaire devant le Tribunal de commerce d’Evry ;

* Débouter la société Maisons Pierre de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et réserver le jugement sur l’article 700 du Code de procédure civile ;

* Réserver les dépens.

Par conclusions en réponses, déposées contradictoirement à l’audience du 18 décembre 2009, sur la compétence du tribunal de commerce de Paris la société Maisons Pierre en réponse à l’exception d’incompétence soulevée demande au tribunal de :

Vu les articles 42 et 46 du Code de Procédure Civile,

Vu le constat d’Huissier réalisé par la SCP Puaux Benichou Legrain le 26 mai 2009,

Vu les motifs précités,

* Dire que la société CTVL représente les éléments litigieux sur la site internet www.ctvl.net qui est accessible à Paris et qui a fait l’objet d’un constat d’Huissier à Paris ;

* Dire que la société Maisons Pierre démontre que le fait dommageable a été commis dans le ressort ou Tribunal de commerce de Paris ;

En conséquence,

* Débouter les sociétés CTVL et Fousse de tous leurs moyens, faits et prétentions ;

* Dire le Tribunal de commerce de Paris compétent pour connaître de la présente affaire ;

* Dire qu’aucune règle de compétence ne permet de rattacher ce litige à la compétence du Tribunal de Commerce d’Evry ;

* Enjoindre les sociétés CTVL et Fousse à conclure au fond sous quinzaine à compter du prononcé de l’ordonnance statuant sur l’incident ;

* Condamner les sociétés CTVL et Fousse à verser chacune à la société Maisons Pierre la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens.

Lors de l‘audience collégiale de mise en état du 27 novembre 2009, l’affaire a été confiée à l’examen d’un juge rapporteur qui a tenu audience le 18 décembre 2009 au cours de laquelle il a entendu les observations verbales des parties sur l’exception d’incompétence puis a prononcé la clôture des débats, mis l’affaire en délibéré et indiqué que le jugement sera prononcé le 5 février 2010.

MOYENS

Les sociétés CTVL et Fousse, demanderesses à l’incident, soutiennent que selon le principe de territorialité, aucune des sociétés au présent litige n’est établie dans le ressort du Tribunal de commerce de Paris ; qu’aucune construction n’a été réalisée sur Paris et qu’il n’existe aucune agence commerciale ni aucun démarchage de clientèle sur Paris ; que dans ces conditions, il n’y a aucun fait dommageable susceptible d’être causé à Paris, ce qui aurait permis dans le cadre d’une faute de nature délictuelle de rendre la juridiction du lieu du fait dommageable compétente ;

Que le seul fait que certains reproches de la demanderesse se retrouvent, selon elle, sur le site internet de la société Fousse est totalement inopérant car cela reviendrait alors à choisir sa juridiction en violation des règles de droit applicables en la matière ;

Que le président de la société Maisons Pierre étant Juge consulaire au sein du Tribunal de commerce de Melun, celui-ci ne peut être saisi en vertu de la convention Européenne des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales au visa des règles régissant l’impartialité et l’indépendance de tout Tribunal ;

Que par contre l’importance de l’activité des sociétés CTVL et Fousse dans le département de l’Essonne justifie que le Tribunal de commerce d’Evry soit saisi ;

En réponse, la société Maisons Pierre, demanderesse au fond et défenderesse à l’exception d’incompétence soulevée, rétorque qu’il n’appartient pas aux sociétés CTVL et Fousse de choisir arbitrairement la juridiction compétente, les dispositions du Code de procédure civile ne le permettant pas au défendeur d’une instance ;

Que selon l’article 46 du Code de procédure civile, en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort duquel le dommage a été subi, peut être saisie ; qu’il s’en suit que les fait dommageables relevés étant pour certains exposés sur le site internet de la société CTVL, le constat d’huissier qui l’a révélé ayant été fait sur Paris, rend la juridiction consulaire parisienne compétente de ce seul chef ;

Que de plus la clientèle parisienne étant susceptible d’être touchée par les agissements délictuels des sociétés CTVL et Fousse, le Tribunal de commerce de Paris est parfaitement compétent pour connaître de ce litige ;

Que selon la Cour de cassation, la compétence de la juridiction du fait dommageable s’entend même si les faits révélés sur le site internet sont partiels et que s’agissant de faits relevés sur internet, toute juridiction peut être saisie.

C’est dans ces circonstances que le Tribunal ce commerce de Paris a été saisi.

DISCUSSION

Sur la recevabilité

Attendu que l’exception d’incompétence a été soulevée avant toute défense au fond qu’elle est motivée et désigne la juridiction qui selon la société CTVL, serait compétente et qu’elle est donc recevable.

Sur le mérite

Attendu que le litige porte sur le débauchage de salariés, la concurrence déloyale et le parasitisme commercial dont la demanderesse s’estime victime de la part des sociétés CTVL et Fousse tant dans l’utilisation de documentation technique et commerciale lui appartenant que dans l’information diffusée sur le site internet www.ctvl.fr appartenant à la défenderesse ;

Attendu que le site internet présente en outre la reproduction de la gamme de maison Premium, la reprise de son code couleurs et la mise à disposition de la clientèle d’un numéro de téléphone donnant accès à l’argumentaire commercial élaboré par la société Maisons Pierre, dont elle estime qu’il lui a été copié ;

Attendu que le contenu du site internet www.ctvl.fr a fait l’objet d’un constat d’huissier du 26 mai 2009 par la SCP Puaux Benichou Legrain, huissiers de justice à Paris ; que l’ordinateur et l’accès à ce site internet ont été faits depuis Paris ;

Attendu dès lors que selon l’article 46 du Code de procédure civile, le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur (…) la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ;

Que les griefs, quand bien même ils seraient partiels, étant susceptibles, s’ils sont avérés, d’avoir été commis par l’intermédiaire du site internet, consultable à Paris et donc à destination possible d’une clientèle parisienne ; qu’il y aura bien lieu de retenir la compétence du Tribunal de commerce de Paris pour connaître de l’entier litige ;

Le Tribunal se déclarera donc compétent et enjoindra les parties de conclure sur le fond pour qu’il soit statué et dira qu’il n’y a pas lieu à ce stade de la procédure de faire application des dispositions de l’article 700 du CPC ;

Attendu qu’il convient, réservant les demandes sur le fond du litige de débouter les parties du surplus de leurs demandes en tant qu’elles se rapportent à l’exception d’incompétence.

DECISION

Le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort,

. Dit recevable, mais mal fondée, les sociétés CTVL et Fousse en leur demande d’exception de compétence ;

. Se déclare compétent et renvoie les parties en vue de l’audience publique du 5 mars 2010 pour conclusion et solution ;

. Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

. Déboute les parties du surplus de leurs demandes, en tant qu’elles visent l’exception d’incompétence.

. Condamne in solidum les sociétés CTVL et Fousse à supporter les dépens de l’incident.

Le tribunal : M. Fahmy (président), Mme Delacroix et M. Lefebvre (juges)

Avocats : Me Laurent Levy, Me Denis Florian, Me Bruno Quentin

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.