Jurisprudence : E-commerce
Tribunal de Grande Instance de Paris 5ème chambre, 1ère section Jugement du 25 mai 2010
Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques / eBay Europe et autres
agrément - biens culturels - e-commerce - enchères - site - ventes
FAITS ET PROCEDURE
Le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (le Conseil), institué par la loi du 10 juillet 2000 est une autorité ayant notamment pour mission d’agréer les sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et de sanctionner dans les conditions prévues à l’article L 321-22 du code de commerce les manquements aux lois, règlements et obligations professionnelles applicables aux sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.
Le site internet www.ebay.fr, permet à ses utilisateurs de vendre et acheter des objets ou des prestations de service, à l’exception des objets interdits. Les biens et services proposés peuvent être vendus, soit à prix fixe (48 % des ventes), soit en utilisant le mécanisme de l’enchère, soit selon une méthode mixte.
Le site est hébergé et exploité par la société eBay International AG.
La société eBay Europe traite les opérations réalisées sur ce site.
La société eBay France est chargée de développer la notoriété de la marque eBay auprès du public français.
La société Pay Pal Europe, devenue filiale de la société eBay en 2002, assure une solution de paiement en ligne utilisée par des marchands en ligne.
Soutenant que les ventes organisées et réalisées entre vendeurs et acheteurs par l’intermédiaire du site eBay.fr constituent des ventes aux enchères électroniques, soumises à son agrément, le Conseil de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques a fait assigner, le 30 novembre 2007, les sociétés eBay Europe, eBay France, monsieur Nicholas S., alors dirigeant de la société eBay France et la société Pay Pal Europe devant ce tribunal.
Aux termes de ses conclusions récapitulatives en date du 1er février 2010, le Conseil demande, sur le fondement des articles L 321-3 à L 321-5, L 321-15 du code de commerce, 1382 du code civil, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, que :
– soit fait interdiction aux sociétés défenderesses de poursuivre sans agrément, directement ou indirectement, l’organisation et la réalisation de ventes aux enchères publiques par voie électronique et de vente aux enchères publiques de biens culturels, sous astreinte de 50 000 € par infraction,
– les sociétés défenderesses et monsieur S. soient condamnés solidairement à lui payer la somme provisionnelle de 20 000 € à titre de dommages et intérêts, au titre de leurs agissements fautifs, à parfaire au vu des déclarations qui devront être fournies, sous astreinte, par la société eBay Europe, conformément aux décisions du Conseil des 29 novembre 2001, 12 juillet 2006 et 16 décembre 2008 portant fixation du montant des cotisations professionnelles acquittées par les sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques,
– subsidiairement, le jugement soit déclaré opposable aux sociétés eBay France et Pay Pal Europe,
– les défendeurs soient condamnés solidairement à lui payer la somme de 30 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
aux motifs que :
* il a intérêt à agir car les sociétés, même non agréées mais qui devraient l’être quand elles exercent des activités réglementées, sont débitrices à son égard de cotisations assurant son financement ; le fait d’exercer illégalement une activité de vente volontaire de meubles aux enchères publiques constitue une faute, lui occasionnant un préjudice direct et personnel, en réduisant l’assiette des cotisations acquittées par les sociétés agrées,
* cet intérêt lui donne qualité à agir,
* il est recevable à agir contre la société eBay France qui fournit en particulier son assistance juridique à la société eBay Europe et administre le site eBay.fr, tandis que Pay Pal est une solution de paiement intégrée au site eBay, la société Pay Pal Europe reconnaissant assurer les fonctions de gérant de la société Pay Pal Europe sarl & Cie, SCA, établissement de crédit luxembourgeois chargé de l’exploitation du service de paiement en ligne Pay Pal au sein de l’Union européenne ; leur mise en cause est nécessaire pour que leur responsabilité puisse être appréciée et qu’à tout le moins le jugement à intervenir leur soit déclaré opposable,
* le groupe eBay viole la réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques,
* en effet, outre, l’accomplissement de nombreux actes préparatoires à la conclusion du contrat de vente pour le compte du vendeur (établissement de formulaires de mise en vente préétablis, publicités destinés à favoriser l’exposition des objets pendant la durée de la mise en vente, fixation de règles de mise en vente des objets proposés), le groupe eBay agit également comme mandataire des vendeurs lorsqu’il met en vente leurs biens, rédige leurs annonces et les met en ligne pour leur compte, arrête avec les vendeurs un prix de réserve au dessous duquel leurs biens ne pourront être vendus et organise un système d’enchères automatiques au bénéfice non seulement des acheteurs mais également des vendeurs, afin que l’enchère atteigne le prix de réserve (ce qui correspond à la pratique dite des ordres d’achat) ; l’organisateur de la vente agit alors en vertu d’un double mandat et non dans le seul intérêt de l’acheteur.
* le groupe eBay adjuge le bien au meilleur enchérisseur, par l’envoi d’un email acceptant l’offre la plus haute pour le compte du donneur d’ordre, ainsi qu’il résulte des constatations de l’huissier, Maître Bouvet : “félicitation ! Vous êtes le meilleur enchérisseur-l’acheteur !“ ou “Félicitations, cet objet est à vous. Veuillez envoyer votre paiement dans les meilleurs délais”. L’adjudication au meilleur enchérisseur concrétise la rencontre des consentements (l’offre du vendeur qui correspond à la mise en vente du bien au plus offrant et l’acceptation de l’adjudicataire) nécessaire à la perfection de la vente. La force obligatoire résultant du prononcé de l’adjudication figurant dans les conditions d’utilisation est soulignée sur le site : le meilleur enchérisseur emporte l’objet et fait l’objet de rappels par eBay, de sorte que l’on ne peut parler de vente de gré à gré à l’issue de la période d’enchérissement,
* de même que la représentation des fonds s’inscrit dans le cadre du contrat qui unit le vendeur à la société de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, le groupe eBay oblige ses utilisateurs à recourir au système Paypal ou à celui d’un tiers de confiance ; dans un souci de sécurité des transactions, le groupe recommande également le recours à un tiers de confiance agréé (Tripledeal) pour gérer le processus de paiement, ce qui constitue un mandat pour payer ou recevoir le paiement et garantir la sécurité des transactions,
* le groupe a engagé sa responsabilité en mettant à la disposition de plus de 100 dépôts-vente partenaires en France, un programme leur permettant de réaliser des ventes aux enchères publiques sans agrément, au sens de l’article L 321-5 du code de commerce,
* le groupe a mis en vente sur son site des biens culturels, ce qui, même à considérer son activité comme du courtage, le soumet à la nécessité d’un agrément du Conseil en vertu de l’article L 321-3 alinéa 3 du code de commerce. Ce texte n’est pas contraire à l’article 4 de la directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, selon laquelle les Etats veillent à ce que l‘accès à l’activité d’un prestataire de services de la société de l’information et l’exercice de celle-ci ne puissent pas être soumis à un régime d’autorisation préalable ou a tout autre exigence ayant un effet équivalent, dans la mesure où le champ de cette directive ne couvre pas les oeuvres d’art il est en tout état de cause possible à un Etat de prendre des mesures de restriction de la libre circulation des services de l’information nécessaires pour la protection des consommateurs, ce qui est le cas des vendeurs et acquéreurs d’oeuvres d’art ; en tout état de cause, l’article L 321-3 du code de commerce, qui ne vise pas spécifiquement internet, est conforme aux exigences communautaires de protection des consommateurs et de respect des professions réglementées.
* aucune définition des biens culturels n’ayant été donnée par la loi du 10 juillet 2000 ni dans son décret d’application, il convient de se référer à la définition que l’on trouve dans l’ordonnance du 20 février 2004 sur le droit de préemption des oeuvres d’art ; des impressions d’écran, qui ne sont pas dénuées de valeur probante, montrent que de nombreux biens culturels sont vendus sur eBay, ce qu’atteste Madame D., consultante indépendante et un récent procès verbal de constat de Maître Llopis du 19 février 2009 ; les messages d’avertissement diffusés par eBay ne sauraient l’exonérer de sa responsabilité, dès lors qu’il n’est procédé à aucun contrôle effectif des objets mis en ligne et que ce type d’annonces n’est pas retiré ; eBay, qui est pour le moins courtier, n’est pas fondé, comme indiqué récemment par la Cour de cassation, à invoquer le régime de responsabilité limitée réservé aux hébergeurs, d’autant que la fonction d’hébergement est assurée par la société eBay International AG,
* la responsabilité délictuelle de monsieur S. est également engagée, dès lors qu’il a personnellement commis une faute incompatible avec ses fonctions social de dirigeant (ancien gérant d’eBay Europe et actuel présidant d’eBay France) en laissant les sociétés du groupe persister dans la violation d’une obligation légale, malgré les mises en garde qui lui ont été adressées, ce qui constitue une faute séparable de ses fonctions,
* il est fondé à demander l’interdiction par eBay de la poursuite de l’activité litigieuse, tant que l’agrément prévu par l’article L 321-5 du code du commerce n’aura pas été obtenu et à obtenir une provision sur son préjudice.
Dans leurs écritures récapitulatives en date du 9 mars 2010, les société eBay Europe, eBay France et monsieur S. concluent à l’irrecevabilité des demandes du Conseil, subsidiairement à son débouté et réclame, à monsieur S. la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, à chacun des défendeurs la somme de 20 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
aux motifs que :
* le Conseil na pas qualité à agir, ne pouvant ester en justice que dans le cadre de ses attributions, lesquelles ne comprennent pas le pouvoir de représenter la profession ; il ne dispose que d’un pouvoir disciplinaire s’exerçant sur les sociétés de ventes volontaires les experts agrées et les ressortissants des Etats membres exerçant cette activité dans l’un de ces Etats et souhaitant l’exercer à titre occasionnel en France ; il n’a aucun pouvoir contre les sociétés qui ne sont pas agréées, quand bien même elles devraient l’être,
* il est dépourvu d’intérêt à agir car il ne fixe pas son budget en fonction des cotisations que les sociétés de ventes volontaires lui verseront mais à l’inverse, arrête son budget et fixe ensuite le taux des cotisations pour l’année suivante,
* le Conseil n’est pas impartial, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme, car son action ne tend en réalité qu’à écarter la concurrence indirecte d’eBay dépourvu de tout pouvoir à l’égard des tiers, il ne peut demander à une juridiction civile d’interdire à une personne de continuer à commettre ce qu’il estime être un délit,
* l’action est irrecevable à l’encontre de la société eBay France qui n’exploite pas le site internet www.ebay.fr et n’intervient en aucune manière dans le processus d’achat et de vente réalisé par son intermédiaire, n’étant pas le cocontractant des membres de la communauté eBay, qu’ils soient vendeurs ou acheteurs,
* l’action est irrecevable et abusive à l’encontre de monsieur S. qui n’a commis aucune faute intentionnelle, d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions sociales, de nature à engager sa responsabilité personnelle, la simple constatation d’un fait délictuel ou quasi-délictuel n’impliquant pas une faute personnelle du dirigeant, aucune infraction pénale n’ayant été personnellement commise par lui,
* sur le fond, le Conseil fait une confusion et un amalgame entre, d’une part, ce qui relève du mécanisme de l’enchère, dont les sociétés de ventes volontaires n’ont pas le monopole, ce qui ressort d’une simple assistance technique ou d’actes purement matériels facilitant la réalisation de l’enchère, ou encore d’actes réalisés dans l’intérêt de l’acheteur et, d’autre part, les caractéristiques juridiques de l’activité de vente aux enchères publiques, laquelle suppose un mandat du vendeur et le prononcé de l’adjudication,
* ebay n’agit pas en qualité de mandataire du vendeur ; c’est le vendeur qui remplit lui-même le formulaire de mise en vente, décide du prix et des modalités de la vente, y compris le mode de règlement, l’existence de ce formulaire n’étant qu’un simple outil technique mis à disposition ; le mandat s’entend nécessairement du pouvoir de réaliser en son nom et pour son compte un acte juridique et non des actes purement matériels comme l’affichage de l’offre de vente sur le site, les modalités de programmation de l’annonce sont choisies par le vendeur ; le choix d’un prix de réserve traduit seulement une décision du vendeur de ne pas être mis en relation avec un enchérisseur en deçà d’un certain prix ; les autres services proposés, qui ne sont que des outils techniques, ne caractérisent pas davantage un mandat de vente, ni l’intervention d’eBay pendant le déroulement des enchères, le vendeur restant libre d’intervenir dans le processus et entrer directement en contact avec l’enchérisseur, ce qui n’est pas possible dans le cadre d’une vente aux enchères publiques où le vendeur est précisément représenté par la société de ventes volontaires, dépositaire de l’objet à vendre,
* ebay ne prononce pas d’adjudication, l’échange des consentements étant réalisé en dehors d’elle ; c’est au vendeur d’accepter la dernière enchère ; il peut préférer un autre enchérisseur, plus fiable ; les messages type adressés, sans valeur juridique, ne caractérisent pas l’adjudication et n’ont pas de valeur translative de la propriété. puisqu’eBay ne peut engager le vendeur en l’absence de mandat de vente,
* les services disponibles relatifs au paiement du prix sont sans incidence sur la qualification de l’activité exercée par eBay, étant souligné que l’existence d’une obligation de représentation du prix ne caractérise pas l’activité de vente aux enchères publiques et que le système Paypal ne constitue pas une garantie de paiement donnée par eBay,
* l’activité d’eBay est caractéristique du courtage aux enchères à distance par voie électronique, le Conseil l’ayant lui-même qualifiée d’intermédiation, ce qui est exclusif de la qualification de mandataire du vendeur,
* les opérations de courtage aux enchères réalisées par eBay ne portent pas sur des biens culturels ; en tout état de cause, les dispositions de l’article L 321-3 du code du commerce les soumettant à autorisation lorsqu’elles portent sur des bien culturels sont contraires à la directive du 8 juin 2000 car elles représentent une restriction spécifique aux services de la société de l’information et le Conseil ne démontre pas que l’article litigieux échapperait à la directive ; il ne peut être prétendu que le texte institue une mesure restrictive prise pour la protection des consommateurs, cette exception au libre courtage s’expliquant, selon les travaux parlementaires et une réponse ministérielle, par la protection du patrimoine national ; le cas échéant, le tribunal pourra faire usage du droit de poser une question préjudicielle prévue par l’article 234 du traité instituant la Communauté européenne,
* subsidiairement sur ce point, eBay respecte l’article L 321-3 du code de commerce car le référencement des biens culturels est prohibé sur le site ; il convient de se référer pour la définition des biens culturels, non pas aux articles 61 à 65 du décret d’application du 19 juillet 2001 de la loi du 10 juillet 2000, la définition donnée ayant d’ailleurs été critiquée comme trop large par le Conseil lui-même dans un avis du 19 septembre 2002, mais au décret du 29 janvier 1993 dans son annexe,
* plus subsidiairement sur ce point, le Conseil ne démontre pas en quoi eBay aurait engagé sa responsabilité, les copies d’écran versées aux débats étant dénuées de valeur probante, en l’absence de respect des pré-requis techniques, l’attestation alléguée de Madame D. étant imprécise ; en outre, seul le fournisseur d’hébergement a vocation à répondre des activités prétendument illicites stockées sur son site internet, soit la société eBay International AG, laquelle n’est pas à l’instance ; surabondamment, le fournisseur d’hébergement bénéficie, conformément à l’article 6-1-7 de la LCEN, d’un régime de responsabilité aménagé, étant souligné que 1) la qualité de courtier n’est pas exclusive de celle d’hébergeur, ce qu’a d’ailleurs reconnu ce tribunal, 2) le régime de l’hébergeur s’applique bien, sous l’empire de la LCEN, à l’ensemble des intermédiaires procédant au stockage de contenus, 3) la directive du 8 juin 2000, relative à la responsabilité de l’hébergeur, retient, en application de son article 14, la qualification d’hébergeur pour les plateformes, telles que celle d’eBay,
Dans ses écritures récapitulatives en date du 28 avril 2009, la société PayPal Europe conclut à l’irrecevabilité du demandeur, subsidiairement à son débouté et lui réclame la somme de 15 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
aux motifs que :
* le Conseil n’a pas qualité à agir pour les raisons déjà évoquées par les précédents défendeurs, à tel point qu’une proposition de loi, qu’il a inspiré, tend à faire de lui une autorité de régulation de plein exercice, lui donnant plus de pouvoir pour qu’il puisse enquêter de lui-même et interdire les pratiques discutables, tous pouvoirs dont il ne dispose pas actuellement ; le fait que le Conseil ait intérêt à agir ne lui confère pas, pour autant, qualité à le faire,
* la société PayPal Europe Sarl n’a pas intérêt ou qualité pour agir en défense, n’exploitant pas le service rendu par l‘intermédiaire du site www.paypal.fr seule la société distincte PayPal Europe Sarl & Cie SCA, inscrite au registre du commerce de Luxembourg, est habilitée à exercer en tant qu’établissement de crédit et à exploiter, à ce titre, les services de paiement en ligne au sein de l’Union européenne ; le fait que PayPal Europe Sarl est le gérant de PayPal Europe Sarl & Cie SCA est indifférent, aucune confusion ne pouvant être faite entre un organe de direction et la société elle-même ; aucune action déclarative n’est possible sauf en matière d’état des personnes,
* subsidiairement, au fond, PayPal ne réalise pas et n’organise pas les ventes aux enchères incriminées, se bornant à fournir un simple mode de paiement qui n’est pas obligatoire, en aucun cas un service de garantie des paiements ou de représentation des fonds ; elle n’intervient pas non plus comme tiers digne de confiance, de sorte que sa responsabilité ne peut en aucun cas être recherchée pour un système dont elle n’est ni le concepteur, ni le maître d’oeuvre, sa seule qualité de filiale étant insuffisante à engager sa responsabilité ; en outre, les ventes réalisées sur la plate-forme de ventes en ligne eBay ne constituent pas des ventes aux enchères par voie électronique au sens de l’article L 321-3 alinéa 1er du code de commerce, pour les raisons déjà indiquées par les autres défendeurs.
Dans ses conclusions en date du 23 octobre 2009, développées à l’audience, le procureur de la République conclut à la recevabilité de l’action du Conseil mais au rejet de ses prétentions.
Il soutient que :
– une autorité administrative, dotée de la personnalité morale dont la mission consiste à agréer puis à contrôler certaines sociétés, peut attraire en justice les sociétés dont elle estime qu’elles devraient relever de sa compétence,
– à défaut de mandat de vente donné par le vendeur à eBay et de prononcé d’une adjudication, le service proposé par eBay ne peut être qualifié de vente aux enchères publiques, au sens de l’article L 321-3 du code de commerce mais constitue des opérations de courtage,
– ces opérations ne portent pas sur des biens culturels, eu égard à l’interdiction faite par eBay de vendre de tels biens, matérialisée par des panneaux stop et à l’absence de définition des biens culturels, de sorte que l’on ne peut faire grief à eBay d’avoir retenu la définition résultant du décret du 29 janvier 1993, pris en application de la loi du 31 décembre 1992,
– l’action contre PayPal n’est pas fondée, ce système consistant uniquement en un mode de paiement original, utilisé pour toutes sortes de transactions sur internet, dont l’utilisation est facultative et ne se traduit par aucune garantie de paiement, les vols ou les fraudes n’étant pas couverts ; PayPal ne détient pas de fonds pour le compte d’autrui, son rôle se limitant à assurer le transfert de fonds d’un compte Paypal vers un autre compte PayPal.
DISCUSSION
Sur la recevabilité de l’action du Conseil
Le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, doté de la personnalité morale, qui a notamment reçu le pouvoir d’agréer les sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et de sanctionner disciplinairement tout manquement aux lois, règlements ou obligations professionnelles applicables aux sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, a nécessairement le pouvoir corollaire d’ester en justice contre les sociétés dont elle estime qu’elles entrent dans son champ de compétence, en vue de les contraindre à solliciter leur agrément ou leur interdire de poursuivre leur activité ;
Le Conseil a ainsi qualité à agir ;
Les ressources du Conseil provenant en particulier des cotisations versées par les sociétés agréées, seront d’autant plus importantes, pour un taux de cotisation donné, que le nombre d’assujettis sera élevé ;
Il n’est en effet pas possible d’augmenter indéfiniment le taux des cotisations, celles-ci ne pouvant être acceptées que si elles restent modérées ;
Le Conseil a par conséquent intérêt à agir ;
La question de savoir si cet organisme est impartial, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme, n’a pas de pertinence, celui-ci n’intervenant pas en l’espèce comme une juridiction mais seulement comme une partie cherchant à faire reconnaître sa position comme fondée ;
Sur la recevabilité de la demande du Conseil à l’encontre de la société eBay France,
Les statuts de la société eBay France définissent son objet de façon très large, comme la fourniture de services pour les sites internet ainsi que pour les activités commerciales des entreprises traditionnelles ;
Cet intitulé, par sa généralité, permet à la société eBay France d’apporter un concours très actif au fonctionnement du site eBay.fr ; ainsi, elle a été en charge de la correspondance avec le Conseil et a présenté requête au président du tribunal de grande instance pour faire effectuer des constatations par huissier de justice ;
La demande du Conseil est par conséquent recevable à l’encontre de la société eBay France, dont l’activité est en rapport étroit avec le site eBay.fr ;
Sur la recevabilité de la demande du Conseil à l’encontre de monsieur S.,
II n’existe pas d’obstacle juridique à ce que le Conseil recherche la responsabilité délictuelle de monsieur S., en sa qualité d’ancien dirigeant de la société eBay France ;
Sur la recevabilité des demandes à l’encontre de la société Paypal Europe Sarl,
Seule la société Paypal Europe Sarl & Cie SCA, inscrite au registre du commerce de Luxembourg, habilitée comme établissement de crédit à exploiter des services de paiement en ligne, a qualité pour défendre à l’action du Conseil, le fait que la société Paypal Europe Sarl est le gérant de cette société étant indifférent, un organe de direction ne pouvant être confondu avec la société elle-même ;
Sur le bien fondé des demandes du Conseil,
S’agissant de la qualification de l’activité d’eBay, le fait de vendre aux enchères publiques, au sens du chapitre premier du code de commerce (des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques) de son titre deuxième (des ventes aux enchères publiques) de son livre troisième (de certaines formes de ventes et des clauses d’exclusivité), suppose de proposer, en agissant comme mandataire du propriétaire, un bien aux enchères publiques à distance par voie électronique, pour l’adjuger au mieux-disant des enchérisseurs ;
Or, le site eBay.fr, s’il propose de nombreux services aux vendeurs, qui constituent autant de contrats d’entreprise (notamment pour la mise an forme et la présentation de l’annonce, la possibilité de prévoir un prix de réserve), ne prévoit jamais que la société eBay représente le vendeur, c’est à dire reçoive mandat de sa part de vendre l’objet en son nom ;
Le vendeur conserve un rôle actif tout au long du processus de vente, qu’il peut d’ailleurs interrompre à tout moment ;
Le processus, qui s’étale sur une durée choisie, entre plusieurs options, par le vendeur, met en évidence un meilleur enchérisseur ;
Il n’y a toutefois pas d’adjudication, le vendeur restant libre de choisir un autre enchérisseur, moins disant, qui présenterait un meilleur profil et offrirait ainsi plus de garanties, avec lequel il va traiter de gré à gré ;
Il s’ensuit qu’aucune des deux conditions nécessaires pour une vente aux enchères n’est présente ;
II ressort des dispositions de l’article L 321 -3, alinéa 2 du code de commerce, que le système proposé par eBay s’apparente en réalité à des opérations de courtage en ligne ;
Sur la soumission de ces opérations de courtage aux dispositions du chapitre premier (des ventes volontaires de meubles aux enchères publics),
L’alinéa 3 de l’article L 321-3 du code de commerce soumet aux dispositions du chapitre premier et par conséquent, en vertu de l’article L 321-5, à l’agrément du Conseil, les opérations de courtage aux enchères réalisées à distance par voie électronique si elles portent sur des biens culturels ;
Or, la loi n’a pas défini pas ce qu’il fallait entendre par biens culturels ;
Le décret d’application 2001-650 de la loi du 10 juillet 2000 n’a pas comporté davantage de définition des ventes aux enchères publiques des biens culturels ;
Cette absence était intentionnelle si l’on se réfère à la note du 25 février 2003 de la direction de l’administration générale du ministère de la culture et de la communication, le gouvernement préférant, au vu de la nouvelle directive sur le commerce électronique, surseoir à préciser un régime dérogatoire qui pouvait apparaître comme difficilement compatible avec les dispositions de la directive et ne pas courir le risque de brider le développement des sites de courtages en ligne ; cette note concluait qu’il appartenait au pouvoir réglementaire de définir le champ d’application du courtage électronique des ventes aux enchères des biens culturels ;
II apparaît ainsi que les différentes définitions des biens culturels auxquelles se réfèrent le Conseil et la société eBay se rapportent à des situations précises qui ne sont pas celles de courtage aux enchères de biens culturels et qu’il n’existe pas en l’état de définition des biens culturels visés par l’article L 321-3 du code de commerce, de sorte que l’alinéa 3 est inapplicable ;
Dans ces conditions, il ne peut être considéré que la société eBay, qui affiche sur son site une interdiction générale des ventes de biens culturels, dont le prix moyen des objets vendus sur son site est de l’ordre de 40 €, qui n’offre aucune garantie sur l’authenticité des biens mis en vente, qu’elle n’expertise pas, se livrerait au courtage de biens culturels ;
L’utilisation du site eBay.fr par une société distincte des sociétés eBay, pour effectuer des opérations de dépôt-vente, n’est pas de nature à engager la responsabilité des sociétés eBay ;
En conséquence le Conseil doit être débouté de l’ensemble de ses prétentions à l’encontre des sociétés eBay ;
Sur le bien fondé de la demande du Conseil à l’encontre de monsieur S.,
Aucune faute intentionnelle, d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions sociales et de nature à engager sa responsabilité personnelle, n’est établie, au vu de ce qui précède, l’encontre de monsieur S. ;
Le Conseil doit être débouté de ses prétentions à son encontre ;
Sur les demandes reconventionnelles,
La demande dirigée contre monsieur S. est manifestement dénuée de tout fondement et apparaît abusive ; elle a occasionné à celui-ci, entraîné dans une procédure judiciaire avec les sujétions y afférentes, un préjudice que le tribunal évalue à 1500 € ;
Le Conseil devra par ailleurs verser aux sociétés eBay Europe, eBay France, Paypal Europe et à monsieur S., à chacun, la somme de 1500 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
L’exécution provisoire de ce jugement n’est pas nécessaire ;
DECISION
Par ces motifs, le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,
– déclare irrecevable la demande du Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (le Conseil) contre la société Paypal Europe,
– déclare recevable le surplus de la demande du Conseil,
– déboute le Conseil de l’ensemble de ses prétentions,
– le condamne à payer à monsieur S. la somme de 1500 € à titre de dommages et intérêts,
– le condamne à payer aux sociétés eBay Europe, eBay France, Paypal Europe et à monsieur S. à chacun, la somme de 1500 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamne le Conseil aux dépens.
– autorise Maître Olivier Laude et Maître Xavier Carbasse, avocats au barreau de Paris, à recouvrer directement contre lui ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision.
Le tribunal : M. Christian Hours (vice président), Mme Jeanne Drevet (vice président), Mme Delphine Legoherel (juge)
Avocats : Me Laurent Merlet, Me Olivier Laude, Me Jean-René Farthouat, Selarl Cheysson, Marchadier & associés, Me Xavier Carbasse
Notre présentation de la décision
En complément
Maître Jean-René Farthouat est également intervenu(e) dans les 5 affaires suivante :
En complément
Maître Laurent Merlet est également intervenu(e) dans les 5 affaires suivante :
En complément
Maître Marchadier & associés est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
En complément
Maître Olivier Laude est également intervenu(e) dans les 13 affaires suivante :
En complément
Maître Selarl Cheysson est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
En complément
Maître Xavier Carbasse est également intervenu(e) dans les 13 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Christian Hours est également intervenu(e) dans les 4 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Delphine Legoherel est également intervenu(e) dans les 2 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Jeanne Drevet est également intervenu(e) dans les 4 affaires suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.