Jurisprudence : Logiciel
Tribunal de commerce de Paris 16ème chambre Jugement du 28 septembre 2010
Traceval / GS1 France
clauses - condamnation - confidentialité - contrat - logiciel - non respect - non-concurrence - propriété intellectuelle
FAITS
La société Traceval (ci-après Traceval) est une société spécialisée dans la fourniture de produits et de services liés à la traçabilité.
La société GS1 France (ci-après GS1) est le représentant français de GS1, société internationale dont l’objet est la diffusion d’un langage commun des relations administratives et logistiques entre les entreprises de la chaîne d’approvisionnement, et en particulier, celle des produits de grande consommation regroupées au sein de deux entités : Genfa, regroupant fabricants, fournisseurs et importateurs, et Gendi, regroupant grossistes, distributeurs, établissements de santé, prestataires logistiques, transporteurs et autres industries de service.
Traceval et GS1 ont signé un accord de collaboration le 9 mars 2006 pour «la diffusion des standards GS1 de traçabilité». Une mission d’audit a ensuite été réalisée de février à octobre 2007 selon une proposition du 9 février 2007, puis sur la base de documents datés des 10 octobre 2007 et 19 novembre 2007, des travaux d’étude sur l’utilisation du logiciel « Observatoire Traceval » ont été menés. En 2008 cette phase pilote a été prorogée jusqu’au 16 septembre 2008, date de remise d’un rapport de synthèse par Traceval.
Une discussion s’est alors engagée sur les conditions financières d’utilisation du logiciel.
Le 24 novembre 2008 un appel d’offres a été lancé par GS1 avec un cahier des charges fonctionnel, Traceval étant consultée. Trois sociétés dont Traceval étant retenues, un « grand oral » a été organisé le 28 janvier 2009 mais Traceval précise que sa participation à la réunion « ne vaut pas acceptation de la démarche d’appel d’offres que nous dénonçons conformément aux engagements contractuels qui nous lient ». A la suite de cette réunion la société Zénexity a été retenue et par lettre du 4 février 2009, GS1 a informé Traceval qu’elle n’était pas retenue.
GS1 n’ayant pas donné suite à une mise en demeure de Traceval d’être indemnisée à hauteur de 6 274 844 € en compensation de ce qu’elle estime être des manquements contractuels, cette dernière a introduit la présente instance.
PROCEDURE
Par acte extrajudiciaire du 19 mai 2009, Traceval assigne GS1 devant ce tribunal aux fins de :
– se déclarer compétent pour statuer sur le présent litige,
– condamner GS1 à verser à Traceval la somme de 6 432 424 € au titre « des manquements contractuels perpétrés par la société GS1 France ».
A titre principal :
– Condamner GS1 à verser à Traceval :
* la somme de 502 571 € en réparation des pertes directes subies par Traceval du fait des manquements graves et répétés de son partenaire GS1 à ses obligations contractuelles,
* la somme de 66 030 250 € en réparation du gain manqué de Traceval du fait des manquements graves et répétés de son partenaire GS1 à ses obligations contractuelles et de la rupture brutale et abusive de ses relations commerciales établies,
A titre subsidiaire :
– condamner GS1 à verser à Traceval :
* la somme de 502 571 € en réparation des pertes directes subies par Traceval du fait de la rupture,
* la somme de 340 000 € au titre du préavis non respecté correspondant à 12 mois de marge nette,
* la somme de 150 000 € en réparation du préjudice moral subi par Traceval du fait des agissements fautifs de GS1 et de l’atteinte grave à son image dans l’ensemble du secteur agroalimentaire,
– ordonner à titre de supplément de dommages et intérêts, la parution du jugement à intervenir dans 5 journaux au choix de Traceval et aux frais de GS1, dans une limite de 5000 € HT maximum par insertion, soit un total de 25 000 € HT,
– condamner GS1 à verser à la partie demanderesse la somme de 68 589,30 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner GS1 en tous les dépens, en ce compris les frais de constat,
– ordonner l’exécution provisoire sans constitution de garantie,
A la suite des conclusions d’incompétence déposées par le défendeur le 15 juin 2009, le tribunal de commerce de Paris s’est déclaré compétent par jugement prononcé le 21 septembre 2009. Le défendeur GS1 ayant formé contredit le 5 octobre 2009, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement entrepris par arrêt du 24 février 2010.
Par conclusions en réponse du 12 avril 2010, GS1 demande au tribunal de :
1. A titre principal :
– Constater que GS1 France n’a commis aucun des manquements qui lui sont reprochés,
– Constater au contraire qu’elle était parfaitement libre d’agir comme elle l’a fait,
2. A titre subsidiaire :
– Débouter Traceval de l’ensemble de ses demandes,
et, à titre reconventionnel :
si par extraordinaire, le Tribunal venait à considérer que tant les fonctionnalités du logiciel l’observatoire Traceval que les résultats des audits et leur transcription dans le rapport de synthèse de la phase pilote bénéficient d’une protection au titre du droit d’auteur, de déclarer GS1 co-titulaire desdits droits de propriété intellectuelle sur ces éléments,
– ordonner, au besoin à titre de dommages et intérêts, la publication du jugement à intervenir dans huit périodiques au choix de GS1 et aux seuls frais de la demanderesse, sur simple présentation d’un devis et sans que les frais afférents à ces publications puissent excéder 30 000 €, ainsi qu’en première page du site internet de Traceval sans que la reproduction puisse excéder la moitié de l’écran et sans être inférieure à un quart et une durée de trois mois,
– prononcer l’exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution,
– condamner Traceval à payer à GS1 une somme de 68 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
A l’audience du 12 avril 2010, les parties sont convoquées à l’audience collégiale de plaidoirie du 29 juin 2010, à laquelle toutes deux se présentent.
Après avoir entendu les parties et leurs conseils en leurs plaidoiries respectives, le tribunal ordonne la clôture des débats, met en délibéré, pour le jugement être prononcé le 28 septembre 2010, par mise à disposition au greffe de ce tribunal, conformément aux dispositions de l’article 450 alinéa 2 du CPC.
MOYENS
Au soutien de ses demandes, Traceval expose que :
GS1 a manqué à ses obligations contractuelles, qu’elle s’est livrée à des manœuvres fautives visant à tromper sa confiance et qu’elle a spolié Traceval de sa technologie innovante, qu’elle doit être condamnée à réparer le préjudice causé par son attitude fautive. Elle a violé les clauses de non-concurrence ainsi que la clause de confidentialité en transmettant le rapport complet réalisé par Traceval ainsi que le cahier des charges reprenant les fonctionnalités de l’Observatoire Traceval à près de 70 sociétés concurrentes de Traceval. Elle a également violé la clause de propriété intellectuelle. Elle souligne qu’aucune cause étrangère ne justifie les manquements contractuels et demande à ce titre la somme de 6 432 424 €.
Sur la responsabilité contractuelle pour rupture brutale et abusive du contrat, elle soutient que les contrats du 10 octobre 2007 et du 19 novembre 2007 comprennent bien un engagement de déploiement du logiciel à la charge des deux parties : clause d’accord de prix sur les licences du module 1, clause de non-concurrence qui obligent le preneur à contracter avec le donneur de licence. Cette obligation est renforcée par l’économie de la relation. Les contrats successifs engageaient les parties dans un partenariat couvrant la phase de déploiement qui a été rompu brutalement et abusivement et dès lors GS1 a commis une faute distincte des manquements contractuels présentés ci-dessus. Cette rupture entraîne un préjudice qui couvre le manque à gagner lié au déploiement du module 3 de l’Observatoire en France et du déploiement des modules 1, 2 et 3 à l’étranger. Le préjudice est constitué :
– des pertes de 502 571 € couvrant des licenciements et les pertes directes,
– du gain manqué de Traceval estimé à 66 030 250 € pour perte de chance de déployer le module 3 de l’Observatoire en France et les modules 1, 2, 3 à l’étranger.
A titre subsidiaire Traceval soutient que la responsabilité délictuelle de GS1 est engagée pour rupture des relations commerciales établies ayant entraîné une désorganisation de l’entreprise. Elle demande à ce titre une indemnisation à hauteur de 502 571 € pour les pertes d’exploitation, 340 000 € au titre du préavis non respecté, et 150 000 € au titre du préjudice d’image.
En réponse, GS1 développe qu’il n’y a pas eu violation de la clause de non concurrence, de la clause de confidentialité, de la clause de propriété intellectuelle, ni rupture abusive.
La clause de non concurrence n’empêchait pas GS1 de contracter avec un tiers : l’engagement se limite à ne pas développer un logiciel concurrent avec un tiers, et le délai de deux ans stipulé n’avait pas commencé à courir car le contrat n’était pas effectivement signé puisque le logiciel n’était pas réalisé et les conditions d’accès à ce logiciel n’avaient pas été définies et contractualisées. Pour les mêmes raisons, GS1 n’était pas non plus tenue par une clause d’exclusivité de partenariat à l’égard de Traceval. Aucun accord n’étant jamais intervenu sous forme contractuelle, rien n’empêchait GS1 et les adhérents de rechercher une autre solution technique.
GS1 n’est pas responsable de la cessation des relations qui est due au retard pris par Traceval dans la mise en œuvre du pilote, à l’appropriation par Traceval du travail réalisé en commun et ses prétentions financières excessives. Les parties ont par ailleurs mis fin d’un commun accord au processus de collaboration comme l’atteste le communiqué commun du 21 octobre 2008. Cette rupture convenue en commun exclut l’application de l’article L.442-5 du code de commerce. GS1 a mis en œuvre un processus d’appel d’offres auquel Traceval a été conviée et GS1 ne peut être tenue pour responsable que la proposition de Traceval n’ait pas été la meilleure et qu’elle n’ait pas été retenue.
GS1 a parfaitement respecté les droits de propriété intellectuelle de Traceval : Traceval ne justifie pas de droits de propriété intellectuelle et sa demande n’est pas conforme aux prescriptions légales, ne faisant état d’aucune marque, dessin, modèle ou brevet, et n’apporte pas non plus la preuve de l’existence de droits d’auteur. Enfin GS1 est co-titulaire de tout droit de propriété sur les éléments à l’origine de la prétendue violation de la clause de droits de propriété intellectuelle, soit parce qu’elle a payé pour les acquérir, soit parce qu’elle a contribué de façon déterminante à leur élaboration.
GS1 n’a commis aucune violation de la clause de confidentialité car les rapports établis par Traceval sont le résultat de prestations intégralement réglées par GS1 et ils ne contiennent que des informations fournies par GS1.
Sur les demandes chiffrées de Traceval
Le préjudice pour manquements aux obligations contractuelles est infondé car l’estimation ne peut s’appuyer sur un engagement qui n’a jamais été pris et une valorisation qui a été refusée. Sur la base de la dernière proposition de Traceval et à supposer qu’il soit juridiquement fondé, le préjudice s’établirait à 98 000 €.
Le préjudice pour rupture des relations ne repose sur aucun fondement et son évaluation n’est pas démontrée : les pertes d’exploitation correspondraient à des pertes de marges estimées ci-dessus, les pertes liées au coût de licenciements ne peuvent être incorporées aux gains qui auraient été réalisés si les relations s’étaient poursuivies.
Le gain manqué pour rupture abusive est estimé nul par le cabinet BDO.
Le préjudice pour non respect du préavis n’a pas de raison d’être puisque la décision de rupture a été prise d’un commun accord.
DISCUSSION
Sur l’obligation de déploiement de l’observatoire
Attendu qu’un accord de collaboration a été conclu le 9 mars 2006 entre GS1 et Traceval dénommé « Accord pour la diffusion des standards GS1 de traçabilité », qu’il a pour objet « d’étudier une approche conjointe sur la promotion des standards d’échanges et de codification de GS1 France et sur l’accompagnement technique des opérateurs sur l’utilisation des standards de codification et d’échanges », que dans ce cadre en mai 2006, GS1 et Traceval sont intervenues auprès de la société East Balt, puis que selon une proposition de Traceval du 9 février 2007 un audit a été conduit conjointement au cours de l’année 2007 dont les conclusions ont été présentées aux adhérents le 9 octobre 2007,
Attendu que le 10 octobre 2007, une proposition de Traceval portant sur « formalisation, mesure et échange des indicateurs de traçabilité GS1 » a été signée par GS1, exposant un programme de travail en 3 phases :
• Phase 1 (pour le 15 novembre 2007) : validation des modalités d’harmonisation et de consolidation des écarts au sein de plusieurs enseignes de distribution et préparation de la phase pilote ;
• Phase 2 (phase pilote de 6 mois) : mise en production de la consolidation des écarts avec chacune des enseignes et échanges d’informations avec des industriels représentatifs des adhérents de Genfa ;
• Phase 3 : phase de déploiement de la démarche à grande échelle avec implication progressive de l’ensemble des industriels et prestataires logistiques, cette proposition comportant un budget de 69 000 € pour les phases 1 et 2, mais aucune évaluation pour la phase 3,
Attendu que le 19 novembre 2007 une nouvelle proposition de collaboration de Traceval pour une « phase pilote » a été signée par GS1 dénommée « consolidation, gestion et réduction des écarts liés aux standards de traçabilité GS1 », que cette proposition comprenait « à titre indicatif » le montant d’abonnement annuel des 3 modules (Module 1 : remontée et envoi des écarts sur les standards traçabilité GS1 ; Module 2 : suivi des processus des écarts et des statistiques ; Module 3 : suivi de la performance de la supply-chain), ainsi que les conditions d’utilisation des logiciels en particulier des clauses sur la propriété intellectuelle,
Attendu que le 4 février 2008, une nouvelle proposition a été faite par Traceval pour étendre de 3 mois supplémentaires la phase pilote ainsi qu’un « prix du service mutualisé », « annulant et remplaçant la proposition PR0165 » du 19 janvier 2008,
Attendu que le 11 février 2008, la même proposition est renvoyée par Traceval sans la proposition financière, la lettre d’accompagnement de M. Lionel G. précisant « nous discuterons en parallèle des modalités financières d’utilisation des modules 1 et 2 de l’observatoire par les adhérents de GS1 France », cette dernière version étant signée par GS1 le 5 mars 2008,
Attendu que le 10 juin 2008, une proposition de Traceval prorogeant la phase pilote au 15 septembre 2008 a été signée le 12 juin 2008 par GS1, cette proposition étant accompagnée d’un complément de rémunération mais ne faisant pas état des conditions financières du déploiement,
Attendu que les sommes payées par GS1 à Traceval pour ces missions successives se sont élevées à 615 825 €,
Attendu que les conclusions de Traceval ont fait l’objet d’un rapport de synthèse le 15 septembre 2008,
Attendu que lors d’une réunion du 16 septembre 2008, le comité de pilotage composé des entreprises ayant participé à la phase pilote s’est prononcé en faveur du déploiement de l’observatoire et que, ce déploiement ayant vocation à être mutualisé, il a confié à GS1 le soin de négocier avec Traceval les conditions financières de ce déploiement et d’utilisation du logiciel Traceval,
Attendu que, lors d’une réunion dédiée au déploiement à grande échelle, le 22 septembre 2008, Traceval a présenté une «feuille de route» précisant ses nouvelles conditions financières, et que le 10 octobre 2008 une nouvelle proposition financière était adressée par Traceval à GS1,
Attendu qu’il est constant que GS1 n’a pas donné son accord à ces dernières propositions,
Attendu donc que l’accord du 19 novembre 2007 contient une clause sur le prix des licences du module 1 « dans le but de préparer le déploiement à grande échelle », mais qu’il est spécifié que ces prix sont donnés à titre indicatif, que cette clause est reprise dans les propositions suivantes du 4 février 2008, puis retirée de celle du 11 février comme de celle du 10 juin 2008, il apparaît que la clause de l’accord du 19 novembre n’est pas la preuve que les parties s’étaient entendues sur les conditions financières d’un déploiement à grande échelle, que les différentes propositions forment un tout dans lesquelles il y a clairement accord sur la réalisation de la phase pilote mais qu’il n’y a pas accord sur le déploiement,
Attendu que les conventions signées portent sur la préparation puis la réalisation de la « phase pilote », que si la phase de déploiement est la suite logique de cette phase pilote, les parties n’ont pas trouvé d’accord sur les conditions financières de ce déploiement,
Attendu que les conventions ont pour objet principal la réalisation ce cette phase pilote, que cette phase a été complètement réalisée comme l’atteste le compte rendu de la réunion de synthèse du 15 septembre 2008, que la contrepartie de la prestation de Traceval pour la phase pilote a été payée,
Qu’il s’ensuit que GS1 n’avait aucune obligation contractuelle de réaliser la phase de déploiement, faute d’accord sur le prix ;
Sur la rupture des relations entre les parties
Attendu que la cause principale de rupture des relations est l’absence d’accord sur le prix de la phase de déploiement, que dès lors, faute d’accord sur le prix, aucun accord de déploiement n’était convenu entre les parties, et a fortiori, aucun grief de rupture contractuelle ne peut être allégué, le tribunal ne retiendra pas à la charge de GS1 la rupture contractuelle pour la phase de déploiement, et déboutera Traceval de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice lié à la rupture « contractuelle » ;
Sur la rupture des relations commerciales établies
Attendu que l’article L.442-6, 5° du code de commerce dispose : « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (…) : 5° de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce »,
Attendu qu’il y a lieu de reprendre l’historique des propositions financières successives de Traceval entre 2007 et 2009,
– première proposition du 19 novembre 2007 PRO165 représentant un coût d’accès au logiciel pour un chiffre d’affaires cumulé de 1 385 000 €, rejetée par GS1,
– deuxième proposition de Traceval PRO195 du 4 février 2008, qui (page 4/8) annule et remplace la proposition 165 de 4 388 500 €, rejetée par GS1,
– proposition de Traceval PRO204 du 11 février 2008, indiquant « comme convenu, nous discuterons en parallèle des modalités financières d’utilisation des modules 1 et 2 de l’observatoire par les adhérents de GS1 »,
– le 22 septembre 2008, dans un document établi par Traceval dénommé « déploiement de l’observatoire à grande échelle », la proposition financière était à nouveau modifiée et portée à 6 833 000 € outre 2 500 000 € pour l’accompagnement, soit un total de 9 333 000 € (pièce 18),
– lors d’une réunion du 6 octobre 2008 sur l’observatoire de la traçabilité, Traceval communiquait un modèle financier faisant état d’un chiffre d’affaires total services de 3 870 000 €
– le point du 10 octobre 2008 reprenait encore en page 13 le modèle financier en donnant le « business plan avec le prix de l’utilisation de l’observatoire proposé par Traceval » pour un chiffre d’affaires total services de 8 464 000 € et un accompagnement de 1 000 000 d’€, soit un total de 9 464 000 € (pièce 12) ;
Attendu qu’il résulte de cette succession de propositions financières de Traceval, aussi importantes en termes financiers que variables, que malgré de nombreuses tentatives de rapprochement de part et d’autre, les parties n’ont pu se mettre d’accord sur les conditions financières de l’exploitation à grande échelle ou de l’achat des modules,
Attendu de plus que c’est dans ces circonstances que le 14 octobre 2008, GS1 et Traceval signaient toutes deux un courriel dénommé « coopération GS1 Traceval » par lequel elles annonçaient de manière élégante la fin de leur collaboration, du moins pour la phase de déploiement à grande échelle, qu’il n’y a pas lieu de faire grief à GS1 ni d’avoir rompu une relation commerciale établie, puisque cette rupture s’est faite d’un commun accord, ni de l’avoir fait brutalement, puisque le rappel des propositions financières successives de Traceval et leurs fortes variations sont, à l’évidence, à l’origine de l’incapacité des parties à se mettre d’accord sur un prix, et que cet échec n’est ni imputable à GS1 seule, ni révélateur d’une quelconque brutalité dans la rupture des relations,
Attendu encore que le 21 octobre 2008, lors d’un point téléphonique entre Traceval et GS1, Traceval, en la personne de M. Lionel G., l’un de ses dirigeants, prenait acte de la cessation de la collaboration dans sa phase de déploiement en ces termes : « Difficulté de prendre une décision collective sur un business model commun à chaque opérateur »,
Attendu enfin que le communiqué du 21 octobre précisait que « … chaque binôme industriel /distributeur engagé dans cette phase de déploiement choisira la solution la mieux adaptée à sa situation. Certaines sociétés de distribution ayant pris part au pilote utiliseront la solution proposée par la société Traceval « tracesupplychain.com… »,
Attendu que ce communiqué exprime bien l’accord des parties pour reprendre leur rôle respectif initial sans passer à la mise en place par GS1 de l’outil mutualisé,
Attendu, dès lors, qu’à l’issue du communiqué commun du 14 octobre 2008, il était acquis que la phase éventuelle de déploiement à grande échelle était abandonnée et que, faute d’accord sur le prix, aucun contrat n’était conclu, GS1 reprenait sa liberté à l’égard de Traceval, sous réserve des dispositions contractuelles toujours en vigueur, le tribunal dira qu’aucune rupture de la relation commerciale ne peut être établie à l’encontre de GS1 et déboutera Traceval de sa demande à ce titre
Sur les manquements contractuels allégués et le préjudice
* Sur les clauses de confidentialité et de propriété intellectuelle
Attendu que les parties ont signé formellement toute une série d’accords et de propositions, outre les propositions qui, bien qu’exécutées partiellement et payées n’ont pas été formellement signées ;
Attendu que dans ces documents établis entre 2006 et 2008, documents tous courts et écrits de manière très simple, GSI s’est engagée à l’égard de Traceval de manière réitérée à «reconnaître sa propriété intellectuelle» ; que l’on citera notamment les extraits suivants :
– le 13 mars 2006 était signé le premier accord de collaboration pour la diffusion des standards GSI de traçabilité (pièce 36), cet accord indiquant que «Traceval a développé un référentiel d’analyse des risques liés à la traçabilité protégé par la demande de brevet 0509462, ci-après désigné « référentiel », permettant « l’évaluation, l’amélioration et/ou la certification informatique ou papier de produits ou de sites industriels »,
– la proposition 150 de Traceval, adressée à GSI le 10 octobre 2007 et portant la signature de GSI mentionne « Traceval et GSI s’engagent sur la confidentialité des documents communiqués par l’autre partie lors de la réalisation de la mission. GSI et ses adhérents reconnaissent l’existence de la propriété intellectuelle de Traceval telle qu’elle est matérialisée par l’observatoire Traceval (pièce 6),
– proposition 165 de Traceval adressée à GSI le 19 janvier 2007 signée par GSI (pièce 7) prévoyant en page 7/8 que «GSI reconnaît la propriété intellectuelle de Traceval matérialisée par l’Observatoire et s’engage à ne pas concevoir ou promouvoir ou travailler sur un projet pouvant présenter un caractère concurrentiel à l’Observatoire Traceval pendant une durée de deux ans à partir de la date de signature de contrat sur le territoire de la Communauté européenne, la Suisse et les USA » ;
– cette clause a de nouveau été signée par GSI sur la proposition 204 du 3 mars 2008 (pièce 8), qui dispose que « GSI et ses adhérents reconnaissent l’existence de la propriété intellectuelle de Traceval telle qu’elle est matérialisée par l’observatoire Traceval et les documents de matérialisation des processus et des plans de contrôle associés » ;
Attendu qu’il résulte de ces éléments qu’il n’est pas sérieusement contestable, sauf à dénaturer totalement les contrats de leur sens et la volonté des parties, que GSI a reconnu la propriété intellectuelle de Traceval sans jamais, de manière précise, identifier ce qui aurait pu lui appartenir en propre, que ce soit de manière antérieure aux accords avec Traceval ou lors de la collaboration en prévoyant une clause pourtant fort classique de partage de la propriété intellectuelle ou de propriété conjointe ;
Attendu qu’il est inopérant de soutenir que GSI a payé Traceval pendant les 32 mois de leur collaboration à hauteur de quelque 600 000 € pour en déduire qu’elle aurait ainsi «acheté» la propriété intellectuelle de Traceval dès lors que rien n’indique que ce prix incluait la propriété intellectuelle, bien au contraire, au regard d’une part des prix proposés par Traceval lors de ses propositions successives, d’autre part des termes des différents accords conclus entre les parties ;
Attendu que GSI ne peut davantage arguer de la participation de ses adhérents pour prétendre être titulaire de la propriété intellectuelle dès lors qu’elle n’a jamais tenté d’identifier, de protéger -ne serait ce que partiellement-, ou de se réserver l’utilisation de la propriété intellectuelle précitée dont elle a constamment reconnu l’existence au bénéfice de Traceval ;
Attendu que la « propriété intellectuelle » de Traceval a fait l’objet de multiples procédures et dépôts auprès de l’Inpi et de l’Agence de protection des programmes comme le montrent les justificatifs suivants versés aux débats :
– le 6 septembre 2006, le ministère de l’économie et des finances a décerné à Traceval le qualificatif de « jeune entreprise innovante » à partir du 3 octobre 2005, date de sa création,
– le 5 juin 2007, Oseo Innovation a octroyé à Traceval une aide au titre du développement du logiciel Web permettant de vérifier la fiabilité des données d’expédition des produits et d’évaluer le processus de traçabilité dans les IAA (pièce 19.1),
– le cabinet de conseil en brevets Vidon (pièce 17) a fait parvenir le 14 mars 2008 à Traceval un courrier comportant le fascicule officiel du brevet en référence dénommé « brevet français n°0509462 déposé le 14 septembre 2005 concernant un procédé d’expertise de l’exhaustivité, de l’efficacité et de la fiabilité du système de traçabilité mis en place sur un site industriel, notamment du secteur agro-alimentaire » (pièce 17),
– Traceval a déposé une enveloppe Soleau du 31 août 2007 et du 25 … 2008,
– courrier de l’Agence pour la protection des programmes du 13 mars 2009 (pièce 10-1) portant sur l’Observatoire de la traçabilité (pour un volume de 100 Mo,)
– certificat délivré par l’APP Iddn pour l’observatoire de la traçabilité au nom de Traceval le 12 mars 2009 ;
Attendu que ces pièces et la rédaction des clauses contractuelles précitées établissent de manière abondante que le contenu de la « propriété intellectuelle » de Traceval conventionnellement définie, dénommée successivement « Référentiel » ou « observatoire », comprend de manière très large le brevet, le logiciel et les documents de matérialisation des processus et des plans de contrôle associés ;
Attendu que le 21 octobre 2008, les parties, d’un commun accord comme il a été démontré ci-dessus, cessaient leur relations et qu’à la suite de cette cessation, le 24 novembre 2008, GS1 diffusait à plusieurs dizaines de destinataires un courriel ayant pour objet un appel d’offres GS1 (pièce 14) indiquant notamment que… « une phase pilote avait eu lieu de mars à septembre 2008 que le comité exécutif de GS1 souhaitait déployer l’application… et qu’un outil était indispensable pour permettre un suivi des écarts… » ;
Attendu que GS1 ajoutait : « vous trouverez ci-joint le cahier des charges fonctionnel ainsi que le rapport de la phase pilote. Si vous pensez pouvoir répondre à ce besoin, nous vous prions de nous faire parvenir avant le 31 décembre 2008 un cahier des charges techniques ainsi que le devis de réalisation» ;
Attendu que le 1er décembre 2008, GS1 a établi un document dénommé « Compte rendu de la réunion Observatoire de l’excellence logistique » (pièce 22), exposant les premiers retours de l’appel d’offres, indiquant qu’à ce jour Traceval est la seule entreprise à avoir fait une proposition chiffrée, l’autre point étant de parfaire la liste des 150 premiers industriels qui doivent intégrer l’observatoire,
Attendu que le 10 février 2009 a été établi par un huissier de justice un procès-verbal de constat (pièce 23), par lequel l’huissier s’est connecté sur le site internet de GS1 et a constaté que dans ses « priorités de GS1 2009 », figurait un lien dénommé « Observatoire GS1 de l’excellence logistique », suivi notamment d’une « présentation de l’Observatoire traçabilité », étant précisé que « GS1 avait demandé à Traceval d’assurer le pilotage du projet via une plateforme interactive de partage d’indicateurs de qualité… l’Observatoire de la traçabilité » ;
Attendu que le cahier des charges, adressé par GS1 le 24 novembre 2008 aux principaux prestataires informatiques reprenant le nom, les objectifs, les fonctionnalités de l’Observatoire Traceval (pièce 23 et pièce 48), indique notamment que « le schéma d’échange traitement des données-suivi des écarts constituant l’une des données de base est conforme au cahier des charges développé par Traceval » ;
Attendu qu’en reproduisant et en diffusant le rapport de synthèse de la phase pilote et de nombreux éléments de l’observatoire Traceval, objet même des clauses de confidentialité et propriété intellectuelle dans le cahier des charges communiqué à des dizaines de sociétés extérieures dans le cadre de son appel d’offres, GS1 a violé les clauses de confidentialité et de propriété intellectuelle qu’elle avait librement contractées au seul profit de Traceval ;
Attendu que le tribunal n’ayant pas à modifier la volonté des parties exprimée clairement dans les contrats successifs, GS1 sera également déboutée de sa demande reconventionnelle au titre de la propriété intellectuelle ;
* Sur la violation de la clause de non-concurrence
Attendu que l’engagement de non concurrence figure, pour la première fois, dans la proposition n° LG/PRO 165 du 19 novembre 2007 (pièce 7), est repris dans une proposition postérieure en ces termes : « GS1 … reconnaît la propriété intellectuelle de Traceval matérialisée par l’observatoire et s’engage à ne pas concevoir ou promouvoir ou travailler sur un projet pouvant présenter un caractère concurrentiel à l’observatoire Traceval pendant une durée de deux ans à partir de la date de signature du contrat sur le territoire de la Communauté Européenne, la Suisse et les USA » ;
Attendu que cet engagement n’aurait pas interdit à GS1 d’acquérir une solution technologique déjà existante sur le marché, alternative à celle de Traceval, mais lui interdit absolument de développer ou travailler sur un produit concurrent, répondant à un cahier des charges établi à partir de l’observatoire Traceval, avec un voire des concurrents de Traceval puisqu’il est constant que l’appel d’offres lancé par GS1 a été réalisé à partir de la communication à tous les concurrents réels ou potentiels de Traceval de l’observatoire et du rapport de synthèse développés dans le cadre de la collaboration Traceval-GS1 démarrée en 2006 et protégés par une clause de confidentialité ;
Attendu que la divulgation sur une très grande échelle, à des sociétés tierces concurrentes ou potentiellement concurrentes de Traceval, de cette propriété intellectuelle développée en partie antérieurement, et en partie pendant la phase pilote, constitue une violation manifeste de l’engagement de GS1 de « ne pas travailler sur un projet concurrent », que cette divulgation a eu lieu en octobre et décembre 2008 soit à l’intérieur de la période de 2 ans à compter du 19 novembre 2007,
Attendu qu’il est inopérant de soutenir que GS1 a également travaillé avec Traceval sur la phase pilote, ce qui n’est pas contesté, et a contribué à l’élaboration du rapport dès lors que GS1 a non seulement omis de se réserver le droit en cas de cessation de la relation d’utiliser librement les résultats, ou encore de préciser que le prix payé comportait le prix de la propriété intellectuelle, mais a, de manière répétitive et sous diverses formes (confidentialité, non concurrence et propriété intellectuelle), signé le contraire en des termes non équivoques ;
Attendu qu’il est encore inopérant de soutenir que le logiciel n’a fait l’objet d’un dépôt à l’Agence de protection des programmes qu’en mars 2009, soit postérieurement au lancement de l’appel d’offres, dès lors que le dépôt à cette Agence permet de protéger un droit d’auteur erga omnes mais que rien n’empêche les parties de convenir librement par contrat de garder confidentiel et ne pas divulguer à la concurrence tel ou tel élément identifié, ce qui est le cas en l’espèce, y compris si cet élément ne fait pas encore l’objet d’une protection erga omnes au titre du droit d’auteur,
le Tribunal dira que GS1 a violé la clause de non concurrence ;
* Sur le moyen tiré des manœuvres auxquelles se serait livrée GS1
Attendu, contrairement à ce que soutient Traceval, qu’il n’est pas établi que GS1 se soit livrée à des « manœuvres fautives » destinées à tromper la confiance de Traceval ou à la «liquider», que s’il est exact qu’elle a violé les clauses précitées, elle a tenté de convenir avec Traceval d’un prix pour le déploiement des modules, que le moyen tiré des manœuvres invoquées par Traceval ne peut prospérer ;
* Sur le préjudice
Attendu que Traceval sera déboutée des demandes de préjudice résultant de la rupture des relations ou de l’obligation de déploiement, qu’en revanche elle est bien fondée à être indemnisée du préjudice résultant de la violation par GS1 des clauses confidentialité, non-concurrence et propriété intellectuelle ;
Attendu que la divulgation à grande échelle à des sociétés concurrentes, en violation des clauses contractuelles, du produit du travail effectué entre Traceval et GS1 pendant 32 mois, a entraîné le renforcement de la position des concurrents de Traceval et l’affaiblissement de la compétitivité de Traceval, outre l’atteinte à l’image de celle-ci sur le marché, et a permis à un de ses concurrents de gagner l’appel d’offres au détriment de Traceval ;
Attendu que le préjudice causé à Traceval correspond au moins à la « valeur » d’achat des modules 1 et 2 qui ont été mis à disposition du marché par GS1 comme si elle les avait achetés,
Attendu que, par courrier du 27 mars 2009, Traceval a proposé à GS1 un règlement amiable du litige sous réserve que GS1 s’engage à l’indemniser au titre de ses manquements contractuels à hauteur d’un montant minimum de 6 274 844 €, outre les frais, que cette proposition n’a pas été acceptée par GS1 mais constitue un élément d’appréciation,
le Tribunal, tenant compte des différents éléments en sa possession et usant de son pouvoir d’appréciation, fixera le montant du préjudice à 3 millions d’€, et condamnera GS1 à payer ce montant à Traceval à titre de dommages et intérêts pour violation des obligations contractuelles relatives à la confidentialité, la propriété intellectuelle et la non concurrence ;
Sur les demandes de publication du jugement
Attendu que les parties n’apportent pas la preuve que ce litige leur a créé un préjudice en termes d’image qui justifierait une telle demande qui de surcroît pourrait elle-même causer un préjudice d’image significatif, il n’y a pas lieu d’ordonner la publication de la décision, le tribunal les déboutera de leurs demandes à ce titre,
Sur l’article 700 du code de procédure civile
Attendu que Traceval a dû pour faire valoir ses droits, engager des frais qu’il serait inéquitable de lui faire supporter, le Tribunal condamnera GS1 à lui payer la somme de 30 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;
Sur l’exécution provisoire
Attendu que l’exécution provisoire est sollicitée, qu’elle est compatible avec la nature de l’affaire, que le Tribunal l’estime nécessaire, qu’en conséquence, le Tribunal l’ordonnera, sans constitution de garantie ;
Sur les dépens
Attendu que GS1 succombe, elle sera condamnée aux dépens ;
DECISION
Le Tribunal, statuant publiquement en premier ressort par jugement contradictoire
– condamne la société GS1 France à payer à la société Traceval la somme de 3 000 000 d’€ à titre de dommages et intérêts pour la violation des clauses de confidentialité, propriété intellectuelle et non-concurrence,
– déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
– condamne la société GS1 France à payer à la société Traceval la somme de 30 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus,
– ordonne l’exécution provisoire du présent jugement,
– condamne la société GS1 France aux dépens de la présente instance.
Le tribunal : Mme Gile (président),
Avocats : Me Gérard Haas, Mes Momege & Bouffard, Me Claire Bernier, Me Mathieu Rambaud
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