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Jurisprudence : Contenus illicites

mercredi 08 juin 2011
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Cour d’appel de Versailles 5ème chambre Arrêt du 31 mars 2011

Mickaël P. / Mireille B.-P.

contenus illicites - droit du travail - faute grave - licenciement - musique - peer to peer - personnel - salarié - telechargement - vie privée

FAITS ET PROCÉDURE

M. Mickaël P., âgé de 22 ans, a été embauché par Mme Mireille B.-P., huissier de justice, selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 7 juin 2004 en qualité d’aide-comptable en charge des statistiques et de la comptabilité de l’étude. Sa rémunération a été fixée à la somme mensuelle brute de 1350 € outre primes.

Le 26 février 2007, suite à un entretien avec quatre salariés de l’étude, M. Mickaël P. a donné sa démission selon un acte rédigé par lui-même faisant mention de l’absence d’exécution de son préavis mais de la prise de l’ensemble de ses congés annuels. Cet entretien avait été réalisé à la suite de la constatation pour M. S., directeur des opérations, que l’ordinateur mis à la disposition de M. Mickaël P. avait dû être arrêté car il laissait apparaître le téléchargement de fichiers musicaux du fait de l’installation du logiciel e-mule.

Par un courrier en date du 27 février 2007 M. Mickaël P. a informé son employeur qu’il rétractait sa démission et souhaitait reprendre son travail. Pour autant l’accès de l’étude lui a été interdite dès lors que M. Mickaël P. avait accepté de prendre la totalité des congés acquis.

A son retour dans l’étude le 27 mars 2007 Mme Mireille B.-P., huissier de justice, a convoqué M. Mickaël P. à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement fixé au 10 avril suivant et lui a notifié une mise à pied à titre conservatoire. Enfin, selon lettre recommandée avec demande d’avis de réception en date du 13 avril 2007 (reçue le 18 avril 2007) Mme Mireille B.-P., huissier de justice, a notifié à M. Mickaël P. son licenciement pour faute grave lui reprochant :
– la divulgation à l’ensemble des salariés de l’étude du salaire d’un cadre responsable de la plateforme, violant ainsi l’obligation de discrétion,
– le téléchargement illégal de fichiers musicaux depuis son poste de travail et en faisant usage de l’identité de l’étude.

M. Mickaël P., par deux courriers en date des 14 et 20 avril 2007, a déclaré qu’il n’avait jamais reconnu être responsable du téléchargement illégal sur son poste de travail.

Contestant les motifs du licenciement, M. Mickaël P. a fait convoquer Mme Mireille B.P., huissier de justice, le 5 octobre 2007 devant le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise afin d’obtenir sa condamnation au paiement du salaire impayé durant la mise à pied à titre conservatoire, des indemnités conventionnelles de rupture du contrat de travail et des dommages-intérêts pour licenciement abusif.

Par jugement en date du 28 novembre 2008 le conseil de prud’hommes a débouté M. Mickaël P. de toutes ses demandes.

M. Mickaël P. a régulièrement relevé appel de cette décision.

Vu les conclusions déposées et développées oralement à l’audience du 3 février 2011 par lesquelles, après avoir rappelé la chronologie des événements survenus depuis le 26 février 2007,

M. Mickaël P. précise qu’il a été contraint de démissionner et de prendre l’ensemble de ses congés annuels à compter du 26 février 2007 et qu’il conteste la validité du contrôle opéré par son employeur sur son ordinateur hors sa présence s’agissant de la consultation de documents identifiés comme personnels. Il fait valoir que son employeur ne rapporte pas la preuve que les impressions d’écran communiquées aux débats proviennent de son ordinateur et qu’il est l’auteur de l’installation d’un logiciel de téléchargement. Il sollicite en conséquence la condamnation de Mme Mireille B.-P., huissier de justice, au paiement des sommes de :
– 15 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif,
– 1599,25 € au titre du salaire impayé durant la mise à pied à titre conservatoire outre les congés payés afférents,
– 2992,28 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents,
– 423,98 € à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,
– 2000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
ces sommes portant intérêts au taux légal à compter de la saisine de la juridiction prud’homale pour ce qui concerne les créances salariales et à compter du jugement pour les créances indemnitaires.

Mme Mireille B.-P., huissier de justice, a conclu à la confirmation du jugement et à la condamnation de M. Mickaël P. au paiement d’une indemnité de 2000 € au titre des frais de procédure exposés.

Elle expose que la découverte de l’installation d’un logiciel permettant le téléchargement illégal de musique a été effectuée le vendredi 23 février 2007 alors que l’ordinateur habituellement mis à la disposition de M. Mickaël P. était justement en train de télécharger des fichiers musicaux.
Elle précise que le lundi suivant et en présence de M. Mickaël P. plusieurs personnes de l’étude ont fait constater à ce dernier l’existence du logiciel et le téléchargement illégal, tous faits qui ont été reconnus par le salarié qui a donné par écrit sa démission et pris immédiatement ses congés. Elle relève que la procédure de licenciement a dû être mise en œuvre lorsque M. Mickaël P. a remis en cause la validité de sa démission et a souhaité reprendre son travail à l’issue de ses congés. Enfin elle estime qu’elle ne pouvait conserver M. Mickaël P. à son poste alors qu’il avait gravement nui à l’étude en installant un logiciel peer to peer et en téléchargeant illégalement à partir de l’adresse internet de l’étude des fichiers musicaux.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l’exposé plus complet des moyens des parties, aux conclusions qu’elles ont déposées et soutenues oralement à l’audience du 3 février 2011.

DISCUSSION

Considérant selon l’article L. 1232-6 alinéas 1 et 2 du code du travail que “lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. Cette lettre comporte l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur” ; que selon l’article L. 1232-1 du même code tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ; qu’ainsi les faits invoqués et les griefs articulés à l’encontre du salarié doivent être exacts et établis et suffisamment pertinents pour justifier le licenciement ; qu’enfin selon l’article L. 1235-1 “en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié” ;

Considérant que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ; qu’il appartient à l’employeur qui entend se prévaloir de la faute grave de l’autre partie d’en rapporter seul la preuve et de démontrer qu’il a contraint le salarié à quitter son emploi dès la constatation de la faute ;

Considérant au cas présent que seul le téléchargement illégal est en litige devant la cour, aucun élément n’ayant été fourni sur le premier grief relatif à la divulgation d’informations confidentielles par M. Mickaël P. ;

Considérant qu’il résulte des explications fournies au cours de l’audience et des témoignages de plusieurs salariés de l’étude produits aux débats :
– que le vendredi 23 février 2007, hors la présence de M. Mickaël P., MM. G., L. et S. ont constaté que l’ordinateur habituellement mis à sa disposition procédait au téléchargement de fichiers musicaux à partir d’un logiciel (e-mule) et que la consultation du répertoire identifié “documents and settings/arche/mes documents/perso” faisait apparaître l’installation du logiciel e-mule à la date du 6 octobre 2006,
– que le lundi 26 février 2007, en présence de M. Mickaël P., l’ordinateur mis à sa disposition a fait à nouveau apparaître les mêmes données à partir du même répertoire ;

Considérant que si la découverte du logiciel e-mule, s’agissant d’un logiciel permettant le téléchargement illégal de musique, a nécessité l’ouverture d’un document identifié comme personnel à l’utilisateur de l’ordinateur il convient de relever que l’accès à un tel fichier a été effectué une première fois afin de mettre fin à un téléchargement automatique de données étrangères à l’étude B.-P. mais réalisé à partir de l’adresse IP de cette étude et a été effectué une seconde fois en présence de M. Mickaël P. ; qu’ainsi M. Mickaël P. ne peut invoquer l’irrégularité de l’ouverture du fichier ;

Considérant que tous les témoignages produits aux débats – établis par les salariés travaillant dans le même bureau que M. Mickaël P. au sein de l’étude B.-P. – sont suffisamment précis et circonstanciés pour permettre d’écarter la contestation élevée concernant l’attribution à ce salarié des données relevées sur l’ordinateur mis à sa disposition ; qu’aucun élément ne permet d’établir que l’installation du logiciel e-mule retrouvé dans le fichier personnel de M. Mickaël P. (sur lequel sont enregistrées d’autres données personnelles) a été réalisée à l’insu de ce salarié qui ne fait par ailleurs état d’aucun conflit avec la dirigeante de l’étude ou d’autres salariés bénéficiaires par délégation de pouvoirs de direction ;

Considérant en conséquence qu’il convient de confirmer le jugement déféré, l’installation d’un logiciel permettant le téléchargement illégal d’œuvres musicales à partir de l’adresse IP de l’étude B.-P. étant constitutive d’une faute grave rendant impossible le maintien de M. Mickaël P. à son poste de travail même pendant la durée du préavis ;

DECISION

Statuant par mise à disposition au greffe et par décision contradictoire,

. Confirme le jugement rendu le 28 novembre 2008 par le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise,

. Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

. Condamne M. Mickaël P. aux dépens d’appel.

La cour : Mme Jeanne Minini (président), M. Hubert Liffran et Mme Catherine Rouaud-Folliard (conseillers)

Avocat : Me Elisabeth Duret-Proux

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