Jurisprudence : Vie privée
Cour de cassation Chambre sociale Arrêt du 15 décembre 2010
Emmanuel G. / Coca-Cola, Assedic
charte - faute - fichiers - interdiction - internet - licenciement - manquement - messagerie électronique - pornographie - poste de travail - salarié - vie privée
Statuant sur le pourvoi formé par M. Emmanuel G., contre l’arrêt rendu le 11 mai 2009 par la cour d’appel de Metz (chambre sociale), dans le litige l’opposant :
1°/ à la société Coca-Cola (Ludres),
2°/ à l’Assedic de Moselle,
défenderesses à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
DISCUSSION
Sur le moyen unique
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Metz, 11 mai 2009), que M. G., employé depuis le 27 février 1990 par la société Coca-Cola en dernier lieu en qualité de délégué commercial, a été licencié pour faute grave le 10 août 2004 en raison de la découverte sur son ordinateur portable de quatre cent quatre vingt fichiers à caractère pornographique ; qu’il a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de paiement de diverses indemnités au titre de la rupture ;
Attendu que le salarié fait grief à l’arrêt de l’avoir débouté de sa demande, alors, selon le moyen :
1°/ qu’il incombe à l’employeur qui entend se prévaloir de la faute grave du salarié pour justifier son licenciement d’en rapporter formellement la preuve ; qu’en concluant, en l’espèce, à l’existence d’une faute grave résultant de ce que M. G. aurait utilisé la messagerie ouverte à son nom pour recevoir, consulter et envoyer des documents portant atteinte à l’honneur et à l’image de marque de l’entreprise et aurait mémorisé des fichiers de même nature sur le disque dur de son ordinateur professionnel, alors que la société Coca-Cola avait refusé d’accéder à la demande formulée par le salarié d’une expertise quant au contenu de son ordinateur portable, expertise qui seule aurait permis de savoir quand et par qui les messages litigieux auraient été enregistrés sur le disque dur et s’ils avaient été envoyés par des collègues ou téléchargés par l’intéressé sur des sites internet, de sorte que la preuve des faits fautifs à l’origine du licenciement ne pouvait être utilement rapportée par les seules affirmations de l’employeur quant au contenu de l’ordinateur, affirmations non étayées par une étude objective et contradictoire dudit objet, la cour d’appel a d’ores et déjà violé l’article L. 1234-1 [ancien article L. 122-6] du code du travail ;
2°/ que ne saurait justifier le licenciement pour faute grave d’un salarié ayant presque quinze ans d’ancienneté, qui a toujours donné satisfaction à son employeur et, commercial le mieux payé de l’entreprise, qui s’est vu proposer, un mois avant la rupture, une mutation sur le bureau lyonnais de la société eu égard à ses indéniables compétences techniques et professionnelles, le seul fait de ne pas avoir supprimé sur l’ordinateur portable qui lui avait été confié les messages tendancieux que lui avaient envoyés ses collègues de travail, dès lors qu’il n’a nullement été établi que ce stockage aurait perturbé d’une quelconque manière le fonctionnement du système informatique de la société ou de son réseau intranet, ni qu’en agissant de la sorte, le salarié aurait entaché la réputation ou l’honneur de son employeur auprès des tiers ; qu’en décidant du contraire, la cour d’appel a encore violé l’article L. 1234-1 [ancien article L. 122-6] du code du travail ;
3°/ qu’en affirmant que M. G. n’était pas en droit de soutenir que son licenciement serait fondé sur une autre cause que celle énoncée dans la lettre de rupture, quand il ressortait des écritures du salarié qu’à la suite de la décision prise par le législateur en 2004, de mettre un terme à toute distribution automatique dans les établissements de l’Education nationale, la branche de distributeurs “Full services” à laquelle il était rattaché avait été très gravement déficitaire, ses pertes atteignant 40 000 000 d’euros, que la société n’avait gardé qu’un vendeur sur les dix que comptait le service de l’intéressé, de sorte qu’elle avait manifestement pris prétexte de la présence sur son ordinateur portable de fichiers indésirables dont elle aurait pu constater la présence au cours des précédents contrôles de l’appareil, pour se débarrasser d’un salarié ayant presque quinze ans d’ancienneté et qui était, au jour de la rupture, le commercial le mieux payé de l’entreprise, la cour d’appel a violé l’article L. 1235-1 [ancien article L. 122-14-3, alinéa 1er] du code du travail ;
Mais attendu que la cour d’appel, qui a relevé que l’utilisation de sa messagerie pour la réception et l’envoi de documents à caractère pornographique et la conservation sur son disque dur d’un nombre conséquent de tels fichiers constituaient un manquement délibéré et répété du salarié à l’interdiction posée par la charte informatique mise en place dans l’entreprise et intégrée au règlement intérieur, a pu en déduire que ces agissements, susceptibles pour certains de revêtir une qualification pénale, étaient constitutifs d’une faute grave et justifiaient le licenciement immédiat de l’intéressé ; que le moyen, qui ne tend qu’à remettre en cause le pouvoir souverain d’appréciation de la cause réelle et sérieuse du licenciement dans ses première et troisième branches, n’est pas fondé pour le surplus ;
DECISION
Par ces motifs :
. Rejette le pourvoi ;
. Condamne M. G. aux dépens ;
. Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat aux Conseils pour M. G.
Il est reproché à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir dit que le licenciement de M. G. était justifié par une faute grave, d’avoir rejeté en conséquence l’ensemble des demandes formulées par ce dernier et de l’avoir condamné à verser à la société la somme de 500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Aux motifs qu’il appartient à l’employeur qui se prévaut de la faute grave du salarié d’en rapporter seul la preuve ; qu’il résulte des éléments de la cause que lors d’une opération de maintenance réalisée le 1er juillet 2004 par les services techniques de la société Coca-Cola sur l’ordinateur portable à usage professionnel mis à la disposition de Monsieur G., il a été découvert sur le disque dur de cet ordinateur un nombre important de fichiers qui par leur nature sont totalement étrangers à l’activité professionnelle du salarié ; qu’en effet, les 480 fichiers identifiés et analysés par l’employeur rassemblent de multiples documents, au format les plus variés (films, diaporamas, fichiers audio, photos…) lesquels, au vu des reproductions versées au dossier, sont de nature : – érotique : publicité Aubade, calendrier Pirelli, photos de femmes dénudées…, – pornographique : photos de fellations, de sodomie, de partouzes, d’actes sexuels dans des positions multiples…, – sexiste : diaporamas mettant en cause les capacités intellectuelles de certaines catégories de femmes (les blondes) ou présentant leurs aptitudes professionnelles comme étant proportionnelles à leur tour de poitrine…, – malsaine : film d’une autopsie, photos de difformités humaines (femmes obèses montrées nues), images sadomasochistes (positions humiliantes), images zoophiles, photos urologiques (femmes menottées déféquant sur elles-mêmes…), – pédo-pornographique : 3 photos sont particulièrement dérangeantes : – l’une sur laquelle deux mineurs lisent une revue, à l’évidence, pornographique, – l’autre mettant en scène une prétendue famille (père-mère-un garçon-une fille), revêtus de costumes les présentant totalement nus (les seins de la mère et le sexe du père étant particulièrement visibles…), étant précisé que la jeune fille tient dans sa main le sexe de son propre « père », – la dernière mettant en scène un ecclésiastique forçant un enfant (ou plus vraisemblablement le mannequin d’un enfant) à lui faire une fellation ;
que dans son courrier du 16 août 2004 adressé à la société Coca-Cola, Monsieur G. a reconnu que les photos et films découverts sur le disque dur de son ordinateur étaient extrêmement choquants et que parmi eux il y avait des images urologiques, scatologiques, sado-masochistes et zoophiles ; qu’il a expliqué que ces fichiers étaient issus de la correspondance qu’il échangeait par le biais de la messagerie électronique « Lotus-Notes » interne à l’entreprise avec d’autres salariés de la société Coca-Cola qui lui envoyaient ce type de documents et à qui il en a aussi adressé ; que Monsieur G. soutient que la présence des fichiers en cause sur son ordinateur ne résulte pas de sa volonté de les conserver, qu’ils se sont automatiquement et, sans intervention de sa part, installés sur le disque dur et qu’il ignorait comment les supprimer ;
que cependant ainsi que le fait observer l’employeur, ces fichiers n’ont pu, à l’insu du salarié, automatiquement s’enregistrer sur le disque dur, dans la mesure où étant joints à un courriel, leur destinataire peut, en répondant aux options qui lui sont proposées par une boîte de dialogue, soit seulement les ouvrir pour les lire, ou les visionner, soit déclencher la procédure d’enregistrement qui n’a aucun caractère automatique et dont la mise en œuvre requiert l’intervention de l’utilisateur ; que Monsieur G. qui dispose d’un ordinateur à usage professionnel depuis le 12 octobre 1994, qui en décembre 2002 et en avril 2004 a suivi différentes formations destinées à le familiariser avec l’usage de ce matériel et notamment avec l’utilisation de la messagerie électronique « Lotus Notes » et qui dans son courrier du 16 août 2004 reconnaît qu’il savait détacher les fichiers joints aux courriels qu’il recevait pour les adresser à ses correspondants ne saurait sérieusement soutenir qu’il ignorait comment enregistrer un fichier sur le disque dur de son ordinateur et qu’il ne connaissait pas l’existence et la fonction de la touche « suppr » du clavier de son poste informatique ; que du reste l’intéressé qui dans son courrier précité indique que les 480 fichiers litigieux se sont accumulés dans son ordinateur à partir de l’année 2001, pouvait, s’il entendait réellement les supprimer tout en se sentant inapte à le faire, se rapprocher du service de maintenance informatique de la société Coca-Cola pour être instruit sur la manière d’opérer, ce qu’il s’est gardé de faire ;
que la charte d’utilisation des nouvelles techniques d’information et de télécommunication mise en place dans la société Coca-Cola le 12 décembre 2002, intégrée sous forme d’avenant au règlement intérieur de l’entreprise, et dont le contenu a été porté à la connaissance de Monsieur G. lors de séances de formation organisées le 18 décembre 2002 et du 21 au 23 avril 2004, prohibe formellement en son article II B 3 c, la consultation, la diffusion ou le téléchargement d’images à caractère pornographique ; qu’en stockant sur l’ordinateur mis à sa disposition pour l’exécution de son contrat de travail, un nombre important de fichiers à caractère notamment pornographique et en diffusant certains d’entre eux à d’autres salariés de l’entreprise, Monsieur G. a délibérément violé l’interdiction posée par l’article II B 3 c de la charte NTIC ; que l’affirmation de Monsieur G. selon laquelle son licenciement serait en réalité en relation causale avec la loi n° 2004-806 du 19 août 2004 relative à la politique de santé publique, ayant interdit la mise à disposition de distributeurs automatiques de boissons au sein des établissements scolaires, n’est étayée par aucun élément sérieux de preuve ;
qu’en effet d’une part alors que le salarié a été licencié le 10 août 2004, l’article 30 de la loi précitée n’a interdit les distributeurs automatiques de boissons et de produits alimentaires payants et accessibles aux élèves des établissements scolaires, qu’à compter du 1er septembre 2005, de telle sorte qu’en raison de sa date d’entrée en vigueur, cette prohibition n’a, à l’évidence, pu avoir la moindre incidence négative sur le chiffre d’affaires que réalisait l’entreprise au moment du licenciement, soit en août 2004 ; que d’autre part, si Monsieur G. justifie avoir, en avril 1997 et en février 2002, compté dans sa clientèle quelques établissements scolaires, il résulte par contre des listings et des documents produits par l’employeur, qu’à la date du licenciement, aucun des clients du salarié ne comportait directement ou indirectement un établissement relevant de l’Education nationale et que depuis l’année 2003 Monsieur G. appartenait à l’équipe « Dry Outlet » qui était chargée de la distribution de boissons auprès des clients de la société Coca-Cola, autre que l’Education nationale, la Santé et l’Armée, ces clients institutionnels relevant quant à eux, depuis la même date de l’équipe « Centre de Vie » dont le salarié ne faisait pas partie ; qu’en conséquence, Monsieur G. n’est pas en droit de soutenir que son licenciement serait fondé sur une cause autre que la faute grave énoncée dans la lettre de rupture, à savoir une baisse du chiffre d’affaires de la société Coca-Cola, consécutive à la loi n° 2004-806 du 19 août 2004 ;
qu’alors que le matériel informatique mis à sa disposition était destiné à l’exécution de son activité salariée et qu’il avait été informé du contenu de la charte informatique mise en place dans la société Coca-Cola et notamment des prohibitions édictées par ce document, le fait pour Monsieur G. d’avoir, pendant une longue période, d’une part utilisé la messagerie ouverte à son nom dans le système informatique de l’entreprise, pour la réception, la consultation et l’envoi de films, de diaporamas et de photographies dont le caractère pornographique, sexiste, malsain et pédopornographiques porte atteinte à l’honorabilité et à l’image de marque de l’entreprise et d’autre part, mémorisé et structuré sur le disque dur de son ordinateur professionnel un nombre conséquent de fichiers de même nature, atteste de sa méconnaissance délibérée et réitérée de l’interdiction posée par l’article II B 3 c de la charte informatique en vigueur dans société Coca-Cola et constitue un manquement dont la gravité et la persistance rendent impossible son maintien dans l’entreprise et justifient son licenciement à effet immédiat avec privation des indemnités de rupture ;
que le jugement entrepris sera donc réformé en ce qu’il a dit que le licenciement de Monsieur G. était dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné la société Coca-Cola à lui payer diverses sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis, d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis, d’indemnité conventionnelle de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et au titre des frais irrépétibles et les réclamations présentées par le salarié de ces divers chefs seront écartées ;
Alors, d’une part, qu’il incombe à l’employeur qui entend se prévaloir de la faute grave du salarié pour justifier son licenciement d’en rapporter formellement la preuve ; qu’en concluant, en l’espèce, à l’existence d’une faute grave résultant de ce que M. G. aurait utilisé la messagerie ouverte à son nom pour recevoir, consulter et envoyer des documents portant atteinte à l’honneur et à l’image de marque de l’entreprise et aurait mémorisé des fichiers de même nature sur le disque dur de son ordinateur professionnel, alors que la société Coca-Cola avait refusé d’accéder à la demande formulée par le salarié d’une expertise quant au contenu de son ordinateur portable, expertise qui seule aurait permis de savoir quand et par qui les messages litigieux auraient été enregistrés sur le disque dur et s’ils avaient été envoyés par des collègues ou téléchargés par l’intéressé sur des sites internet, de sorte que la preuve des faits fautifs à l’origine du licenciement ne pouvait être utilement rapportée par les seules affirmations de l’employeur quant au contenu de l’ordinateur, affirmations non étayées par une étude objective et contradictoire dudit objet, la Cour d’appel a d’ores et déjà violé l’article L.1234-1 [ancien article L.122-6] du Code du travail ;
Alors, d’autre part, que ne saurait justifier le licenciement pour faute grave d’un salarié ayant presque 15 ans d’ancienneté, qui a toujours donné satisfaction à son employeur et, commercial le mieux payé de l’entreprise, qui s’est vu proposer, un mois avant la rupture, une mutation sur le bureau lyonnais de la société eu égard à ses indéniables compétences techniques et professionnelles, le seul fait de ne pas avoir supprimé sur l’ordinateur portable qui lui avait été confié les messages tendancieux que lui avaient envoyés ses collègues de travail, dès lors qu’il n’a nullement été établi que ce stockage aurait perturbé d’une quelconque manière le fonctionnement du système informatique de la société ou de son réseau intranet, ni qu’en agissant de la sorte, le salarié aurait entaché la réputation ou l’honneur de son employeur auprès des tiers ; qu’en décidant du contraire, la Cour d’appel a encore violé l’article L.1234-1 [ancien article L.122-6] du Code du travail ;
Et alors, enfin, qu’en affirmant que M. G. n’était pas en droit de soutenir que son licenciement serait fondé sur une autre cause que celle énoncée dans la lettre de rupture, quand il ressortait des écritures du salarié qu’à la suite de la décision prise par le législateur en 2004, de mettre un terme à toute distribution automatique dans les établissements de l’Education nationale, la branche de distributeurs « Full services » à laquelle il était rattaché avait été très gravement déficitaire, ses pertes atteignant 40 000 000 d’euros, que la société n’avait gardé qu’un vendeur sur les dix que comptait le service de l’intéressé, de sorte qu’elle avait manifestement pris prétexte de la présence sur son ordinateur portable de fichiers indésirables dont elle aurait pu constater la présence au cours des précédents contrôles de l’appareil, pour se débarrasser d’un salarié ayant presque 15 ans d’ancienneté et qui était, au jour de la rupture, le commercial le mieux payé de l’entreprise, la Cour d’appel a violé l’article L.1235-1 [ancien article L.122-14-3, alinéa 1er] du Code du travail.
La Cour : M. Bailly (président), Mme Grivel (conseiller référendaire rapporteur), M. Chauviré (conseiller)
Avocats : SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, SCP Gatineau et Fattaccin
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