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Jurisprudence : Diffamation

lundi 10 janvier 2011
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Cour d’appel d’Aix en Provence 1ère chambre B Arrêt du 06 janvier 2011

Daniel B. / Patrick C., JFC Networks

diffamation

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant assignations des 8 et 10 janvier 2008, Monsieur Daniel B., agent commercial, a introduit, devant le Tribunal de grande instance de Draguignan, une demande dirigée contre Monsieur Patrick C., et contre une société JFG Networks (en fait, il s’agit d’une société par actions simplifiée), afin d’obtenir leur condamnation sous astreinte, à la suppression du site “http://rancraft.over-blog.com/”, appartenant à Monsieur C.,“en raison des propos diffamatoires et injurieux” que ce blog diffusait à son encontre.

Il demandait également la suppression du blog lui-même, sous la même astreinte de 1600 € par jour de retard, à compter de la date de la décision à intervenir, ainsi que la publication de ladite décision sur le site en question.

Etaient encore sollicitées la condamnation solidaire des défendeurs à lui payer la somme de 100 000 € à titre de dommages-intérêts et celle de 3000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

A l’appui de cette demande, il expliquait qu’il avait été le gérant d’une société actuellement en liquidation judiciaire, dénommée Rancraft France, et que, depuis le 29 décembre 1985, il aurait été la victime d’attaques très virulentes et diffamatoires diffusées sur le Web par Monsieur C., avec lequel il est en litige, et qui expose ses différents griefs sur son blog, en des termes injurieux et outranciers.

Toujours selon lui, ces attaques auraient porté une atteinte aux droits attachés à sa vie privée, et à sa personne, et justifieraient les sanctions civiles qu’il réclame, en application des articles 9 et 1382 du code civil, et en application de l’article 6-1-2 de la loi du 21 juin 2004, pour ce qui concerne la responsabilité de l’hébergeur du site concerné.

Par jugement réputé contradictoire en date du 10 décembre 2009, le Tribunal de grande instance l’a débouté de sa demande, aux motifs essentiels que les éléments versés aux débats mettaient en évidence des propos de nature diffamatoire, avérés ou non, mais non pas une atteinte à la vie privée.

Les dépens de l’instance ont été laissés à la charge de Monsieur B.

Ce dernier a interjeté appel de ce jugement, par déclaration reçue au Greffe de la cour le 21 avril 2010.

D’autre part, Monsieur B. a, le 19 octobre 2010, appelé en intervention forcée devant la cour la société JFG Networks, qui, jusque-là n’avait pas constitué avoué.

Par conclusions du 11 août 2010, Monsieur B. a conclu à l’infirmation du jugement entrepris, et a repris les demandes qui avaient été faites devant le premier juge, pour obtenir sous une astreinte :
– la fermeture du site “http://rancraft.over-blog.com/”, hébergeant le blog de Monsieur C.,
– la publication sur ce site de l’arrêt à intervenir, ainsi que la condamnation solidaire de Monsieur Patrick C. et de la société JFG Networks au payement d’une somme de 100 000 € à titre de dommages-intérêts, et de 2000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

De son côté, Monsieur C. a, par conclusions du 4 novembre 2010, fait valoir que le blog objet du litige aurait été effectivement supprimé, ce qui rendrait sans objet les demandes des appelantes, dont il demande par ailleurs le rejet.

Il présente d’autre part une demande reconventionnelle en payement d’une somme de 50 000 €, réclamée à titre de dommages-intérêts.

Enfin, il sollicite la condamnation de Monsieur B. au payement d’une somme de 4000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Quant à la société JFG Networks, qui n’était pas présente aux débats devant le Tribunal, elle a soulevé la nullité de l’assignation introductive d’instance, délivrée à une adresse erronée.

Elle a également opposé aux demandes de Monsieur B. diverses fins de non-recevoir tirée de la prescription de l’action prévue par la loi du 29 juillet 1881, et de l’inobservation du formalisme prévu par cette loi.

Elle aussi présente en appel une demande reconventionnelle en payement d’une somme de 10 000 €, réclamée à titre de dommages-intérêts, et de celle de 8000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

DISCUSSION

A l’appui de sa demande devant le Tribunal, Monsieur B. a fourni deux constats d’huissiers, à nouveau versés aux débats de la cour, desquels il résulte que Monsieur Patrick C., a exposé en détail sur son blog le litige qui l’oppose depuis avril 2004 à une société Nautic Services, à propos d’un bateau de plaisance jamais livré, mais sur lequel il aurait versé un acompte de 7000 € qu’il n’a pu récupérer, et à propos d’un second bateau confié en dépôt-vente à la société DB Nautique, et qui n’aurait pas été restitué. Ainsi, l’internaute qui lançait une recherche à partir du nom patronymique de Daniel B., ou à partir du nom des sociétés en relation d’affaires avec celui-ci, accédait-il à divers fichiers dont l’auteur se répandait en accusations contre celui-ci, ouvertement traité d’escroc.

Les termes employés sont notamment les suivants :
– “Daniel B. agent commercial ? Surtout escroc”,
– Sous l’intitulé “Dans le monde des escrocs !”, “Daniel B., celui par qui tout arrive, pour ma part, l’escroc … ex-gérant parti sans laisser d’adresse avec mon fric et celui de quelques autres”,
– Sous l’intitulé “Bienvenue dans un monde de magouilles”, “Daniel B. est un escroc, mais ses associés ne valent pas mieux”,
– “Extraordinaire homme d’affaires qui après avoir été radié en 1998, qui subit un dépôt de bilan en 2005 (Rancraft France) … se trouve maintenant victime d’une liquidation judiciaire,
Triste sort, ne peut-on pas laisser les escrocs tranquilles ?”.

L’appelant souligne que contrairement à cette allégation, reproduite à diverses reprises dans le texte du blog objet du litige, il n’a jamais fait l’objet d’une quelconque radiation.

Par ailleurs, selon lui, constituerait une atteinte à sa vie privée, l’allégation non démentie, selon laquelle il aurait placé sa compagne, Madame V., à la gérance de la société DB Nautique Center, ou encore le fait qu’aurait été révélée une maladie dont il serait atteint (un cancer à la joue).

Sur l’exception relative à la nullité de l’assignation délivrée à la société JFG Networks

L’assignation destinée à la société JFG Networks a été signifiée, le 10 janvier 2008, à un siège social situé à Saint-Mandé, dont l’adresse a, selon l’acte, été certifiée par une voisine. L’huissier instrumentaire n’ayant trouvé personne à cette adresse, a procédé selon les articles 656 et 658 du code de procédure civile, au dépôt de l’acte en son étude, après avoir laissé un avis de passage.

Cette société fait valoir que l’assignation serait nulle en tant que délivrée à une adresse erronée, dans la mesure où, “au mois de février de la même année” (2008), elle a déménagé son siège sociale pour s’installer à Toulouse. Or, étant donné sa date, antérieure au dit déménagement, il apparaît que l’huissier n’a pas commis d’erreur, et a signifié son acte à l’adresse exacte.

Par contre, l’intimée fait valoir à juste titre que la dite assignation ne respecte pas le formalisme prévu par l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881. En effet, un justiciable qui se plaint d’actes entrant dans les prévisions de cette loi, sous l’incrimination de diffamation notamment, ne dispose pas de la faculté de les qualifier autrement, afin de se soustraire aux exigences de forme qu’elle prévoit, car d’une part, il appartient au juge de restituer faits allégués leur exacte qualification, et d’autre part, il est notoirement admis que les abus de la liberté d’expression commis envers les personnes ne peuvent être poursuivis sur le fondement de l’article 1382 du code civil. Il s’en suit qu’en engageant des poursuites fondée sur la notion de diffamation dont il se prétendait victime Monsieur B. s’astreignait à suivre les règles de forme prévues par l’article 53 susvisé de la loi du 29 juillet 1881, et ce, même pour une action civile, exercée devant une juridiction civile. L’assignation introductive d’instance devait donc “préciser et qualifier le fait incriminé” et indiquer “le texte de loi applicable à la poursuite”, et elle devait être notifiée au Ministère Public, le tout, à peine de nullité de la poursuite. Aucune de ces prescriptions n’ayant été observée, il convient de prononcer la nullité de l’assignation introductive d’instance, étant observé que même s’il en allait autrement, il eût fallu également agir dans le délai de trois mois prévu par l’article 65 de la loi susvisée, à compter de la date des faits ou du dernier acte d’instruction.

Il convient donc de prononcer la nullité de l’assignation délivrée à la société JFG Networks.

Sur le fond du litige

De son côté, Monsieur C. n’a opposé, aux demandes dont il est l’objet que des moyens relatifs au fond du litige. Sur ce point, il convient de confirmer purement et simplement le jugement entrepris, dont la cour adopte les motifs.

En effet, les explications fournies par l’appelant font apparaître avec évidence que celui-ci se plaint de faits qualifiés par lui-même de diffamatoires, et qui ont trait à la publication sur internet d’éléments relatifs à un litige commercial opposant les parties. Monsieur B. y est en effet accusé, à tort ou à raison, de s’être comporté comme un escroc dans le cadre de son activité d’agent commercial et de dirigeant social, et ces allégations, toutes relatives à l’exercice de sa profession ne revêtent pas le caractère d’atteintes à la vie privée tombant sous l’application de l’article 9 du code civil. D’autre part, la preuve n’est pas davantage rapportée d’indiscrétions particulières commises à l’égard de l’intéressé, qu’il s’agisse de ses liens personnels avec Madame V., ou de son état de santé.

Il convient donc de confirmer sur ce point le jugement entrepris et de laisser à Monsieur B. la charge des dépens d’appel.

Sur les demandes reconventionnelles et l’application de l’article 700 du code de procédure civile

Le caractère outrancier des accusations publiées par Monsieur C. sur son blog s’oppose à ce qu’il soit accédé à une quelconque demande de dommages-intérêts de sa part.

De même, la société JFG Networks ne démontre pas le caractère abusif de la procédure dont elle a été l’objet, et ne justifie d’aucun préjudice méritant indemnisation.

Enfin, il convient, en équité, de rejeter les demandes présentées par les intimés sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

DECISION

La cour, statuant en audience publique et par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

. Déclare Monsieur Daniel B. recevable, mais mal fondé en son appel du jugement rendu le 10 décembre 2009 par le Tribunal de grande instance de Draguignan.

. Infirme cependant le dit jugement en ses seules dispositions ayant débouté Monsieur B. de sa demande en tant qu’elle est dirigée contre la société JFG Networks.

Et statuant à nouveau,

. Déclare nulle en la forme, l’assignation introductive d’instance délivrée le 10 janvier 2008, à la dite société JFG Networks.

. Constate, en conséquence, que le Tribunal de grande instance n’était pas régulièrement saisi de la demande de Monsieur B., et que la cour ne l’est pas davantage.

. Confirme le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions, et déboute les parties de toutes plus amples demandes.

. Laisse les dépens d’appel à la charge de Monsieur B., et dit que ceux-ci seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

La cour : M. François Grosjean (président), MM. Michel Naget et Hugues Fournier (conseiller)

Avocats : Me Véronique Godfrin, Me Philippe Macle, Me Sonia Palou

Voir décision DB Nautique

 
 

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