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Jurisprudence : Responsabilité

jeudi 28 octobre 2010
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Tribunal de Grande Instance de Paris Ordonnance de référé 20 octobre 2010

Alexandre B. / JFG Networks

contenus illicites - diffamation - éditeur - hébergeur - identification - lcen - liberté d'expression - responsabilité - retrait

FAITS ET PROCEDURE

Vu l’assignation en référé à jour et heure indiqués que Alexandre B. a fait délivrer, après y avoir été autorisé par décision prise sur délégation du président du tribunal, à la société JFG Networks, par acte daté du 29 septembre 2010 pour audience du 6 octobre 2010 :
– exposant avoir été mis en examen dans le cadre d’une information judiciaire ouverte des chefs d’escroquerie contre notamment des dirigeants de la société Référence pour laquelle il travaillait,
– indiquant que certains articles de presse s’étaient fait l’écho de cette affaire, sans jamais cependant citer son nom,
– ajoutant s’être aperçu qu’un site internet de type blog avait mis en ligne certains propos le concernant, suivis d’un article paru dans le quotidien « Le Parisien » le 7 mai 2010,
– invoquant le caractère diffamatoire des propos ainsi mis en ligne par un dénommé Ivan S., l’atteinte à la présomption d’innocence en résultant, et, partant, le caractère illicite des dits contenus hébergés par la société JFG Networks,
– pour solliciter, au visa des articles 6 de la loi du 21 juin 2004, 29, alinéa premier, de la loi du 29 juillet 1881, 35 bis et 35 ter II de la loi du 29 juillet 1881, pris ensemble les articles 808 et 809 du code de procédure civile, que soit ordonnée à la société défenderesse, prise en sa qualité d’hébergeur, la suppression immédiate de textes accessibles aux adresses internet indiquées, et sa condamnation à lui payer la somme de 5000 € à titre de provision en réparation du préjudice subi, et celle de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du CPC,

Vu les explications en défense de la société JFG Networks, représenté par Nicolas Poirier, le quel était muni d’un pouvoir spécial du président de cette société :
– contestant le caractère manifestement illicite des contenus litigieux,
– faisant le reproche au demandeur de n’avoir pas même tenté d’identifier le responsable de ces deux sites, seul à même d’en répondre,
– soulignant le caractère abusif de la procédure à son égard et sollicitant une somme de 5000 € à ce titre, outre une somme de 3000 € par application de l’article 700 du CPC,

Vu l’intervention volontaire d’Ivan S., qui assume la paternité des propos publiés, expose avoir été victime des agissements de deux personnes mises en examen et placées en détention provisoire dans le cadre de l’information judiciaire ouverte du chef d’escroquerie – et avec lesquels le demandeur avait partie liée – et invoque le bénéfice de la bonne foi,

Vu les demandes additionnelles que forme le demandeur tant à l’égard du défendeur que de l’intervenant volontaire, sollicitant désormais, leur condamnation in solidum et invoquant, subsidiairement, l’article 1382 du code civil, au soutient des demandes initiales,

DISCUSSION

Plus d’une centaine d’artiste estimant avoir été victimes des agissements peu scrupuleux d’une société Référence, dirigée et animée par des nommés Maxime G. et Alexandre G., lesquels leur avaient proposé, moyennant rémunération, de faire exposer leurs œuvres le plus souvent dans des lieux supposés prestigieux, se sont constitués en un collectif « Les peintres en colère » et ont déposé plainte auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Versailles. Une information judiciaire a été ouverte des chefs, notamment, d’escroquerie, dans le cadre de laquelle les frères G. ainsi qu’Alexandre B. ont été mis en examen, les deux premiers ayant été placés en détention provisoire, tandis qu’Alexandre B. a été placé sous contrôle judiciaire.

Divers organes de presse auraient rendu compte de cette affaire, la plupart du temps sans citer nommément les personnes s’y trouvant impliquées.

Alexandre B. se plaint de la mise en ligne sur un site de type blog de textes le concernant.

« Maxime G., Constantin G. et Alexandre B., mis en examen
Maxime G., son fils Constantin et Alexandre B. ont été mis en examen mardi 4 mai 2010 par la police judiciaire de Versailles pour escroquerie. A l’issue de la garde à vue Alexandre B. a été mis en « liberté surveillée », Maxime et Constantin G. en détention provisoire (le père à Bois d’Arcy et le fils à la prison de Fleury-Mérogis) jusqu’à nouvel ordre en attendant le procès à venir.
Un juge d’instruction a été nommé. Une commission rogatoire va poursuivre l’instruction et préparer le procès à venir.
La plainte de l’association « Les peintres en colère » auprès du procureur de la République, Tribunal de Grande Instance de Versailles, réunit actuellement 148 plaignants.
Article paru le 7 mai 2010 dans le Parisien : insolvabilité organisée, où va l’argent ? flibustier ou corsaire de l’art ? des appuis politiques ? Alexandre B. est-il le neveu de la justice comme il annonçait aux artistes ? G. est-il un ami d’un ancien ministre de l’intérieur mis en examen ? Pourquoi Frédéric Mitterrand état-il en photo sur les derniers dépliants des G. ? Voit-on sur des photos de B. bras dessus bras-dessous avec un fils de président ? ».

Ce texte est accompagné d’un article paru dans l’édition du Parisien du 7 mai 2010, également diffusé en ligne, dans lequel il est fait état, selon le demandeur, de faits d’escroquerie au préjudice de 146 artistes pour un montant d’environ 400 000 €, des prétendues manœuvres employés pour détourner les fonds versés par les artistes, de promesses mensongères, factures non réglées, absence d’exposition des œuvres, organisation d’insolvabilité…

Le second texte, daté du 15 juillet 2008, est accessible à l’adresse http://ivans.over-blog.cil/article-21257338-6.htmil. Il est ainsi rédigé :

« Voici l’histoire d’une belle bande de flibustiers modernes qui, durant quatre printemps, abordèrent et rançonnèrent des milliers d’ânes (in french : des artistes naïfs). Leur goélette s’appelle la « Référence / Marumo’s Gallery ». A bord on trouve les commandants Maxime G et Claude M. ainsi que leurs lieutenants, Constantin G., Alexandre B., Sébastien F et quelques autres…
Leur devise :  » 10000 artistes en Ile de France, c’est 10000 vaches à traire pendant dix ans ».

Tout commence par un joli prospectus (un 4 pages numériques) qui, pour vous appâter, vous propose d’exposer 6 œuvres en plein Soho à New York, le lieutenant Alexandre B. vient dans votre atelier, s’extasie sur la qualité bla-bla-bla, et vous propose son kit pour naïf : Pour 1000 € (2300 € pour d’autres) il vous sélectionne pour New York. Ajoutez 100 € de transport (450 € pour d’autres). Ajoutez 150 € pour un catalogue numérique tiré à l’unité, dont on ne voit qu’un seul exemplaire.
Ajoutez 430 € pour être dans le fichier incontournable des 500 galeries New Yorkaises (j’ai refusé). A ce stade vous êtes déjà entré dans l’histoire et bien habillé pour l’hiver mais vous en voulez plus !
Alors le lieutenant Alexandre B., l’ami des ânes, cède sa place au commandant corsaire Maxime G. (qui a déjà eu de nombreux démêlés avec les prévôts du roi pour des ventes de carrosses d’occasion) qui vous prend en main et vous demande votre numéro de carte bleue par téléphone, pour vous réserver une chambre d’hôtel bon marché pour le vernissage. C’est là que les ennuis commencent vraiment, avec des pirateries de 450 €, 780 € et même 4000 €, pour des chambres miteuses sans fenêtres dans Chinatown !
Le vernissage est alors repoussé plusieurs fois sans vraies raisons et le corsaire G. vous plante vos deux billets d’avion électronique (1000 €) la veille du départ ! (vengeance de pirate car j’avais refusé de lui donner mon numéro de carte bleue). Une amie new yorkaise s’y rend et dénombre avec beaucoup de mal 40 personnes au vernissage (des artistes et leurs amis) et non 450 comme annoncé au téléphone par le lieutenant Alexandre B. L’ancien maire G. et la princesse de Bourbon ne sont évidemment pas présents au vernissage comme annoncé par le corsaire Claude M. en personne. De même, il n’y a pas la fameuse « nocturne professionnelle » des 500 galeries » ce soir là.
Pendant des mois (bien au-delà du contrat signé), impossible de récupérer les œuvres. Beaucoup sont entassées, cassées, lacérées ou carrément perdues. (Laurent G. de Cavalier international : « Je peux vous dire qu’il ne me font pas transporter les œuvres comme mes autres clients et je ne préférerais pas qu’un de mes galeristes voit ça ! »). Après un coup de pression j’ai pu retirer 4 œuvres chez le transporteur et à ce jour 2 sont portées manquantes.
Vous êtes impatients de connaître la suite ?
1- Pourquoi la police des mers est-elle si lente à mettre la main sur cette bande de flibustiers ? Le bagne de Cayenne est vide, non ?
2- Pourquoi les amiraux de la Maison des artistes n’ont-ils prévenu ni la presse ni l’ensemble de ses 20000 marins pour que plus aucun ne se fasse rançonner ?
3- Qui, à la cour du roi, protège ces flibustiers ? Sont-ils des corsaires ?
4- Pourquoi après 25 ans sur la mer de l’art suis-je encore assez naïf pour tomber dans de telles pirateries ?

Autant de questions dont les réponses coloreront la suite des passionnantes aventures de ces pirates modernes. »

Suit un commentaire d’un nommé Eric M. :

« Salut Ivan, grand merci à toi de nous mettre en garde face à ces pirates (voleurs) qui abusent de notre naïveté et certainement de notre « soif » de reconnaissance internationale, américaine… New York, ahhhh New York!!! Soyons donc tous vigilants face à ces brigands et respectons la règle n°1 : ne jamais payer pour exposer, non, mais ??? Je te rassure (si cela peut te rassurer, ou plutôt t’amuser), tu n’es pas le premier, tu ne seras pas le dernier, pareilles aventures me sont déjà arrivées… Encore un grand bravo à toi pour ton site et ton blog que je visite quotidiennement, tes dessins qui me scotchent à chaque fois et tes réflexions qui m’ouvrent les yeux et m’obligent, m’incitent, à penser différemment, à changer mon angle de vision!!! Bien amicalement ! Be good (comme on dit à NYC…,-)) et à bientôt! Eric »

Sur la responsabilité de l’hébergeur, la société JFG
La responsabilité juridique de la société JFG Networks du fait de la publication de contenus qu’elle héberge ne peut être engagée que dans les cas et aux conditions prévues par la loi du 21 juin 2004, telles qu’interprétée à la lumière des réserves du conseil constitutionnel dans sa décision DC du 10 juin 2004. L’hébergeur n’est astreint, en cette qualité, à aucune obligation de surveillance et de contrôle –hors certaines hypothèses étrangères au présent litige- et ne peut voir sa responsabilité engagée qu’après que le contenu illicite d’une publication lui a été notifié dans les formes prévues par la loi et si, l’information dénoncée présentant un caractère manifestement illicite, il n’a pas agi promptement pour la retirer.

C’est à juste titre, en cet état de référé, que la société JFG Networks fait valoir que le caractère manifestement illicite des contenus de ce blog qui lui avaient été dénoncés, d’abord par message électronique le 2 juillet 2010, puis par lettre recommandée avec avis de réception en date du 17 septembre 2010, n’était pas patent, s’agissant en l’espèce de la relation d’une affaire judiciaire par qui se disait victime des agissements de trois personnes, toutes trois mises en examen et deux d’entre elles ayant été placées en détention provisoire, ajoutant à juste titre que la seule référence à une « mise en examen » n’est pas, en tant que telle, contraire à la présomption d’innocence, laquelle n’interdit nullement d’évoquer des affaires judiciaires en cours mais a pour seul objet de prévenir toute conclusion définitive manifestant un préjugé tenant pour acquis la culpabilité de qui n’est pas encore jugé, et que le caractère diffamatoire d’un propos n’est pas toujours de nature à convaincre de son caractère illicite – et moins encore manifestement illicite -, ce dernier pouvant être exclusif de toute faute lorsqu’il est prouvé ou se trouve justifié par la bonne foi.

Cette société fait également valoir, s’agissant spécialement du texte accessible à l’adresse http://ivans.over-blog.com/article-21257338-6.html qu’il est daté du 15 juillet 2008, date de sa première mise en ligne, ce que ne conteste pas le demandeur, de sorte que toute action à cet égard serait prescrite, les actions civiles en réparation des atteintes à la présomption d’innocence et les actions en diffamation devant être engagées dans les trois mois de la première publication.

Le demandeur n’oppose à ce dernier moyen aucun argument sérieux qui pourrait faire regarder la prescription de trois mois comme ayant été interrompue par quelque initiative de sa part avant le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile contre X, du chef de diffamation publique le 5 août 2010, soit plus de deux ans après la première mise en ligne du texte litigieux.

Le demandeur évoque encore, mais toujours en vain, un caractère diffamatoire qui ne serait attaché à ce texte que plus tard, lorsqu’a également été mis en ligne sur ce blog un article par dans le quotidien Le Parisien rendant compte de cette affaire (Le Parisien du 7 mai 2010). Il sera cependant relevé que la seule production par le demandeur de cet article est, semble-t-il, une impression papier de page écran, laquelle ne fait apparaitre qu’un extrait de cet article en très petits caractères de sorte qu’il est illisible.

Le demandeur reconnaît en outre que cet article de presse ne le nomme pas, de sorte qu’il échoue à faire la démonstration que le texte du 15 juillet 2008 qui n’a jamais antérieurement au 7 mai 2010 fait l’objet d’une quelconque action en justice serait soudain devenu diffamatoire à son égard par la juxtaposition d’un élément extrinsèque dans lequel il n’est pas nommé.

Il tente enfin d’échapper aux prescriptions impératives de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en présentant, subsidiairement, ses demandes sur le fondement de l’article 1382 du code civil, ce qui ne se peut, les actions en réparation des délits de presse ou des atteintes à la présomption d’innocence n’étant pas recevables sur un tel fondement et hors les règles de prescription spéciales qui leur sont applicables.

Il sera relevé enfin que la société JFG Networks justifie avoir fait toutes diligences pour informer l’éditeur de ce blog des demandes d’Alexandre B., qu’elle s’est comportée en l’espèce comme un professionnel averti et exigeant, soucieux de la liberté d’expression et s’étant conformé aux prescriptions du conseil constitutionnel, tandis que le demandeur, pour sa part, n’a entrepris aucune action, telle que la saisine du juge des requêtes, aux fins de disposer des éléments d’identification du responsable de ce blog, lequel au demeurant ne se dissimulait nullement, ses prénom et nom étant indexés dans l’adresse de son site, et s’étant, de sa propre initiative, présenté volontairement à l’audience.

Aussi, la responsabilité pour faute de l’hébergeur ne saurait-elle être retenue et le demandeur qui a fait le choix de n’assigner que ce dernier, alors que l’éditeur du blog, seul à pouvoir répondre de façon équilibrée et contradictoire de ses propres initiatives, était aisément identifiable, sera-t-il condamné à lui payer une somme de 1200 € sur le fondement de l’article 700 du CPC. Il sera en revanche débouté de sa demande pour procédure abusive que les faits de l’espèce manquent à caractériser suffisamment.

Sur la responsabilité d’Ivan S.

Compte tenu des observations précédentes sur l’ancienneté du texte mis en ligne en 2008, il n’y aura pas lieu à référé à cet égard.

S’agissant du court texte d’information mis en ligne le 7 mai 2010, qui se borne à faire état de la mise en examen d’Alexandre B. en indiquant que les investigations judiciaires se poursuivaient, il sera constaté qu’il ne renferme aucune conclusion définitive manifestant un préjugé de culpabilité, et que les questions en fin de texte le concernant (Est-il le neveu du ministre de la justice comme il l’annonçait aux artistes? » « Voit-on sur des photos de B. bras-dessus bras-dessous avec un fils du président ») ne comportent en elles-mêmes aucune imputation ou insinuation contraire à l’honneur ou à la considération, et sont au demeurant exprimées sous la forme interrogative et avec prudence, de sorte que le seul fait imputé par ce texte est d’avoir été mis en examen, soit un fait exact, qui ne saurait, dès lors, caractériser le délit de diffamation.

Enfin, l’article du quotidien Le Parisien qui suit n’est pas versé aux débats dans des conditions qui en permettent la lecture de sorte qu’il n’y a pas plus lieu à référé sur ce point.

DECISION

Statuant publiquement par décision contradictoire, mise à disposition au greffe, et en premier ressort,

. Disons n’y avoir lieu à référé sur aucune des demandes d’Alexandre B. ;

. Condamnons Alexandre B. à payer une somme de 2000 € à la société JFG Networks sur le fondement de l’article 700 du CPC ;

. Déboutons les parties de toutes autres demandes ;

. Condamnons Alexandre B. aux entiers dépens.

Le tribunal : M. Joël Boyer (vice-président)

Avocats : Me Aurélie Cagnard, M. Nicolas Poirier juriste de la société JFG Networks, muni d’un pouvoir comparant en personne

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.