Jurisprudence : Diffamation
Tribunal de Grande Instance de Paris Ordonnance de référé 20 octobre 2010
Alexandre B. / U. H.
blog - bonne foi - diffamation - internet
FAITS ET PROCEDURE
Vu l’assignation en référé à jour et heure indiqués que Alexandre B. a fait délivrer, après y avoir été autorisé par décision prise sur délégation du président du tribunal, à U. H., par acte date du 29 septembre 2010 pour l’audience du 6 octobre 2010 :
– exposant avoir été mis en examen dans le cadre d’une information judiciaire ouverte des chefs d’escroquerie contre notamment des dirigeants de la société Référence pour laquelle il travaillait,
– indiquant que certains articles de presse s’étaient fait l’écho de cette affaire, sans jamais cependant citer son nom,
– ajoutant s’être aperçu qu’un site internet de type blog avait mis en ligne certains propos le concernant, suivis d’un article paru dans le quotidien Le Parisien le 7 mai 2010,
– invoquant le caractère diffamatoire des propos ainsi mis en ligue par Ute H. et l’atteinte à la présomption d’innocence en résultant, et indiquant que cette dernière a refusé de supprimer son texte en dépit de mises en demeure qui lui avaient été adressées en ce sens,
– pour solliciter, au visa des articles 6 de la loi du 21 juin 2004, 29, alinéa premier, et 32 de la loi du 29 juillet 1881, 35 bis et 35 ter II de la loi du 29 juillet 1881, pris ensemble les articles 808 et 809 du code de procédure civile, que soit ordonnée à la défenderesse la suppression immédiate des textes accessibles à l’adresse internet indiquée, et sa condamnation à lui payer la somme de 5000 € à titre de provision en réparation du préjudice subi, et celle de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Vu les explications en défense de Ute H. :
– contestant le caractère illicite du texte en cause et faisant valoir qu’elle s’estime la victime des agissements de l’intéressé,
– ajoutant qu’elle a modifié son texte ensuite de la réception d’une mise en demeure,
– pour conclure au non lieu à référé,
DISCUSSION
Plus d’une centaine d’artistes estimant avoir été victimes des agissements peu scrupuleux d’une société Référence, dirigée et animée par des nommés Maxime G. et Alexandre G. lesquels leur avaient proposé, moyennant rémunération, de faire exposer leurs œuvres le plus souvent dans des lieux supposés prestigieux se sont constitués en un collectif “Les peintres en colère” que préside U. H., la défenderesse, et ont déposé plainte auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Versailles. Une information judiciaire a été ouverte des chefs, notamment, d’escroquerie, dans le cadre de laquelle les frères G. ainsi qu’Alexandre B. ont été mis en examen, les deux premiers ayant été placés en détention provisoire, tandis qu’Alexandre de B. a été placé sous contrôle judiciaire.
Divers organes de presse auraient rendu compte de cette affaire, la plupart du temps sans citer nommément les personnes s’y trouvant impliquées.
Alexandre B. se plaint de la mise en ligne le 7 mai 2010 sur un site de type blog accessible à l’adresse http://www.uxx.com d’un texte le concernant, ainsi rédigé :
“Maxime G., son fils Constantin et leur ancien rabatteur Alexandre B. ont été mis en examen mardi 11 mai 2010 par la police judiciaire de Versailles pour escroquerie. A l‘issue de la garde à vue Alexandre B. a été mis sous contrôle judiciaire, Maxime et Constantin G. en détention provisoire (le père à Bois d’Arcy et le fils à la prison de Fleury-Mérogis) jusqu’à nouvel ordre en attendant le procès à venir. Un juge d’instruction a été nommé. Une commission rogatoire va poursuivre l’instruction et préparer le procès à venir. C’est le procès de l’association « Les peintres en colère » qui réunit actuellement 148 pliantes. Les plaignants recevront les instructions au fur et à mesure de l’avancement de l‘affaire. L‘association se chargera de communiquer avec le monde artistique et les médias sur l’avancement de l’affaire. Ci-joint un premier article paru le 7 mai 2010 dans le parisien.”
Ce texte est accompagné d’un article paru dans l’édition du Parisien du 7 mai 2010, également diffusé en ligne, dans lequel il est fait état, selon le demandeur, de faits d’escroquerie au préjudice de 146 artistes pour un montant d’environ 400 000 €, des prétendues manœuvres employés pour détourner les fonds versés par les artistes, de promesses mensongères, factures non réglées, absence d’expositions des œuvres, organisation d’insolvabilité.
Le demandeur expose avoir porté plainte avec constitution de partie civile à raison des mêmes faits des chefs, notamment, de diffamation publique envers un particulier, le 5 août 2010, et sollicite en référé la suppression de ce texte et une somme provisionnelle à titre de dommages intérêts.
Il sera relevé, s’agissant de la mise en ligne sur le site d’Ute H. de l’article du Parisien, que le demandeur se borne à produire une impression papier de page écran où il n’apparaît que par extraits en très petits caractères, de sorte qu’il est illisible. Il ne saurait dès lors y avoir lieu à référé sur ce point.
S’agissant de l’atteinte à la présomption d’innocence qui est invoquée, inexactement au visa des articles 35 bis et 35 ter II de la loi du 29 juillet 1881 -inopérants en l’espèce, seul l’article 9-1 du code civil pouvant l’être dans le délai de prescription prévue par l’article 65-l de cette loi-, il sera rappelé que ce texte n’interdit nullement d’évoquer des affaires judiciaires en cours mais a pour seul objet de prévenir toute conclusion définitive manifestant un préjugé tenant pour acquis la culpabilité de qui n’est pas encore jugé.
Au regard de ces prescriptions, et bien que les visiteurs du site de Ute H. comprennent parfaitement que l’affaire n’est pas jugée, que des investigations sont en cours et que, s’agissant d’Alexandre B., il est mis en examen et placé sous contrôle judiciaire, il demeure que l’expression “rabatteur” est sans doute excessive pour qui doit bénéficier de la présomption d’innocence et manque de prudence.
Aucun fait distinct, susceptible de caractériser une diffamation ne s’évince, avec le degré d’évidence requis en référé, des écrits litigieux qui pour l’essentiel, se bornent à faire état de la mise en examen d’Alexandre B. en indiquant que les investigations judiciaires se poursuivent, de sorte que le seul fait imputé par ce texte est d’avoir été mis en examen, soit un fait exact qui ne saurait, dès lors, caractériser le délit de diffamation.
En cet état, il sera ordonné à U. H. de supprimer de son texte le terme “rabatteur“, les éléments de contexte ne justifiant pas qu’il soit fait droit aux autres demandes d’Alexandre B., étant spécialement relevé qu’Ute H., qui se trouve à l’origine, avec d’autres artistes, de l’information judiciaire en cours, dans le cadre de laquelle deux personnes ont été placées en détention provisoire, pouvait être fondée à évoquer, une prudence dont elle ne s’est pas départie -hors l’emploi du mot “rabatteur”-, l’affaire dont elle s’estime être la victime.
L’équité ne commande pas de faire droit à la demande d’indemnité présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Et les circonstances de l’espèce justifient que chaque partie conserve la charge de ses propres dépens.
DECISION
Statuant publiquement par décision contradictoire, mise à disposition au greffe, et en premier ressort,
. Faisons injonction à U. H. de supprimer de son texte mis en ligne le 7 mai 2010 sur son blog accessible à l’adresse www.uteh.com le mot “rabatteur”, associé à Alexandre B., dans un délai de trois jours à compter de la signification de la présente décision,
. Disons n’y avoir lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte,
. Disons n’y avoir lieu à référé sur les autres demandes,
. Disons n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
. Laissons à chaque partie la charge de ses propres dépens.
Le tribunal : M. Joël Boyer (vice-président)
Avocat : Me Aurélie Cagnard
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