Jurisprudence : Contenus illicites
Cour d’appel de Paris Pôle 2, chambre 1 Arrêt du 22 octobre 2009
Vincent D. / Bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris
contenus illicites
DISCUSSION
Considérant, en fait que, le 3 mai 2006, le Cosal, dont M. Vincent D., son fondateur, était, à l’époque, le président, a mis en ligne sur son site internet un article intitulé « le défilé du 1er mai des barreaux » et illustré de trois photographies dont l’une consiste en un montage d’une photographie d’un défilé des jeunesses hitlériennes ; que, sur cette photographie, le symbole nazi a été effacé tout en restant partiellement visible et remplacé par le sigle U.J.A. ;
Que M. Vincent D. reconnaît être l’auteur de l’article et assumer la responsabilité de son illustration même s’il n’a pas choisi les photographies ;
Que, sur la plainte avec constitution de partie civile de l’Union des jeunes avocats, dite U.J.A., le Tribunal de grande instance de Paris a déclaré M. Vincent D. coupable du délit d’injure publique envers un particulier, l’a condamné à la peine de 1000 € d’amende avec sursis et au payement d’un euro de dommages et intérêts à l’U.J.A ;
Que, pour retenir la culpabilité de M. Vincent D., le Tribunal de grande instance de Paris a énoncé « que la caricature et la satire, même délibérément provocantes et grossières, participent de la liberté d’expression et de communication des pensées et des opinions ; que, toutefois, le droit à l’humour connaît des limites telles que les atteintes au respect de la dignité de la personne humaine, l’intention de nuire et les attaques personnelles ; … quel l’illustration photographique litigieuse dépasse l‘outrance admissible en matière satirique comme syndicale en raison de son caractère particulièrement outrageant » au regard de ce que représentent les jeunesses hitlériennes ;
Considérant qu’à la suite de cette condamnation devenue définitive, M. le Bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Paris a engagé des poursuites disciplinaires contre M. Vincent D. à qui il reprochait d’avoir « dans une publication éditée sur le site internet d’une association dont il est le responsable légal, publiquement injurié l’association Union des jeunes avocats à la Cour de Paris, faits ayant donné lieu à une condamnation définitive par jugement de la 17ème chambre du Tribunal de grande instance de Paris » ;
Que, par arrêté en date du 29 avril 2008, le Conseil de discipline de l’ordre des avocats au barreau de Paris, faisant application des dispositions des articles 22 et suivants de la loi du 31 décembre 1971, 183 du décret du 27 novembre 1991 et 1.3 du règlement intérieur national de la profession d’avocat, a prononcé contre le susnommé la peine disciplinaire de l’avertissement en retenant notamment qu’il avait « manqué à la délicatesse, à la modération et à la courtoisie, ainsi qu’à la confraternité, l’injure étant dirigée contre une association d’avocats » ;
Considérant que M. Vincent D., qui a eu la parole le dernier, sollicite d’abord l’annulation de l’arrêté ; à cette fin, il fait valoir que l’autorité de poursuite et la formation de jugement ont manqué d’impartialité à son égard ;
Qu’au fond, il soutient qu’une formation disciplinaire n’a pas compétence pour apprécier l’activité syndicale d’un avocat et qu’en l’occurrence, il n’a manqué, personnellement, ni à son serment, ni aux règles déontologiques régissant la profession d’avocat ; qu’à cet égard, il ajoute qu’il n’a commis, en tant qu’avocat, aucune atteinte aux principes de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie dès lors qu’un directeur de publication, fût-il avocat, ne peut s’exposer à des sanctions ordinales au risque d’engendrer une prohibition de l’activité syndicale ;
Considérant que le représentant de M. le Bâtonnier de l’ordre des avocats a présenté des observations tendant à la confirmation de la décision du conseil de discipline ;
Considérant que M. le procureur général a conclu aux mêmes fins ;
Sur la demande d’annulation de l’arrêté du conseil de discipline
Considérant que, par l’effet dévolutif du recours régulièrement formé par M. Vincent D. contre l’arrêté du Conseil de discipline, il y a lieu de statuer, en droit et en fait, sur l’entier litige ; qu’en conséquence, l’argumentation développée par M. Vincent D. et tirée, d’une part, d’une prétendue « illégalité du fondement des poursuites disciplinaires » et, d’autre part, d’une supposée partialité des autorités de poursuites et de ses confrères composant le conseil de discipline manque de pertinence ;
Considérant qu’au surplus, il convient d’observer qu’en tous cas, l’autorité de poursuite, qui se trouve dans la situation d’une partie poursuivante ou demanderesse, n’est pas récusable ;
Que, s’agissant de la formation de jugement, M. Vincent D. se borne à citer nommément quatre membres sur six qui, selon lui « peuvent être suspectés de partialité puisqu’ils sont eux-mêmes la cible critique » du Cosal ; que, toutefois, il n’apporte aux débats aucun élément objectif permettant de mettre en doute l’impartialité du conseil alors surtout qu’avant le jugement de l’affaire, il n’a présenté ni requête aux fins de récusation, ni demande de renvoi pour cause de suspicion légitime ;
Considérant qu’en conséquence, il n’y a pas lieu d’annuler l’arrêté pris par le Conseil de discipline ;
Au fond
Considérant que la matérialité des faits, qui n’est pas contestée par M. Vincent D., a été établie par une décision définitive de la juridiction pénale ;
Que, toutefois, il convient de rechercher si, dans les circonstances particulières de la cause, les faits dont il s’agit sont constitutifs d’un manquement à la délicatesse à la modération, à la courtoisie ou à la confraternité ;
Considérant que, par arrêt du 25 juin 2009, la partie la plus diligente a été invitée à fournir toutes justifications utiles quant au comportement de l’U.J.A. à l’égard de M. Vincent D. antérieurement aux faits qui lui sont reprochés ; que le susnommé a satisfait à cette demande ;
Considérant qu’il ressort d’un DVD intitulé « Revue 2005 de l’U.J.A. » et d’un CD qu’à la fin du spectacle monté par cette organisation, une voix déclare : « Oups! On n’a pas oublié quelque chose ? » tandis qu’un acteur apporte un container à ordures sur la scène et qu’une voix « off» déclare : « le Cosal » ;
Qu’il appert encore d’un procès-verbal de constat dressé par Maître Pécastaing, huissier de justice à Paris, qui a visionné un DVD portant l’inscription « Revue U.J.A. 2006 extraits » qu’au cours d’un des sketches, trois hommes tiennent les propos suivants :
– « … A propos de cinglé, on a des nouvelles de L. ?
– Vous n’êtes pas au courant ?
– Non.
– Il n‘a pas toute sa tête. Ils vont être obligés de lui passer la camisole de force. Il insultait les infirmières en chef » ;
Qu’après qu’un quatrième personnage, traversant la scène, vêtu d’un peignoir, a déclaré : « Tout çà, c’est des conneries », les trois hommes reprennent :
– « Allo ? Monsieur le directeur ? Dites-moi la camisole de L., vous ne l’auriez pas refilée à D. ? Non, parce qu’il ne va pas bien du tout. Vous pourriez faire quelque chose ? Bon, merci Monsieur le directeur.
– Dites-moi les copains, franchement, Alzheimer c‘est horrible. Il paraît qu’il ne reconnaît même plus Ader. Alors, franchement, si je devais devenir comme çà, vous sauriez ce qu’il vous reste à faire, vous me laisseriez pas.
– T’inquiètes pas Jean-Marie, on ne va pas te louper » ;
Que ces propos et, tout particulièrement la conversation tenue au cours du deuxième sketch cité, proférés lors de manifestations publiques, révèlent exclusivement une animosité personnelle sans traduire une idée, une opinion ou une information susceptible d’alimenter une réflexion ou un débat d’intérêt général et qu’elles apparaissent outrancières au regard de l’obligation de délicatesse, de modération et de courtoisie qui pèse sur les avocats et qu’ils doivent observer en toutes occurrences, y compris à l’occasion d’une revue satyrique et de leurs actions syndicales ;
Considérant encore qu’il n’est pas contesté que l’attitude des dirigeants de I’U.J.A., qui assimilent le Cosal à un container à ordures et M. Vincent D. à un fou justiciable de la camisole, n’a pas été sanctionnée ;
Qu’en outre, les termes d’un document postérieur aux faits, mais soumis à la libre discussion des parties, fait apparaître que M. le Bâtonnier de l’ordre des avocats, sous le titre « Vincent D. ou l‘intermittent du Conseil », évoque « la fiente dont [son confrère] barbouille à plaisir ceux qu’il choisit comme cibles », « la fosse » où « il s‘épanouit » ou « son hygiène mentale » que nul ne peut lui restaurer malgré lui » ; que cet écrit, émanant du représentant de l’ordre des avocats et révélateur de l’hostilité dont se sentent victimes M. Vincent D. et le syndicat qu’il a fondé, est de nature à expliquer l’excès auquel s’est livré M. Vincent D., non pas dans l’exercice de ses fonctions d’avocat, mais en sa qualité de représentant d’un syndicat ;
Considérant que les injures proférées par l’U.J.A. contre le Cosal et son fondateur au cours des représentations organisées en 2005 et 2006 ont conduit M. Vincent D. à adopter une attitude également provocatrice qui dans les circonstances particulières de la cause, enlève à la caricature litigieuse tout élément constitutif d’un manquement à la délicatesse, à la modération, à la courtoisie ou à la confraternité ;
Qu’il échet, en conséquence, de relaxer M. Vincent D. des fins de la poursuite disciplinaire dirigée coutre lui ;
DECISION
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
. Rejette l’exception de nullité soulevée par M. Vincent D. contre l’arrêté pris le 29 avril 2008 par le Conseil de discipline de l’ordre des avocats au barreau de Paris ;
. Au fond, infirme cet arrêté ;
Faisant droit à nouveau :
. Relaxe M. Vincent D. des fins de la poursuite disciplinaire dirigée contre lui ;
. Met les dépens à la charge du Conseil de l’ordre des avocats du barreau de Paris.
La cour : M. François Grandpierre (président), Mmes Brigitte Horbette, Marguerite-Marie Marion, Dominique Gueguen, Domitille Duval-Arnould (conseillères)
Avocat : Me Stéphane Archange
Voir décision de la Cour de cassation
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