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Jurisprudence : Contenus illicites

jeudi 25 novembre 2010
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Conseil de prud’hommes de Boulogne Billancourt Jugement de départage 19 novembre 2010

M. B. / Alten Sir

contenus illicites - dénigrement - entreprise - liberté d'expression - licenciement - limites - salarié - site - vie privée

FAITS ET PROCEDURE

Après avoir été engagée par contrat de travail à durée déterminée à compter du 29 mai 2006, Madame M. B. a travaillé pour la société Alten Sir dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 29 novembre 2006 en qualité de chargée de recrutement, statut cadre.

Les relations de travail étaient régies par la convention collective des bureaux d’Etudes Techniques dite “Syntec”.

Par lettre du 8 décembre 2008, la société Alten Sir a notifié à Madame M. B. une mise à pied conservatoire dans l’attente d’une mesure disciplinaire.

Par courrier recommandé présenté le 12 décembre 2008, Madame Morgane B. a été convoquée à un entretien préalable fixé au 19 décembre 2008 avec mise à pied à titre conservatoire.

Par lettre du 21 janvier 2009, Madame M. B. a été licenciée pour faute grave, aux motifs “d‘incitation à la rébellion contre la hiérarchie et dénigrement envers la société “sur le site Facebook de Monsieur François C., salarié de la société Alten Sir, la lettre de licenciement étant ainsi libellée :

« Le 1er décembre 2008, des salariés choqués par des propos tenus sur le site Facebook de Mr C. François, nous ont édité puis communiqué les conversations échangées.

Le contenu de ce site est une incitation à la rébellion envers voire hiérarchie, le fait d’avoir pris part à cet échange, démontre que vous cautionnez la teneur de ces conversations. En effet, après le commentaire suivant d‘une ancienne salariée :

“Sans déconner… et puis je savoir qui vous a intronisé dans ce club très fermé monsieur (C.), parce que normalement il y a tout un rite, tout d’abord vous devez vous foutre de la gueule de votre supérieure hiérarchique, toute la journée et sans qu’elle s‘en rende compte.

Ensuite il vous faudra lui rendre la vie impossible pendant plusieurs mois et seulement là nous pourrons considérer votre candidature” ;

Vous n‘avez pas hésité à surenchérir :

“Et oui François, va falloir respecter ce rite dicté par notre grand gourou Stéphanie. Dès lundi S. et moi allons voir si tu respectes bien tout ça “

Nous vous rappelons qu‘au regard de votre poste, vous vous devez à un droit de réserve. Que vous devez à tout moment agir conformément aux intérêts de la société et que vous ne pouvez impunément dénigrer votre hiérarchie et de ce fait votre société. »

Madame M. B. a saisi le Conseil de Prud’hommes de Boulogne Billancourt le 20 février 2009 et a demandé devant le bureau de jugement, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, la condamnation de la société Alten Sir :
– au paiement des sommes suivantes :
– 9329 € à titre d’indemnité de préavis et 932,68 € à titre d’indemnité de congés payés y afférents,
– 37 317 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 3109 € à titre d’indemnité de requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée,
– 3109 € à titre d’indemnité pour licenciement irrégulier,
– 3000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– aux dépens.

Par décision du 20 mai 2010, le Conseil de Prud’hommes s’est mis en partage de voix et a renvoyé l’affaire à l’audience de départage du 12 octobre 2010.

Par conclusions écrites et reprises oralement à l’audience, Madame M. B a maintenu ses demandes et a soutenu que :
– le contrat de travail à durée déterminée du 29 mai 2006 a été conclu pour un surcroît d’activité sans autre précision alors que les fonctions de chargé de recrutement sont par nature liées à l’activité normale et permanente de l’entreprise,
– le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse car, d’une part, la société Alten Sir lui a infligé deux sanctions pour les mêmes faits en lui notifiant deux mises à pied à titre conservatoire en quatre jours, les 8 décembre et 12 décembre 2008 et, d’autre part, une mise à pied à titre conservatoire est par nature indéterminée alors que celte du 8 décembre 2008 était fixée jusqu’au 9 décembre inclus,
– s’agissant de la procédure de licenciement, le délai de 5 jours pour la convocation à l’entretien préalable n’a pas été respecté et plus d’un mois s’est écoulé entre l‘entretien préalable du 19 décembre 2008 et la date de présentation de la lettre de licenciement du 21 janvier 2009,
– la faute grave invoquée dans la lettre de licenciement n’est pas établie car les faits reprochés concernent des propos échangés un samedi soir sur un forum de discussion privé du site internet Facebook et sur la page personnelle de Monsieur François C., salarié de la société Alten Sir, cette page n’étant pas accessible à l’ensemble des internautes ; si ces propos pouvaient être un motif de licenciement, ils ne constituaient pas un dénigrement de l’entreprise et n’avaient qu’un but humoristique démontré par l’usage de “smiley” et d’onomatopées dans le cadre d’échanges entre des salariés et d’anciens salariés de la société Alten Sir. Elle estime que le trouble causé à l’entreprise n’est pas démontré.

Par conclusions écrites et reprises oralement à l’audience, la société Alten Sir a demandé que Madame M. B. soit déboutée de ses prétentions et condamnée à lui verser la somme de 2500 € en application de I‘article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

La société Alten Sir expose que :
– la demande de requalification est dénuée de fondement car Madame Morgane B. a été engagée par contrat de travail à durée déterminée du 29 mai au 28 novembre 2006 et un contrat de travail à durée indéterminée ayant été signé avant la fin du tenue, le 29 septembre 2006, elle n’a pas subi de préjudice,
– même si la première mise à pied conservatoire a été fixée pour une durée déterminée, elle ne perd pas sa nature conservatoire dans la mesure où elle a été immédiatement suivie de la convocation à l’entretien préalable en vue du licenciement pour faute grave,
– la procédure de licenciement est régulière, Madame M. B. ayant été convoquée à un entretien préalable dans le délai de 5 jours et une première lettre de licenciement a été adressée le 31 décembre 2008 à une adresse inexacte, la deuxième lettre ayant été en tout état de cause envoyée le 20 janvier 2009, soit dans le délai d’un mois,
– le licenciement pour faute grave est justifié et elle n’a pas violé le droit au respect de la vie privée de Madame M. B., l’usage de Facebook permettant d’avoir accès à des informations sur la vie privée lues par des personnes auxquelles elles ne sont pas destinées ; elle a eu en effet connaissance de la discussion sur le site Facebook par l’intermédiaire d’un de ses salariés qui a fait une copie d’écran sur le profil de Monsieur François C. En outre, les propos tenus concernaient Madame D. qui dirigeait le service dans lequel travaillaient ou avaient travaillés les participants à la discussion. Ces propos visant à inciter à une rébellion contre la hiérarchie et à dénigrer l’entreprise ne peuvent pas être qualifiés de plaisanterie.

DISCUSSION

Sur la requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée

En application des dispositions des articles L. 1242-2 et D. 1242-1 du code du travail, l’employeur ne peut avoir recours aux contrats de travail à durée déterminée que pour l‘exécution d’une tàche précise et temporaire.

En l’espèce, Madame M. B. a été engagée par la société Alten Sir dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée du 29 mai au 28 novembre 2006 en qualité de chargée de recrutement, pour surcroît d’activité.

Il convient de constater que la société Alten Sir ne rapporte pas la preuve d’un accroissement d’activité et que Madame M. B. a continué à occuper le poste de chargée de recrutement jusqu’à son licenciement, ce qui démontre qu’il ne s’agissait pus d’une activité temporaire.

En conséquence, le contrat de travail à durée déterminée signé le 23 mai 2006 sera requalifié en contrat de travail à durée indéterminée et il sera alloué à Madame M. B., en application des dispositions de l’article L.1245-2 du code du travail une indemnité équivalente à un mois de salaire soit 2516 € calculée sur la moyenne des 12 derniers mois de salaire.

Sur la mise à pied à titre conservatoire

Après avoir eu connaissance des faits, la société Alten Sir a, par courrier remis en main propre à Madame Morgane B. le 8 décembre 2008, notifié une mise à pied conservatoire jusqu’au 9 décembre dans l’attente d’une décision.

Dans la mesure où la société Alten Sir a engagé la procédure de licenciement immédiatement en convoquant Madame M. B. à un entretien préalable par un courrier daté du 9 décembre 2008, présenté le 13 décembre 2008, la mise à pied du 8 décembre 2008 prononcée dans I‘attente de sa décision a un caractère conservatoire.

En conséquence, Madame M. B. n’a pas été sanctionnée deux fois pour les mêmes faits.

Sur la demande d’indemnité pour procédure irrégulière

Il convient de constater que le délai de convocation de cinq jour avant l’entretien préalable prévu à l’article L. 1232-2 du code du travail a été respecté car la lettre de convocation à cet entretien fixé au 19 décembre 2008 a été présenté à Madame M. B. le 13 décembre 2008.

Par ailleurs, conformément aux dispositions de l’article L 1332-2 du code du travail, aucune sanction ne peut intervenir moins d’un jour franc, ni plus d’un mois après l’entretien préalable.

En l’espèce, l’employeur n’a pas respecté ces dispositions car le licenciement a été notifié le 21 janvier 2009, soit plus d’un mois après l’entretien préalable.

II s’ensuit que la société Alten Sir sera condamnée à verser à Madame M. B. une indemnité d’un mois de salaire, soit 2516 € en application des dispositions de l’article L. 1235-2 du code du travail.

Sur le licenciement

La faute grave résulte d’un fait fautif ou d’un ensemble de faits fautifs imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du code du travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié pendant la durée du préavis.

En premier lieu, il est fait observer que Monsieur François C. a choisi dans le paramètre de son compte, de partager sa page Facebook avec “ses amis et leurs amis”, permettant ainsi un accès ouvert, notamment par les salariés ou anciens salariés de la société Alten Sir ; il en résulte que ce mode d’accès à Facebook dépasse la sphère privée et qu’ainsi la production aux débats de la page mentionnant les propos incriminés constitue un moyen de preuve licite du caractère fondé du licenciement.

Dès lors, l’employeur n’a pas violé le droit au respect de la vie privée de la salariée.

En outre, s’agissant des propos échangés sur Facebook le 22 novembre 2008, il est précisé que Monsieur François C. intègre “le club des néfastes”, club virtuel destiné à rassembler les salariés de la société Alten Sir respectant le rite consistant à se “foutre de la gueule” de Madame D., leur supérieure hiérarchique “toute la journée et sans qu’elle s’en rende compte” et ensuite “lui rendre la vie impossible pendant plusieurs mois”.

Madame Morgane B. ne conteste pas ces propos mais considère qu’il s’agit d’une plaisanterie, alors qu’elle a cautionné ces propos dénigrants et a incité à la rébellion contre la hiérarchie eu écrivant qu’elle allait s’assurer que Monsieur Français C. respecte le “rite” précédemment décrit, dès le lundi suivant ; dans ce contexte, cette phrase qui se termine par les mots “hi hi hi » ne peut être interprétée comme étant humoristique.

En participant à cet échange, Madame Morgane B. a abusé de son droit d’expression visé à l’article L 1121-1 du code du travail et a nui à l’image de la société Alten Sir en raison des fonctions qu’elle exerçait en sa qualité de chargée de recrutement la conduisant à être en contact avec des candidats et des futurs salariés.

Il convient en outre de préciser que sur la liste des “amis” Facebook que comprend le profil de Monsieur François C.., 11 personnes étaient salariés de la société Alten Sir et ont eu accès la page Facebook du 22 novembre 2008, ce qui a porté atteinte à son image ; de même, par le mode d’accès choisi, cette page était susceptible d’être lue par des personnes extérieures à l’entreprise, nuisant à son image.

Enfin, il est établi que Madame Morgane B. a porté atteinte à l’autorité et à la réputation de sa supérieure hiérarchique, Madame D. ; en effet, cette dernière a écrit un courrier le 4 décembre 2008 en précisant avoir été profondément choquée et perturbée après avoir pris connaissance des propos tenus à son encontre le 22 novembre 2008.

En conséquence, le licenciement de Madame M. B. pour incitation à la rébellion contre la hiérarchie et pour dénigrement envers la société Alten Sir repose sur une cause réelle et sérieuse ; le comportement de la salariée étant constitutif d’une faute grave ne permettait pas son maintien dans l’entreprise pendant la durée du préavis.

Sur les demandes d’indemnité de préavis et de congés payés afférents et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Madame M. B. sera déboutée de ces demandes, le licenciement pour faute grave étant justifié.

Sur la demande d’article 700 du code de procédure civil

L’équité commande d’allouer à Madame M. B. la somme de 1000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur l‘exécution provisoire

Il n’est pas nécessaire d’ordonner l’exécution provisoire.

DECISION

Le Conseil de Prud’hommes après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant en premier ressort, par jugement contradictoire, mis à disposition publiquement,

. Requalifie le contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée ;

En conséquence, condamne la société Alten Sir à payer à Madame M. B. la somme de 2516 € à titre d’indemnité de requalification ;

. Dit que la procédure de licenciement est irrégulière ;

En conséquence, condamne la société Alten Sir à payer à Madame M. B. la somme de 2516 € à titre d’indemnité pour procédure irrégulière ;

. Dit que le licenciement pour faute grave est fondé ;

En conséquence, déboute Madame M. B. de ses demandes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

. Condamne la société Alten Sir à payer à M. Morgane B. la somme de 1000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

. Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire ;

. Condamne la société Alten Sir aux dépens.

Le conseil : Mme Delphine Avel (président), Mmes Guerin et Gueye, MM. Sehier et Delattre (assesseurs conseillers)

Avocats : Me Grégory Saint Michel, Me Anne Christine Barateig

Notre présentation de la décision

Voir deuxième décision

 
 

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