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Jurisprudence : E-commerce

vendredi 14 octobre 2011
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Cour de justice de l’Union européenne Troisième chambre Arrêt du 13 octobre 2011

Pierre Fabre Dermo-Cosmétique / Président de l'Autorité de la concurrence

concurrence - distribution sélective - interdiction - internet - justification - restriction - ventes

«Article 101, paragraphes 1 et 3, TFUE – Règlement (CE) n° 2790/1999 – Articles 2 à 4 – Concurrence – Pratique restrictive – Réseau de distribution sélective – Produits cosmétiques et d’hygiène corporelle – Interdiction générale et absolue de vente sur Internet – Interdiction imposée par le fournisseur aux distributeurs agréés»

Dans l’affaire C‑439/09, ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la cour d’appel de Paris (France), par décision du 29 octobre 2009, parvenue à la Cour le 10 novembre 2009, dans la procédure Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS contre le Président de l’Autorité de la concurrence, Ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi,

[…]

DISCUSSION

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 81, paragraphes 1 et 3, CE et du règlement (CE) n° 2790/1999 de la Commission, du 22 décembre 1999, concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (JO L 336, p. 21).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un recours en annulation et, subsidiairement, en réformation de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS (ci-après «Pierre Fabre Dermo-Cosmétique») contre la décision n° 08-D-25 du 29 octobre 2008 (ci-après la «décision litigieuse») du Conseil de la concurrence (devenu Autorité de la concurrence depuis le 13 janvier 2009), au sujet de l’interdiction faite par Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, contenue dans ses contrats de distribution sélective, aux distributeurs qu’elle a au préalable choisi d’agréer, de vendre sur Internet ses produits cosmétiques et d’hygiène corporelle, et ce en infraction aux dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce ainsi que de l’article 81 CE.

Le cadre juridique

La réglementation de l’Union

3 Le dixième considérant du règlement n° 2790/1999 précise :

«Le présent règlement ne doit pas exempter des accords verticaux contenant des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre les effets positifs mentionnés ci-dessus ; en particulier des accords verticaux contenant certains types de restrictions ayant des effets anticoncurrentiels graves, comme l’imposition d’un prix de vente minimal ou d’un prix de vente fixe ou certains types de protection territoriale, doivent être exclus du bénéfice de l’exemption par catégorie prévue par le présent règlement, quelle que soit la part de marché des entreprises concernées.»

4 L’article 1er, sous d), du règlement n° 2790/1999 définit «un système de distribution sélective» comme «un système de distribution dans lequel le fournisseur s’engage à vendre les biens ou les services contractuels, directement ou indirectement, uniquement à des distributeurs sélectionnés sur la base de critères définis, et dans lequel ces distributeurs s’engagent à ne pas vendre ces biens ou ces services à des distributeurs non agréés».

5 L’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 2790/1999 dispose :

«Conformément à l’article 81, paragraphe 3, du traité [article 101, paragraphe 3, TFUE], et sous réserve des dispositions du présent règlement, l’article 81, paragraphe l, du traité [article 101, paragraphe 1, TFUE] est déclaré inapplicable aux accords ou pratiques concertées qui sont conclus entre deux ou plus de deux entreprises dont chacune opère, aux fins de l’accord, à un niveau différent de la chaîne de production ou de distribution, et qui concernent les conditions dans lesquelles les parties peuvent acheter, vendre ou revendre certains biens ou services (ci-après dénommés ‘accords verticaux’).

La présente exemption s’applique dans la mesure où ces accords contiennent des restrictions de concurrence tombant sous le coup de l’article 81, paragraphe 1 [article 101, paragraphe 1, TFUE] (ci-après dénommées ‘restrictions verticales’).»

6 Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, du même règlement, «[…] l’exemption prévue à l’article 2 s’applique à condition que la part du marché détenue par le fournisseur ne dépasse pas 30 % du marché pertinent sur lequel il vend les biens ou services contractuels».

7 L’article 4 du règlement n° 2790/1999 prévoit que l’exemption de l’interdiction énoncée à l’article 81, paragraphe 1, CE [article 101, paragraphe l, TFUE] ne s’applique pas aux accords verticaux qui, directement ou indirectement, isolément ou cumulés avec d’autres facteurs sous le contrôle des parties, ont pour objet :

«[…]

c) la restriction des ventes actives ou des ventes passives aux utilisateurs finals par les membres d’un système de distribution sélective qui opèrent en tant que détaillants sur le marché, sans préjudice de la possibilité d’interdire à un membre du système d’opérer à partir d’un lieu d’établissement non autorisé ;

[…]»

La réglementation nationale

8 L’article L. 420-1 du code de commerce français dispose :

«Sont prohibées même par l’intermédiaire direct ou indirect d’une société du groupe implantée hors de France, lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu’elles tendent à :

1° Limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises ;

2° Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;

3° Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;

4° Répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement.»

Le litige au principal et la question préjudicielle

9 Pierre Fabre Dermo-Cosmétique est l’une des sociétés du groupe Pierre Fabre. Elle a pour activité la fabrication et la commercialisation de produits cosmétiques et d’hygiène corporelle et dispose de plusieurs filiales parmi lesquelles, notamment, les laboratoires Klorane, Ducray, Galénic et Avène, dont les produits cosmétiques et d’hygiène corporelle sont vendus, sous ces marques, majoritairement par l’intermédiaire de pharmaciens, sur le marché français comme sur le marché européen.

10 Les produits en cause sont des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle qui n’entrent pas dans la catégorie des médicaments et échappent, dès lors, au monopole des pharmaciens prévu par le code de la santé publique.

11 Pour l’année 2007, le groupe Pierre Fabre détenait 20 % du marché français de ces produits.

12 Les contrats de distribution desdits produits concernant les marques Klorane, Ducray, Galénic et Avène précisent que les ventes doivent exclusivement être réalisées dans un espace physique, avec la présence obligatoire d’un diplômé en pharmacie.

13 Les articles 1.1 et 1.2 des conditions générales de distribution et de vente des marques précisent :

«Le distributeur agréé doit justifier de la présence physique et permanente dans son point de vente, et pendant toute l’amplitude horaire d’ouverture de celui-ci, d’au moins une personne spécialement qualifiée par sa formation pour :

acquérir une parfaite connaissance des caractéristiques techniques et scientifiques des produits […], nécessaire à la bonne exécution des obligations d’exercice professionnel […]

donner, de façon habituelle et constante, au consommateur toutes informations relatives à la bonne utilisation des produits […]

conseiller instantanément et sur le point de vente, le produit […] le plus adapté au problème spécifique d’hygiène ou de soin, notamment de la peau et des phanères, qui lui est soumis.

Cette personne qualifiée doit être titulaire pour ce faire, du diplôme de Pharmacien délivré ou reconnu en France […]

Le distributeur agréé doit s’engager à ne délivrer les produits […] que dans un point de vente matérialisé et individualisé […]»

14 Ces exigences excluent de facto toute forme de vente par Internet.

15 Par une décision en date du 27 juin 2006, l’Autorité de la concurrence s’est saisie d’office de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle.

16 Par décision n° 07-D-07 du 8 mars 2007, l’Autorité de la concurrence a accepté et rendu obligatoires les engagements proposés par l’ensemble des entreprises concernées, à l’exception de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, consistant à modifier leurs contrats de distribution sélective afin de prévoir la possibilité pour les membres de leur réseau, sous certaines conditions, de vendre leurs produits sur Internet. S’agissant de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, la procédure ouverte à son encontre a suivi son cours.

17 Au cours de la procédure administrative, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique a expliqué que les produits en cause, par leur nature, nécessitent la présence physique d’un diplômé en pharmacie sur le lieu de vente à toute heure d’ouverture, afin que le client puisse, en toutes circonstances, demander et obtenir l’avis personnalisé d’un spécialiste, fondé sur l’observation directe de sa peau, de ses cheveux ou de son cuir chevelu.

18 Compte tenu de la potentialité d’affectation du commerce entre États membres, l’Autorité de la concurrence a analysé la pratique en question au regard des dispositions du droit de la concurrence français et du droit de l’Union.

19 Dans la décision litigieuse, l’Autorité de la concurrence a, tout d’abord, relevé que cette interdiction de vente par Internet équivalait à une limitation de la liberté commerciale des distributeurs de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique en excluant un moyen de commercialisation de ses produits. De plus, cette prohibition restreignait le choix des consommateurs désireux d’acheter par Internet et, enfin, empêchait les ventes aux acheteurs finals qui ne sont pas localisés dans la zone de chalandise «physique» du distributeur agréé. Selon ladite autorité, cette limitation a nécessairement un objectif restrictif de la concurrence, qui vient s’ajouter à la limitation inhérente au choix même d’un système de distribution sélective par le fabricant, qui limite le nombre de distributeurs habilités à distribuer le produit et empêche les distributeurs de vendre le produit à des distributeurs non agréés.

20 La part de marché de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique étant inférieure à 30 %, l’Autorité de la concurrence a examiné si la pratique restrictive de concurrence pouvait bénéficier de l’exemption par catégorie prévue par le règlement n° 2790/1999. Or, bien que la pratique d’interdiction de vente par Internet ne soit pas expressément visée dans ce règlement, elle équivaudrait à une interdiction de ventes actives et passives. Par conséquent, la pratique relèverait de l’article 4, sous c), dudit règlement, qui exclut du bénéfice de l’exemption automatique par catégorie les restrictions de ventes actives ou passives par les membres d’un système de distribution sélective.

21 Selon l’Autorité de la concurrence, l’interdiction de vente sur Internet ne remplit pas les conditions de l’exception prévue à l’article 4, sous c), du règlement n° 2790/1999 selon lequel ces restrictions de ventes sont sans préjudice de la possibilité d’interdire à un membre du système d’opérer «à partir d’un lieu d’établissement non autorisé». En effet, Internet serait non pas un lieu de commercialisation, mais un moyen de vente alternatif utilisé comme la vente directe en magasin ou la vente par correspondance par les distributeurs d’un réseau disposant de points de vente physiques.

22 En outre, l’Autorité de la concurrence a relevé que Pierre Fabre Dermo‑Cosmétique n’a pas démontré qu’elle pouvait bénéficier d’une exemption individuelle au titre de l’article 81, paragraphe 3, CE et de l’article L. 420-4, paragraphe 1, du code de commerce.

23 À cet égard, ladite autorité a rejeté l’argument de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique selon lequel l’interdiction de vente par Internet en cause contribuerait à améliorer la distribution des produits dermo‑cosmétiques en prévenant les risques de contrefaçon et de parasitisme entre officines agréées. Le choix effectué par Pierre Fabre Dermo-Cosmétique d’un système de distribution sélective, avec la présence d’un pharmacien sur les lieux de vente, garantirait que le service de conseil soit dispensé dans toutes les officines agréées et que chacune en supporte le coût.

24 En réponse à l’argument de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique sur la nécessité de la présence physique d’un pharmacien lors de l’achat d’un des produits en cause, afin de garantir le bien-être du consommateur, l’Autorité de la concurrence a tout d’abord relevé que les produits concernés n’étaient pas des médicaments. À ce titre, la réglementation particulière dont ils font l’objet concerne les normes qui s’appliquent à leur fabrication et non à leur distribution qui est libre, et, en outre, l’établissement d’un diagnostic n’entre pas dans les pouvoirs d’un pharmacien, seul le médecin y étant autorisé. L’Autorité de la concurrence a ensuite transposé la jurisprudence Deutscher Apothekerverband (arrêt du 11 décembre 2003, C‑322/01, Rec. p. I‑14887), relative aux restrictions apportées à la distribution sur Internet de médicaments non soumis à prescription médicale, pour les produits en cause.

25 Selon l’Autorité de la concurrence, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique ne démontre pas davantage en quoi le contact visuel entre le pharmacien et les utilisateurs du produit permettrait d’assurer la «cosmétovigilance» qui imposerait aux professionnels de la santé de constater et de signaler les effets indésirables des produits cosmétiques. En effet, l’observation des effets négatifs des produits en cause ne pourrait apparaître qu’après l’utilisation du produit et non pas au moment de son achat. En cas de problèmes liés à son utilisation, le patient aura tendance à consulter un médecin.

26 En réponse au dernier argument de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, l’Autorité de la concurrence n’a pas considéré comme pertinent le fait que la distribution par Internet n’entraînerait pas de baisse de prix. Le gain pour le consommateur résiderait non seulement dans une baisse de prix, mais également dans l’amélioration du service proposé par les distributeurs, dont, notamment, la possibilité de commander des produits à distance, sans limitation de temps, avec accès facile à l’information sur les produits et en permettant la comparaison de prix.

27 L’Autorité de la concurrence a ainsi conclu que l’interdiction faite par Pierre Fabre Dermo-Cosmétique à ses distributeurs agréés de vendre par l’intermédiaire d’Internet constitue une restriction à la concurrence contraire à l’article 81 CE et à l’article L. 420-1 du code de commerce, et l’a enjointe de supprimer dans ses contrats de distribution sélective toutes les mentions équivalant à une interdiction de vente sur Internet de ses produits cosmétiques et d’hygiène corporelle et de prévoir expressément dans ses contrats la possibilité pour ses distributeurs de recourir à ce mode de distribution. Pierre Fabre Dermo-Cosmétique a été condamnée à une amende de 17 000 euros.

28 Le 24 décembre 2008, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique a introduit un recours en annulation et, subsidiairement, en réformation de la décision litigieuse devant la cour d’appel de Paris. Dans le même temps, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique a demandé au premier président de celle-ci de prononcer un sursis à l’exécution de la décision litigieuse. Au soutien de son recours, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique a fait valoir, principalement, que la décision litigieuse est entachée d’une erreur de droit en ce qu’elle a privé la pratique litigieuse tant du bénéfice de l’exemption par catégorie prévue par le règlement n° 2790/1999 que de celui de l’exemption individuelle prévue à l’article 81, paragraphe 3, CE.

29 Le 18 février 2009, le premier président de la cour d’appel de Paris a ordonné le sursis à l’exécution des injonctions prononcées par l’Autorité de la concurrence à l’encontre de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique jusqu’à ce que la juridiction de renvoi statue sur le bien-fondé du recours.

30 Dans sa décision de renvoi, la cour d’appel de Paris, après avoir rappelé les motivations de la décision litigieuse, ainsi que la teneur des observations écrites que la Commission européenne a présentées en vertu de l’article 15, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO L 1, p. 1), a néanmoins relevé que ni les lignes directrices de la Commission ni l’avis de cette institution ne présentaient un caractère contraignant pour les juridictions nationales.

31 Dans ces conditions, la cour d’appel de Paris a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

«[L]’interdiction générale et absolue de vendre sur Internet les produits contractuels aux utilisateurs finals imposée aux distributeurs agréés dans le cadre d’un réseau de distribution sélective constitue[-t-elle] effectivement une restriction caractérisée de la concurrence par objet au sens de l’article 81, paragraphe 1, du traité CE [article 101, paragraphe 1, TFUE] échappant à l’exemption par catégorie prévue par le règlement n° 2790/1999, mais pouvant éventuellement bénéficier d’une exemption individuelle en application de l’article 81, paragraphe 3, du traité CE [article 101, paragraphe 3, TFUE][?]»

Sur la question préjudicielle

32 Il convient de relever à titre liminaire que ni l’article 101 TFUE ni le règlement n° 2790/1999 ne se réfèrent à la notion de restriction caractérisée de la concurrence.

33 Dans ces conditions, la question préjudicielle doit être comprise en ce sens qu’elle vise à savoir, premièrement, si la clause contractuelle en cause dans le litige au principal constitue une restriction de la concurrence «par objet» au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, deuxièmement, si un contrat de distribution sélective contenant une telle clause – dans l’hypothèse où il entre dans le champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE – peut bénéficier de l’exemption par catégorie instituée par le règlement n° 2790/1999 et, troisièmement, si, lorsque l’exemption par catégorie est inapplicable, ledit contrat pourrait néanmoins bénéficier de l’exception légale de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.

Sur la qualification de la restriction de la clause contractuelle litigieuse comme une restriction de la concurrence par objet

34 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, pour relever de l’interdiction énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, un accord doit avoir «pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur». Selon une jurisprudence constante depuis l’arrêt du 30 juin 1966, LTM (56/65, Rec. p. 337), le caractère alternatif de cette condition, marqué par la conjonction «ou» conduit d’abord à la nécessité de considérer l’objet même de l’accord, compte tenu du contexte économique dans lequel il doit être appliqué. Lorsque l’objet anticoncurrentiel d’un accord est établi, il n’y a pas lieu de rechercher ses effets sur la concurrence (voir arrêt du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a., C‑501/06 P, C‑513/06 P, C‑515/06 P et C‑519/06 P, Rec. p. I‑9291, point 55 ainsi que jurisprudence citée).

35 Aux fins d’apprécier si la clause contractuelle en cause comporte une restriction de concurrence «par objet», il convient de s’attacher à la teneur de la clause, aux objectifs qu’elle vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel elle s’insère (voir arrêt GlaxoSmithKline Services e.a./Commission e.a., précité, point 58 ainsi que jurisprudence citée).

36 Les contrats de distribution sélective en cause disposent, s’agissant des ventes des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle des marques Avène, Klorane, Galénic et Ducray, que celles-ci doivent être réalisées dans un espace physique, dont les critères sont définis avec précision, et avec la présence obligatoire d’un diplômé en pharmacie.

37 Selon la juridiction de renvoi, l’exigence de la présence obligatoire d’un pharmacien diplômé dans un espace de vente physique interdit de facto aux distributeurs agréés toute forme de vente par Internet.

38 Ainsi que le soulève la Commission, la clause contractuelle en cause, en excluant de facto un mode de commercialisation de produits ne requérant pas le déplacement physique du client, réduit considérablement la possibilité d’un distributeur agréé de vendre les produits contractuels aux clients situés en dehors de son territoire contractuel ou de sa zone d’activité. Elle est donc susceptible de restreindre la concurrence dans ce secteur.

39 S’agissant des accords qui constituent un système de distribution sélective, la Cour a déjà relevé que de tels accords influencent nécessairement la concurrence dans le marché commun (arrêt du 25 octobre 1983, AEG‑Telefunken/Commission, 107/82, Rec. p. 3151, point 33). De tels accords sont à considérer, à défaut de justification objective, en tant que «restrictions par objet».

40 La jurisprudence de la Cour a, toutefois, reconnu qu’il existe des exigences légitimes, telles que le maintien du commerce spécialisé capable de fournir des prestations spécifiques pour des produits de haute qualité et technicité, qui justifient une réduction de la concurrence par les prix au bénéfice d’une concurrence portant sur d’autres éléments que les prix. Les systèmes de distribution sélective constituent donc, du fait qu’ils visent à atteindre un résultat légitime, qui est de nature à améliorer la concurrence, là où celle-ci ne s’exerce pas seulement sur les prix, un élément de concurrence conforme à l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt AEG-Telefunken/Commission, précité, point 33).

41 À cet égard, la Cour a déjà relevé que l’organisation d’un tel réseau ne relève pas de l’interdiction de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, pour autant que le choix des revendeurs s’opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés d’une manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire, que les propriétés du produit en cause nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, un tel réseau de distribution et, enfin, que les critères définis n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire (arrêts du 25 octobre 1977, Metro SB-Großmärkte/Commission, 26/76, Rec. p. 1875, point 20, ainsi que du 11 décembre 1980, L’Oréal, 31/80, Rec. p. 3775, points 15 et 16).

42 S’il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner si la clause contractuelle en cause interdisant de facto toutes les formes de vente par Internet peut être justifiée par un objectif légitime, il revient à la Cour de lui fournir à cet effet les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui lui permettent de se prononcer (voir arrêt L’Oréal, précité, point 14).

43 Certes, il est constant que, dans le cadre du réseau de distribution sélective de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, les revendeurs sont choisis sur la base de critères objectifs de caractère qualitatif, qui sont fixés de manière uniforme pour tous les revendeurs potentiels. Toutefois, il convient encore de vérifier si les restrictions de la concurrence poursuivent d’une manière proportionnée les objectifs légitimes conformes aux considérations exposées au point 41 du présent arrêt.

44 À cet égard, il convient de souligner que la Cour n’a pas retenu, au regard des libertés de circulation, les arguments relatifs à la nécessité de fournir un conseil personnalisé au client et d’assurer la protection de celui-ci contre une utilisation incorrecte de produits, dans le cadre de la vente de médicaments qui ne sont pas soumis à prescription médicale et de lentilles de contact, pour justifier une interdiction de vente par Internet (voir, en ce sens, arrêts Deutscher Apothekerverband, précité, points 106, 107 et 112, ainsi que du 2 décembre 2010, Ker-Optika, C‑108/09, non encore publié au Recueil, point 76).

45 Pierre Fabre Dermo‑Cosmétique se réfère, également, à la nécessité de préserver l’image de prestige des produits en cause.

46 L’objectif de préserver l’image de prestige ne saurait constituer un objectif légitime pour restreindre la concurrence et ne peut ainsi pas justifier qu’une clause contractuelle poursuivant un tel objectif ne relève pas de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

47 Sur la base des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première branche de la question posée que l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une clause contractuelle, dans le cadre d’un système de distribution sélective, exigeant que les ventes de produits cosmétiques et d’hygiène corporelle soient effectuées dans un espace physique en présence obligatoire d’un pharmacien diplômé, ayant pour conséquence l’interdiction de l’utilisation d’Internet pour ces ventes, constitue une restriction par objet au sens de cette disposition si, à la suite d’un examen individuel et concret de la teneur et de l’objectif de cette clause contractuelle et du contexte juridique et économique dans lequel elle s’inscrit, il apparaît que, eu égard aux propriétés des produits en cause, cette clause n’est pas objectivement justifiée.

Sur la possibilité de l’exemption par catégorie ou de l’exemption individuelle

48 Au cas où il serait établi qu’un accord ou une clause contractuelle restreindrait la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’examiner si les conditions du paragraphe 3 de cet article sont réunies.

49 La possibilité pour une entreprise de bénéficier, à titre individuel, de l’exception légale prévue à l’article 101, paragraphe 3, TFUE découle directement du traité. Elle n’est contestée dans aucune des observations soumises à la Cour. Cette possibilité est également offerte à la requérante au principal.

50 En revanche, à cet égard, étant donné que la Cour ne dispose pas d’éléments suffisants pour apprécier si le contrat de distribution sélective satisfait aux conditions de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, elle ne peut pas fournir d’indications supplémentaires à la juridiction de renvoi.

51 En ce qui concerne la possibilité pour le contrat de distribution sélective de bénéficier de l’exemption par catégorie du règlement n° 2790/1999, il convient de relever que les catégories d’accords verticaux qui peuvent en bénéficier ont été définies par la Commission dans ledit règlement, sur le fondement de l’autorisation du Conseil contenue dans le règlement n° 19/65/CEE du Conseil, du 2 mars 1965, concernant l’application de l’article [81] paragraphe 3 du traité à des catégories d’accords et de pratiques concertées (JO 1965, 36, p. 533).

52 En vertu des articles 2 et 3 du règlement n° 2790/1999, un fournisseur, dans le cadre d’un système de distribution sélective, peut, en principe, bénéficier d’une exemption, lorsque sa part de marché ne dépasse pas 30 %. Il ressort du dossier soumis à la Cour que la part de marché de Pierre Fabre Dermo-Cosmétique ne dépasse pas ce seuil. En revanche, ce règlement, en application de l’article 2 du règlement n° 19/65, a exclu certains types de restrictions ayant des effets anticoncurrentiels graves, indépendamment de la part de marché des entreprises concernées.

53 Ainsi, il résulte de l’article 4, sous c), du règlement n° 2790/1999 que l’exemption ne s’applique pas aux accords verticaux, directement ou indirectement, isolément ou cumulés avec d’autres facteurs, sous le contrôle des parties, qui ont pour objet la restriction des ventes actives ou des ventes passives aux utilisateurs finals par les membres d’un système de distribution sélective qui opèrent en tant que détaillants sur le marché, sans préjudice de la possibilité d’interdire à un membre du système d’opérer à partir d’un lieu d’établissement non autorisé.

54 Une clause contractuelle, telle que celle en cause au principal, interdisant de facto Internet comme mode de commercialisation a, à tout le moins, pour objet de restreindre les ventes passives aux utilisateurs finals désireux d’acheter par Internet et localisés en dehors de la zone de chalandise physique du membre concerné du système de distribution sélective.

55 Selon Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, l’interdiction de vendre les produits contractuels par Internet équivaut toutefois à une interdiction d’opérer à partir d’un lieu d’établissement non autorisé. Étant donné que, ainsi, les conditions de l’exemption prévues par la disposition in fine, citée au point 53, sont remplies, ledit article 4 ne lui serait pas applicable.

56 Il convient de constater que l’article 4, sous c), du règlement n° 2790/1999, en mentionnant «un lieu d’établissement», ne vise que des points de vente où des ventes directes se pratiquent. La question qui se pose est celle de savoir si ce terme peut être étendu, par une interprétation large, au lieu à partir duquel les services de vente par Internet sont fournis.

57 En ce qui concerne cette question, il convient de relever que, une entreprise ayant la faculté, en toutes circonstances, de soulever, à titre individuel, l’applicabilité de l’exception légale de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, ses droits pouvant ainsi être protégés, il n’y a pas lieu de donner une interprétation large aux dispositions qui font entrer les accords ou les pratiques dans l’exemption par catégorie.

58 Ainsi, une clause contractuelle, telle que celle en cause au principal, interdisant de facto Internet comme mode de commercialisation ne saurait être considérée comme une clause interdisant aux membres du système de distribution sélective concerné d’opérer à partir d’un lieu d’établissement non autorisé au sens de l’article 4, sous c), du règlement n° 2790/1999.

59 Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux deuxième et troisième branches de la question posée que l’article 4, sous c), du règlement n° 2790/1999 doit être interprété en ce sens que l’exemption par catégorie prévue à l’article 2 dudit règlement ne s’applique pas à un contrat de distribution sélective qui comporte une clause interdisant de facto Internet comme mode de commercialisation des produits contractuels. En revanche, un tel contrat peut bénéficier, à titre individuel, de l’applicabilité de l’exception légale de l’article 101, paragraphe 3, TFUE si les conditions de cette disposition sont réunies.

Sur les dépens

60 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

DECISION

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

L’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une clause contractuelle, dans le cadre d’un système de distribution sélective, exigeant que les ventes de produits cosmétiques et d’hygiène corporelle soient effectuées dans un espace physique en présence obligatoire d’un pharmacien diplômé, ayant pour conséquence l’interdiction de l’utilisation d’Internet pour ces ventes, constitue une restriction par objet au sens de cette disposition si, à la suite d’un examen individuel et concret de la teneur et de l’objectif de cette clause contractuelle et du contexte juridique et économique dans lequel elle s’inscrit, il apparaît que, eu égard aux propriétés des produits en cause, cette clause n’est pas objectivement justifiée.

L’article 4, sous c), du règlement (CE) n° 2790/1999 de la Commission, du 22 décembre 1999, concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, doit être interprété en ce sens que l’exemption par catégorie prévue à l’article 2 dudit règlement ne s’applique pas à un contrat de distribution sélective qui comporte une clause interdisant de facto Internet comme mode de commercialisation des produits contractuels. En revanche, un tel contrat peut bénéficier, à titre individuel, de l’applicabilité de l’exception légale de l’article 101, paragraphe 3, TFUE si les conditions de cette disposition sont réunies.

La Cour : M. K. Lenaerts (président de chambre), MM. E. Juhász (rapporteur), G. Arestis, T. von Danwitz et D. Šváby (juges),

Avocats : Me J. Philippe, M. M. Massella Ducci Teri,

Source : curia.europa.eu

Notre présentation de la décision

Voir CA du 29/10/09

Voir CA du 31/01/13

 
 

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