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Jurisprudence : Marques

jeudi 09 septembre 2010
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Cour d’appel de Paris Pôle 5, chambre 2 Arrêt du 02 juillet 2010

Saval, Etablissements Laval / Home Shopping Service (HSS)

constat - contrefaçon - force probante - internet - marques

FAITS ET PROCEDURE

La société Moissanite France, aux droits de laquelle vient la société Saval à la suite de la fusion absorption intervenue le 19 décembre 2008, a pour activité le négoce de pierres synthétiques précieuses et semi-précieuses, notamment la moissanite à partir de laquelle elle a créé une collection de bijoux. Elle est titulaire de la marque dénominative française n° 03 3 222 935 « La pierre du futur pour la femme d’aujourd’hui », déposée à l’Institut national de la propriété industrielle le 29 avril 2003 pour désigner les produits et services d’horlogerie et bijouterie en classe 14.

La société Laval, chargée de la distribution de ces bijoux selon convention signée le 3 janvier 2005, a, à la fin de l’année 2004, noué des relations commerciales avec la société Home Shopping Service (ci-après HSS) éditant la chaîne de téléachat M6 Boutique et exploitant le site internet de vente en ligne accessible à l’adresse M6boutique.com qui constituent le prolongement de l’activité commerciale de la chaîne de télévision M6.

Jusqu’à la fin de l’année 2005, date de la cessation de ces relations commerciales, la société HSS a vendu des bijoux fabriqués à partir de la pierre artificielle moissanite, fournis par la société Laval, en accompagnant leur offre à la vente de la mention « La pierre du futur pour la femme d’aujourd’hui ».

Soutenant avoir constaté au début de l’année 2007 l’offre à la vente par la société HSS sur son site M6boutique de bijoux en moissanite provenant d’un autre fournisseur, accompagnée de la mention « La pierre du futur pour la femme d’aujourd’hui », les sociétés Laval et Moissanite France, après l’avoir vainement mise en demeure, par lettre du 14 février 2007, ont assigné cette société, d’une part, devant le tribunal de grande instance de Créteil en contrefaçon de la marque n° 03 3 222 935 et concurrence déloyale afin d’obtenir une mesure d’interdiction provisoire.

L’usage incriminé ayant cessé, la procédure de référé a fait l’objet d’une radiation et, par le jugement soumis à la cour, rendu le 24 mars 2009 et assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de Grande Instance de Créteil a débouté les sociétés Moissanite France et Laval de l’ensemble de leurs demandes, dit que la demande subsidiaire de la société HSS en nullité de la marque « La pierre du futur pour la femme d’aujourd’hui » enregistrée sous le n° 03 3 222 935 est sans objet et condamné les sociétés demanderesses aux dépens et à payer, chacune, la somme de 2000 € en application de l’article 700 du CPC à la société HSS.

Dans leurs dernières conclusions signifiées le 11 mai 2010, la société Saval, venant aux droits de la société Moissanite France, et la société Laval, appelantes, demandent à la cour, au visa des articles L 711-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle et 1382 du code civil et par voie d’infirmation, de condamner la société HSS à leur payer respectivement, à titre de dommages-intérêts, la somme de 20 000 € en réparation du préjudice matériel et moral subi du fait de la contrefaçon de la marque « La pierre du futur pour la femme d’aujourd’hui » et la somme de 100 000 € en réparation du préjudice commercial subi du fait des actes de concurrence déloyale et d’atteinte à la convention d’exclusivité consentie à la société Laval, d’ordonner les mesures de publication et d’interdiction d’usage et de condamner ladite société aux entiers dépens et à leur payer la somme de 4000 € chacune en application de l’article 700 du CPC.

La société HSS conclut, dans ses dernières conclusions signifiées le 15 avril 2010, à la confirmation du jugement entrepris, au rejet de l’ensemble des demandes formées par les appelantes et à la condamnation de celles-ci au paiement, chacune, de la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux dépens.

DISCUSSION

Considérant qu’au soutient de leur appel, les sociétés Saval et Laval font griefs aux premiers juges d’avoir, pour rejeter leurs demandes, d’une part, estimé que le courrier du 6 mars 1997 qu’elles invoquaient n’avait pas été régulièrement communiqué et qu’il ne valait pas reconnaissance de responsabilité et, d’autre part, écarté, comme étant non probantes, les impressions d’écran du site internet M6 Boutique ; qu’à ces pièces qui établissent, selon elles, l’usage à titre de marque par la société intimée de l’expression « La pierre du futur pour la femme d’aujourd’hui », elles ajoutent devant la cour un constat d’huissier établi à partir d’un site d’archivage de pages internet, dont elles soutiennent qu’il est fiable, et relevant des impressions d’écran qui n’ont pas pu être falsifiées ;

Que, s’agissant de la nullité de la marque qui leur est opposée à titre subsidiaire par la société HSS, elles font valoir que cette dernière confond les conditions requises pour la validité d’une marque communautaire et celles d’une marque nationale, que l’objectif de la protection conférée par la marque est, notamment, de garantir l’origine des produits que cette dernière désigne mais pas de permettre d’identifier le fournisseur des produits visés au dépôt ;

Que la société HSS soutient que le constat d’huissier produit devant la cour n’a pas plus de valeur probante que les feuillets fournis en première instance et que la lettre du 6 mars 1997 ne vaut pas reconnaissance de responsabilité des actes qui lui sont reprochés ;

Que ce n’est qu’à titre subsidiaire, au cas où les pièces produites permettraient d’instaurer un débat sur la contrefaçon de marque alléguée, que la société HSS oppose à titre reconventionnel, sur le fondement des article L 711-1, L 711-2 et L 714-3 du code de la propriété intellectuelle, la nullité de la marque invoquée aux motifs que le slogan en cause est dépourvu de caractère distinctif et ne peut être perçu autrement que dans son sens promotionnel puisqu’il ne donne aucune indication sur le produit désigné ni sa provenance mais se borne à donner une information abstraite vantant une ‘pierre’ et qu’à ce titre, il ne permet pas d’exercer la fonction essentielle d’une marque qui est d’indiquer l’origine commerciale du produit ;

Qu’enfin, à titre infiniment subsidiaire, elle soutient n’avoir jamais fait usage de l’expression en question à titre de marque seulement à titre de slogan, la mention ayant été apposée durant les relations commerciales entre les sociétés à des fins purement descriptives pour vanter les qualités des bijoux en moissanite ;

Considérant, ceci exposé, qu’il y a lieu, en se référant aux dernières écritures précitées des parties pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, de relever que, comme elles l’ont fait devant le tribunal, les parties s’accordent devant la cour pour limiter la discussion dans un premier temps à l’appréciation du caractère probant ou non des pièces versées aux débats par les appelantes au soutien de leurs prétentions et pour n’examiner la demande reconventionnelle d’annulation de la marque qu’à titre subsidiaire si le débat sur la contrefaçon devait être abordé ;

Qu’il sera donc, en dépit de l’incohérence de cette situation, procédé à l’examen des prétentions dans l’ordre des moyens invoqués par les parties, alors même que, contrairement à ce qui était soutenu devant les premiers juges, le défaut de preuve ne conduit pas à l’irrecevabilité de la demande mais à son rejet tandis que le propriétaire d’un titre dont la nullité est prononcé perd, de même que le concessionnaire d’une licence d’exploitation, tout intérêt à agir ;

Considérant qu’il sera en outre relevé, à titre préalable, que la convention signée entre les sociétés Moissanite France et Laval ne décrit pas la marque que cette dernière a pour mission de protéger, ne constitue pas un contrat de licence portant sur la marque litigieuse et n’a pas fait l’objet d’une inscription au registre national des marques ; que le catalogue de la société Laval pour l’année 2005, sot à l’époque des relations nouées entre les parties, ne porte pas mention de ladite marque ; que, par ailleurs, aucun contrat n’a été signé entre les parties au sujet de la vente par la société HSS de bijoux fabriqués par la société Moissanite France et distribués par la société Laval.

Considérant que c’est par de justes motifs que les premiers juges, relevant qu’aucune date ne figure sur les cinq feuillets produits en pièce n°6 par les sociétés Moissanite France et Laval, constitués d’impressions écran de pages du site internet M6 Boutique, ont estimé qu’il était impossible de dire que la société HSS avait continué de faire usage de la mention « La pierre du futur pour la femme d’aujourd’hui » sur ce site après la cessation des relations commerciales ;

Que c’est également par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont estimé qu’aucun caractère probant ne pouvant être attaché à la pièce n°21, constituée d’une impression écran du site internet précité, réalisée le 21 septembre 2007, dans des conditions ignorées et sans l’intervention d’un huissier de justice ou d’un tiers assermentés, sans précision sur le matériel, l’adresse IP, le mode de navigation et le réseau de connexion utilisés ; qu’il n’existe en effet aucune possibilité de s’assurer de la fiabilité de la date portée sur l’impression et il n’est pas démontré que la mémoire cache et l’historique du disque dur avaient été préalablement vidés ;

Qu’enfin, il ne saurait être remédié à l’absence ou au caractère incertain des dates des documents susvisés par le fait qu’aux termes de la lettre datée du 6 mars 2007, adressée en réponse à la mise en demeure du 14 février 2007 du conseil des sociétés Moissanite France et Laval, régulièrement communiquée devant la cour, la société HSS déclarait prendre note du dépôt du slogan à titre de marque et précisait ‘sans que ceci ne puisse en rien constituer une reconnaissance du bien fondé de votre demande, nous vous informons que nous n’utiliserons pas ce slogan sur le site internet de notre société’ ; que, comme l’a exactement relevé le tribunal, ce propos ne vaut pas reconnaissance de responsabilité ; qu’il suffit d’ajouter que ce courrier, dans lequel il est fait emploi non de l’adverbe ‘plus’ mais de l’adverbe ‘pas’, n’établit pas la poursuite après 2005 d’un usage qui fut admis par le passé ;

Que, de même, ne peut valoir aveu judiciaire d’un usage de l’expression litigieuse pour accompagner l’offre à la vente de bijoux ayant une provenance étrangère aux appelantes, l’indication, dans les dernières écritures de première instance de la société HSS (pièce n°20 des appelantes), que ‘les requérantes ont spontanément sollicité la radiation de l’instance en référé, au motif que l’usage incriminé avait cessé’, s’agissant d’un motif de radiation prêté aux sociétés Moissanite France et Laval ;

Considérant que devant la cour, les appelantes produisent en outre un constat d’huissier de justice dressé à la requête de la société Laval le 2 mars 2010 des recherches effectuées sur le site d’archives de pages internet The Wayback Machine accessible à l’adresse www.archive.org d’où il a été tiré l’impression de plusieurs pages écran du site M6 Boutique dont trois, prétendument datées des 15 septembre 2007, 7 novembre 2007 et 14 janvier 2008 portent la mention incriminée ;

Que s’il n’est pas contesté que les pages en question n’ont pu faire l’objet de falsification postérieure, il convient, toutefois, d’observer que l’indication des dates précitées sur la page de résultat des recherches relatives aux pages archivées du site M6 Boutique au cours des années 1996 à 2009 du site The Wayback Machine, et en bas des tirages des pages écran n’établit pas avec certitude qu’à chacune de ces dates, s’affichait, dans la configuration imprimée, la page écran correspondant ;

Que, comme le relève justement la société HSS, le constat a été effectué à partir d’un service d’archivage exploité par un tiers à la procédure, qui est une personne privée sans autorité légale, dont les conditions de fonctionnement sont ignorées ; qu’il ressort de l’extrait des questions posées sur son fonctionnement, communiqué en pièce n°12 par l’intimée, que cet outil de recherches n’est pas conçu pour une utilisation légale ;

Que pour obtenir depuis ce site tiers un relevé des pages archivées provenant de M6 Boutique, l’huissier indique avoir tapé dans le champ de recherche l’adresse Url www.m6boutique.com/M6C/FR/FicheProd-XQXM.html ;

Que la page incriminée présumée datée du 15 septembre 2007 porte la référence http://web.archive.org/web/20070915065815/http://m6boutique.com/M6C/FR/F… les références ‘20071107072924’ et ‘20080114034935’ apparaissant respectivement sur les deux autres pages ;

Que l’absence de toute interférence dans le cheminement donnant accès aux pages incriminées n’est donc pas garantie ; que pas davantage n’est-il démontré de façon incontestable à quelle opération précise –affichage, modification, retrait, archivage ou autre- correspond la date mentionnée dans la référence de ce cheminement ;

Qu’il s’ensuit que le constat dressé le 2 mars 2010 est dépourvu de toute force probante quant au contenu, en 2007, des pages relatives aux bijoux en moissanite du site de vente en ligne M6 Boutique exploité par la société HSS, période au cours de laquelle les actes de contrefaçon et de concurrence déloyale allégués auraient été commis ;

Considérant, dans ces conditions, qu’abstraction faite de tout autre moyen surabondant, la décision entreprise sera confirmée en ce qu’elle a rejeté les demandes respectivement formées par la société Moissanite France, aux droits de laquelle vient la société Saval, et la société Laval et jugé, par conséquent, que la demande reconventionnelle de nullité de la marque, formée à titre subsidiaire, était devenue sans objet ;

Considérant que l’équité commande d’allouer une indemnité de procédure à la société HSS au titre de ses frais irrépétibles d’appel.

DECISION

Par ces motifs,

. Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

. Condamne in solidum la société Saval, venant au droit de la société Moissanite France, et la société Laval à payer à la société HSS la somme de 5000 € sur le fondement de l’article 700 du CPC ;

. Condamne in solidum la société Saval, venant au droit de la société Moissanite France, et la société Laval aux dépens d’appel.

La cour : M. Girardet (président), Mmes Darbois et Saint Schroeder (conseillers)

Avocats : Me Bénédicte Flory, Me Frédéric Dumont

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