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Jurisprudence : Marques

mercredi 19 septembre 2001
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Cour d’appel de Paris 4ème chambre, section A Arrêt du 19 septembre 2001

NRJ et Jean-Paul B. / SA Europe 2 Communication

concurrence déloyale - délit de presse - dénigrement - diffamation publique - lien hypertexte - marques - prescription - reproduction illicite de marque

Faits et procédure

Jean-Paul B. est titulaire de la marque figurative “NRJ” n° 1.206.811, déposée le 17 juin 1982, pour désigner notamment les communications radiophoniques, télégraphiques ou téléphoniques et la transmission de messages radiophoniques, y compris la diffusion de programmes radiophoniques et de télévision, qui relèvent de la classe 38.

Cette marque est exploitée par la société NRJ pour la radio dénommée “NRJ” et en constitue le logo.

Au début de l’année 1998, Jean-Paul B. et la société NRJ constataient que la société Europe 2, directement concurrente, présentait sur son site internet une rubrique intitulée “Anti-NRJ”, donnant directement accès, au moyen d’un lien hypertexte, à une page d’un site suédois reproduisant la marque susdite au milieu d’un panneau d’interdiction de stationner et comportant, sous l’intitulé “The (un)official NRJ-Hatepage” (« La page (non)officielle de haine à l’égard de NRJ” un texte en langue anglaise contenant des propos suivants :

“Cette page est créée pour faire réfléchir les stations de radio comme NRJ à ce qu’elles font. La musique est quelque chose de personnel et, comme nous le savons tous, nous sommes tous des individus avec des opinions et des pensées différentes. Le problème principal que j’entrevois est que presque toutes les stations de radio ou les chaînes musicales comme MTV n’en ont cure et se foutent des minorités musicales ou de la musique que, simplement, elles n’aiment pas et qui ne leur rapportent pas assez d’argent. Comme vous le voyez, l’argent et le mercantilisme sont les grandes plaies et constituent la raison pour laquelle de nombreuses personnes manquent aujourd’hui d’intelligence musicale parce qu’elles écoutent de la musique commerciale de merde. Oui, j’appelle ça de la musique de merde parce que ce n’est pas artistique et en tout cas pas créatif et personnel. Je pourrais en écrire bien plus long sur cette corruption musicale, mais je pense que c’est suffisant pour que vous vous rendiez compte des dégâts que l’argent peut faire dans la scène musicale.

Ce que j’exige de vous qui êtes impliqués dans cette corruption, c’est plus de professionnalisme et de respect à l’égard des musiciens véritablement talentueux au lieu de soutenir des musiciens commerciaux, manipulés et qui ne sont pas des artistes.

Haine est un mot fort et c’est rarement une solution à un quelconque problème, mais quand des stations de radio commerciales et corrompues comme NRJ ne font que passer de la musique qui ne stimule pas le cerveau humain, la haine grandit à l’intérieur et on réalise que quelque chose doit être fait pour préserver les éléments artistiques de la musique. Alors pourquoi ne pas mettre votre nom sur la liste qui suit pour montrer que vous vous souciez de l’avenir de la musique et que vous détestez l’attitude musicale de l’une des plus grandes stations de radio commerciales d’aujourd’hui : NRJ.

Ne laissez pas l’argent détruire la musique.

Soutenez la campagne.”

Estimant qu’en utilisant sans l’autorisation de Jean-Paul B. la marque susvisée, la société Europe 2 Communication commettait un acte de contrefaçon caractérisant, pour la société NRJ qui l’exploite, un acte de concurrence déloyale, et que la diffusion des propos discréditant les programmes de la radio NRJ constituait pour la société NRJ un acte de concurrence déloyale, Jean-Paul B. et la société NRJ ont, par acte du 12 mars 1998, assigné la société Europe 2 Communication devant le tribunal de grande instance de Paris pour obtenir réparation de leur préjudice.

Par jugement du 30 juin 1999, le tribunal a retenu que la mention “anti-NRJ”, reproduite par la société Europe 2 Communication sur son site, constituait à l’égard de Jean-Paul B. un acte de contrefaçon de marque, mais a estimé que cet acte de contrefaçon ne constituait pas, à l’égard de la société NRJ, un acte de concurrence déloyale à défaut d’élément distinct. Il a toutefois considéré que le préfixe “anti” associé au terme “NRJ” constituait de la part d’un concurrent direct de la radio NRJ un élément dénigrant caractérisant un agissement déloyal et a, en conséquence, alloué à chacun des demandeurs une indemnité symbolique d’un franc, outre celle de 5 000 F au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Il a en revanche estimé que la société Europe 2 Communication ne pouvait être tenue pour responsable du contenu du site auquel elle a permis un acte direct par un lien de connexion hypertexte, et débouté en conséquence les demandeurs des prétentions qu’ils avaient formulées à ce titre.

La cour,

Vu l’appel interjeté de cette décision, le 4 octobre 1999, par la société NRJ et Jean-Paul B. ;

Vu les conclusions du 28 mai 2001 aux termes desquelles la société NRJ et Jean-Paul B. réitérant leurs demandes de première instance, poursuivent la réformation de la décision entreprise, d’une part, en ce qu’elle a considéré que la société Europe 2 Communication ne pouvait être tenue pour responsable du contenu de la page litigieuse du site suédois et que la société NRJ ne pouvait incriminer, sur le fondement de la concurrence déloyale, la contrefaçon de marque, la reproduction par la société Europe 2 Communication de son propre site de la mention “anti-NRJ”, d’autre part, sur le montant des dommages-intérêts qui leur ont été alloués, demandant à la cour paiement, chacun, d’une somme de 250 000 F à ce titre, outre une somme de 25 000 F chacun pour leurs frais irrépétibles en cause d’appel ;

Vu les conclusions du 11 juin 2001 par lesquelles la société Europe 2 Communication soutient que les propos diffusés sur internet et qualifiés de dénigrants constituent en réalité des faits diffamatoires ou injurieux qui tombent sous le coup de la loi du 29 juillet 1881 et sont, en conséquence, prescrits ; qu’elle ne saurait en tout état de cause être tenue pour responsable de contrefaçon ou de dénigrement, n’étant pas l’auteur du site web “Anti-NRJ” édité en anglais où est reproduite la marque que le lien hypertexte, simple mécanisme qui permet de passer d’un site à un autre, n’a pas pour effet d’intégrer à son site ; qu’aucun préjudice n’a de surplus été causé ; et demande, en conséquence, à la cour de réformer le jugement déféré en ce qu’il l’a condamnée au titre de la contrefaçon et de concurrence déloyale et de lui allouer la somme de 30 000 F au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Sur quoi,

* Sur la prescription :

Considérant que, pour s’opposer aux prétentions de la société NRJ et de Jean-Paul B., la société Europe 2 Communication prétend principalement que les faits incriminés constituant des faits diffamatoires ou injurieux sont exclusivement soumis aux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 ; que leur première diffusion remontant au mois de novembre 1997, ces faits sont prescrits ;

Mais considérant que les appréciations, même excessives, touchant les produits, les services ou les prestations d’une entreprise industrielle ou commerciale n’entrent pas dans les prévisions de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 dès lors qu’elles ne concernent pas la personne physique ou morale ; que les propos tenus sur le site suédois dont les termes ont été ci-dessus rappelés visent bien les prestations radiophoniques proposées par la société NRJ et non la société elle-même ;

Que l’intimée n’indique d’ailleurs pas en quoi les propos tenus caractériserait une diffamation ou une injure à l’égard de la personne même de la société NRJ ;

Considérant dès lors que l’exception de prescription opposée doit être écartée, la loi du 29 juillet 1881 n’ayant pas lieu de s’appliquer ;

* Sur les faits dénoncés :

Considérant que si le lien hypertexte constitue un simple mécanisme permettant à l’utilisateur en cliquant sur un mot ou un bouton de passer d’un site à un autre, et si la création au sein d’un site d’un tel lien permettant l’accès direct à d’autres sites n’est pas, en soi, de nature à engager la responsabilité de l’exploitant du site d’origine à raison du contenu du site auquel il renvoie, lequel, comme l’indique à juste titre le tribunal, dispose d’une totale autonomie lui permettant d’évoluer librement, au besoin, quotidiennement, sans que le site d’origine ait à intervenir, il en est toutefois autrement lorsque la création de ce lien procède d’une démarche délibérée et malicieuse, entreprise en toute connaissance de cause par l’exploitant du site d’origine, lequel doit alors répondre du contenu du site auquel il s’est, en créant ce lien, volontairement et délibérément associé dans un but déterminé ;

Considérant, en l’espèce, qu’en créant au sein de son site, sous la rubrique “Anti-NRJ”, révélatrice en soi de la démarche entreprise et de la connaissance qu’elle avait du site litigieux, un lien hypertexte donnant directement accès à la page web susvisée, la société Europe 2 Communication a manifestement cherché à mettre à la disposition des visiteurs de son site les propos dénigrant les produits de son concurrent direct situés sur le site suédois ; que ce comportement fautif émanant d’un concurrent direct caractérise en soi un acte de concurrence déloyale commis aux dépens de la société NRJ ;

que la société Europe 2 Communication invoque en vain l’absence de poursuites de la part des appelants à l’encontre du site suédois, laquelle est inopérante ;

Considérant, par ailleurs, que la société Europe 2 Communication ne pouvait se méprendre sur le caractère illicite de la reproduction sur le site incriminé de la marque figurative “NRJ” incluse dans un panneau d’interdiction de stationner, parfaitement dévalorisante, et a, par la création du lien hypertexte litigieux instauré de manière délibérée, porté personnellement atteinte aux droits que Jean-Paul B. détient sur sa marque ; qu’elle a, de ce fait, engagé sa responsabilité en vertu des dispositions de l’article L. 716-1 du code de la propriété intellectuelle ; que cette atteinte portée par un concurrent direct caractérise pour la société NRJ, qui exploite la marque de manière effective, un acte de concurrence déloyale ;

Considérant enfin que la société intimé n’oppose aucun moyen ni ne formule aucune observation sur les faits de contrefaçon de marque résultant de la reproduction sans autorisation de la partie dénominative de la marque NRJ sur son propre site ni sur le caractère dénigrant de l’association à cette dénomination du préfixe péjoratif “anti” ; que le jugement entrepris, qui ne suscite aucune critique de la part de l’intimée et qui a fait une exacte appréciation des données de la cause sur ces deux points, doit être confirmé ;

Qu’il doit, en revanche, être réformé en ce qu’il a rejeté le grief de concurrence déloyale formulé par la société NRJ en raison de l’utilisation contrefaisante de la marque, l’acte de contrefaçon justement retenu aux dépens de Jean-Paul B., titulaire de la marque, constituant, comme il l’a déjà été dit précédemment, un acte de concurrence déloyale à l’égard de celui qui l’exploite ;

* Sur les mesures réparatrices :

Considérant que les actes de contrefaçon incriminés ont nécessairement porté atteinte aux droits que le titulaire détient sur sa marque en l’avilissant ;

que la société Europe 2 Communication prétend à tort qu’aucun préjudice n’aurait été causé à la société NRJ du fait des actes de concurrence par dénigrement en raison de la persistance de son audience, alors qu’il est constant que l’existence d’un préjudice, fut-il moral, découle nécessairement des actes déloyaux constatés et résulte, pour celui aux dépens duquel ils ont été commis, des procédés fautifs utilisés par une société concurrente ;

que les faits perpétrés qui ont perduré de novembre 1997 à mars 1998 ont nécessairement terni l’image qui s’attache tant à la marque qu’aux activités déployées par la société NRJ ;

Qu’il convient en conséquence d’allouer une somme de 250 000 F de dommages-intérêts à chacun des appelants en réparation de leur entier préjudice et d’autoriser la publication du présent arrêt selon les modalités qui seront énoncées au dispositif ci-après ;

Considérant que les dispositions de l’article 700 du nouveau code de procédure civile doivent bénéficier à Jean-Paul B. et à la société NRJ, la somme de 25 000 F devant être allouée à chacun d’eux pour leurs frais irrépétibles en cause d’appel ; que la société Europe 2 Communication qui succombe doit être déboutée de la demande qu’elle a formée sur le même fondement ;

La décision

La cour, par arrêt contradictoire, rendu publiquement par Mme Marie-Gabrielle Magueur, conseiller, laquelle en l’empêchement du président, a signé la minute avec le greffier :

. rejette l’exception de prescription ;

réformant le jugement entrepris :

. dit qu’en reproduisant la mention “anti-NRJ” dans son propre site et en créant de manière délibérée un lien hypertexte avec la page d’un site suédois comportant la reproduction de la marque figurative n° 1.206.811 et( un texte dénigrant les prestations de la radio NRJ, la société Europe 2 Communication a commis des actes de contrefaçon de marque aux dépens de Jean-Paul B., lesquels sont constitutifs de concurrence déloyale à l’encontre de la société NRJ, et des actes de dénigrement constitutifs de concurrence déloyale aux dépens de la société NRJ ;

. confirme le jugement entrepris en ce qu’il a retenu que la mention “anti-NRJ” reproduite par la société Europe 2 Communication sur son site constituait à l’égard de Jean-Paul B. un acte de contrefaçon de marque ;

. dit que cet acte de contrefaçon constitue un acte de concurrence déloyale aux dépens de la société NRJ et un acte de dénigrement ;

. condamne la société Europe 2 Communication à payer à Jean-Paul B. et à la société NRJ la somme de 250 000 F à chacun en réparation et celle de 25 000 F à chacun au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile pour leurs frais irrépétibles en cause d’appel ;

. autorise Jean-Paul B. et la société NRJ à faire publier dans deux revues de leur choix aux frais de la société Europe 2 Communication le présent arrêt, dans les limites d’une somme de 50 000 F HT par insertion ;

. confirme pour le surplus le jugement entrepris ;

. rejette toute autre demande plus ample ou contraire ;

. condamne la société Europe 2 Communication aux dépens et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du nouveau code de procédure civile.

La cour : Mme Marie-Françoise Marais (président), M. Eugène Lachacinski et Mme Marie-Gabrielle Magueur (conseillers).

Avocat : Me Nicolas Boespflug et la SCP Fourgoux.

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