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Jurisprudence : Vie privée

lundi 16 mai 2011
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Tribunal de grande instance de Nanterre 1ère chambre Jugement du 28 avril 2011

Clovis C. / Corse Presse, Nice M.

éditeur - hébergeur - mentions légales - vie privée

FAITS

Clovis C. a fait constater par huissier de justice la publication, le 2 août 2010 à 10h16, sur le site internet www.varm.com d’un article intitulé « Clovis C. roucoule sur la place des Lices à Saint-Tropez », illustré d’une photographie, le montrant en compagnie d’une jeune femme, ainsi commentée : « Clovis C. était avec sa compagne Lilou F. sur la place des Lices à Saint-Tropez à l’occasion d’une partie de pétanque improvisée ».

Considérant que cette publication porte atteinte à l’intimité de sa vie privée et à son droit à l’image, Clovis C. a poursuivi la société anonyme Corse Presse, mentionnée sur ce site comme étant sa société éditrice, puis dans un deuxième temps la société anonyme à participation ouvrière Nice M., en réparation du préjudice qui en découle.

PRETENTIONS

Par actes du 20 août 2010, Clovis C. a fait assigner devant ce tribunal la société anonyme Corse Presse en lui demandant au visa des articles 9 du code civile et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de :
– condamner la société Corse Presse à lui payer la somme de 10 000 € à titre de dommage et intérêts en réparation de l’atteinte portée à son droit à l’image et au respect de sa vie privée,
– faire interdiction à la société Corse Presse, sous astreinte provisoire de 10 000 € par infraction constatée, passé un délai de huit jours à compter de la signification du jugement à intervenir, de procéder à toute nouvelle publication, sous quelque forme que ce soit de la photographie le représentant aux cotés de Lilou F., publiée sur le site www.varm.com,
– se réserver la liquidation de l’astreinte,
– condamner la société Corse Presse à lui payer la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du cpc, et aux dépens, incluant le coût du procès-verbal de constat de l’huissier de justice, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Vincent Toledano,
– ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.

Par acte du 14 janvier 2011, Clovis C. a fait assigner devant ce tribunal la société anonyme à participation ouvrière Nice M., contre laquelle il a, aux mêmes visas, formé les mêmes demandes tout en sollicitant la jonction des deux instances.

Enregistrée sous n°RG 11/00867, cette deuxième affaire a été jointe à la présente instance par ordonnance du 7 février 2011.

Par dernières conclusions signifiées et déposées au greffe le 1er mars 2011, Clovis C. maintient ses demandes initiales en sollicitant la condamnation in solidum des deux sociétés défenderesses.

Il y ajoute la demande de condamnation in solidum de la société Corse Presse et de la société Nice M. à lui payer la somme de 15 000 € de dommages et intérêts pour ne pas avoir accompli les diligences nécessaires en vue de retirer promptement l’article poursuivi, sans que ces sociétés puissent se prévaloir des dispositions de l’article 6-1-2 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et porte sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à 4300 €, en ce compris le coût du procès-verbal d’huissier de justice du 2 août 2010.

Par dernières conclusions signifiées et déposées au greffe le 21 décembre 2010, la société Corse Presse demande au tribunal, au visa de l’article 9 du code civil, de :
– la déclarer hors de cause
– débouter Lilou F. de ses demandes,
– à titre subsidiaire, proportionner la réparation de son préjudice à ce qu’il a réellement subi ; constater que la mesure d’interdiction de reproduction de la photographie litigieuse est disproportionnée au regard du but poursuivi et condamner Lilou F. à lui payer la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

Sur l’observation du président, à l’audience de plaidoirie du 14 mars 2011, il a été acté, avec l’assentiment des conseils des parties représentées que, dans les conclusions en défense de la société Corse Presse, il convient de lire Clovis C. en lieu et place de Lilou F. et que, de même, dans le dispositif des dernières conclusions de Clovis C., il convient de remplacer « Nicem.com » par « Varm.com ».

L’affaire a été clôturée à l’audience.

La société Nice M. n’a pas constitué avocat.

Le tribunal renvoie aux écritures des parties par application des dispositions des articles 455 et 753 du cpc pour un exposé plus amplement détaillé de leurs argumentaires, dont l’essentiel sera repris à l’occasion de l’examen des moyens et prétentions qui y sont articulés.

DISCUSSION

Sur la mise hors de cause de la société Corse Presse

Alors que Me Patrick Okerman, dans le procès-verbal de constat qu’il a adressé le 2 août 2010 pour le compte du demandeur a noté que la société anonyme Corse Presse apparaissait, au titre des mentions légales, comme étant l’éditeur du site www.varm.com, celle-ci évoque une « bug informatique, qui a été corrigé depuis », la société éditrice étant en fait la société Nice M., également mentionnée dans le texte comme étant l’éditrice du site et la titulaire du copyright ©.

La société Nice M. ne s’étant pas constituée pour confirmer les affirmations de la société Corse Presse, il y a lieu de relever l’ambigüité des mentions légales relevées sur ce site lors du constat d’huissier de justice et ainsi de garder la société Corse Presse dans les liens de la cause.

Il convient en effet de relever que l’extrait, non certifié, des mentions légales du site www.varm.com, édité par elle le 10 décembre 2010 et versé aux débats, ne préjuge en rien de la qualité d’éditeur de la société Nice M. à la date du constat, le 2 août précédent.

Sur les demandes de Clovis C.

Selon l’article 9 du code civil : « Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée ; ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé ».

L’article 8.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, intitulé « Droit au respect de la vie privée et familiale » dispose, quant à lui que : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. »

Le droit au respect de la vie privée de toute personne est garanti par ces articles et permet à chacun, quelle que soit sa notoriété, de s’opposer à la diffusion, sans son autorisation, d’informations la concernant, en dehors de tout événement d’actualité ou de tout débat d’intérêt général.

De même, chacun dispose d’un droit exclusif sur son image et peut légitimement s’opposer à sa fixation sur tous supports, à sa reproduction ou à son utilisation sans son autorisation préalable.

Sur l’atteinte à la vie privée

Le propos essentiel de l’article poursuivi est de s’interroger sur la « divine idylle » de Clovis C. avec la jeune actrice Lilou F. à l’égard de laquelle il aurait « multiplié les gestes de tendresse » sur la place des Lices à Saint–Tropez.

Ce faisant, la société Corse Presse ne rapporte la preuve d’aucune déclaration publique de Clovis C. sur un sujet qui touche au cœur de l’intimité de sa vie privée et ne peut être qualifié d’anodin, peu important que le demandeur soit apparu en compagnie de Lilou F. en un lieu public très fréquenté, notamment par des personnalités célèbres.

Sur l’atteinte au droit à l’image

La photographie illustrant cet article fautif a été fixée à l’insu de Clovis C., dans un moment de détente et publiée sans son autorisation.

Son droit à l’image s’en trouve ainsi violé.

Sur l’absence de mention des coordonnées de l’hébergeur

Se référant aux dispositions de l’article 6 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, Clovis C. entend retenir la qualité d’hébergeur des sociétés Corse Presse et Nice M. pour demander leur condamnation in solidum à l’indemniser du fait de l’absence de prompt retrait de l’article litigieux du site internet sur lequel il a été publié.

Outre le fait qu’il ne produit aucune pièce permettant au tribunal de confirmer son affirmation de maintien en ligne de l’article litigieux, Clovis C. ne saurait à la fois retenir la qualité d’éditeur des sociétés défenderesses pour leur demander la réparation de son préjudice, sur le fondement de l’article 9 du code civil et celle d’hébergeur, exclusive de la première, pour les voir condamner au titre d’un prétendu manque de diligence à retirer du site litigieux le contenu illicite qui leur a été signalé, par application des dispositions de l’article 6-I-2 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

Clovis C. sera donc débouté de ce chef de demande.

Sur le préjudice allégué

La seule constatation de la violation de la vie privée ou bien de celle du droit à l’image ouvre droit à réparation du préjudice moral que cette violation engendre nécessairement, son évaluation étant souverainement appréciée par le juge en fonction des éléments qui lui sont librement soumis par les parties, au jour où il statue.

Clovis C., qui justifie du souci de voir sa vie privée préservée au moyen de précédentes instances qu’il a engagées contre d’autres organes de presse, ne rapporte cependant pas la preuve de la durée de mise en ligne de l’article litigieux ni du nombre de visites que cet article a reçues et donc de l’ampleur de sa diffusion, ni du fait que cet article est toujours diffusé par la société défenderesse.

Le demandeur ne justifie ainsi pas d’un préjudice à la hauteur de ses demandes indemnitaires, celui-ci étant justement réparé par la condamnation de la société Nice M., en sa qualité d’éditrice du site internet www.nicem.com, à lui payer la somme de 3000 €, à titre de dommages et intérêts.

Il sera, en revanche, fait droit à la demande d’interdiction de toute nouvelle publication de la photographie litigieuse, intrinsèquement attentatoire à la vie privée de Clovis C., dans les conditions énoncées au dispositif, ce cliché ne pouvant s’inscrire dans le périmètre d’une légitime liberté d’expression, laquelle se heurte en l’espèce à la protection des droits de la personnalité, que la société Nice M., professionnel spécialement avisé, ne saurait légitimement violer.


Sur l’article 700 du cpc

Il serait inéquitable de laisser à la charge de Clovis C. les frais par lui exposés et non compris dans les dépens, incluant notamment les frais d’huissier de justice relatifs au procès-verbal dressé le 2 août 2010. La société Corse Presse et la société Nice M. seront condamnées in solidum à lui verser la somme de 2300 € sur le fondement de l’article 700 du cpc.


Sur les dépens

La société Corse Presse et la société Nice M., parties perdantes, seront condamnée in solidum aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Vincent Toledano, en application de l’article 699 du cpc.

Sur l’exécution provisoire

L’exécution provisoire est nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, eu égard à son caractère indemnitaire et à la défense de nouvelle publication de la photographie litigieuse ordonnée sous astreinte.

DECISION

Par ces motifs, le tribunal :

. Rejette la demande de mise hors de cause de la société anonyme Corse Presse,

. Condamne in solidum la société anonyme Corse Presse et la société anonyme à participation ouvrière Nice M. à payer à Clovis C. :
– la somme de 3000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte portée à sa vie privée et à son droit à l’image,
– la somme de 2300 € sur le fondement de l’article 700 du cpc,

. Interdit à la société anonyme Corse Presse et la société anonyme à participation ouvrière Nice M. de procéder à toute nouvelle publication de la photographie représentant Clovis C., publiée en illustration de l’article intitulé « Clovis C. roucoule sur la place des Lices à Saint-Tropez » sur le site www.varm.com, le 2 août 2010 à 10h16, sous astreinte de 10 000 € par infraction constatée suivant la signification du présent jugement,

. Se réserve la liquidation éventuelle de l’astreinte,

. Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

. Condamne in solidum la société anonyme Corse Presse et la société anonyme à participation ouvrière Nice M. aux dépens,

. Ordonne l’exécution provisoire.

Le tribunal : Mme Nicole Girerd (1ère vice présidente), Mme Marianne Raingeard et M. François Leplat (vice présidents)

Avocats : Me Vincent Toledano, Me Gérard Haas

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.