Jurisprudence : Droit d'auteur
Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 05 septembre 2011
Nintendo Co, Nintendo France / M. M.
code source - contrefaçon - interopérabilité - jeu vidéo - logiciel - reproduction
FAITS ET PROCÉDURE
La société Nintendo Co. Ltd est le leader mondial du marché des jeux vidéo et de la création de divertissements interactifs ; elle fabrique et commercialise des consoles de jeux, des jeux vidéo et des accessoires de jeux vidéo destinés à ses consoles.
La société Nintendo France, filiale française de la société Nintendo Co. Ltd est chargée de la distribution des jeux et consoles Nintendo.
Un des produits de la société Nintendo Co. Ltd le plus vendu est la console de jeux DS qui a été développée sur 4 générations, la DS, puis la Ds Lite et Dsi en avril 2009, et très récemment la Nintendo 3DS en mars 2011.
De nombreux jeux sont proposés pour ces consoles fabriqués par la société Nintendo Co. Ltd ou par des développeurs indépendants autorisés par la société Nintendo Co. Ltd à développer ces jeux sous licence.
Les jeux sont composés d’une partie logicielle et de parties non logicielles associées (textes, graphismes, effets audiovisuels) qui doivent être chargées dans la mémoire vive de la console à partir de cartes insérées dans la console ; ces cartes de jeux reproduisent les jeux vidéos dans une mémoire morte “read only memory – ROM”.
Elles ont une forme spéciale propriété de la société Nintendo Co. Ltd avec des connexions spécifiques de Nintendo.
La société Nintendo France a constaté que M. M. qui exerce son activité sous le nom commercial G… est l’éditeur du site commercial sur lequel il propose des linkers pour les consoles Nintendo Dsi et Nintendo 3DS ; elle a fait dresser un procès-verbal de constat les 29 mars 2011 et un constat d’achat le 8 avril 2011 ; elle a soumis les linkers acquis à M. Julien G. qui a extrait le contenu des linkers et l’a comparé avec le contenu des cartes de jeux authentiques distribuées et fabriquées par les sociétés Nintendo qui a conclu que les linkers reproduisent purement et simplement les logiciels ARM7 de Nintendo.
La société Nintendo France avait mis en demeure M. M. de multiples fois de cesser de commercialiser des linkers en 2008 et 2009 ; ce dernier s’était engagé à cesser cette activité.
C’est dans ces conditions que par acte du 25 mai 2011, la société Nintendo Co. Ltd et la société Nintendo France ont fait assigner M. M. aux fins de :
à titre principal et vu l’urgence,
– ordonner à ce dernier de cesser la commercialisation de tous linkers reproduisant les logiciels ARM7 et notamment “Dsi One Mini”, “R4i 3DS” et “DS Tti” et de remettre à ses frais son stock en séquestre entre les mains de l’huissier de justice qu’il lui plaira, le tout sous astreinte de 500 € par jour de retard ou par exemplaire vendu à compter de la signification de l’ordonnance,
A titre subsidiaire,
– ordonner à titre de mesure conservatoire l’arrêt de la commercialisation de tous linkers reproduisant les logiciels ARM7 et notamment “Dsi One Mini”, “R4i 3DS” et “DS Tti” sous astreinte de 500 € par jour de retard,
en tout état de cause,
– ordonner à M. M. la communication aux sociétés Nintendo des documents comptables (factures, bons de commande…) relatifs à l’achat et à la vente des dispositifs litigieux sous astreinte de 500 € par jour de retard,
– condamner M. M. à payer aux sociétés Nintendo la somme de 3000 € à chacune au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamner M. M. aux entiers dépens.
Les sociétés Nintendo font valoir qu’elles sont titulaires de droit sur les logiciels ARM7 contenues dans les cartes de jeux et que les linkers proposés à la vente par M. M. reproduisent une partie de ces logiciels ce qui constitue une contrefaçon de leurs droits d’auteur.
Elles soutiennent que l’urgence est caractérisée du fait de la chute constante des jeux vidéos due à la vente des linkers ; que le site internet de M. M. vise clairement des jeux piratés car il mentionne “le supercard DS two permet de jouer à des jeux de DS” ; que contrairement à ce que prétend le défendeur, les autres pays européens ont interdit la vente des linkers faisant droit aux demandes des sociétés Nintendo ; que le jugement du tribunal correctionnel du 9 décembre 2009 porte sur des linkers utilisables pour les Ds qui ne comportent pas le logiciel ARM7 ; qu’elles disposent des droits sur ces logiciels qui ont été déposés au Copyright Office et pour lesquels elles disposent de la présomption de titularité d’auteur.
A titre subsidiaire, les sociétés Nintendo sollicitent des mesures conservatoires.
A l’audience, M. M. a sollicité du juge des référés de :
– le déclarer recevable.
– dire n’y avoir lieu à référé.
– débouter la société Nintendo Co. Ltd et la société Nintendo France de leurs demandes.
– dire que la procédure engagée par les sociétés demanderesses est abusive et les condamner in solidum à verser à M. M. la somme de 3000 € à titre de dommages et intérêts avec intérêt au taux légal à compter du prononcé de l’ordonnance. – condamner la société Nintendo Co. Ltd et la société Nintendo France in solidum au paiement de la somme de 7000 € à M. M. au titre de l’article 700 du Code de procédure civile avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de l’ordonnance ainsi qu’aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions M. M. a fait valoir que la console Nintendo 3DS est conçue pour lire des jeux vidéos et des fichiers musicaux au format MP3 et que la console Nintendo Dsi présente les mêmes caractéristiques sauf que l’écran LCD dont elle est munie permet une vision des contenus en 3 dimensions.
Il a contesté que les sociétés demanderesses puissent revendiquer le moindre droit sur les logiciels ARM7 au motif qu’ils constitueraient un “ensemble de programmes fonctionnant avec le processeur ARM7 permettant le contrôle et l’exécution des fonctions vitales de la console tels que le son, l’écran tactile, et les différentes commandes/boutons, la vérification de la connexion de carte jeu avec la console” puisque le processeur ARM7 n’a pas été développé par les sociétés Nintendo mais par la société ARM et est utilisé dans plus de 170 appareils électroniques différents appartenant à différentes sociétés dont Apple pour ses iPod.
Il a ajouté que le linker est un adaptateur se branchant sur le port NDS ou GBA de la console Nintendo Ds quelque soit l’appareil de la gamme et qui sert à la lecture d’une carte mémoire ; que le Linker est vierge de tout contenu ; que le linker a un format compatible avec la console et comportent des logiciels interopérants avec ceux de la console ; qu’il est un support d’enregistrement et que s’il peut permettre de stocker un jeu mis en ligne sur internet, il ne permet pas le piratage puisque la contrefaçon des jeux vidéos est indépendante des linkers.
Il a précisé que les sociétés demanderesses ont déjà été déboutées par le tribunal correctionnel de Paris qui dans un jugement rendu le 3 décembre 2009, a relaxé les prévenus des poursuites intentées sur la base de l’illicéité des linkers, ce que le tribunal n’a pas admis.
II a argué du fait que les conditions des articles 808 et 809 n’étaient pas remplies puisqu’il n’existe pas d’urgence ni de trouble manifestement illicite et qu’il existe une contestation sérieuse quant à la reproduction illicite des codes sources des logiciels ARM7 qui est affirmée mais non démontrée par les sociétés demanderesses qui de surcroît ne sont pas titulaires des droits sur les cartes de jeux authentiques « alex rider stormbreaker” et “nemo”.
Enfin, il a soulevé l’exception d’interopérabilité conformément à l’article L 122-6-l-IV du Code de la propriété intellectuelle.
DISCUSSION
A titre liminaire, il convient de constater que les mises en demeure adressées à M. M. et l’engagement de ce dernier de cesser toute commercialisation de linkers ont été réalisés avant la décision du tribunal correctionnel de Paris du 3 décembre 2009 qui a relaxé les prévenus des poursuites intentées par les sociétés Nintendo sur la base de linkers utilisés sur la DS.
Sur la contrefaçon
Le jugement du tribunal correctionnel de Paris du 9 décembre 2009 a précisé que l’expertise de M. Bittan n’avait porté que sur les DS linker R4, et les Supercard One/SS One et que les autres linkers n’avaient pas été soumis aux vérifications de l’expert, de sorte que le jugement n’a pas porté sur les linkers vendus pour s’adapter aux Dsi et 3DS. Cependant le jugement correctionnel a jugé que la matérialité de l’acte de contrefaçon n’était pas établie puisqu’il n’était pas démontré que l‘accès au code source qui implique un acte de décompilation n’avait pas été limité aux seules parties du programme nécessaires à l’interopérabilité.
Il a également jugé que le linker n’avait pas comme seule fonction que de copier des jeux mais offrait une gamme étendue d’autres fonctions notamment visualisation de vidéos et de photos, écoute de musique MP3, offre d’applications nouvelles tels que carnets d’adresse ou agendas, qu’ainsi, il rend possible mais non certaine son utilisation à des fins frauduleuses.
Les sociétés Nintendo affirment que les autres pays européens ont fait droits à leurs demandes mais ne versent pas au débat les décisions traduites permettant au juge de comprendre le périmètre du litige soumis aux autres juridictions européennes.
Le linker est donc une cartouche qui contient un logiciel qui permet d’assembler des données contenues dans la ROM de la console de jeux et de leur donner une grille de lecture qui permet au jeu de fonctionner ; il permet également comme l’a dit le tribunal correctionnel et l’a rappelé M. M., de nombreuses autres fonctions que les sociétés Nintendo ne lui reprochent pas comme la visualisation de photos ou de fichiers vidéos et d’utilisation d’autres applications développées par des indépendants.
Les sociétés Nintendo disent être titulaires du logiciel ARM7 contenu dans les castes de jeux qu’elles fabriquent ou font fabriquer sous licence et qui est nécessaire à faire fonctionner le processeur ARM7 dont elles ne contestent pas qu’il est produit par la société ARM.
Ainsi, la cartouche de jeux contiendrait seule les éléments utiles à l’exploitation du jeu, le processeur ARM7 inséré dans la console ne contenant que des informations situées dans des bibliothèques, informations que le logiciel ARM7 va rechercher pour les assembler et permettre telle ou telle activité.
A supposer que les sociétés Nintendo disposent de la titularité des droits sur le logiciel ARM7, ce qui ne ressort pas des pièces versées au débat, encore faut-il pour que ce logiciel soit protégeable qu’il soit original.
Les sociétés demanderesses versent au débat une note de M. G. qui a analysé le code source qui lui a été soumis et que les sociétés Nintendo n’entendent pas verser au débat en raison d’une confidentialité alléguée qui prive de tout effet le principe du contradictoire, au terme de laquelle il soutient que l’architecture du code permettrait d’obtenir 8 versions alternatives ; qu’il contient 2 valeurs définies originales issues d’un processus qui n’est pas automatique et contraint ce qui démontrerait la créativité propre à l’auteur du logiciel.
M. M. prétend quant à lui que le code source ne contient que des données que le contenu initial du processeur ARM7 rend nécessaires, qu’il ne s’agit que du développement technique que ferait tout développeur informatique doté d’une certaine expertise ce qui prive de toute protection au titre du droit d’auteur le logiciel allégué.
En l’état et faute de pouvoir vérifier le caractère original ou non du logiciel allégué, et au vu des contestations de M. M. dont le caractère sérieux est patent, il y a lieu de dire qu’il n’y a pas lieu à référé.
De plus, le moyen tenant à l’exception d’interopérabilité contenue à l’article L 122-6-1-IV du Code de la propriété intellectuelle qui a été retenu par le tribunal correctionnel nécessite lui aussi un débat plus approfondi qui échappe à la compétence du juge des référés de sorte que les sociétés Nintendo seront déboutées de leurs demandes en référé et notamment des mesures de production de pièces démontrant l’étendue de la contrefaçon.
Pour ce qui est des mesures conservatoires, il apparaît que les mesures sollicitées soit l’arrêt de la commercialisation des linkers sous astreinte sont disproportionnées au regard du peu d’élément permettant d’établir la contrefaçon, des autres possibilités d’utilisation de la DS offertes par les linkers qui ne sont pas arguées de contrefaçon et du préjudice subi par le défendeur.
Sur les demandes reconventionnelles
L’exercice d’une action en justice constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol.
M. M. sera débouté de sa demande à ce titre, faute pour lui de rapporter la preuve d’une quelconque intention de nuire ou légèreté blâmable de la part des sociétés demanderesses, qui ont pu légitimement se méprendre sur l’étendue de leurs droits et d’établir l’existence d’un préjudice autre que celui subi du fait des frais exposés pour sa défense.
Les conditions sont réunies pour allouer à M. M. la somme de 5000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
DECISION
Nous, juge des référés statuant par mise à disposition au greffe et par ordonnance contradictoire et en premier ressort ;
. Constatons l’existence d’une contestation sérieuse sur les faits de contrefaçon des droits d’auteur de la société Nintendo Co. Ltd sur le logiciel ARM7 par les linkers vendus par M. M.
En conséquence,
. Déboutons la société Nintendo Co. Ltd et la société Nintendo France de l’ensemble de leurs demandes devant le juge des référés et les renvoyons à mieux se pourvoir.
. Déboutons M. M. de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive comme mal fondée.
. Condamnons in solidum la société Nintendo Co. Ltd et la société Nintendo France à payer à M. M. la somme de 5000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
. Rappelons que la présente ordonnance est exécutoire par provision.
. Condamnons in solidum la société Nintendo Co. Ltd et la société Nintendo France aux entiers dépens de la présente instance.
Le tribunal : Mme Marie-Christine Courboulay (vice présidente)
Avocats : Me Gilles Vercken, Me Laurence Tellier Loniewski
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