Jurisprudence : Contenus illicites
Tribunal de grande instance de Paris 17ème chambre Jugement du 3 mai 2007
UJA de Paris / Cosal, Vincent D.
contenus illicites
PROCEDURE
Par acte du 26 mai 2006, l’association Union des jeunes avocats à la cour de Paris, dite “UJA de Paris”, a fait citer devant ce tribunal, à l’audience du 27 juin 2006, Vincent D., directeur de la publication du site internet http://www.cosal.net, et l’association Cosal, Syndicat des Avocats Libres, pour y répondre, en qualités respectivement d’auteur et de civilement responsable, du délit d’injure publique envers particulier, prévu et réprimé par les articles 29 alinéa 2 et 33 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881, à la suite de la diffusion, le 3 mai 2005 sur ce site, d’une photographie représentant les Jeunesses hitlériennes auxquelles est associé le sigle UJA.
La partie civile a sollicité la condamnation solidaire du prévenu et de I’association civilement responsable au paiement d’un euro à titre de dommages-intérêts et de la somme de 5000 € en application de l’article 475-1 du Code de procédure pénale, ainsi que la mise en ligne du jugement sur le site, la suppression de la photographie litigieuse de celui-ci, sous astreinte, et le prononcé de l’exécution provisoire.
A l’audience du 27 juin 2006, le tribunal a fixé le montant de la consignation à 1000 €, somme payée le 15 septembre suivant, et a renvoyé l’affaire aux audiences des 26 septembre et 19 décembre 2006 pour fixer et à celle du 13 mars 2007 pour plaider.
A cette dernière audience, les parties ont comparu en personne avec l’assistance de leurs avocats.
Après le rappel des faits et de la procédure, le tribunal a procédé à l’interrogatoire du prévenu et à l’audition de la présidente de l’association partie civile puis il a entendu, dans l’ordre prescrit par la loi, le conseil de la partie civile, le ministère public en ses réquisitions et les avocats de la défense qui ont demandé la relaxe.
A l’issue des débats et conformément aux dispositions de l’article 462, alinéa 2, du Code de procédure pénale, les parties ont été informées que le jugement serait prononcé le 3 mai 2007.
A cette date, la décision suivante a été rendue.
FAITS
Attendu que l’Union des jeunes avocats à la cour de Paris, dite “UJA de Paris”, est une association, fondée en 1922, qui a notamment pour objet, selon ses statuts, de resserrer entre avocats de même génération des liens d’amitié et de solidarité professionnelle et de favoriser, par l’entraide mutuelle, le début des jeunes avocats dans leur exercice professionnel ;
Attendu que le Cosal, Syndicat des Avocats Libres, est une association de création plus récente dont le président fondateur est Vincent D. ; qu’il est titulaire d’un site internet à l’adresse http://www.cosal.net dont le prévenu est le directeur de la publication et sur lequel ce dernier écrit de nombreux articles critiques et protestataires ;
Attendu que le 3 mai 2006, a été mis en ligne sur ce site un article signé « Jean-Gaston“ et intitulé “Le défilé du 1er mai des barreaux ! » ;
Attendu qu’il commence en ces termes :
« A 8 heures du matin, ce 1er mai 2006, le tête du défilé du 1er mai apparaît devant le Musée national dit Barreau. Selon le journal officiel Rude pravo gazette de Palaisovitch, toute la place retentit d’un premier cri : “Vive le Barreau de Paris !“, “Avec la famille Repiquet pour l’éternité !”, “Vive le GIE !“.
En chœur : “Ensemble, courageusement, boutons les sénégalais et les tunisiens hors des barreaux français !“. Ce sont surtout ceux du SAF, de l’UJA, de la CNA et de l’ACE qui, comme chaque année se distinguent […]”
Attendu que le texte est illustré de trois photographies :
– la première, au début de l’article, montre un défilé dans une rue, le cortège portant des pancartes et bannières sur lesquelles ont été ajoutés des portraits d’avocats et les inscriptions suivantes : Ordre des avocats de Paris ANAAFA, ACE, UJA, SAF, CNA, Avocats tout simplement, Femmes et droit ;
– sur la deuxième figure un vétéran de l’année portant des décorations ;
– la dernière représente une foule d’adolescents avec, au fond, des drapeaux et au premier plan deux jeunes garçons en uniforme qui se tiennent devant des tambours portant le sigle UJA ;
Attendu que ce troisième cliché est reproduit à la suite de ces phrases évoquant les “discours des officiels” :
“Puis celui des dignitaires des Jeunes Pionniers des Jeunesses ordinales, dont la mission est l’éducation et l’édification des masses dans le culte, et le respect que nous devons aux anciens du Parti. Tous espèrent bénéficier d’une datcha et rouler en Lada tout en espérant bien qu’un jour peut-être le gosplan leur attribuera une Velsatis. Et ce cri qui sort des poitrines au rythme des tambours : “Remercions nos généreux bienfaiteurs !““;
Sur l’infraction
Attendu que la défense soutient que la publication de l’article et de ces images, par une organisation syndicale et sur un mode satirique, procède de la volonté de décrire “l’ensemble des institutions du Palais » comme vouées “à un ordre holiste, pratiquant le culte de la personnalité et servi par des apparatchiks médiocres” et que la photographie incriminée n’est pas injurieuse, mais contient une imputation diffamatoire, celle d’être une organisation syndicale dépourvue d’indépendance et inféodée aux institutions ordinales ;
Attendu que l’alinéa 2 de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit l’injure comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait » ;
Attendu qu’une publication peut contenir, à la fois, des termes diffamatoires et un message injurieux, justifiant une double déclaration de culpabilité, lorsqu’il résulte du contexte que les termes injurieux ne se réfèrent nullement aux faits visés par les imputations diffamatoires ; qu’en revanche, lorsque les expressions injurieuses sont indivisibles d’une imputation diffamatoire, le délit d’injure est absorbé par celui de diffamation et ne peut être relevé seul, étant observé que la survenance de ce dernier cas n’entraîne pas la nullité de la poursuite, mais la relaxe du chef d’injure ;
Attendu, en l’espèce, que le texte dont Vincent D. reconnaît être l’auteur décrit sur un mode parodique un défilé d’institutions structurant la profession d’avocat, sur le modèle des manifestations organisées sous le régime soviétique ou dans des démocraties populaires ; qu’il entend notamment dénoncer l’embrigadement de l’UJA dans un système de type totalitaire ;
Attendu que le prévenu indique qu’il n’a pas lui-même choisi les illustrations ni réalisé les montages photographiques, tout en, assumant la responsabilité de ceux-ci ; que l’image en noir et blanc litigieuse évoque bien l’embrigadement de la jeunesse dans un régime totalitaire du siècle passé, mais qu’elle ne se limite pas à cette simple allusion ; qu’en effet, même si le symbole nazi qui figurait de façon très manifeste sur l’un des tambours a été effacé -tout en restant partiellement masqué, mais visible, sur l’autre- et si le sigle UJA a été ajouté sur chacun de ceux-ci, l’identification du cliché d’origine demeurait aisée pour les internautes ;
Attendu que dans le procès-verbal de constat produit aux débats, l’huissier de justice a indiqué qu’en plaçant la souris de son ordinateur sur la photographie en cause, il avait obtenu les propriétés de cette dernière, à savoir “Jeunhitl.jpg”, et qu’en tapant les mots “jeunesse hitlérienne” sur le moteur de recherches google.fr, il avait rapidement abouti à l’image litigieuse, aux côtés de laquelle on peut notamment lire que les Jeunesses hitlériennes sont devenues en 1936 “une communauté obligatoire pour tous les jeunes allemands de quatorze ans” et qu’Hitler visait non seulement “l’extermination de groupes ethniques, voire de races toutes entières, jugées inférieures » mais aussi « la renaissance de la race ar[y]enne [qui] est une des causes de la création des jeunesses hitlériennes” ;
Attendu que ni les internautes consultant le site litigieux, ni le prévenu ne pouvaient donc ignorer que la photographie représentait les jeunesses hitlériennes ; que Vincent D. n’a pas entendu imputer à l’UJA une appartenance passée à une organisation nazie pendant la période de la deuxième guerre mondiale, ce qui aurait pu constituer un fait précis susceptible de caractériser une diffamation ; qu’en outre, l’injure poursuivie n’est pas absorbée par l’éventuelle diffamation résultant de l’allégation relative un manque d’indépendance de la partie civile, dès lors qu’existent entre le nazisme et l’embrigadement des différences de nature et de degré telles que les deux notions ne sont pas assimilables ;
Attendu, par ailleurs, que la caricature et la satire, même délibérément provocantes et grossières, participent à la liberté d’expression et de communication des pensées et des opinions ; que toutefois, le droit à l’humour connait des limites, telles que les atteintes au respect de la dignité de la personne humaine, l’intention de nuire et les attaques personnelles ;
Attendu que s’il est exact que ces limites doivent être appréciées plus largement encore dans le cadre d’une polémique syndicale, elles ont cependant été dépassées au cas présent ; que, certes, I’UJA se livre également et réciproquement à de vives allusions dans ses revues (évocation d’une poubelle à propos du Cosal en 2005 et d’un fou au sujet de V.D. en 2006), mais que l’illustration photographique litigieuse dépasse l’outrance admissible en matière satirique comme syndicale, en raison de son caractère particulièrement outrageant, les Jeunesses hitlériennes évoquant une jeunesse militaire, sous les ordres d’un chef unanimement condamné, participant à ses exactions et partageant ses théories réprouvées ;
Attendu que l’injure publique envers particulier est donc caractérisée ; que le directeur de la publication du site sera retenu dans les liens de la prévention en qualité d’auteur principal du délit ; qu’il convient de prononcer une peine d’amende avec sursis à son encontre ;
Sur l’action civile
Attendu qu’il y a lieu de recevoir l’UJA de Paris en sa constitution de partie civile et, compte tenu du contexte de l’affaire, de lui allouer un euro à titre de dommages-intérêts, conformément à sa demande, en ordonnant une mesure de publication judiciaire sur le site ; que l’image litigieuse ayant déjà été retirée du site, la suppression de son accessibilité, telle que sollicitée, sera ordonnée en tant que de besoin, sans toutefois qu’une astreinte n’apparaisse nécessaire à cet égard ; que des raisons tirées de considérations d’équité conduisent à écarter toute application de l’article 475-1 du Code de procédure pénale ; qu’enfin, il n’y a pas lieu à exécution provisoire, celle-ci n’étant susceptible d’être prononcée que sur les dommages-intérêts ;
DECISION
Par ces motifs,
Le tribunal, statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l’encontre de Vincent D., prévenu, à l’encontre de l’association Cosal, Syndicat des Avocats Libres, civilement responsable, à l’égard de l’association Union des jeunes avocats à la cour de Paris (U.J.A. de Paris), partie civile ;
. Déclare Vincent D. coupable du délit d’injure publique envers un particulier,
. En répression, le condamne à une amende délictuelle de 1000 €,
. Vu les articles 132-29 à 132-34 du Code pénal,
. Dit qui sera sursis totalement à l’exécution de cette peine dans les conditions prévues par ces articles.
Et aussitôt, le président, suite à cette condamnation assortie du sursis simple, a donné l’avertissement, prévu à l’article 132-29 du Code pénal, au condamné que s’il commet une nouvelle infraction, il pourra faire l’objet d’une condamnation qui sera susceptible d’entraîner l’exécution de la première peine sans confusion avec la seconde et qu’il encourra les peines de la récidive dans les termes des articles 132-9 et 132-10 du Code pénal.
. Reçoit l’association Union des jeunes avocats à la cour de Paris, dite “UJA de Paris”, en sa constitution de partie civile,
. Condamne Vincent D. à lui payer un euro à titre de dommages-intérêts,
. Ordonne la publication, dans le mois suivant la date à laquelle le présent jugement sera devenu définitif du communique suivant :
« Par jugement du 3 mai 2007, le tribunal de grande instance de Paris (chambre correctionnelle de la presse) a condamné Vincent D. pour avoir injurié publiquement l’association Union des jeunes avocats à la cour de Paris, dite « UJA de Paris », en diffusant sur le site internet http://www.cosal.net, le 3 mai 2006, une photographie représentant les Jeunesses hitlériennes auxquelles était associé le sigle UJA »,
. Dit que cette publication, qui devra paraître en dehors de toute publicité, sera effectuée au sein d’une page accessible au public à partir d’une annonce en première page du site internet http://www.cosal.net, en caractères gras et dans une police d’écriture de taille 14, dans un encadré intitulé “Cosal condamné” en majuscules et en gras, contenant le texte du communiqué ci-dessus, et ce pour une durée d’un mois,
. Ordonne en tant que de besoin la suppression de toute accessibilité de la photographie litigieuse sur le site internet http://www.cosal.net.
. Déclare l’association Cosal, Syndicat des Avocats Libres, civilement responsable,
. Déboute l’association Union des jeunes avocats à la cour de Paris, dite « UJA de Paris », du surplus de ses demandes.
Le tribunal : M. Nicolas Bonnal (vice-président), M. Philippe Jean-Draeher (vice-président), M. Joël Boyer (vice-président)
Avocats : Me Francis Terquem, Me Lev Forster, Me Basile Ader
Voir décision de Cour de cassation
Voir décision de la cour d’appel
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