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Jurisprudence : E-commerce

mardi 20 septembre 2011
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Tribunal de commerce de Paris 1ère chambre Jugement du 13 septembre 2011

Dimitech / Pixmania

condamnation - contrat - distribution - indemnisation - place de marchés - résiliation - responsabilité - rupture

FAITS

La société Pixmania exploite un site internet (www.pixmania.com) et a essentiellement pour activité la vente en ligne de produits technologiques.

Cette activité se décompose :
– d’une part, en vente directe à l’internaute, Pixmania agissant en qualité de distributeur,
– d’autre part en vente via une place de marché dénommée PixPlace qui est une plateforme de distribution pour les marchands / fournisseurs, Pixmania agissant alors en tant que mandataire.

Dans le premier cas, Pixmania revend au client final ses propres produits.
Dans le second cas, l’internaute passe commande à Pixmania, mais les commandes sont traitées par le fournisseur qui en assure la livraison et le SAV, Pixmania encaissant le prix de vente avant rétrocession au fournisseur, déduction faite de sa commission.

La société Dimitech et Pixmania sont entrées en relation début 2009. Dimitech a mis en ligne son catalogue de produits sur la place de marché de Pixmania. Le chiffre d’affaires sur ce catalogue s’est rapidement développé. Un contrat écrit régularisé en septembre 2010 a formalisé les relations entre Pixmania et Dimitech.
En décembre 2010, du jour au lendemain, Pixmania a interrompu le lien permettant l’accès de l’internaute aux produits Dimitech ; cette dernière a brutalement été privée de son chiffre d’affaires réalisé via la plateforme PixPlace. Pixmania justifie sa décision de rompre pour des motifs qui sont vivement contestés par Dimitech qui intente la présente action afin d’obtenir réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait de l’attitude de Pixmania.
En juin 2011, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l’encontre de Dimitech.

C’est dans ces conditions que le présent tribunal a été saisi.

PROCEDURE

Par une ordonnance sur requête en date du 12 avril 2011, le président du tribunal de commerce de Paris autorisait Dimitech à assigner Pixmania à bref délai.
Par une assignation en date du 14 avril 2011, Dimitech demande au tribunal :
• de condamner Pixmania à lui payer la somme de 839 287 € à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies,
• de condamner Pixmania à lui payer la somme de 8 643 303 € à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices résultant de la rupture abusive des relations commerciales,
• de condamner Pixmania à lui payer la somme de 100 000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
• de condamner Pixmania aux dépens,
• d’ordonner l’exécution provisoire.

Par des conclusions soutenues contradictoirement à l’audience du 4 juillet 2011, Pixmania demande au tribunal :
• à titre principal, de débouter Dimitech de l’ensemble de ses demandes,
• à titre subsidiaire, de débouter Dimitech de sa demande d’indemnisation reposant sur un préavis de 12 mois et ne retenir qu’un préavis de 30 jours, de la débouter de ses autres demandes y compris de sa demande d’exécution provisoire,
• reconventionnellement, de condamner Dimitech à lui payer la somme de 20 000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Lors de l’audience de plaidoiries du 4 juillet 2011, Maître Claude Maxime Weil intervient volontairement en la présente instance, es qualités d’administrateur judiciaire de la société Dimitech placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de grande instance de Colmar le 14 juin 2011 et déclare reprendre à son compte l’intégralité des demandes formées dans l’assignation délivrée par Dimitech.
L’ensemble de ces demandes fait l’objet du dépôt d’écritures échangées en présence d’un greffier qui en prend acte sur la cote de procédure.

A l’issue de l’audience du 4 juillet 2011 à laquelle les parties étaient représentées, et après les avoir entendues en leurs explications et observations, le tribunal ordonne la clôture des débats, met l’affaire en délibéré et dit que le jugement sera prononcé le 13 septembre 2011 à 15 h par sa mise à disposition au greffe conformément à l’article 450 du code de procédure civile.
En outre, le tribunal demande à Dimitech de lui faire parvenir, sans commentaires, en cours de délibéré, ses comptes pour les premiers mois de l’année 2011, avec copie adressée à Pixmania.

Le 8 juillet 2011, Dimitech fait parvenir au tribunal et à Pixmania 2 attestations établies le 6 juillet 2011 par son expert-comptable.
Le 19 juillet 2011, Pixmania écrit au tribunal pour commenter les attestations établies par l’expert-comptable de Dimitech.
Ce courrier n’ayant pas été sollicité, il sera écarté des débats.

MOYENS

Dimitech expose qu’un partenariat a été mis en place avec Pixmania début 2009, selon lequel les produits de Dimitech étaient proposés à la vente sur la place de marché de Pixmania.
Pixmania s’est immiscée dans sa politique commerciale (prix de vente imposés, demande de nouveaux produits, ouverture de nouveaux pays). En quelques mois, le chiffre d’affaires de Dimitech généré grâce à la place de marché de Pixmania atteignait 6,5 millions d’€ par an.

En septembre 2010, Pixmania exigeait soudainement de Dimitech la signature d’un contrat antidaté.
Le 10 décembre 2010, Dimitech apprenait que son compte sur la place de marché avait été clôturé par Pixmania la veille à 20 h.
Cette rupture très brutale et non justifiée lui a causé un préjudice qu’il convient de réparer, Pixmania rétorque que la rupture est justifiée par l’application de l’article 12 du contrat relatif à l’évaluation du fournisseur (Dimitech). En l’espèce, le taux d’insatisfaction des clients dépassait les limites contractuellement prévues ce qui justifiait de la résiliation immédiate.
Dimitech précise qu’au moment de la rupture, ses ventes via la plateforme de Pixmania représentaient 40 % de son chiffre d’affaires global. Cette rupture, sans aucun préavis, doit être qualifiée de brutale. Au visa de l’article L 442-6-1 §5 du code de commerce, il y a lieu de réparer le préjudice sur la base de la marge réalisée pendant 12 mois qui aurait dû être la durée du préavis.
En outre, il y a lieu de réparer les conséquences d’une rupture abusive au visa des articles 1134 et 1147 du code civil. Le préjudice réparable se décompose en perte de chiffre d’affaires, préjudice commercial et perte d’image.
En conséquence de l’attitude de Pixmania, Dimitech a été contrainte de déposer une DCP le 9 juin 2011 et par jugement du TGI de Colmar en date du 14 juin 2011, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte, Maître Weil ayant été nommé administrateur.

Pixmania réplique tout d’abord qu’il est impossible de cumuler les responsabilités délictuelle et contractuelle et que la demande de Dimitech devra être examinée sous le seul angle de l’article L 442-6-1-5 du code de commerce.
Pour Pixmania, la résiliation pouvait intervenir sans préavis en cas d’inexécution par Dimitech de ses obligations contractuelles, ce qui était bien le cas en l’espèce puisque les stipulations du contrat ont été strictement appliquées.

Sans qu’il soit nécessaire de reprendre plus en détail les moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions, le tribunal, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, renverra à l’acte introductif d’instance de Dimitech et aux écritures déposées par Pixmania le 4 juillet 2011.

DISCUSSION

Sur l’intervention volontaire de Maître Weil

Le tribunal constatera l’intervention volontaire de Maître Claude Maxime Weil en la présente instance, es qualités d’administrateur judiciaire de la société Dimitech placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de grande instance de Colmar le 14 juin 2011 et constatera qu’il reprend à son compte l’intégralité des demandes formées dans l’assignation délivrée par Dimitech.


Sur la rupture des relations commerciales

Attendu qu’il n’est pas contesté :
– que les relations commerciales entre Dimitech et Pixmania ont commencé en mai 2009,
– que ces relations se sont déroulées en l’absence de contrat écrit jusqu’en septembre 2010,
– qu’à la demande expresse de Pixmania, un contrat d’adhésion à la plateforme vendeurs a été régularisé en septembre 2010 mais antidaté au 13 mai 2009,
– que ces relations ont été, à l’initiative de Pixmania, rompues sans préavis le 9 décembre 2010 ;

Attendu qu’entre le 13 mai 2009 et le 10 décembre 2010, ces relations ont été continues et en augmentation régulière ;

Attendu que le tribunal examinera successivement les points qui suivent afin d’apprécier les circonstances de la rupture décidée par Pixmania :
– analyse des cas de rupture du contrat prévus à l’article 12,
– charge de la preuve,
– détermination des évaluations et du taux de satisfaction,
– justifications de la décision de rompre, prise

1/ Analyse des cas de rupture du contrat prévus à l’article 12
Attendu qu’il convient de reproduire l’essentiel de l’article 12 (Fin de l’adhésion du Vendeur à la Plateforme) des conditions générales de vente dudit contrat d’adhésion, article dont les conditions d’application font l’objet du présent litige :
« 12.1 Le Vendeur, comme Pixmania, peut à tout moment mettre fin à l’adhésion […] par l’envoi à l’autre partie d’un courrier électronique ou d’une notification sur l’Espace de la Plateforme moyennant le respect d’un préavis de trente (30) jours.
Chacune des parties peut mettre fin au présent contrat en cas de manquement de l’autre partie resté non réparé dix (10) jours après l’envoi d’une mise en demeure.
12.2 Pixmania peut à tout moment sur simple notification adressée au Vendeur par courrier électronique ou sur son Espace exclure le Vendeur de la Plateforme moyennant le respect d’un préavis de dix (10) jours en cas de manquement du Vendeur à ses obligations […].
12.3 Pixmania peut à tout moment sur simple notification adressée au Vendeur par courrier électronique ou sur son Espace exclure immédiatement le Vendeur de la Plateforme sans indemnité en cas de manquement grave et non réparable du Vendeur à ses obligations […] et notamment en cas de :
– […],
– évaluations positives inférieures à 90 %
– […],

Le tribunal constate qu’il existe une progressivité des circonstances permettant de mettre fin au contrat :
• que les parties ont chacune la faculté de rompre amiablement le contrat à tout moment moyennant un préavis de 30 jours,
• qu’elles disposent également de la faculté de rompre moyennant un préavis de 10 jours en cas de manquement non corrigé, la nature d’un tel manquement n’étant pas précisée,
• qu’en outre, Pixmania peut exclure le vendeur moyennant un préavis de 10 jours en cas d’inexécution non corrigée de ses obligations contractuelles,
• qu’enfin, Pixmania peut exclure à tout moment et sans préavis et sur simple notification le vendeur qui serait à l’origine de manquements graves et non réparables, visant notamment le taux de satisfaction ;

Le tribunal relève la distinction essentielle qui existe entre :
• le préavis de 10 jours en cas de manquement qui ne serait pas réparé,
et
• l’absence de préavis en cas de manquement grave et non réparable ;

Que dans ce dernier cas Pixmania vise à la fois des manquements effectivement graves et non réparables tels que la mise en vente de produits interdits ou de produits sur lesquels le vendeur ne détient pas de droits et des manquements qui sont également qualifiés de graves et non réparables par Pixmania tels qu’un taux de satisfaction insuffisant ;
Que cependant, pour le tribunal, si un taux de satisfaction insuffisant peut être éventuellement considéré comme un manquement grave, c’est abusivement que Pixmania le qualifie de manquement non réparable ;
Que donc, le tribunal estime que Pixmania s’est réservé la possibilité de rompre à tout moment et sans préavis un contrat sur la base de manquements qui devraient relever des conditions de résiliation assorties d’un préavis de 10 jours ;

2/ Charge de la preuve
Attendu que la résiliation du contrat est intervenue à l’initiative de Pixmania en raison de manquements dont il est fait reproche à Dimitech, il appartient donc à Pixmania d’établir lesdits manquements et d’en rapporter la preuve au tribunal ;

3/ Détermination des évaluations et du taux de satisfaction
Attendu que l’article 10 du contrat précité stipule notamment : « […] tout Acheteur ayant acquis un Produit auprès du Vendeur est en droit de publier sur la Plateforme un commentaire sur la prestation du Vendeur et d’évaluer sa prestation en trois états : positive, neutre ou négative.
[…] » ;
Attendu que Dimitech a été exclu de la Plateforme en application de l’article 12.3 en raison d’un nombre d’évaluations positives inférieures à 90 % ;
Qu’il convient donc d’examiner précisément la signification de cette clause dont le non-respect autorise, selon Pixmania, l’exclusion sans préavis d’un Vendeur ;
Attendu que le tribunal relève tout d’abord que la mise en œuvre de cette clause paraît impossible en raison de sa grande imprécision :
• la détermination du taux de satisfaction n’est reliée à aucune contrainte de temps (s’agit-il d’une évaluation ponctuelle ? [à un jour J ? au dernier jour de la semaine ? du mois ?] sur une période déterminée ? [dernière semaine de chaque mois ?] sur une période glissante ? [Les 10 jours précédant la détermination du taux ?]),
• la formule de détermination du taux n’est pas définie (par rapport aux avis exprimés par les internautes ? par rapport au nombre de commandes passées ?),
• l’affectation des avis neutres dans la détermination du taux n’est pas précisée, le contrat fait référence à un nombre d’évaluations positives inférieures à 90 % alors que le courrier de Pixmania du 15 décembre 2010 indique que « […] vous avez fait l’objet de plus de 10% d’évaluations négatives de la part d’internautes. » ;
De plus, il n’est pas précisé quelles étaient les modalités de recueil des avis des internautes, comment ils étaient établis et conservés de façon incontestable,
Qu’il résulte des pièces produites par Pixmania, qu’à aucun moment pendant l’exécution du contrat, Pixmania n’a fait état d’un taux de satisfaction non conforme, que cela est d’autant plus surprenant que le constat d’huissier établi par Pixmania en avril 2011 tendrait à démontrer que les évaluations positives de Dimitech auraient été de longue date inférieures à 90 % ;
Que si tel était bien le cas, il est permis de s’interroger sur les raisons pour lesquelles Pixmania décidait de résilier le contrat le 9 décembre 2010 et non pas plus tôt (ou plus tard) ;

4/ Justifications de la décision de rompre prise par Pixmania
Attendu que Pixmania justifie a posteriori sa décision de rompre le contrat à l’aide de plusieurs éléments qui seront commentés ci-après :

– Le constat d’huissier du 1er avril 2011
Le tribunal considère que ce constat, établi presque 4 mois après la rupture, ne saurait véritablement justifier la décision de rompre ; pourquoi a-t-il été établi si tardivement ? Les modalités de recueil des évaluations et de leur conservation ne sont pas expliquées ;
Le tribunal relève que pour la journée du 9 décembre 2010 (pages 39/40 du constat) le nombre d’évaluations d’internautes pour la France s’élève à 4, soit 2 positives (taux de 50 %), 1 neutre (taux de 25 %) et 1 négative (taux de 25 %) ;
Que pour une période de temps cumulée jusqu’au 9 décembre 2010 (sur une durée qui n’est pas précisée, pages 38/39 du constat), le nombre d’évaluations d’internautes pour la France s’élève à 4 125, soit un taux de 75,25 % positives, un taux de 6,59 % neutres et un taux de 18,16 % négatives ;
Qu’il est difficile de tirer des conclusions sur ces chiffres puisqu’ils ont été relevés tardivement après les faits, que rapporté au nombre de commandes global, il est permis de s’interroger sur la représentativité de ces données, que Dimitech évalue, sans être contredite, à moins de 0,5 % du nombre d’internautes ayant passé de commandes ; que Pixmania n’expose pas comment ces données ont été conservées et de l’impossibilité qu’il y aurait de les modifier ;
Qu’un constat d’huissier établi presque 4 mois après la décision de rompre ne saurait venir à l’appui de la décision qui avait été prise ;

– L’absence alléguée de mesures correctives aux réclamations
Attendu que Pixmania expose avoir à de nombreuses reprises alerté Dimitech des litiges clients, Dimitech n’ayant pas pris de mesures correctives ;
Mais que l’examen des pièces versées par Pixmania à ce titre révèlent une toute autre interprétation, qu’en effet Pixmania a transmis à Dimitech un certain nombre de courriels émanant de clients ayant posté une réclamation en raison d’un litige allégué, qu’en réalité il s’agit de 24 réclamations clients intervenues entre juin 2010 et le 10 décembre 2010 (2 en juin, 3 en juillet, 5 août, 3 septembre, 5 octobre, 2 en novembre, 4 en décembre 2010), que ces réclamations émanent pour moitié de clients situés hors de France alors que le contrat rompu par Pixmania ne concerne que les opérations en France ;
Qu’en outre Pixmania a transmis à Dimitech un certain nombre d’évaluations négatives d’internautes en lui demandant de les traiter :
• le 30 septembre Pixmania adresse à Dimitech 5 évaluations négatives (dont 3 émanant de clients étrangers),
• le 4 octobre Pixmania adresse à Dimitech 6 évaluations négatives (dont 2 émanant de clients étrangers),
• le 11 octobre Pixmania adresse à Dimitech 7 évaluations négatives (dont 4 émanant de clients étrangers),
• le 25 octobre Pixmania adresse à Dimitech 11 évaluations négatives (dont 3 émanant de clients étrangers), soit un total de 29 évaluations négatives (17 de clients français et 12 de clients étrangers) ;
Attendu qu’il convient de relever :
• qu’après le 25 octobre 2010, Pixmania ne démontre pas avoir transmis de nouvelles réclamations à Dimitech ;
• le chiffre très faible de 29 évaluations négatives rapporté à l’importance du volume d’affaires réalisé sur la plateforme de Pixplace,
• qu’environ 40 % de ces évaluations négatives concernent des clients étrangers et se situent donc hors du champ du contrat querellé,
• que Pixmania ne démontre pas que Dimitech n’ait pas donné de suite à ces réclamations (pas de relance),
Que donc Pixmania ne peut sérieusement soutenir s’appuyer sur l’importance des réclamations non suivies d’actions correctives pour justifier sa décision de rompre le contrat le 9 décembre 2010 ;

5/ Sur la signature du contrat d’adhésion à la plateforme vendeurs
Attendu qu’il résulte des débats qu’en réalité Pixmania et Dimitech ont entretenu des relations commerciales à compter de mai 2009 sans avoir régularisé de contrat écrit, que c’est à la demande expresse de Pixmania (courriel de Pixmania à Dimitech du 2 septembre 2010 : « Un contrat Pixmania t’attend sur ton bureau. Il est super urgent que tu le signes demain car j’ai la pression de l’audit interne qui s’est aperçu que nous n’avions pas de contrat ensemble. J’ai une très forte pression pour faire remonter les taux aux tarifs habituels ce que je ne souhaite pas. Mais si tu ne me viens pas en aide avant la fin de la semaine en me faisant parvenir le contrat, je ne pourrais plus me maintenir à ce niveau. […] ») et non sans une certaine forme de chantage à l’augmentation des tarifs, que Pixmania contraignait Dimitech à signer « demain » ;
Qu’en outre, Pixmania antidatait le contrat au 13 mai 2009 ;
Attendu qu’en réalité, Pixmania expose (page 6 de ses dernières écritures) que sa décision de rompre était essentiellement motivée par des inquiétudes sur la solvabilité de Dimitech en raison d’une réorganisation intervenue en septembre et d’une saisie-attribution du 24 novembre 2010 entre les mains de Pixmania de sommes qu’une société dont le dirigeant était également celui de Dimitech restait à devoir à un tiers ;
Que donc le motif réel de la décision de Pixmania de rompre le contrat d’adhésion trouverait son explication dans des éléments de faits concernant une entreprise sœur de Dimitech et non sur des manquements de Dimitech à ses obligations contractuelles ;

6/ En conclusion
Attendu que le tribunal estime que Pixmania, qui souhaitait cesser toute relation commerciale avec Dimitech, notamment pour des motifs tenant à la solvabilité ou la pérennité du groupe de sociétés dont Dimitech faisait partie, s’est de façon comminatoire assortie de menaces explicites, empressée de lui faire signer un contrat qui était en outre antidaté, que ce contrat prévoyait les conditions de résiliation à caractère léonin, que la clause dont Pixmania a fait application (taux de satisfaction) est indéterminable, que l’application qui en a été faite n’est pas justifiée et que les conditions d’application sont abusives ;
Attendu en outre, que les inquiétudes de Pixmania sur la solvabilité de Dimitech ou son groupe de sociétés, ne paraissent pas justifiées puisque Pixmania encaissait pour le compte de Dimitech le prix des marchandises vendues aux clients de Dimitech, que Pixmania détenait (sous réserve de la commission lui revenant) les fonds appartenant à son partenaire ;
Le tribunal dit que Pixmania, dans sa décision de rompre le 9 décembre 2010 le contrat d’adhésion la liant à Dimitech, a commis des fautes engageant sa responsabilité, que le préjudice qui en résulte devra être réparé et que la rupture est intervenue à ses torts exclusifs ;


Sur la nature de la responsabilité

Attendu que Dimitech invoque l’article L 442-6-1§5 du code de commerce à l’appui de sa demande d’indemnisation du préjudice né de l’absence de préavis, ainsi que les articles 1134 et 1147 du code civil à l’appui de sa demande d’indemnisation du préjudice né des conséquences du caractère abusif de la rupture ;
Que c’est à juste titre que Pixmania relève que le cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle ne saurait s’appliquer, que formulant ces demandes, Dimitech sollicite notamment 2 fois la réparation de mêmes chefs de préjudice (ex. : perte de marge et perte de chiffres d’affaires pour la même période) ;
Attendu que le tribunal ne fera application en l’espèce que des dispositions de l’article L 442-6-1§5 du code de commerce ;

Sur les circonstances de la rupture

Attendu que le tribunal a dit que la rupture du contrat est intervenue aux torts exclusifs de Pixmania, il y a lieu d’examiner les circonstances dans lesquelles la décision de rompre a été mise en œuvre par Pixmania ;

1/ Sur les circonstances de forme
Attendu tout d’abord qu’il y a lieu de relever que quelles que soient les événements justifiant la décision de rompre, les parties ne pouvaient rompre sans au préalable avoir adressé à l’autre partie une notification (article 12.3 du contrat d’adhésion : « Pixmania peut à tout moment sur simple notification adressée au Vendeur par courrier électronique ou sur son Espace exclure immédiatement le Vendeur de la Plateforme […] ») ;
Qu’il n’est pas contesté que Pixmania n’a pas observé cette obligation contractuelle et a rompu le contrat à l’insu de Dimitech ;
Que pour toute réponse aux réclamations de Dimitech qui constate le 10 décembre 2010 au matin que son compte est désactivé, le responsable France & Benelux (Ludovic F.) de Pixmania écrit par courriel ce même jour à 10 h 15 : « Je ne sais pas ce qui se passe. Ca doit être un bug. Je vois avec les IT et te tiens au courant. », réponse semble-t-il mensongère puisqu’un peu plus tard dans la journée, Dimitech est informée par téléphone que le contrat a été rompu la veille (courriel interne de Dimitech du 10 décembre à 15 h 28) : « […] je vous informe que je viens d’avoir Ludovic F. [Pixmania] en ligne. Il m’a expliqué que hier soir vers 20h00 sa direction est venu lui annoncer le blocage/fermeture du compte Dimipro sur la place de marché de chez Pixmania (sans plus d’explication de son côté). Nous n’avons même plus accès au descriptif de notre compte sur le site Pixmania. […] » ;
Que ce n’est que le 15 décembre 2010, en réponse à une lettre recommandée avec AR de Dimitech, que Pixmania écrit par lettre recommandée avec AR : « […] nous vous rappelons à nouveau que nos Conditions Générales d’adhésion à la plateforme vendeurs PixPlace nous autorisent à cesser de présenter vos offres de produits sur notre site sans préavis, dès lors que vous avez fait l’objet de plus de 10% d’évaluations négatives de la part d’internautes (voir article 12.3). Or, à ce jour, vous êtes dans cette situation (voir pages d’écran jointes). En conséquence, et sur cette base, nous avons décidé de ne plus présenter vos offres de produits sur notre site. […] » ;
Attendu ainsi qu’il est démontré que non seulement Pixmania a abusé de son droit de rompre, mais qu’en outre, elle l’a exercé sans observer les stipulations contractuelles (notification) de forme et avec une remarquable brutalité ;

2/ Sur les circonstances de date
Attendu que le tribunal considère qu’aucune des conditions de résiliation n’étaient réunies (et notamment celle relative au taux de satisfaction), que donc Pixmania n’avait aucune raison de rompre ce contrat avec la brutalité qui a été relevée, qu’aucune urgence ne justifiait l’éviction de Dimitech de la plateforme vendeurs (hormis la crainte, infondée, de solvabilité de son partenaire), que Pixmania a fait preuve, en prenant cette décision le 9 décembre 2010, dans les semaines qui précèdent Noël, pendant la période de plus forte activité de l’année, d’une audace, d’un manque de loyauté et de respect des usages en affaires, qu’il convient de sanctionner en allouant à Dimitech des dommages et intérêts en réparation du préjudice qui sera évalué ci-après ;

Sur les chefs de préjudice

1/ Sur le préavis et la durée du préavis
Attendu que le contrat d’adhésion prévoit en son article 12.1 que les parties peuvent à tout moment et sans avoir à justifier de la décision prise, mettre fin au contrat sous réserve du respect d’un préavis de 30 jours, le tribunal dit que Pixmania, en l’absence d’un autre motif, aurait dû respecter un tel préavis ;
Attendu que cette clause essentielle a été dûment acceptée par Dimitech, que cette clause bénéficiait tant à Dimitech qu’à Pixmania, le tribunal dit qu’il n’y a pas lieu de retenir les arguments de Dimitech relatifs à l’état de dépendance économique, les engagements particuliers, la durée de la relation, à l’appui de sa demande d’application d’un préavis de un an ;

2/ Sur la perte de marge
Attendu qu’il y a lieu de retenir comme préjudice subi par Dimitech, la perte de marge brute sur le chiffre d’affaires qui aurait été réalisé si le préavis de 30 jours avait été respecté par Pixmania ;
Que le chiffre d’affaires réalisé en France par Dimitech sur la plateforme de Pixmania s’est élevé entre décembre 2009 inclus et novembre 2010 inclus à 5 M €, qu’il résulte des débats et des pièces communiquées que la marge brute doit être estimée à environ 10 % ;
Le tribunal condamnera Pixmania à payer à Maître Weil, es qualités, la somme de 41 666 € (5 000 000 x 0,10 / 12), déboutant pour le surplus de ce chef de demande ;

3/ Sur le préjudice commercial
Attendu que Dimitech n’apporte aucun élément à l’appui de ses allégations relatives à la subvention Oséo qui aurait été refusée du fait du litige avec Pixmania, le tribunal déboutera Maître Weil, es qualités, de ce chef de demande ;

4/ Sur l’image de marque
Attendu que le tribunal retiendra la pièce n° 35 produite par Dimitech et qui est un courriel adressé le 15 décembre 2010 par Aforge à Dimitech : « Les paramètres dont vous me communiquez la teneur dans votre email de ce 13 décembre [la rupture des relations commerciales avec Pixmania] donnent légitimement à craindre l’impossibilité de mener plus avant nos tractations en vue de la levée de fonds d’un montant de cinq millions d’€ faisant l’objet de notre mandat. » ;
Que Pixmania échoue à démontrer que cette pièce aurait été établie « pour les seuls besoins de la cause » (page 27 de ses dernières écritures) ;
Attendu que ce courriel démontre que la levée de fonds de 5 M € n’a pas eu lieu en raison de la rupture du contrat d’adhésion décidée par Pixmania, mais il précise aussi qu’il s’agissait non pas d’un événement certain, mais seulement de tractations « en vue de la levée de fonds » ;
Que rien ne démontre cette levée aurait bien eu lieu ni pour ce montant, mais qu’en revanche, il est établi qu’en raison de la rupture, Dimitech a perdu toute chance d’obtenir tout ou partie des fonds espérés, qu’il conviendra donc de requalifier ce chef de demande en perte de chance ;
Qu’à ce titre, le tribunal condamnera Pixmania à payer à Maître Weil, es qualités, la somme de 1 000 000 € à titre de dommages et intérêts, déboutant Dimitech du surplus de ce chef de demande ;

5/ Sur les autres chefs de demande
Attendu que Dimitech n’apporte aucun élément à l’appui de ses autres chefs de demande, le tribunal l’en déboutera ;

Sur l’article 700 du code de procédure civile

Attendu que, pour faire valoir ses droits, Dimitech et maître Weil esq, ont engagé des frais non compris dans les dépens qu’il serait inéquitable de laisser à leur charge, le tribunal condamnera Pixmania à payer à Maître Weil, es qualités, la somme de 25 000 € au titre de l’article 700 code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;

Sur l’exécution provisoire

Attendu que le tribunal l’estime nécessaire, il ordonnera dans les termes ci-après ;

DECISION

Le tribunal statuant publiquement en premier ressort, par un jugement contradictoire :
• constate l’intervention volontaire de Maître Claude Maxime Weil, es qualités d’administrateur judiciaire de la société Dimitech placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de grande instance de Colmar le 14 juin 2011,
• constate la reprise à son compte par Maître Claude Maxime Weil, es qualités d’administrateur judiciaire de la société Dimitech, de l’intégralité des demandes formées dans l’assignation par la société Dimitech,
• condamne la société Pixmania à payer à Maître Claude Maxime Weil, es qualités d’administrateur judiciaire de la société Dimitech, la somme de 41 666 € à titre de dommages et intérêts en réparation du dommage résultant du préavis non effectué,
• condamne la société Pixmania à payer à Maître Claude Maxime Weil, es qualités d’administrateur judiciaire de la société Dimitech, la somme de 1 000 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du dommage résultant de la perte de chance,
• condamne la société Pixmania à payer à Maître Claude Maxime Weil, es qualités d’administrateur judiciaire de la société Dimitech, la somme de 25 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile du code de procédure civile,
• déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
• ordonne l’exécution provisoire sans garantie,
• condamne la société Pixmania aux dépens de l’instance.

Le tribunal : M. Pierre (président)

Avocats : Selafa Fidal – Me Suchet, SCP Deprez Guignot & associés – Me Guidou

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Maître Selafa Fidal est également intervenu(e) dans les 3 affaires suivante  :

 

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Maître Suchet est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

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Le magistrat Pierre est également intervenu(e) dans les 3 affaires suivante  :

 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.