Jurisprudence : Droit d'auteur
Cour d’appel de Paris Pôle, chambre 3 Arrêt du 03 mai 2011
Snep / Google France, Google Inc.
droit d'auteur - moteur de recherche - peer to peer - référé - requête - responsabilité - sites - suppression - telechargement
FAITS ET PROCEDURE
Le syndicat national de l’édition phonographique, Snep, représente en France les sociétés de l’industrie phonographique et comprend actuellement 44 membres.
La société de droit américain Google Inc. exploite dans le monde entier un moteur de recherche dénommé «google». Celui-ci est doté depuis septembre 2008 d’une fonctionnalité permettant d’afficher en temps réel et au fur et à mesure que l’internaute tape sa requête, des termes de recherche supplémentaires, dénommés Google Suggestions ou Google Suggest.
Ayant constaté que ce moteur de recherche orientait les internautes recherchant de la musique en ligne vers des sites de téléchargement éventuellement illégal par la suggestion de mots-clés tels que « torrent », « megaupload » et « rapidshare », le Snep a fait dresser un procès-verbal de constat les 24 février et 1er mars 2010. Il a ensuite par acte du 15 avril 2010, fait assigner pour obtenir une mesure de suppression sous astreinte des termes litigieux, sur le fondement de l’article L 336-2 du code de la propriété intellectuelle, les sociétés Google Inc. et Google France devant le tribunal de grande instance de Paris statuant en la forme des référés.
Par ordonnance rendue en la forme des référés du 10 septembre 2010, le président du tribunal a débouté le Snep de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné à payer aux sociétés Google Inc. et Google France la somme globale de 5000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le Snep, appelant, par conclusions du 1er mars 2011, demande à la cour de confirmer l’ordonnance en ce qu’elle a rejeté la demande de mise hors de cause de la société Google France, a dit que l’article L 336-2 du code de propriété intellectuelle ne concernait pas uniquement les hébergeurs et les fournisseurs d’accès à internet et a rejeté toute défense des sociétés Google fondée sur la liberté d’expression. Il souhaite voir la décision infirmée pour le surplus et que la cour constate que les sociétés Google ont acquiescé à ses demandes en mettant en œuvre un filtrage de mots-clés afin d’empêcher la contrefaçon en ligne, que ce filtrage n’est pas pleinement mis en œuvre sur le site www.google.com et qu’il est toujours possible de saisir les mots-clés visés dans l’assignation, qu’il convient d’ordonner in solidum aux deux sociétés Google la suppression des termes « torrent », « megaupload » et « rapidshare » ce sous astreinte de 1000 € par jour de retard et par suggestion comprenant un de ces termes à l’issue d’un délai de huit jours après la signification de la décision à intervenir et se réserver la liquidation de l’astreinte. Il sollicite à titre subsidiaire d’interdire aux deux sociétés en cause de proposer sur le site accessible à l’adresse www.google.com les suggestions de recherche associant le terme « torrent », « megaupload » et « rapidshare » au nom d’artistes et/ou d’album ou de chansons listés en pièce n°31 et ultérieurement notifiés par ses soins et d’assortir cette interdiction d’une astreinte identique que la précédente, celle-ci courant à l’issue d’un délai de 48 heures de la notification faite aux sociétés par le Snep de la liste précitée. Il réclame la condamnation des intimées à lui payer la somme de 20 176,70 € au titre des frais irrépétibles.
Les sociétés Google France et Google Inc., aux termes d’écritures en date du 8 mars 2011, souhaitent voir confirmer l’ordonnance entreprise. A titre subsidiaire, si la cour estimait qu’il existe une atteinte, elles demandent qu’il soit relevé qu’elles ne peuvent remédier à celle-ci et à titre très subsidiaire, que la fonctionnalité en cause ne génère plus les termes visés par le Snep lors de la saisie par un internaute d’un nom d’artiste ou d’album et que Google Inc. a déréférencé des résultats de son moteur, les liens visés par le Snep. Elles souhaitent voir dire que la société Google France n’est pas impliquée et débouter le Snep de ses demandes et de le condamner à leur régler la somme de 15 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
DISCUSSION
Sur la demande de mise hors de cause de la société Google France
Considérant que le Snep estime que la société Google France doit rester dans la cause en raison de son activité commerciale ;
Considérant que la société Google France déclare ne pas être en mesure de contribuer à remédier à l’atteinte, les sites www.google.fr et www.google.com étant détenus par la société Google Inc., qu’elle ne prend aucune part à l’exploitation du moteur de recherche et que son implication dans le litige n’est pas démontrée ; qu’enfin, elle précise qu’elle doit être jugée au vu des ses activités effectives et non de celles mentionnées sur son extrait Kbis ; qu’elle précise avoir transmis à Google Inc. les courriers adressés par le Snep et que dans ses réponses, elle a toujours rappelé qu’il convenait de s’adresser à Google Inc. ;
Considérant que s’il n’est pas contesté que la société Google Inc. est titulaire du nom de domaine « google.fr » et que tous les sites « google » sont hébergés aux Etats Unis ni que la société Google Inc. a conclu avec la société Google France un contrat de marketing et de prestations de services à compter du 16 mai 2002 qui ne vise pas expressément le service de suggestions en cause, il n’en demeure pas moins que la société Google France sise 38 avenue de l’Opéra à Paris 75002, apparaît sur le site Google.fr comme étant le bureau commercial français de la société Google Inc. ;
Considérant, par ailleurs, qu’il résulte des pièces versées aux débats que la société Google France a répondu aux courriers adressés par le Snep les 24 novembre, 4 décembre 2009 et 6 janvier 2010 ; que, si elle y a mentionné le fait que le moteur de recherche était exploité par la société Google Inc., elle a néanmoins demandé divers renseignements au Snep, notamment la liste des adresses visées par celui-ci et a exposé le système en cause indiquant que les suggestions résultaient d’une information statistique et automatique licitement affichée sur le moteur de recherche ; qu’elle a, en outre, fait part du rejet de la demande du Snep ; qu’elle a, ainsi, été chargée de suivre le dossier par la société Google Inc. ;
Considérant que ces éléments sont corroborés par son extrait KBis qui révèle qu’elle exerce, depuis le 14 août 2002, une activité de « fourniture de services et/ou conseils relatifs aux logiciels, au réseau internet, aux réseaux télématiques ou en ligne, notamment l’intermédiation en matière de vente de publicité en ligne, la promotion sous toutes ses formes de la publicité en ligne, la promotion directe de produits ou services et la mise en œuvre de centres de traitement de l’information » ;
Considérant dès lors que cette activité, à supposer qu’elle soit limitée à ce qu’elle expose être la sienne, justifie néanmoins que sa demande de mise hors de cause soit rejetée ; qu’au demeurant, ce maintien de la cause ne préjuge pas de sa responsabilité dont l’appréciation relève du fond du débat ;
Sur la demande principale du Snep
Considérant que le Snep expose que les trois termes incriminés correspondent à trois modes de partage illégal de fichiers, qu’il n’existe pas de moteur de recherche pour localiser ces fichiers et que les internautes trouvent donc des liens incluant ces termes sur les moteurs de recherche tels que celui de Google qu’il ajoute que Google Suggestion est une fonctionnalité par défaut de ce moteur de recherche qui devient incitative en raison de la part de marché du moteur de recherche Google ;
Considérant que le Snep mentionne ne pas avoir recherché la responsabilité des deux sociétés mises en cause mais a entendu bénéficier des dispositions de l’article L 336-2 du code de la propriété intellectuelle pour que soient ordonnées des mesures proportionnées aux comportements en cause afin d’éviter les atteintes dont l’accès est suggéré par le moteur de recherche ;
Considérant qu’il soutient que des atteintes aux droits des producteurs ont été constatées ainsi que cela résulte des procès-verbaux versés aux débats, que celles-ci ne découlent pas seulement du téléchargement mais aussi de la mise à disposition illicite et que cela est sanctionné notamment par l’article L 335-4 du code de la propriété intellectuelle ; qu’il considère que la fonctionnalité offerte par Google procure un raccourci vers des fichiers illicites et est donc de ce chef répréhensible ; qu’il déclare qu’un risque important d’atteintes subsiste et que la suppression des trois mots-clés est une mesure proportionnée au but poursuivi et efficace pour combattre le piratage en ligne, le déréférencement des liens étant insuffisant ;
Considérant que le Snep estime qu’en tant qu’éditeurs de leur site et exploitants de leur moteur de recherche, les intimées sont capables de prendre les mesures demandées ; qu’il ajoute que le texte ne vise pas seulement les hébergeurs et fournisseurs d’accès ;
Considérant que les sociétés Google estiment que l’article L 336-2 du code de la propriété intellectuelle ne pouvait pas s’appliquer dès lors que l’atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin n’était pas rapportée, que l’atteinte n’est pas constituée par l’affichage de termes de recherche litigieux dans le cadre de la fonctionnalité semi-automatique ; qu’elles ajoutent que les termes permettent l’accès à des protocoles et sites qui ne sont pas en eux-mêmes illicites s’agissant de sites de partage de fichiers, que seul l’usage qui peut être fait de ces protocoles est potentiellement répréhensible ; qu’elles indiquent que l’article ne vise qu’une personne susceptible de contribuer à remédier à l’atteinte et que si la cour devait faire application du texte précité, elle devrait constater que la suppression des termes n’est pas de nature à faire cesser l’atteinte dès lors que celle-ci reste possible sur les sites incriminés malgré l’éventuelle suppression de la fonctionnalité de saisie semi automatique et qu’une telle mesure n’est pas efficace ; qu’elles considèrent qu’une telle suppression est de ce fait disproportionnée dès lors que les sites sont licites ;
Considérant qu’elles ajoutent que les moteurs de recherche ne figurent pas parmi les personnes visées à l’article L 336-2 du code de la propriété intellectuelle, celui-ci ne visant que les prestataires de stockage et les hébergeurs ;
Considérant que les intimées déclarent que désormais la fonctionnalité de saisie semi automatique ne génère plus l’apparition des termes visés par le Snep à la suite de la saisie d’un nom d’artiste et/ou d’album ; qu’elles indiquent que le moteur de recherche Google n’est pas à l’origine des mises à disposition et qu’il ne stocke pas les fichiers ou pages en cause sur ses serveurs, qu’il se contente d’indexer automatiquement le contenu du web aux requêtes des internautes et qu’il suffit à tout ayant droit dont les droits d’auteur sont méconnus de solliciter la désindexation et la suppression de cette page du moteur et qu’en l’espèce, les sociétés Google se sont conformé aux demandes de déréférencement formulées par le Snep ;
Considérant qu’aux termes de l’article L 336-2 du code de la propriété intellectuelle issu de la loi du 12 juin 2009 « En présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les œuvres et objets protégés, de leurs ayants-droit, des sociétés de perception et de répartition des droits visés à l’article L 321-1 ou des organismes de défense professionnels visés à l’article L 331-1, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une atteinte au droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier » ;
Considérant que pour démontrer le bien-fondé de ses demandes, le Snep produit un constat d’huissier des 24 février et 1er mars 2010 qui fait apparaître qu’à la demande de l’internaute relative à un artiste ou une chanson ou un album, les suggestions proposées par Google mènent vers les sites « torrent », « megaupload » « rapidshare » et que ceux-ci entraînent l’internaute vers du téléchargement non autorisé ;
Considérant d’abord que contrairement à ce que prétendent les intimées, le texte précité n’a pas entendu limiter son application aux seuls hébergeurs et fournisseurs d’accès dès lors qu’il a retenu la formule générale et non limitative « toute personne susceptible de contribuer à y remédier » ; que les sociétés ne sauraient donc échapper pour ce motif à la demande ;
Considérant, par ailleurs, que l’argument du droit à l’information consacré par l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ne saurait prospérer dès lors que l’exercice de cette liberté comporte des devoirs et des responsabilités et peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions et sanctions prévues par la loi notamment relativement à la protection des droits d’autrui ;
Considérant que, néanmoins, pour être applicable, le texte précité suppose la présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ;
Considérant qu’en l’espèce, le service Google Suggest est un service qui fonctionne de manière automatique en fournissant aux internautes un accès automatique aux requêtes des autres internautes, que les résultats affichés sont dépendants d’un algorithme basé sur les recherches des autres internautes, que l’ordre de ces requêtes est déterminé par la quantité d’internautes ayant utilisé chacune des requêtes concernées, qu’il permet éventuellement à l‘internaute de trouver des critères de recherche supplémentaires basés sur les recherches des autres utilisateurs de Google ;
Considérant qu’au vu du constat précité, l’affichage des suggestions correspond donc aux requêtes des autres internautes ayant procédé à une recherche sur le titre, l’artiste ou l’album associée aux sites « torrent », « megaupload » « rapidshare » ;
Considérant que « torrent » est un protocole de transfert de données pair à pair à travers un réseau informatique, que « megaupload » est un site web permettant à un internaute de mettre en ligne tout type de fichier et que « rapidshare » est un site web proposant aussi un service d’hébergement de fichiers ;
Considérant que la suggestion de ces sites ne constitue pas en elle-même une atteinte au droit d’auteur dès lors que d’une part les fichiers figurant sur ces sites ne sont pas tous nécessairement destinés à procéder à des téléchargements illégaux ; qu’en effet, l’échange de fichiers contenant des œuvres protégées notamment musicales sans autorisation ne rend pas ces sites en eux-mêmes illicites ; que c’est l’utilisation qui en est faite par ceux qui y déposent des fichiers et les utilisent qui peut devenir illicite ; que, d’autre part, la suggestion automatique de ces sites ne peut générer une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin que si l’internaute se rend sur le site suggéré et télécharge un phonogramme protégé et figurant en fichier sur ces sites ; que les sociétés Google ne peuvent être tenues pour responsables du contenu éventuellement illicite des fichiers échangés figurant sur les sites incriminés ni des actes des internautes recourant au moteur de recherche ; que le téléchargement de tels fichiers suppose un acte volontaire de l’internaute dont les sociétés Google ne peuvent être déclarées responsables ;
Considérant de plus que le fait que les sociétés Google aient procédé à une opération de filtrage des suggestions ne signifie pas qu’elles ont acquiescé à la demande et reconnu leur responsabilité ; que la suppression des termes « torrent », « rapidshare » et « megaupload » rend simplement moins facile la recherches de ces sites pour les internautes qui ne les connaîtraient pas encore qu’elle n’empêche pas ceux qui les connaissent de les trouver en tapant directement leur nom sur le moteur de recherche ; qu’en tout état de cause, ce filtrage et cette suppression de la suggestion n’est pas de nature à empêcher le téléchargement illégal de phonogrammes ou d’œuvres protégées par le Snep dès lors qu’un tel téléchargement résulte d’un acte volontaire et réfléchi de l’internaute ; qu’en effet, le contenu litigieux reste accessible en dépit de la suppression de la suggestion ;
Considérant qu’en conséquence, il n’y a pas lieu d’examiner la demande de suppression ou d’interdiction sollicitée par le Snep dès lors que l’atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne n’est pas démontrée ;
Considérant que le Snep est débouté de l’intégralité de ses demandes et l’ordonnance entreprise doit être confirmée en toutes ses dispositions ;
Considérant que l’équité commande de faire droit à la demande des sociétés Google France et Google Inc. et de leur allouer la somme de 5000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au paiement de laquelle le Snep est condamné ;
Considérant que, succombant, le Snep ne saurait prétendre à l’allocation de frais irrépétibles et doit supporter les dépens d’appel ;
DECISION
Par ces motifs :
. Confirme en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 10 septembre 2010 en la forme des référés entreprise ;
. Condamne le Syndicat national de l’édition phonographique à payer aux sociétés Google France et Google Inc. la somme de 5000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
. Rejette la demande de frais irrépétibles présentée par le Syndicat national de l’édition phonographique ;
. Condamne le Syndicat national de l’édition phonographique aux dépens d’appel.
La cour : Mme Joëlle Bourquard (présidente), Mmes Martine Taillandier-Thomas et Sylvie Maunand (conseillères)
Avocats : Me Eric Lauvaux, Me Alexandra Neri
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