Jurisprudence : Vie privée
Tribunal de grande instance de Nanterre 1ère chambre Jugement du 28 avril 2011
Clovis C. / Nice M.
condamnation - éditeur - site - vie privée
FAITS
Clovis C. a fait constater par huissier de justice la publication, le 2 août 2010 à 10h28, sur le site internet www.nicem.com d’un article intitulé « Clovis C. roucoule sur la place des Lices à Saint-Tropez », illustré d’une photographie, le montrant en compagnie d’une jeune femme, ainsi commentée : « Clovis C. était avec sa compagne Lilou F. sur la place des Lices à Saint-Tropez à l’occasion d’une partie de pétanque improvisée ».
Considérant que cette publication porte atteinte à l’intimité de sa vie privée et à son droit à l’image, Clovis C. poursuit sa société éditrice, la société anonyme à participation ouvrière Nice M., en réparation du préjudice qui en découle.
PRETENTIONS
Par actes du 20 août 2010, Clovis C. a fait assigner devant ce tribunal la société anonyme à participation ouvrière Nice M. et par dernières conclusions signifiées et déposées au greffe le 25 janvier 2011, lui demande au visa des articles 9 du code civile et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de :
– condamner la société Nice M. à lui payer la somme de 15 000 € à titre de dommage et intérêts en réparation de l’atteinte portée à son droit à l’image et au respect de sa vie privée,
– faire interdiction à la société Nice M., sous astreinte provisoire de 10 000 € par infraction constatée, passé un délai de huit jours à compter de la signification du jugement à intervenir, de procéder à toute nouvelle publication, sous quelque forme que ce soit de la photographie le représentant aux cotés de Lilou F., publiée sur le site www.nicem.com,
– se réserver la liquidation de l’astreinte,
– condamner la société Nice M. à lui payer la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du cpc, et aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Vincent Toledano,
– ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
Par dernières conclusions signifiées et déposées au greffe le 21 décembre 2010, la société Nice M. demande au tribunal, au visa de l’article 9 du code civil, de :
– débouter Clovis C. de ses demandes,
– à titre subsidiaire, proportionner la réparation de son préjudice à ce qu’il a réellement subi, constater que la mesure d’interdiction de reproduction de la photographie litigieuse est disproportionnée au regard du but poursuivi et condamner Clovis C. à lui payer la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
Le tribunal renvoie aux écritures des parties par application des dispositions des articles 455 et 753 du cpc pour un exposé plus amplement détaillé de leurs argumentaires, dont l’essentiel sera repris à l’occasion de l’examen des moyens et prétentions qui y sont articulés.
DISCUSSION
Sur les demandes de Clovis C.
Selon l’article 9 du code civil : « Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée ; ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé ».
L’article 8.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, intitulé « Droit au respect de la vie privée et familiale » dispose, quant à lui que : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. »
Le droit au respect de la vie privée de toute personne est garanti par ces articles et permet à chacun, quelle que soit sa notoriété, de s’opposer à la diffusion, sans son autorisation, d’informations la concernant, en dehors de tout événement d’actualité ou de tout débat d’intérêt général.
De même, chacun dispose d’un droit exclusif sur son image et peut légitimement s’opposer à sa fixation sur tous supports, à sa reproduction ou à son utilisation sans son autorisation préalable.
Sur l’atteinte à la vie privée
Le propos essentiel de l’article poursuivi est de s’interroger sur la « divine idylle » de Clovis C. avec la jeune actrice Lilou F. à l’égard de laquelle il aurait « multiplié les gestes de tendresse » sur la place des Lices à Saint–Tropez.
Ce faisant la société Nice M. ne rapporte la preuve d’aucune déclaration publique de Clovis C. sur un sujet qui touche au cœur de l’intimité de sa vie privée et ne peut être qualifié d’anodin, peu important que le demandeur soit apparu en compagnie de Lilou F. en un lieu public très fréquenté, notamment par des personnalités célèbres.
Sur l’atteinte au droit à l’image
La photographie illustrant cet article fautif a été fixée à l’insu de Clovis C., dans un moment de détente et publiée sans son autorisation.
Son droit à l’image s’en trouve ainsi violé.
Sur le préjudice allégué
La seule constatation de la violation de la vie privée ou bien de celle du droit à l’image ouvre droit à réparation du préjudice moral que cette violation engendre nécessairement, son évaluation étant souverainement appréciée par le juge en fonction des éléments qui lui sont librement soumis par les parties, au jour où il statue.
Clovis C., qui justifie du souci de voir sa vie privée préservée au moyen de précédentes instances qu’il a engagées contre d’autres organes de presse, ne rapporte cependant pas la preuve de la durée de mise en ligne de l’article litigieux ni du nombre de visites que cet article a reçues et donc de l’ampleur de sa diffusion, ni du fait que cet article est toujours diffusé par la société défenderesse.
Le demandeur ne justifie ainsi pas d’un préjudice à la hauteur de ses demandes indemnitaires, celui-ci étant justement réparé par la condamnation de la société Nice M., en sa qualité d’éditrice du site internet www.nicem.com, à lui payer la somme de 3000 €, à titre de dommages et intérêts.
Il sera, en revanche, fait droit à la demande d’interdiction de toute nouvelle publication de la photographie litigieuse, intrinsèquement attentatoire à la vie privée de Clovis C., dans les conditions énoncées au dispositif, ce cliché ne pouvant s’inscrire dans le périmètre d’une légitime liberté d’expression, laquelle se heurte en l’espèce à la protection des droits de la personnalité, que la société Nice M., professionnel spécialement avisé, ne saurait légitimement violer.
Sur l’article 700 du cpc
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Clovis C. les frais par lui exposés et non compris dans les dépens. La société Nice M. sera condamnée à lui verser la somme de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du cpc.
Sur les dépens
La société Nice M., partie perdante, sera condamnée aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Vincent Toledano, en application de l’article 699 du cpc.
Sur l’exécution provisoire
L’exécution provisoire est nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, eu égard à son caractère indemnitaire et à la défense de nouvelle publication de la photographie litigieuse ordonnée sous astreinte.
DECISION
Par ces motifs, le tribunal :
. Condamne la société anonyme à participation ouvrière Nice M. à payer à Clovis C. :
– la somme de 3000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte portée à sa vie privée et à son droit à l’image,
– la somme de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du cpc,
. Interdit à la société anonyme à participation ouvrière Nice M. de procéder à toute nouvelle publication de la photographie représentant Clovis C., publiée en illustration de l’article intitulé « Clovis C. roucoule sur la place des Lices à Saint-Tropez » sur le site www.nicem.com, le 2 août 2010 à 10h28, sous astreinte de 10 000 € par infraction constatée suivant la signification du présent jugement,
. Se réserve la liquidation éventuelle de l’astreinte,
. Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
. Condamne la société anonyme à participation ouvrière Nice M. aux dépens,
. Ordonne l’exécution provisoire.
Le tribunal : Mme Nicole Girerd (1ère vice présidente), Mme Marianne Raingeard et M. François Leplat (vice présidents)
Avocats : Me Vincent Toledano, Me Gérard Haas
Voir la deuxième affaire jointe
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