Jurisprudence : Droit d'auteur
Cour européenne de justice de l’Union Européenne Troisième chambre Arrêt du 21 octobre 2010
Padawan SL / SGAE et autres
copie privée - droit d'auteur - enregistrement - indemnisation - préjudice - redevance - rémunération - reproduction - support - usage
PROCEDURE
Dans l’affaire, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par l’Audiencia Provincial de Barcelona (Espagne), par décision du 15 septembre 2008, parvenue à la Cour le 31 octobre 2008, dans la procédure.
DISCUSSION
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la notion de «compensation équitable», visée à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO L 167, p. 10), versée aux titulaires des droits d’auteur au titre de l’«exception de copie privée».
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Padawan SL (ci-après «Padawan») à la Sociedad General de Autores y Editores de España (ci-après «SGAE»), au sujet de la «redevance pour copie privée» qui serait due par Padawan au titre des CD-R, des CD-RW, des DVD-R ainsi que des appareils MP3 que celle-ci commercialise.
Le cadre juridique
La directive 2001/29
3 Les neuvième, dixième, trente et unième, trente-deuxième, trente-cinquième, trente-huitième et trente-neuvième considérants de la directive 2001/29 sont libellés comme suit :
«(9) Toute harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins doit se fonder sur un niveau de protection élevé, car ces droits sont essentiels à la création intellectuelle. Leur protection contribue au maintien et au développement de la créativité dans l’intérêt des auteurs, des interprètes ou exécutants, des producteurs, des consommateurs, de la culture, des entreprises et du public en général. La propriété intellectuelle a donc été reconnue comme faisant partie intégrante de la propriété.
(10) Les auteurs ou les interprètes ou exécutants, pour pouvoir poursuivre leur travail créatif et artistique, doivent obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres, de même que les producteurs pour pouvoir financer ce travail. […]
[…]
(31) Il convient de maintenir un juste équilibre en matière de droits et d’intérêts entre les différentes catégories de titulaires de droits ainsi qu’entre celles-ci et les utilisateurs d’objets protégés. […]
(32) La présente directive contient une liste exhaustive des exceptions et limitations au droit de reproduction et au droit de communication au public. Certaines exceptions ou limitations ne s’appliquent qu’au droit de reproduction, s’il y a lieu. La liste tient dûment compte de la diversité des traditions juridiques des États membres tout en visant à assurer le bon fonctionnement du marché intérieur. Les États membres appliquent ces exceptions et limitations de manière cohérente et la question sera examinée lors d’un futur réexamen des dispositions de mise en œuvre.
[…]
(35) Dans le cas de certaines exceptions ou limitations, les titulaires de droits doivent recevoir une compensation équitable afin de les indemniser de manière adéquate pour l’utilisation faite de leurs œuvres ou autres objets protégés. Lors de la détermination de la forme, des modalités et du niveau éventuel d’une telle compensation équitable, il convient de tenir compte des circonstances propres à chaque cas. Pour évaluer ces circonstances, un critère utile serait le préjudice potentiel subi par les titulaires de droits en raison de l’acte en question. Dans le cas où des titulaires de droits auraient déjà reçu un paiement sous une autre forme, par exemple en tant que partie d’une redevance de licence, un paiement spécifique ou séparé pourrait ne pas être dû. Le niveau de la compensation équitable doit prendre en compte le degré d’utilisation des mesures techniques de protection prévues à la présente directive. Certains cas où le préjudice au titulaire du droit serait minime pourraient ne pas donner naissance à une obligation de paiement.
[…]
(38) Les États membres doivent être autorisés à prévoir une exception ou une limitation au droit de reproduction pour certains types de reproduction de produits sonores, visuels et audiovisuels à usage privé, avec une compensation équitable. Une telle exception pourrait comporter l’introduction ou le maintien de systèmes de rémunération destinés à dédommager les titulaires de droits du préjudice subi. […]
(39) Lorsqu’il s’agit d’appliquer l’exception ou la limitation pour copie privée, les États membres doivent tenir dûment compte de l’évolution technologique et économique, en particulier pour ce qui concerne la copie privée numérique et les systèmes de rémunération y afférents, lorsque des mesures techniques de protection efficaces sont disponibles. De telles exceptions ou limitations ne doivent faire obstacle ni à l’utilisation de mesures techniques ni à la répression de tout acte de contournement.»
4 Aux termes de l’article 2 de la directive 2001/29 :
«Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie :
a) pour les auteurs, de leurs œuvres ;
b) pour les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions ;
c) pour les producteurs de phonogrammes, de leurs phonogrammes ;
d) pour les producteurs des premières fixations de films, de l’original et de copies de leurs films ;
e) pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu’elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite.»
5 L’article 5 de la directive 2001/29, intitulé «Exceptions et limitations», énonce à son paragraphe 2, sous b) :
«Les États membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction prévu à l’article 2 dans les cas suivants :
[…]
b) lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable qui prend en compte l’application ou la non-application des mesures techniques visées à l’article 6 aux œuvres ou objets concernés».
6 L’article 5, paragraphe 5, de ladite directive dispose :
«Les exceptions et limitations prévues aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.»
7 L’article 6 de la même directive, intitulé «Obligations relatives aux mesures techniques», prévoit à ses paragraphes 3 et 4 :
«3. Aux fins de la présente directive, on entend par ‘mesures techniques’, toute technologie, [tout] dispositif ou composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, est destiné à empêcher ou à limiter, en ce qui concerne les œuvres ou autres objets protégés, les actes non autorisés par le titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin du droit d’auteur prévu par la loi, ou du droit sui generis prévu au chapitre III de la directive 96/9/CE. Les mesures techniques sont réputées efficaces lorsque l’utilisation d’une œuvre protégée, ou celle d’un autre objet protégé, est contrôlée par les titulaires du droit grâce à l’application d’un code d’accès ou d’un procédé de protection, tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l’œuvre ou de l’objet protégé ou d’un mécanisme de contrôle de copie qui atteint cet objectif de protection.
4. Nonobstant la protection juridique prévue au paragraphe 1, en l’absence de mesures volontaires prises par les titulaires de droits, y compris les accords entre titulaires de droits et d’autres parties concernées, les États membres prennent des mesures appropriées pour assurer que les bénéficiaires des exceptions ou limitations prévues par le droit national conformément à l’article 5, paragraphe 2, points a), c), d) et e), et à l’article 5, paragraphe 3, points a), b) ou e), puissent bénéficier desdites exceptions ou limitations dans la mesure nécessaire pour en bénéficier lorsque le bénéficiaire a un accès licite à l’œuvre protégée ou à l’objet protégé en question.
Un État membre peut aussi prendre de telles mesures à l’égard du bénéficiaire d’une exception ou limitation prévue conformément à l’article 5, paragraphe 2, point b), à moins que la reproduction à usage privé ait déjà été rendue possible par les titulaires de droits dans la mesure nécessaire pour bénéficier de l’exception ou de la limitation concernée et conformément aux dispositions de l’article 5, paragraphe 2, point b), et de l’article 5, paragraphe 5, sans empêcher les titulaires de droits d’adopter des mesures adéquates en ce qui concerne le nombre de reproductions conformément à ces dispositions.
[…]»
La réglementation nationale
8 La législation applicable est contenue dans le décret royal législatif 1/1996, du 12 avril 1996, approuvant le texte codifié de la loi sur la propriété intellectuelle (ci-après le «TRLPI»). Ce décret royal législatif a été modifié, dans le cadre de la transposition de la directive 2001/29, par la loi 23/2006, du 7 juillet 2006, portant modification du texte codifié de la loi sur la propriété intellectuelle approuvé par le décret royal législatif 1/1996 (BOE n° 162, du 8 juillet 2006, p. 25561).
9 L’article 17 du TRLPI, intitulé «Droit exclusif d’exploitation et modalités d’application», est libellé comme suit :
«L’auteur exerce à titre exclusif les droits d’exploitation de son œuvre sous quelque forme que ce soit, et en particulier les droits de reproduction […], actes [de reproduction] qui ne pourront être réalisés qu’avec son autorisation, sauf dans les cas prévus dans la présente loi.»
10 Sous le titre «Reproduction», l’article 18 du TRLPI énonce :
«Par reproduction, on entend la fixation directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, de la totalité ou d’une partie de l’œuvre, en vue de sa communication ou de la réalisation de copies.»
11 Aux termes de l’article 31, paragraphe 2, du TRLPI :
«N’est pas soumise à autorisation de l’auteur la reproduction, sur quelque support que ce soit, d’œuvres déjà divulguées lorsqu’elle est réalisée par une personne physique pour son usage privé à partir d’œuvres auxquelles elle a accédé légalement et que la copie ne fait pas l’objet d’une utilisation collective ou lucrative, sans préjudice de la compensation équitable prévue à l’article 25 […]»
12 L’article 25 du TRLPI, intitulé «Compensation équitable pour copie privée», dispose à ses paragraphes 1, 2 et 4 :
«1. La reproduction réalisée exclusivement pour un usage privé, au moyen d’appareils ou d’instruments techniques non typographiques, d’œuvres divulguées sous forme de livres ou de publications assimilées à cet effet par voie réglementaire, ainsi que de phonogrammes, de vidéogrammes ou d’autres supports sonores, visuels ou audiovisuels, donne lieu à une compensation équitable et unique pour chacun des trois modes de reproduction mentionnés, en faveur des personnes citées au paragraphe 4, point b), afin de compenser les droits de propriété intellectuelle qui cessent d’être perçus en raison de ladite reproduction. […]
2. Cette compensation est déterminée pour chaque mode de reproduction en fonction des équipements, appareils et supports matériels propres à réaliser ladite reproduction, qui ont été fabriqués sur le territoire espagnol ou acquis hors de celui-ci en vue de leur distribution commerciale ou de leur utilisation sur ce même territoire.
[…]
4. En ce qui concerne l’obligation légale mentionnée au paragraphe 1, on entend par :
a) Débiteurs : les fabricants installés en Espagne, lorsqu’ils opèrent en tant que distributeurs commerciaux, ainsi que les personnes qui acquièrent hors du territoire espagnol, en vue de leur distribution commerciale ou de leur utilisation sur celui-ci, des équipements, appareils et supports matériels visés au paragraphe 2.
Les distributeurs, grossistes et détaillants, qui acquièrent successivement lesdits équipements, appareils et supports matériels, sont tenus au paiement de la compensation solidairement avec les débiteurs qui les leur ont fournis, sauf s’ils prouvent qu’ils la leur ont effectivement payée et sans préjudice des dispositions des paragraphes 14, 15 et 20.
b) Créanciers : les auteurs des œuvres exploitées publiquement sous l’une quelconque des formes mentionnées au paragraphe 1, conjointement, selon le cas et le mode de reproduction, avec les éditeurs, les producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et les artistes interprètes ou exécutants dont les exécutions ont été fixées sur ces phonogrammes et vidéogrammes.»
13 L’article 25, paragraphe 6, du TRLPI expose la procédure d’approbation du montant de la compensation que doit acquitter chaque débiteur en ce qui concerne les équipements, appareils et supports matériels de reproduction numérique, procédure qui fait intervenir le ministère de la Culture, le ministère de l’Industrie, du Tourisme et du Commerce, les organismes de gestion des droits de propriété intellectuelle, les associations sectorielles qui représentent majoritairement les débiteurs, l’association espagnole des consommateurs ainsi que le ministère de l’Économie et des Finances.
14 Le même paragraphe 6 dispose que «les parties au processus de négociation et, dans tous les cas, le ministère de la Culture ainsi que le ministère de l’Industrie, du Tourisme et du Commerce, aux fins de l’adoption de l’arrêté interministériel visé à la disposition précédente, doivent prendre notamment en considération les critères suivants :
a) le préjudice effectivement causé aux titulaires de droits par les reproductions visées au paragraphe 1, étant entendu que si le préjudice causé au titulaire est minime, il ne peut donner naissance à une obligation de paiement ;
b) le degré d’utilisation des équipements, appareils ou supports matériels pour la réalisation des reproductions visées au paragraphe 1 ;
c) la capacité de stockage de ces équipements, appareils et supports matériels ;
d) la qualité des reproductions ;
e) la disponibilité, le niveau d’application et l’efficacité des mesures technologiques visées à l’article 161 ;
f) la durée de conservation des reproductions ;
g) la nécessaire proportionnalité, du point de vue économique, entre les montants de compensation applicables aux différents équipements ou appareils et le prix de vente moyen au consommateur final.»
15 L’article 25 du TRLPI comporte un paragraphe 12, consacré aux personnes sur lesquelles pèse l’obligation de paiement de la compensation, qui est libellé comme suit :
«L’obligation de paiement de la compensation naît dans les circonstances suivantes :
a) Pour les fabricants, lorsqu’ils opèrent en tant que distributeurs, et pour les personnes qui acquièrent des équipements, des appareils et des supports matériels hors du territoire espagnol en vue de leur distribution commerciale sur celui-ci, au moment où la transmission de la propriété est effectuée par le débiteur ou, le cas échéant, au moment de la cession de l’usage ou de la jouissance de l’un quelconque desdits équipements, appareils et supports matériels.
b) Pour les personnes qui acquièrent des équipements, appareils et supports matériels hors du territoire espagnol en vue de leur utilisation sur ce territoire, au moment de leur acquisition.»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
16 SGAE est l’un des organismes chargés de la gestion collective des droits de propriété intellectuelle en Espagne.
17 Padawan commercialise des CD-R, des CD-RW, des DVD-R ainsi que des appareils MP3. SGAE a réclamé à Padawan le paiement de la «redevance pour copie privée» prévue à l’article 25 du TRLPI au titre des années 2002 à 2004. Cette dernière a refusé au motif que l’application de cette redevance à ces supports numériques, sans distinction et indépendamment de la fonction à laquelle ils sont destinés (usage privé ou autre activité professionnelle ou commerciale), serait contraire à la directive 2001/29. Par jugement du 14 juin 2007, le Juzgado de lo Mercantil n° 4 de Barcelona a fait entièrement droit à la réclamation de SGAE et Padawan a été condamnée au paiement d’une somme de 16 759,25 euros, assortie des intérêts de droit.
18 Padawan a interjeté appel dudit jugement devant la juridiction de renvoi.
19 Après avoir consulté les parties et le ministère public sur l’opportunité d’introduire une demande de décision préjudicielle, l’Audiencia Provincial de Barcelona a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
«1) La notion de ‘compensation équitable’ figurant à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29/CE implique-t-elle une harmonisation, indépendamment de la faculté reconnue aux États membres de choisir les systèmes de perception qu’ils jugent appropriés pour mettre en œuvre le droit à une ‘compensation équitable’ des titulaires de droits de propriété intellectuelle lésés par l’introduction de l’exception de copie privée au droit de reproduction ?
2) Quel que soit le système utilisé par chaque État membre pour calculer la compensation équitable, ce système doit-il respecter un juste équilibre entre les personnes concernées, c’est-à-dire, d’une part, les titulaires de droits de propriété intellectuelle lésés par l’exception de copie privée, bénéficiaires de ladite compensation, et, d’autre part, les redevables directs ou indirects ? Cet équilibre est-il déterminé par la raison d’être de la compensation équitable, qui est de remédier au préjudice découlant de l’exception de copie privée ?
3) Lorsqu’un État membre opte pour un système d’imposition ou de redevance sur les équipements, appareils et supports de reproduction numérique, cette imposition (la compensation équitable pour copie privée) doit-elle être nécessairement liée, conformément à l’objectif poursuivi par l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29/CE et au contexte de cette disposition, à l’usage présumé de ces équipements et supports pour réaliser des reproductions bénéficiant de l’exception de copie privée, de telle sorte que l’application de l’imposition serait justifiée si l’on peut présumer que les équipements, appareils et supports de reproduction numérique seront destinés à réaliser des copies privées, alors qu’elle serait injustifiée dans le cas contraire ?
4) Lorsqu’un État membre choisit d’instaurer un système de ‘redevance’ pour copie privée, l’application, sans distinction, de ladite ‘redevance’ à des entreprises et à des professionnels qui font clairement l’acquisition d’appareils et de supports de reproduction numérique à des fins autres que celle de la copie privée est-elle conforme à la notion de ‘compensation équitable’ ?
5) Le système adopté par l’État espagnol, qui consiste à appliquer sans distinction la redevance pour copie privée à tous les équipements, appareils et supports de reproduction numérique, est-il contraire à la directive 2001/29/CE, en l’absence de corrélation suffisante entre la compensation équitable et la limitation pour copie privée du droit [de reproduction], qui justifie cette compensation, dès lors que celle-ci s’applique dans une large mesure à des cas différents où la limitation des droits qui justifie la compensation financière n’existe pas ?»
Sur les questions préjudicielles
Sur la recevabilité
20 En premier lieu, le Centro Español de Derechos Reprográficos et le gouvernement espagnol font valoir, en substance, que la demande de décision préjudicielle est dénuée de pertinence aux fins de la solution du litige au principal dans la mesure où la directive 2001/29 ne serait pas applicable ratione temporis à celui-ci. En effet, selon eux, sont applicables à ce litige les dispositions nationales antérieures à l’entrée en vigueur de celles transposant cette directive. Par conséquent, l’interprétation de la notion de «compensation équitable» figurant à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de ladite directive ne serait pas nécessaire pour la solution de ce litige.
21 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions des États membres telle que prévue à l’article 267 TFUE, il appartient aux seules juridictions nationales, qui sont saisies du litige et doivent assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu’elles posent à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra, C-379/98, Rec. p. I-2099, point 38 ; du 22 mai 2003, Korhonen e.a., C-18/01, Rec. p. I-5321, point 19, ainsi que du 23 avril 2009, VTB-VAB et Galatea, C-261/07 et C-299/07, Rec. p. I-2949, point 32).
22 En revanche, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, sur l’interprétation des dispositions nationales et de juger si l’interprétation qu’en donne la juridiction de renvoi est correcte. En effet, il incombe à la Cour de prendre en compte, dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions de l’Union et nationales, le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles, tel que défini par la décision de renvoi (arrêts du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri, C-482/01 et C-493/01, Rec. p. I-5257, point 42 ; du 4 décembre 2008, Jobra, C-330/07, Rec. p. I-9099, point 17, ainsi que du 23 avril 2009, Angelidaki e.a., C-378/07 à C-380/07, Rec. p. I-3071, point 48).
23 En ce qui concerne la présente demande de décision préjudicielle, force est de constater, d’une part, qu’elle porte sur l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, à savoir l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, ce qui relève de la compétence de la Cour saisie dans le cadre d’une telle demande et que, en outre, il n’est nullement exclu, eu égard à la période au titre de laquelle la taxation en cause au principal est réclamée et à la date d’expiration du délai de transposition fixée au 22 décembre 2002 par l’article 13, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2001/29, que le juge de renvoi soit amené à devoir tirer les conséquences de l’interprétation qu’il a sollicitée, notamment au titre de son obligation d’interprétation conforme du droit national à la lumière du droit de l’Union (arrêt du 13 novembre 1990, Marleasing, C-106/89, Rec. p. I-4135, point 8).
24 D’autre part, la détermination de la législation nationale applicable ratione temporis constitue une question d’interprétation du droit national qui ne relève donc pas de la compétence de la Cour saisie dans le cadre d’une demande de décision préjudicielle.
25 Il s’ensuit que cette première exception d’irrecevabilité doit être écartée.
26 En second lieu, SGAE soutient que les questions posées par la juridiction de renvoi sont irrecevables dans la mesure où elles concernent des situations de droit interne non harmonisées par la directive 2001/29. Selon elle, en effet, les questions soulevées sont fondées essentiellement sur des aspects qui relèvent de la compétence des États membres. Or, selon SGAE, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, la Cour n’a pas compétence pour interpréter et appliquer le droit national.
27 Il y a lieu toutefois de rappeler que le point de savoir si les questions posées par la juridiction nationale concernent une matière étrangère au droit de l’Union, au motif que la directive 2001/29 prévoirait seulement une harmonisation minimale en la matière, relève du fond des questions posées par cette juridiction et non de la recevabilité de celles-ci (voir arrêt du 11 avril 2000, Deliège, C-51/96 et C-191/97, Rec. p. I-2549, point 28). Partant, l’objection soulevée par SGAE, tirée de l’inapplicabilité de cette directive au litige au principal, n’a pas trait à la recevabilité de l’affaire, mais relève du fond desdites questions (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2006, Manfredi e.a., C-295/04 à C-298/04, Rec. p. I-6619, point 30).
28 Cette seconde exception d’irrecevabilité devant être écartée, il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la demande de décision préjudicielle doit être déclarée recevable.
Sur le fond
Sur la première question
29 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de «compensation équitable», au sens de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, constitue une notion autonome du droit de l’Union, qui doit être interprétée d’une manière uniforme dans tous les États membres, indépendamment de la faculté reconnue à ces derniers de déterminer les modalités de mise en œuvre du droit à cette compensation.
30 Il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, les États membres qui décident d’instaurer l’exception de copie pour un usage privé dans leur droit interne sont tenus de prévoir le versement d’une «compensation équitable» au bénéfice des titulaires des droits.
31 Il convient de relever d’emblée que ni ledit article 5, paragraphe 2, sous b), ni aucune autre disposition de la directive 2001/29 ne comportent un renvoi au droit national des États membres en ce qui concerne la notion de «compensation équitable».
32 Dans une telle circonstance, selon une jurisprudence constante de la Cour, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union européenne, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (voir, notamment, arrêts du 18 janvier 1984, Ekro, 327/82, Rec. p. 107, point 11 ; du 19 septembre 2000, Linster, C-287/98, Rec. p. I-6917, point 43, et du 2 avril 2009, A, C-523/07, Rec. p. I-2805, point 34).
33 Il résulte de cette jurisprudence que la notion de «compensation équitable», qui figure dans une disposition faisant partie d’une directive qui ne comporte aucun renvoi aux droits nationaux, doit être considérée comme une notion autonome du droit de l’Union et interprétée de manière uniforme sur le territoire de cette dernière [voir par analogie, s’agissant de la notion de «rémunération équitable» figurant à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 92/100/CEE du Conseil, du 19 novembre 1992, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (JO L 346, p. 61), arrêt du 6 février 2003, SENA, C-245/00, Rec. p. I-1251, point 24].
34 Cette conclusion est corroborée par l’objectif poursuivi par la réglementation dont la notion de compensation équitable fait partie.
35 En effet, la finalité de la directive 2001/29, fondée notamment sur l’article 95 CE et visant à harmoniser certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information ainsi qu’à empêcher les distorsions de concurrence dans le marché intérieur résultant de la diversité des législations des États membres (arrêt du 12 septembre 2006, Laserdisken, C-479/04, Rec. p. I-8089, points 26, 31 à 34), implique le développement de notions autonomes du droit de l’Union. La volonté du législateur de l’Union de parvenir à une interprétation la plus uniforme possible de la directive 2001/29 se reflète notamment dans le trente-deuxième considérant de celle-ci, lequel invite les États membres à appliquer les exceptions et limitations au droit de reproduction de manière cohérente, dans le but d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur.
36 Dès lors, s’il est loisible aux États membres, en vertu de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, de décider, à titre facultatif, d’introduire une exception de copie privée au droit exclusif de reproduction de l’auteur consacré par le droit de l’Union, ceux qui font usage de cette faculté doivent prévoir le versement d’une compensation équitable au profit des auteurs lésés en raison de l’application de cette exception. Or, une interprétation selon laquelle les États membres qui ont introduit une telle exception identique, prévue par le droit de l’Union et comportant, aux termes des trente-cinquième et trente-huitième considérants de cette directive, la notion de «compensation équitable» en tant qu’élément essentiel, seraient libres d’en préciser les paramètres de manière incohérente et non harmonisée, susceptible de varier d’un État membre à l’autre, serait contraire à l’objectif de ladite directive tel que rappelé au point précédent.
37 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que la notion de «compensation équitable», au sens de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, est une notion autonome du droit de l’Union, qui doit être interprétée d’une manière uniforme dans tous les États membres ayant introduit une exception de copie privée, indépendamment de la faculté reconnue à ceux-ci de déterminer, dans les limites imposées par le droit de l’Union, notamment par la même directive, la forme, les modalités de financement et de perception ainsi que le niveau de cette compensation équitable.
Sur la deuxième question
38 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le «juste équilibre» à trouver entre les personnes concernées implique que la compensation équitable soit calculée sur la base du critère du préjudice causé aux auteurs à la suite de l’introduction de l’exception de copie privée. Elle cherche également à savoir quelles sont, outre les auteurs lésés, les personnes concernées entre lesquelles ce «juste équilibre» doit être trouvé.
39 S’agissant, en premier lieu, du rôle joué par le critère du préjudice subi par l’auteur dans le calcul de la compensation équitable, il ressort des trente-cinquième et trente-huitième considérants de la directive 2001/29 que cette compensation équitable a pour objet d’indemniser les auteurs, «de manière adéquate», pour l’utilisation faite sans leur autorisation de leurs œuvres protégées. Afin de déterminer le niveau de cette compensation, il convient de tenir compte, en tant que «critère utile», du «préjudice potentiel» subi par l’auteur en raison de l’acte de reproduction en cause, un «préjudice […] minime» pouvant toutefois ne pas donner naissance à une obligation de paiement. L’exception de copie privée doit ainsi pouvoir comporter un système «destiné à dédommager les titulaires de droits du préjudice subi».
40 Il résulte de ces dispositions que la conception et le niveau de la compensation équitable sont liés au préjudice résultant pour l’auteur de la reproduction de son œuvre protégée effectuée sans son autorisation pour un usage privé. Dans cette perspective, la compensation équitable doit être regardée comme la contrepartie du préjudice subi par l’auteur.
41 En outre, les termes «indemniser» et «dédommager» figurant dans les trente-cinquième et trente-huitième considérants de la directive 2001/29 traduisent la volonté du législateur de l’Union d’établir un système particulier de compensation dont la mise en œuvre est déclenchée par l’existence, au détriment des titulaires de droits, d’un préjudice, lequel génère, en principe, l’obligation d’«indemniser» ou de «dédommager» ces derniers.
42 Il s’ensuit que la compensation équitable doit nécessairement être calculée sur la base du critère du préjudice causé aux auteurs des œuvres protégées par l’introduction de l’exception de copie privée.
43 S’agissant, en second lieu, de la question des personnes concernées par le «juste équilibre», le trente et unième considérant de la directive 2001/29 prévoit de maintenir un «juste équilibre» entre les droits et intérêts des auteurs, bénéficiaires de la compensation équitable, d’une part, et ceux des utilisateurs d’objets protégés, d’autre part.
44 Or, la réalisation d’une copie par une personne physique agissant à titre privé doit être considérée comme un acte de nature à engendrer un préjudice pour l’auteur de l’œuvre concernée.
45 Il s’ensuit que la personne ayant causé le préjudice au titulaire exclusif du droit de reproduction est celle qui réalise, pour son usage privé, une telle reproduction d’une œuvre protégée sans solliciter l’autorisation préalable dudit titulaire. Il incombe dès lors, en principe, à cette personne de réparer le préjudice lié à cette reproduction, en finançant la compensation qui sera versée à ce titulaire.
46 Cela étant, compte tenu des difficultés pratiques pour identifier les utilisateurs privés ainsi que pour les obliger à indemniser les titulaires des droits du préjudice qu’ils leur causent et eu égard au fait que le préjudice qui peut découler de chaque utilisation privée, considérée individuellement, peut s’avérer minime et, dès lors, ne pas donner naissance à une obligation de paiement, comme l’indique la dernière phrase du trente-cinquième considérant de la directive 2001/29, il est loisible aux États membres d’instaurer, aux fins du financement de la compensation équitable, une «redevance pour copie privée» à la charge non pas des personnes privées concernées, mais de celles qui disposent d’équipements, d’appareils et de supports de reproduction numérique et qui, à ce titre, en droit ou en fait, mettent ces équipements à la disposition de personnes privées ou rendent à ces dernières un service de reproduction. Dans le cadre d’un tel système, c’est aux personnes disposant de ces équipements qu’il incombe d’acquitter la redevance pour copie privée.
47 Certes, dans un tel système, ce ne sont pas les utilisateurs d’objets protégés qui se présentent comme les redevables du financement de la compensation équitable, contrairement à ce que semble exiger le trente et unième considérant de la directive 2001/29.
48 Il convient toutefois de relever que, d’une part, l’activité des redevables de ce financement, à savoir la mise à la disposition des utilisateurs privés d’équipements, d’appareils et de supports de reproduction, ou le service de reproduction qu’ils rendent, constitue la prémisse factuelle nécessaire pour que les personnes physiques puissent obtenir des copies privées. D’autre part, rien ne fait obstacle à ce que ces redevables répercutent le montant de la redevance pour copie privée dans le prix de la mise à disposition desdits équipements, appareils et supports de reproduction ou dans le prix du service de reproduction rendu. Ainsi, la charge de la redevance sera en définitive supportée par l’utilisateur privé qui acquitte ce prix. Dans ces conditions, l’utilisateur privé au bénéfice duquel sont mis à disposition les équipements, appareils et supports de reproduction numérique ou qui profite d’un service de reproduction doit être regardé, en réalité, comme le «redevable indirect» de la compensation équitable.
49 Par conséquent, dès lors que ledit système permet aux redevables de répercuter le coût de la redevance sur les utilisateurs privés et que, partant, ces derniers assumeront la charge de la redevance pour copie privée, il doit être considéré comme conforme au «juste équilibre» à trouver entre les intérêts des auteurs et ceux des utilisateurs d’objets protégés.
50 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que le «juste équilibre» à trouver entre les personnes concernées implique que la compensation équitable soit nécessairement calculée sur la base du critère du préjudice causé aux auteurs des œuvres protégées à la suite de l’introduction de l’exception de copie privée. Il est conforme aux exigences de ce «juste équilibre» de prévoir que les personnes qui disposent d’équipements, d’appareils ainsi que de supports de reproduction numérique et qui, à ce titre, en droit ou en fait, mettent ces équipements à la disposition des utilisateurs privés ou rendent à ces derniers un service de reproduction sont les redevables du financement de la compensation équitable, dans la mesure où ces personnes ont la possibilité de répercuter la charge réelle de ce financement sur les utilisateurs privés.
Sur les troisième et quatrième questions
51 Par ses troisième et quatrième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, aux termes de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, il existe un lien nécessaire entre l’application de la redevance destinée à financer la compensation équitable à l’égard d’équipements, d’appareils ainsi que de supports de reproduction numérique et l’usage présumé de ces derniers à des fins de reproduction privée. Elle demande également si l’application sans distinction de la redevance pour copie privée, notamment à l’égard desdits équipements, appareils et supports de reproduction numérique manifestement réservés à des usages autres que la réalisation de copies à usage privé, est conforme à la directive 2001/29.
52 Il convient de constater d’emblée qu’un système de financement de la compensation équitable tel que celui exposé aux points 46 et 48 du présent arrêt n’est compatible avec les exigences du «juste équilibre» que si les équipements, appareils et supports de reproduction en cause sont susceptibles d’être utilisés à des fins de copie privée et, partant, de causer un préjudice à l’auteur de l’œuvre protégée. Il existe donc, eu égard à ces exigences, un lien nécessaire entre l’application de la redevance pour copie privée à l’égard desdits équipements, appareils et supports de reproduction numérique et l’usage de ces derniers à des fins de reproduction privée.
53 Par conséquent, l’application sans distinction de la redevance pour copie privée à l’égard de tous les types d’équipements, d’appareils et de supports de reproduction numérique, y compris dans l’hypothèse, explicitement évoquée par la juridiction de renvoi, où ceux-ci sont acquis par des personnes autres que des personnes physiques, à des fins manifestement étrangères à celle de copie privée, ne s’avère pas conforme à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2001/29.
54 En revanche, dès lors que les équipements en cause ont été mis à la disposition des personnes physiques à des fins privées, il n’est nullement nécessaire d’établir que celles-ci ont effectivement réalisé des copies privées à l’aide de ces derniers et ont ainsi effectivement causé un préjudice à l’auteur de l’œuvre protégée.
55 En effet, ces personnes physiques sont légitimement présumées bénéficier intégralement de cette mise à disposition, c’est-à-dire qu’elles sont censées exploiter la plénitude des fonctions associées auxdits équipements, y compris celle de reproduction.
56 Il s’ensuit que la simple capacité de ces équipements ou de ces appareils à réaliser des copies suffit à justifier l’application de la redevance pour copie privée, à la condition que lesdits équipements ou appareils aient été mis à disposition des personnes physiques en tant qu’utilisateurs privés.
57 Une telle interprétation est corroborée par le libellé du trente-cinquième considérant de la directive 2001/29. En effet, celui-ci mentionne, comme critère utile pour la détermination du niveau de la compensation équitable, non simplement le «préjudice» en tant que tel, mais le préjudice «potentiel». Le caractère «potentiel» du préjudice causé à l’auteur de l’œuvre protégée réside dans la réalisation de la condition nécessaire préalable consistant en la mise à disposition d’une personne physique d’équipements ou d’appareils permettant d’effectuer des copies, qui ne doit pas être nécessairement suivie de la réalisation effective de copies privées.
58 En outre, la Cour a déjà jugé que, du point de vue du droit d’auteur, il y a lieu de prendre en compte la simple possibilité pour l’utilisateur final, en l’espèce les clients d’un établissement hôtelier, de visionner les œuvres radiodiffusées au moyen d’appareils de télévision et d’un signal télévisé mis à leur disposition par ledit établissement, et non l’accès effectif desdits clients à ces œuvres (arrêt du 7 décembre 2006, SGAE, C-306/05, Rec. p. I-11519, points 43 et 44).
59 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux troisième et quatrième questions que l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’un lien est nécessaire entre l’application de la redevance destinée à financer la compensation équitable à l’égard des équipements, des appareils ainsi que des supports de reproduction numérique et l’usage présumé de ces derniers à des fins de reproduction privée. En conséquence, l’application sans distinction de la redevance pour copie privée, notamment à l’égard d’équipements, d’appareils ainsi que de supports de reproduction numérique non mis à la disposition d’utilisateurs privés et manifestement réservés à des usages autres que la réalisation de copies à usage privé, ne s’avère pas conforme à la directive 2001/29.
Sur la cinquième question
60 Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le système adopté par le Royaume d’Espagne, qui consiste à appliquer sans distinction la redevance pour copie privée à tous les types d’équipements, d’appareils et de supports de reproduction numérique, quel que soit l’usage qui est fait de ces équipements, appareils et supports, est conforme à la directive 2001/29.
61 À cet égard, il est de jurisprudence constante que, en dehors du recours en constatation de manquement, il n’appartient pas à la Cour de statuer sur la compatibilité d’une disposition nationale avec le droit de l’Union. Cette compétence revient aux juridictions nationales, le cas échéant après qu’elles ont obtenu de la part de la Cour, par la voie d’un renvoi préjudiciel, les précisions nécessaires sur la portée et l’interprétation de ce droit (voir arrêt du 22 mars 1990, Triveneta Zuccheri e.a./Commission, C-347/87, Rec. p. I-1083, point 16).
62 Il appartient donc à la juridiction de renvoi d’apprécier, au vu des réponses apportées aux quatre premières questions, la compatibilité du système espagnol de redevance pour copie privée avec la directive 2001/29.
63 Il n’y a donc pas lieu pour la Cour de répondre à cette cinquième question.
Sur les dépens
64 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
DECISION
Par ces motifs, la Cour dit pour droit :
1) La notion de «compensation équitable», au sens de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, est une notion autonome du droit de l’Union, qui doit être interprétée d’une manière uniforme dans tous les États membres ayant introduit une exception de copie privée, indépendamment de la faculté reconnue à ceux-ci de déterminer, dans les limites imposées par le droit de l’Union, notamment par la même directive, la forme, les modalités de financement et de perception ainsi que le niveau de cette compensation équitable.
2) L’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que le «juste équilibre» à trouver entre les personnes concernées implique que la compensation équitable soit nécessairement calculée sur la base du critère du préjudice causé aux auteurs des œuvres protégées à la suite de l’introduction de l’exception de copie privée. Il est conforme aux exigences de ce «juste équilibre» de prévoir que les personnes qui disposent d’équipements, d’appareils ainsi que de supports de reproduction numérique et qui, à ce titre, en droit ou en fait, mettent ces équipements à la disposition des utilisateurs privés ou rendent à ces derniers un service de reproduction sont les redevables du financement de la compensation équitable, dans la mesure où ces personnes ont la possibilité de répercuter la charge réelle de ce financement sur les utilisateurs privés.
3) L’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’un lien est nécessaire entre l’application de la redevance destinée à financer la compensation équitable à l’égard des équipements, des appareils ainsi que des supports de reproduction numérique et l’usage présumé de ces derniers à des fins de reproduction privée. En conséquence, l’application sans distinction de la redevance pour copie privée, notamment à l’égard d’équipements, d’appareils ainsi que de supports de reproduction numérique non mis à la disposition d’utilisateurs privés et manifestement réservés à des usages autres que la réalisation de copies à usage privé, ne s’avère pas conforme à la directive 2001/29.
La Cour : M. K. Lenaerts (président de chambre), M. D. Šváby, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász et J. Malenovský (juges)
Avocats : Mes J. Jover Padró, E. Blanco Aymerich et A. González García, Mes P. Hernández Arroyo, J. Segovia Murúa, R. Allendesalazar Corchó et R. Vallina Hoset, Mes J. A. Suárez Lozano et M. Benzal Medina, Me C. López Sánchez, Me F. Márquez Martín, Mes M. Malmierca Lorenzo et J. Díaz de Olarte,
Source : site curia.europa.eu
Notre présentation de la décision
En complément
Le magistrat K. Lenaerts est également intervenu(e) dans les 28 affaires suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.