Jurisprudence : Droit d'auteur
Tribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 2ème section Jugement du 27 mai 2011
Legende Llc et autres / MG Demand Holding et autres
autorisation - commercialisation - constat - droit d'auteur - e-commerce - photo - preuve - reproduction
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
Alberto D. G., dit Korda, est l’auteur de la photographie représentant Che Guevara intitulée “Guerillero Heroico”, dite « photographie du Che au béret et à l’étoile”, et réalisée le 6 mars 1960 à La Havane (Cuba).
Suivant contrat en date du 25 mai 1995, Korda aurait cédé à Monsieur Patrick M. les droits d’exploitation, de reproduction et de diffusion de ladite photographie pour une durée de dix ans, prorogée jusqu’au 24 mai 2008 suivant avenant en date du 5 septembre 2002.
Par testament en date du 5 février 1999, Korda, décédé le 25 mai 2001, a désigné sa fille, Madame Diana Evangelina D. L. comme légataire universelle de sa succession.
Monsieur Patrick M. a déposé le 18 janvier 2002 une marque communautaire reproduisant la photographie en cause et enregistrée le 13 novembre 2003 sous le n° 002550036 pour désigner des produits et services des classes 16, 25 et 41.
Suivant acte sous seing privé en date du 14 avril 2002, Monsieur Patrick M. aurait concédé une licence d’exploitation de ladite photographie à la société de droit américain Legende Llc.
La société Legende Llc, Monsieur Patrick M. et Madame Diana Evangelina D.L. ont exposé avoir été informés qu’un parfum commercialisé sous la marque “Max Gordon” et dénommé “ Che Guevara ” reproduisait cette photographie et avoir constaté que la société MG Demand Holding AG était titulaire de la marque internationale “Max Gordon” n° 813659 et que la commercialisation du parfum litigieux était réalisée, notamment par le biais d’internet, par les sociétés Dentago Handels AG et Dober SL.
Selon actes d’huissier en date du 14 décembre 2006, ils ont fait assigner les sociétés MG Demand Holding AG, Dentago Handels AG et Dober SL devant le Tribunal de Grande Instance de Paris en contrefaçon de droits d’auteur aux fins d’obtenir leur condamnation à payer à titre de dommages-intérêts à Madame Diana Evangelina D. L. la somme de 50 000 € en réparation de son préjudice moral et à la société Legende Llc et Monsieur Patrick M. la somme de 675 000 € en réparation de leur préjudice pécuniaire, ainsi que la somme de 6000 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile, le tout sous le bénéfice de l’exécution provisoire.
Par actes d’huissier en date du 7 juin 2007, la société Legende Llc, Monsieur Patrick M. et Madame Diana Evangelina D. L. ont par ailleurs fait assigner aux mêmes fins la société Senteurs de France, qui commercialiserait sur son site internet accessible à l’adresse www.senteursfrance.com le parfum litigieux, et la société Parfum Art, dont le nom figure au dos dudit parfum.
Suivant actes d’huissier en date des 30 et 31 octobre 2007, ils ont assigné en intervention forcée et aux mêmes fins Monsieur Peter F., revendeur du produit en cause via le site internet www.ebay.de, et de nouveau la société Senteurs de France.
Par ordonnance en date du 16 mai 2008, le juge de la mise en état a ordonné la jonction des instances n° 07/16301, n° 07/15058 et n° 07/13181 à l‘instance n° 07/01108, débouté la société Legende Llc, Monsieur Patrick M.et Madame Diana Evangelina D. L. de leur demande de production forcée de pièces et de leur demande tendant à voir constater l’irrecevabilité de toute contestation ultérieure relative à la compétence générale des juridictions françaises, rejeté la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la société Dober Import Export SL et renvoyé l’affaire à la mise en état.
Par ordonnance du 6 février 2009, le juge de la mise en état a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par Monsieur Peter F. et le surplus des incidents.
Par ordonnance du 23 octobre 2009, le juge de la mise en état a rejeté l’exception d’incompétence et les fins de non recevoir soulevées par la société Legende llc, Madame Diana Evangelina D. L., Monsieur Jean M., Madame Jacqueline M. et Madame Martine M., prononcé la nullité de l’assignation délivrée à Monsieur Peter F. le 31 octobre 2007 notamment par Monsieur Patrick M. décédé le 7 août 2007 et de l’ensemble des actes de procédure subséquents, ordonné le retrait du rôle de la procédure enregistrée sous le n° 07/01108 et condamné la société Legende Llc, Madame Diana Evangelina D. L., Monsieur Jean M., Madame Jacqueline M. et Madame Martine M. aux entiers dépens de la procédure.
La procédure a été rétablie sous le n° 10101066 sur conclusions signifiées le 10 novembre 2009 par la société Legende Llc et Madame Diana Evangelina D. L. ainsi que par Monsieur Jean M., Madame Jacqueline M. et Madame Martine M. intervenants volontaires à la procédure en leurs qualités d’ayants droit de Patrick M. décédé.
Par actes d’huissier en date des 18 et 19 novembre 2009, la société Legende Llc, Madame Diana Evangelina D. L., Monsieur Jean M., Madame Jacqueline M. et Madame Martine M. ont fait assigner la société Senteurs de France et Monsieur Peter F. aux mêmes fins.
Par ordonnance en date du 18 mars 2010, le juge de la mise en état a ordonné la jonction de cette procédure enregistrée sous le n° 10/02310 avec celle portant le n° 10/01066.
Par dernières écritures signifiées le 3 février 2011, la société Legende Llc, Madame Diana Evangelina D. L., Monsieur Jean M., Madame Jacqueline M. et Madame Martine M. demandent au tribunal, au visa des articles L121-1 et L. 122-4 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle ainsi que 1382 du Code Civil, de :
– déclarer irrecevables et mal fondées l’ensemble des demandes des défendeurs,
déclarer les conclusions et pièces de la société Senteurs de France irrecevables, sur le fondement de l’article 59 du Code de Procédure Civile, en raison du défaut de production d’un extrait Kbis, un contrat de bail et une facture d’électricité en son nom datant de moins de 3 mois suite aux significations infructueuses à l’égard de ladite société et de son gérant,
– les dire et juger recevables et bien fondés en leurs demandes,
– déclarer recevable l’intervention volontaire des trois héritiers de Monsieur Patrick M., Monsieur Jean M., Madame Jacqueline M. et Madame Martine M.,
– dire et juger que le constat d’huissier du 27 novembre, du 5 et 6 décembre 2006 a force probante, à tout le moins, en tant que preuve simple de la commercialisation des produits litigieux,
– dire et juger que les sociétés Dentago Handels, MG Demand Holding, Dober, Parfum Art France, Senteurs de France et Monsieur Peter F. se sont rendus coupables de contrefaçon des droits portant sur la photographie litigieuse, portant ainsi atteinte aux droits d’auteur moraux et patrimoniaux détenus par Madame D. L., la société Legende Llc et les héritiers de Monsieur M.,
– condamner in solidum les défendeurs à leur payer collectivement la somme de 675 000 € à titre de dommages et intérêts pour les préjudices matériels subis en France et à l’étranger,
– condamner in solidum les défendeurs à payer à Madame D. L. la somme de 50 000 €, à titre de dommages et intérêts pour les préjudices moraux subis en France et à l’étranger subi par elle pour non respect de ses droits à l’intégrité et à la paternité de l’œuvre,
– faire interdiction aux défendeurs de reproduire, de publier, d’utiliser et de diffuser, sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit, la reproduction litigieuse de la photo, sous astreinte de 500 € par jour pour chaque infraction constatée à compter du prononcé du jugement à intervenir,
– condamner in solidum les défendeurs à la publication, à leurs frais, du jugement dans 5 journaux nationaux ou internationaux de leur choix, le coût de chacune de ces publications ne pouvant excéder 5000 € HT, les défendeurs disposant d’un délai de 5 jours pour leur verser le prix TTC sur simple présentation par ces derniers du devis,
– ordonner la publication sur la totalité des pages d’accueil des sites internet des défendeurs du dispositif du jugement à intervenir de manière visible à l’ouverture de la page à l’écran sans qu’il soft besoin d’utiliser l’onglet déroulant (en police Times New Roman, taille 12) sur fond blanc et dans une police de couleur rouge, aux frais des défendeurs, et sous astreinte de 250 € par jour de retard, sous 15 jours à compter du prononcé du jugement à intervenir,
– condamner in solidum les défendeurs à leur verser à chacun la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
– condamner solidairement les défendeurs aux entiers dépens, incluant tous les frais de constats d’huissier et de traduction des assignations et des pièces afférentes à cette procédure,
– ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
Par dernières écritures signifiées le 9 décembre 2010, la société Senteurs de France entend voir :
– déclarer la société Legende Llc, Mme Diana Evangelina D. L. Monsieur Jean M. et Mesdames Jacqueline et Martine M. irrecevables en leur action,
– en toute hypothèse, dire les prétentions de la société Legende Llc, Madame Diana Evangelina D. L. Monsieur Jean M. et Mesdames Jacqueline et Martine M. mal fondées et les en débouter,
– condamner la société Legende Llc, Madame Diana Evangelina D. L. Monsieur Jean M. et Mesdames Jacqueline et Martine M. à lui payer la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi que celle de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 Code de Procédure Civile,
– les condamner (solidairement dans les motifs) aux entiers dépens, dont distraction au profit de son conseil.
Par dernières écritures signifiées le 3 février 2011, la société Parfum Art France entend voir :
– dire et juger que le jugement rendu par le Tribunal de La Havane le 29 mars 2002 est dépourvu d’autorité de la chose jugée et de force exécutoire en France faute d’avoir fait l’objet de la procédure d’exequatur prévue à l’article L.311-11 du Code de l’Organisation Judiciaire,
– constater que le contrat de sous-licence du 12 avril 2002 (pièce adverse n°12 ter) produit par les demandeurs est rédigé en anglais et devra donc être écarté des débats,
– dire et juger que le régime de protection de la photographie du “Che au béret et à l’étoile” relève de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques,
– dire et juger que la durée de protection de la photographie du ”Che au béret et à l’étoile” dans son pays d’origine, à savoir Cuba, est de 25 ans à partir de l’utilisation de l’œuvre conformément à l’article 47 de la loi cubaine n°14 du 28 décembre 1977 modifié par le décret-loi n°156 du 28 septembre 1994,
– dire et juger que la photographie du ”Che au béret et à l’étoile” n’est plus protégeable par le droit d’auteur depuis le 6 mars 1985,
– dire et juger que les demandeurs ne peuvent invoquer des droits moraux et patrimoniaux sur la photographie du “Che au béret et à l’étoile”,
– dire et juger que la SCP Benjamin et Anthony C. n’a pas respecté les règles de l’art applicables en matière de preuve informatique dans l’établissement du procès-verbal de constat en date des 27 novembre, 5 et 6 décembre 2006,
– dire et juger que les demandeurs ne rapportent pas la preuve qu’elle aurait commis des actes de contrefaçon de droit d’auteur et de la marque communautaire,
– dire et juger que les demandeurs ont engagé la présente action de manière abusive,
en conséquence,
– déclarer Madame Diana Evangelina D. L. dépourvue de qualité et de droit à agir au titre du droit moral,
– déclarer Monsieur Patrick M. et la société Legende Llc dépourvus de qualité et d’intérêt à agir au titre des droits patrimoniaux,
– prononcer la nullité du procès-verbal de constat en date des 27 novembre, 5 et 6 décembre 2006 à tout le moins son absence de force probante,
– déclarer les demandeurs irrecevables et mal fondés en l’intégralité de leurs demandes,
– les condamner solidairement à lui payer la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi que la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
– condamner les demandeurs aux entiers dépens.
Par dernières écritures signifiées le 1er mars 2011, la société Dober Import Export, faisant sienne l’argumentation soutenue par les codéfendeurs s’agissant de la recevabilité à agir de la société Legende et des héritiers de Monsieur M., entend voir :
– dire et juger qu’elle ne s’est nullement rendue coupable d’actes de contrefaçon,
– débouter purement et simplement les demandeurs de leurs prétentions,
– condamner solidairement les demandeurs à lui payer la somme de 50 000 € de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi que la somme de 50 000 €, en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
– condamner les défendeurs aux entiers dépens dont distraction au profit de son conseil.
Par dernières écritures signifiées le 2 mars 2011, Monsieur Peter F. entend voir :
– dire que les héritiers de Monsieur Patrick M., la société Legende Llc et Madame Diana Evangelina D. L. ne disposent ni du droit moral, ni des droits d’exploitation sur la photographie de Che Guevara et les déclarer irrecevables en leur action,
– dire et juger que la photographie litigieuse ne bénéficiait en décembre 2006, date des agissements poursuivis, d’aucune protection au titre du droit d’auteur et en conséquence débouter les demandeurs de l’ensemble de leurs demandes,
– constater que la cour d’Appel de Paris, dans ses arrêts du 21 novembre 2008 et du 21 mai 2010, a prononcé la nullité de la marque communautaire déposée par Monsieur Patrick M. le 18 janvier 2002 sous le n° 00 2 550 036 enregistrée le 13 novembre 2003 et publiée le 5 janvier 2007 et que les consorts M., la société Legende et Madame Diana Evangelina D. L. renoncent à leur action au titre de la marque,
– dire et juger que le procès-verbal de constat réalisé les 27 novembre, 5 et 6 décembre 2006 est nul ou à tout le moins dépourvu de force probante et l’écarter des débats,
– dire que les consorts M., la société Legende et Madame Diana Evangelina D. L. n’établissent aucune vente du produit litigieux, que ce soit en France ou à l’étranger et les débouter de l’ensemble de leurs demandes,
à titre subsidiaire,
– dire que les consorts M., la société Legende et Madame Diana Evangelina D. L. ne rapportent aucunement la preuve d’actes de contrefaçon commis en France par lui et les débouter de leurs demandes,
– dire et juger que les demandeurs ne rapportent aucunement la preuve des préjudices qu’ils allèguent et que la réparation des préjudices ne pourrait excéder 1 euro symbolique,
en toute hypothèse,
– condamner les consorts M., la société Legende et Madame Diana Evangelina D. L. in solidum à lui verser à la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi que la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
– prononcer l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
– condamner les demandeurs en tous les dépens de l’instance, dont distraction au profit de son conseil.
Par dernières écritures signifiées le 17 mars 2011, les sociétés MG Demand Holding et Dentago Handels entendent voir :
– dire que Monsieur Jean M., et Mesdames Martine et Jacqueline M., en leur qualité d’héritiers de Monsieur Patrick M., la société Legende et Madame Diana Evangelina D. L. ne disposent pas de droits sur la photographie dite “du Che au béret et à l’étoile” et les déclarer irrecevables en leur action,
– constater la nullité de la marque communautaire, déposée par Monsieur M. le 13 janvier 2002 sous le numéro 002550036, enregistrée le 13 novembre 2003 et publiée le 5 janvier 2004,
– dire que le procès-verbal de constat réalisé les 27 novembre, 5 et 6 décembre 2006 est nul, ou à tout le moins dépourvu de force probante, et l’écarter des débats,
– dire que les demandeurs n’apportent aucune preuve d’actes de contrefaçon en France et les dire mal fondés en l’ensemble de leurs demandes,
– condamner in solidum les demandeurs à leur verser la somme de 100 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait d’une action abusive ainsi que la somme de 50 000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
– prononcer l’exécution provisoire du jugement à intervenir,
– condamner les demandeurs en tous les dépens.
DISCUSSION
Sur la recevabilité des conclusions et pièces de la société Senteurs de France
Attendu que selon les dispositions de l’article 59 du Code de Procédure Civile, le défendeur doit, à peine d’être déclaré, même d’office, irrecevable en sa défense, faire connaître, s’il s’agit d’une personne morale, sa bonne, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente ; que se prévalant de ces dispositions, les demandeurs entendent voir déclarer les conclusions et pièces de la société Senteurs de France irrecevables en raison du défaut de production d’un extrait Kbis, un contrat de bail et une facture d’électricité en son nom datant de moins de 3 mois suite aux significations infructueuses à l’égard de ladite société et de son gérant ;
Mais attendu qu’il y a lieu de constater que la constitution de Maître Stéphane C. pour la société Senteurs de France, en date du 4 janvier 2010, mentionne que ladite société est une société de droit espagnol, et est représentée par son représentant légal Monsieur Daniel Mario P. ;
qu’aucun élément ne permettant de remettre en cause ces indications et dès lors que la société défenderesse n’a pu constituer avocat que parce qu’elle a été destinataire des actes introductifs d’instance délivrés à son encontre, il y a lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité ;
Sur la recevabilité à agir des demandeurs au titre des droits d’auteur
Attendu que pour contester la recevabilité à agir des demandeurs, la société Senteurs de France fait valoir qu’il n’est pas justifié de la protection de la photographie revendiquée par la loi espagnole de 1879 applicable sur le territoire de Cuba en matière de droits d’auteur, que la photographie incriminée n’est pas l’œuvre de Korda mais aurait pour auteur Monsieur Jim F., enfin que les héritiers de Patrick M. ne justifient d’aucune cession de droits à leur profit ;
que la société Parfum Art France ajoute que Madame Diana Evangelina D. L. ne justifie pas des droits qu’elle invoque, le jugement rendu par le Tribunal de la Havane sur lequel elle s’appuie étant dépourvu d’autorité de la chose jugée et de force exécutoire en France et contraire à l’ordre public français, qu’il n’est pas justifié des droits que détenait Patrick M., que la sous-licence concédée par ce dernier à la société Legende le privait de toute qualité à agir, enfin que cette dernière n’a produit le contrat sur lequel elle fonde son action qu’en langue anglaise non traduire par un traducteur ;
que la société Dober Import Export, faisant sienne l’argumentation développée de ce chef par les autres défenderesses, fait également valoir que les demandeurs ne justifient pas de la protection par le droit d’auteur de la photographie revendiquée ni être titulaires des droits qu’ils invoquent et que les héritiers de Patrick M. ne justifient d’aucune cession de droits à leur profit ;
que reprenant la même argumentation, Monsieur Peter F. indique que ni les héritiers de Patrick M. ni la société Legende n’établissent qu’ils bénéficient des droits d’exploitation sur la photographie en cause, et que cette photographie étant dans le domaine public, Madame D. L. n’établit pas sa qualité à agir ; qu’il ajoute que la photographie revendiquée n’est pas protégeable en vertu de la loi espagnole de 1879 et que tout au plus la protection a cessé en 1985 en application de la loi cubaine du 28 décembre 1977 relative au droit d’auteur, enfin que la condition de réciprocité prévue par la Convention de Berne n’est pas établie ;
que les sociétés MG Demand Holding et Dentago Handels font valoir de la même manière que la photographie “du Che au béret et à l’étoile” n’est plus protégée par le droit cubain depuis 1985 et ne l’était en tout état de cause pas en l’absence de dépôt constitutif de droits exigé par la loi espagnole de 1879, la Convention de Berne ne pouvant quant à elle s’appliquer en l’absence de réciprocité ; qu’elles ajoutent que les héritiers de Patrick M. ne sont pas recevables à agir pas plus que ce dernier en son temps, celui-ci ayant reconnu avoir concédé ses droits en sous licence à la société Legende, enfin que cette dernière fonde ses droits dans le cadre du présent litige sur un contrat non traduit en langue française ;
Attendu cependant que Korda, dont la titularité des droits sur la photographie en noir et blanc représentant Che Guevara en tenue militaire, intitulée “Guerillero Heroico” et connue comme étant la “photo du Che au béret et à l’étoile” n’est pas contestée, était de nationalité cubaine et que la Convention de Berne est entrée en vigueur à Cuba le 20 février 1997, de sorte qu’il doit être considéré comme un auteur ressortissant de l’un des pays de l’Union au sens de l’article 3-1- a de ladite Convention ;
que la première divulgation du cliché étant intervenue en avril 1961 à Cuba, le pays d’origine de l’œuvre au sens de la Convention est Cuba, et sa durée de protection est déterminée par le droit cubain, soit par la loi espagnole du 10 janvier 1879, qui prévoyait une protection des droits de l’auteur sa vie durant et 80 ans après sa mort, et ce sans qu’il soit besoin que la photographie en cause ait été enregistrée dès lors qu’elle relève des arts plastiques au sens de l’article 37 de ladite loi qui les définissaient connue étant “les tableaux, statues, les bas et hauts reliefs, les modèles d’architecture ou de topographie et de manière générale, toutes les œuvres picturales, sculpturales ou plastiques” ;
qu’en effet il ressort des pièces versées aux débats que cette loi est demeurée en application à Cuba jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 19 décembre 1977 sur la propriété intellectuelle, le principe de la non-rétroactivité des lois civiles étant proclamé tant par l’article 61 de la Constitution de la République de Cuba que par l’article 7 du Code civil cubain ;
Attendu que Korda étant décédé le 25 mai 2001, la photographie en cause n’est donc pas tombée dans le domaine public de son pays d’origine et la Convention de Berne s’applique à cette œuvre en vertu de son article 18 ;
Attendu d’autre part, que par testament en date du 5 février 1999, Alberto D. G. dit Korda a désigné sa fille, Madame Diana Evangelina D. L. comme légataire universelle de sa succession ;
que Madame D. L. a produit aux débats la copie certifiée conforme dudit testament et sa traduction en langue française, étant rappelé qu’en matière successorale, les meubles sont soumis à la loi du domicile du défunt et qu’en l’espèce le testateur, domicilié à La Havane, a pu ainsi valablement désigner en qualité d’unique héritière sa fille, ainsi que la copie certifiée conforme du jugement rendu par le Tribunal Populaire de la Province de la Havane le 29 mars 2002 et sa traduction en langue française, déposées le 9 avril 2003 au rang des minutes de Maître Zarcate, Notaire associé au Kremlin-Bicêtre (94), l’acte authentique, ayant lui-même été enregistré à la Recette des Impôts de Villejuif le même jour ;
Attendu par ailleurs que la qualité à agir de Patrick M., décédé le 10 août 2007, et partant celle de ses ayants droit déclarés comme tels par Maître Arnaud Galiber D’Auque, notaire à Maisons-Laffite, selon attestation en date du 17 décembre 2008, résulte de l’acte sous seing privé en date du 25 mai ou du 26 mai 1995 selon les versions française ou espagnole, lesquelles restent cependant opposables aux défendeurs, par lequel Alberto D. G. dit Korda a cédé à Patrick M. les droits d’exploitation de reproduction et de diffusion de ladite photographie, pour le monde entier et pour une durée de dix années, prorogée jusqu’au 24 mai 2008 suivant avenant en date du 5 septembre 2002 ;
Attendu que selon, acte sous seing privé non daté pour sa version anglaise mais dont la traduction porte la date du 14 avril 2002, Patrick M. a concédé une licence non exclusive d’exploitation de la photographie en cause à la société de droit américain Legende Llc pour une durée de un an renouvelable une fois pour une durée supplémentaire d’une année, soit jusqu’au 14 avril 2004, aucun élément du présent dossier ne venant en l’espèce établir que ledit contrat a été également poursuivi jusqu’au 25 mai 2008 comme l’affirment pourtant les demandeurs dans leurs écritures, les précédentes décisions de justice qu’ils opposent en ce sens étant inopérantes dès lors qu’elles ne concernent ni les faits ni les parties en cause ;
Attendu enfin que l’absence prétendue de reproduction de la photographie revendiquée ne constitue pas une fin de non recevoir mais relève de l’appréciation de la contrefaçon ;
Attendu qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que Monsieur Jean M., Madame Jacqueline M. et Madame Martine M., ayants droit de Patrick M. sont recevables à agir en contrefaçon des droits patrimoniaux d’auteur dont ils sont titulaires sur l’œuvre en cause, Madame Diana Evangelina D. L. étant quant à elle recevable à agir au titre de l’éventuelle atteinte à son droit moral ;
qu’en revanche la société Legende Llc dépourvue de droits depuis le 14 avril 2004 doit, quant à elle, être déclarée irrecevable à agir ;
Sur la contrefaçon de droits d’auteur
Attendu que l’article L. 121-1 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que “l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre.” ;
que selon l’article L. 122-4 du même Code, “toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. II en va de même pour la traduction, l‘adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque” ;
qu’en l’espèce les demandeurs, se fondant sur un procès-verbal de constat dressé les 27 novembre, 5 décembre et 6 décembre 2006 par Maître Benjamin C. et Maître Anthony C., huissier de justice associés à Paris, reprochent aux sociétés MG Demand Holding et Dentago Handels, Parfum Art, Dober et Senteurs de France ainsi qu’à Monsieur Peter F., la commercialisation d’un parfum dénommé “Che Guevara” exploité sous la marque “Max Gordon”, “fabriqué en France et en Europe”, et qui reproduirait sans autorisation, de façon dénaturante et sans mention de son nom, la photographie de Che dont Korda est l’auteur ;
que les défendeurs contestent la validité, ou à tout le moins la valeur probante de ce procès-verbal en faisant valoir, en substance, que les diligences techniques en matière de preuve sur internet n’ont pas été respectées ;
Attendu en effet, qu’il résulte de la lecture du constat d’huissier des 27 novembre, 5 décembre et 6 décembre 2006, que si l’huissier instrumentaire a bien procédé aux démarches de suppression des fichiers historiques et des caches, sans toutefois procéder aux impressions d’écran correspondantes ni supprimer les cookies, il n’a accompli cette démarche qu’une seule fois avant son intervention du 27 novembre 2006, alors que les opérations se sont déroulées en trois étapes et que les constats réalisés les 5 décembre et 6 décembre suivant, notamment sur le site internet eBay n’ont pas été précédés des mêmes diligences techniques permettant pas de s’assurer que les pages visitées n’ont pas été conservées dans la mémoire cache de l’ordinateur et du serveur proxy et que l’affichage porté à l’écran était bien d’actualité ;
que par ailleurs, l’huissier indique en page 6 du même constat avoir “stoppé cette nouvelle commande, mais en avoir imprimé le cheminement” puis avoir « imprimé les pages s‘affichant au cours de mes constatations” alors que les 29 pages qui suivent ces mentions ne permettent aucunement de tracer ce cheminement employé pour arriver aux pages imprimées et de faire le lien entre les différentes pages visitées et l’achat du parfum litigieux ;
Attendu que ces éléments suffisent, sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens supplémentaires des parties, à retirer toute force probante au constat d’huissier des 27 novembre, 5 décembre et 6 décembre 2006, sur lequel est fondée l’action en contrefaçon de droits d’auteur ;
Attendu que les demandeurs produisent également un procès-verbal de constat dressé le 23 novembre 2007 par Maître Estelle Molitor, huissier de justice associée à Paris qui révèle que celui-ci est constitué d’une série de captures d’écran du site www.archive.org ;
que cependant, il y a lieu de relever à l’instar des sociétés Senteurs de France et Dober Import Export SL que ce constat a été effectué à partir d’un site d’archivages exploité par un tiers à la procédure, qui est une personne privée sans autorité légale, et dont les conditions de fonctionnement sont ignorées ;
qu’il s’ensuit qu’il est également dépourvu de force probante quant au contenu, en 2007, des pages relatives au site “senteursfrance.com” qui au demeurant ne révèle aucune commercialisation du parfum incriminé ;
Attendu dans ces conditions, et à défaut d’éléments de preuve supplémentaire, que Madame Diana Evangelina D. L., Monsieur Jean M., Madame Jacqueline M. et Madame Martine M. doivent être déboutés de l’ensemble de leurs demandes formées au titre de contrefaçon de droits d’auteur sur l’œuvre considérée ;
Sur la contrefaçon de la marque n° 002550036
Attendu qu’il y a lieu de constater que le dernier état des écritures des demandeurs ne contient aucune demande relative à la marque communautaire n° 002550036 enregistrée le 13 novembre 2003 et publiée le 5 janvier 2004, celle-ci ayant été annulée par décisions de la cour d’appel de Paris en date des 21 novembre 2008 et 21 mai 2010 ;
qu’il n’y a donc pas lieu ni de “constater » ni de “confirmer” la nullité de ladite marque ;
qu’il n’y a pas lieu non plus d’en prononcer la déchéance comme le demandent les sociétés MG Demand et Dentago Handels et Monsieur F. dans les motifs de leurs dernières écritures, une telle demande reconventionnelle étant en l’espèce à la fois sans objet et irrecevable en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
Sur les demandes reconventionnelles en dommages-intérêts pour procédure abusive
Attendu que l’exercice d’une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus que dans le cas de malice, de mauvaise foi, ou d’erreur grossière équipollente au dol ;
que faute pour les parties défenderesses de rapporter la preuve d’une quelconque intention de nuire ou d’une légèreté blâmable de la part des demandeurs, qui ont pu légitimement se méprendre sur l’étendue de ses droits, leurs demandes tendant à voir condamner ces derniers au paiement de dommages-intérêts seront rejetées ;
Sur les autres demandes
Attendu qu’il y a lieu de condamner la société Legende Llc, Madame Diana Evangelina D. L., Monsieur Jean M., Madame Jacqueline M. et Madame Martine M., parties perdantes, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile par les avocats qui en ont fait la demande ;
qu’en outre, ils doivent être condamnés in solidum à verser aux défendeurs, qui ont dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir leur droits, une indemnité au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 2000 € chacun ;
Attendu qu’aucune circonstance de l’espèce ne justifie le prononcé de l’exécution provisoire de la présente décision.
DECISION
Le Tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,
– Rejette la demande formée par la société Legende Llc, Madame Diana Evangelina D. L., Monsieur Jean M., Madame Jacqueline M. et Madame Martine M. et tendant à voir déclarer irrecevables les conclusions et pièces de la société Senteurs de France.
– Déclare Madame Diana Evangelina D. L., Monsieur Jean M., Madame Jacqueline M. et Madame Martine M. recevables à agir en contrefaçon de droits d’auteur.
– Déclare la société Legende Llc irrecevable à agir au même titre.
– Rejette l’ensemble des demandes de Madame Diana Evangelina D. L., de Monsieur Jean M.de Madame Jacqueline M. et de Madame Martine M.
– Rejette les demandes reconventionnelles en dommages-intérêts pour procédure abusive.
– Condamne in solidum la société Legende Llc, Madame Diana Evangelina D. L., Monsieur Jean M., Madame Jacqueline M. et Madame Martine M. à payer à la société Dober Import Export SL, à la société Parfum Art France, à Monsieur Peter F., aux sociétés MG Demand Holding et Dentago Handels ensemble, et à la société Senteurs de France la somme de 2000 € chacun au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
– Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
– Condamne in solidum la société Legende Llc, Madame Diana Evangelina D. L., Monsieur Jean M., Madame Jacqueline M. et Madame Martine M. aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de Procédure Civile par les avocats qui en ont fait la demande.
– Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Le tribunal : Mme Véronique Renard (vice-présidente), M. Eric Halphen (vice-président), Mme Anne Chaply (juge)
Avocats : Me Randy Yaloz, Me Arnaud Casalonga, Me Benoît Charpentier, Me Fabienne Fajgenbaum, Me Michel Wolfer, Me Stéphane Coulaux
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