Les avocats du net

 
 


 

Jurisprudence : E-commerce

vendredi 16 décembre 2011
Facebook Viadeo Linkedin

Cour d’appel de Paris Pôle 1, chambre 3 Arrêt du 06 décembre 2011

Ebay Europe et autres / Maceo

compétence territoriale - critère - marques - rattachement - site internet

FAITS ET PROCÉDURE

La société Maceo a pour activité la création, la fabrication et la distribution de vêtements de prêt à porter, elle est titulaire de marques françaises et communautaires « April 77 » n° 3196299 et 6435309 et « April 77 Records » n° 3513338 et n° 6419683.

Estimant que sur le site www.ebay.com des annonces reproduisaient sa marque « April 77 » sans son autorisation, la société Maceo a fait réaliser le 28 novembre 2007 un procès verbal de constat d’huissier sur internet et un achat de « jean » contrefaisant et les 12 mars et 15 avril 2008 des constats sur le site www.ebay.com.

Par lettres des 31 mars et 14 avril 2008, la société Maceo a mis en demeure les sociétés eBay Inc., société de droit du Delaware, et eBay Europe, société de droit luxembourgeois, de cesser ces actes et de retirer toute référence à la marque April 77 sur le site www.ebay.com ou sur tout site apparent.

Par actes des 6 et 17 juin 2008, la société Maceo a fait assigner les sociétés eBay Inc., eBay Europe et la société eBay France devant le tribunal de grande instance de Paris afin d’obtenir la cessation des actes de contrefaçon de la marque « April 77 » et l’indemnisation de son préjudice.

Par ordonnance du 5 mai 2009, le juge de la mise en état de ce tribunal a débouté les sociétés eBay de leur exception d’incompétence.

Par arrêt du 2 décembre 2009, la présente cour d’appel, autrement composée, statuant sur le recours formé à l’encontre de cette décision par les sociétés eBay Inc., eBay Europe et la société eBay France a débouté celles-ci de leur exception d’incompétence et a condamné chacune de ces sociétés, tenues in solidum, à payer à la société Maceo, 1800 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, statuant sur le pourvoi formé à l’encontre de cet arrêt par les sociétés eBay Inc., eBay Europe et la société eBay France, a par arrêt du 29 mars 2011, cassé et annulé l’arrêt rendu le 2 décembre 2009 par la cour d’appel de Paris en toutes ses dispositions et renvoyé la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris, autrement composée.

La cassation est intervenue au visa de l’article 46 du code de procédure civile au motif que pour débouter les sociétés eBay de leur exception d’incompétence à l’égard de la société de droit américain eBay Inc., l’arrêt retient qu’il est établi que le site exploité aux Etats Unis d’Amérique est accessible sur le territoire français et que le préjudice allégué, ni virtuel ni éventuel peut n’être apprécié par le juge français sans qu’il soit utile de rechercher s’il existe un lien ou non suffisant, substantiel ou significatif entre les faits allégués et le territoire français,

Qu’en se déterminant ainsi alors que la seule accessibilité d’un site sur le territoire français n’est pas suffisante pour retenir la compétence des juridictions françaises et sans rechercher si les annonces litigieuses étaient destinées au public de France, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

Les sociétés eBay Inc., eBay Europe et la société eBay France, appelantes, ont par déclaration déposée au greffe le 10 mai 2011 saisi la présente cour de renvoi.

Aux termes de leurs écritures déposées le 4 octobre 2011, elles demandent de l’ordonnance du 5 mai 2009 du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris en ce qu’il a rejeté l’exception d’incompétence par elles et de renvoyer la société Maceo à mieux se pourvoir, le cas échéant, les juridictions américaines et de la condamner aux entiers dépens ainsi qu’à leur payer à chacune une indemnité de 2000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La SCP Brouard Daude, en la personne de maître Florence Daude Brouard, es qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société Maceo, maître Chiriqui, es qualité d’administrateur au redressement judiciaire de la société Maceo, et la société Maceo, représentée par son gérant, aux termes de leurs conclusions signifiées le 20 septembre 2011, demandent de confirmer l’ordonnance du 5 mai 2009, de déclarer les juridictions françaises compétentes à l’égard de la société eBay Inc. et de condamner in solidum les sociétés eBay Inc., eBay Europe et la société eBay France à payer à la société Maceo la somme de 8000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de les condamner aux entiers dépens.

DISCUSSION

Considérant que les appelantes font essentiellement valoir que la société eBay Inc. a son siège social en Californie, qu’elle est la « mère » du groupe eBay et que les serveurs sur lesquels tournent tous les sites eBay sont installés dans ses locaux, qu’elle n’exploite que le site internet ebay.com, que eBay Europe est la société contractuellement liée aux utilisateurs résidant dans l’Union Européenne et eBay France est une filiale d’eBay International AG (société de droit suisse), qu’elle est chargée de promouvoir en France la marque eBay, que cette dernière n’exploite ni n’héberge aucun site internet et n’est plus titulaire du nom de domaine eBay depuis 2006 ; que l’intimé ne peut donc reprocher la diffusion d’annonces prétendument contrefaisantes qu’à la seule société eBay Inc., que l’option de compétence offerte en matière délictuelle par l’article 46 du code de procédure civile, impose en ce qui concerne les fautes prétendument commises via ou sur internet, en matière internationale, non seulement que le site soit orienté vers le public français pour retenir la compétence des juridictions françaises, mais également qu’il existe un lien de rattachement substantiel, suffisant et significatif entre les faits ou actes et le dommage allégué
; qu’en l’espèce, il n’est pas possible de considérer que le lieu du dommage est localisé en France, qu’en effet, le site n’est pas destiné au public de France, il est rédigé intégralement en langue anglaise, les cadres publicitaires du site sont exclusivement rédigés en anglais, les annonces visent le public américain, les prix sont définis en US$, les tailles de vêtements proposés à la vente sont celles utilisées par les boutiques américaines ; qu’elles soutiennent que contrairement aux affirmations de l’intimée, eBay France n’est pas à l’origine de « l’email » de notification sur le compte utilisateur de l’huissier mandaté par Maceo, que cet email ne permet pas à un utilisateur de vérifier dans sa langue le contenu de son achat ; qu’elles soutiennent que l’intimée se fonde uniquement sur un faisceau d’indices comprenant divers éléments qui ne démontrent en rien une orientation spécifique vers le public de France ;

Que l’intimée relève que les appelantes reconnaissent dans leurs écritures que l’accessibilité du site apparait désormais comme une condition nécessaire à l’exercice de la compétence des juridictions françaises, que cette position est celle retenue par la CJUE dans un arrêt du 12 juillet 2011 qui estime que cette simple accessibilité ne suffit pas pour conclure que les offres à la vente y affichées sont destinées à des consommateurs situés sur ce territoire, qu’il incombe aux juridictions nationales d’apprécier au cas par cas des indices pertinents pour conclure qu’une offre de vente, affichée sur une place de marché en ligne accessible sur le territoire couvert par la marque, est destinée à des consommateurs situés sur celui-ci ; qu’elle fait valoir qu’en l’espèce, le site www.ebay.com est bien accessible sur le territoire français, que les annonces litigieuses sont destinées au public de France, compte tenu de la possibilité de se faire livrer en France, du contenu rédactionnel des annonces litigieuses et de l’indifférence de l’usage de la langue anglaise, de l’intelligibilité du site www.ebay.com par l’internaute français, de l’utilisation par les sociétés eBay d’une extension neutre en com ;
qu’elle se réfère à des constats d’huissier pour justifier que la passation et le règlement de commandes sont tout à fait possibles en France ; qu’elle estime que l’usage de la langue anglaise qui ne concerne qu’une partie rédactionnelle pauvre (prix, tailles, localisation et quantité de vêtements) n’est pas un obstacle à la compréhension du public français, qu’en raison du secteur économique concerné, le site qui propose des vêtements et accessoires de mode aux enchères par l’intermédiaire de photographies reproduisant les caractéristiques essentielles desdits produits est intelligible pour tous, qu’elle ajoute que l’extension « com » n’emporte aucun rattachement à un public déterminé ;

Et considérant que la seule accessibilité d’un site sur le territoire français n’est pas suffisante pour retenir la compétence des juridictions françaises, qu’il convient de rechercher si les annonces litigieuses étaient destinées au public de France et donc d’examiner si en l’espèce, il existe un lien suffisant, substantiel ou significatif entre les faits délictuels et le dommage allégué sur le territoire français eu égard à l’incidence commerciale que peut avoir la diffusion du site incriminé en France ;

Considérant qu’il n’est pas contesté que la société eBay Inc., société de droit californien n’exploite que le site ebay.com, que la société eBay Europe est celle qui est liée aux utilisateurs qui résident dans l’UE et que la société eBay France n’exploite ni n’héberge aucun site internet ;

Considérant qu’il est établi que le site ebay.com est rédigé en langue anglaise, que les prix des articles offerts à la vente figurent en US$, que les tailles des vêtements sont référencées en « inches », qu’il n’est pas contesté que les articles en vente soient livrables dans le monde entier ;

Considérant que pour justifier de la compétence de la juridiction française, l’intimée se prévaut de ce que les produits contrefaisants sont commercialisés en France, qu’elle se fonde sur le fait que l’huissier qu’elle a mandaté a pu se faire livrer en France (procès verbal de constat du 28 novembre 2010, pièce 6, annexes 9 et 10), que l’examen du courriel de confirmation d’achat précise toutefois qu’il est écrit dans la langue du site sur lequel l’huissier acquéreur s’est inscrit, que la notification a été envoyée par eBay Europe et que son compte est enregistré sur www.ebay.fr, qu’il ne saurait être tiré de cette livraison en France effectuée dans la perspective de la présente procédure en l’absence de toute autre preuve d’acquisition par des internautes français d’autres produits de la marque à partir de ce site que les articles figurant sur le site ebay.com sont commercialisés à destination des consommateurs de France ;

Considérant que de même, la circonstance selon laquelle l’usage de la langue anglaise serait selon l’intimée indifférente, le contenu des annonces compréhensible par le public de France et ne permettraient ainsi pas d’exclure le public français, ne suffit pas au cas d’espèce à caractériser que les annonces litigieuses aient été destinées au public de France ; qu’en effet, la rédaction de ces annonces en langue anglaise démontre qu’elles ne visent pas d’emblée le public de France, que la langue anglaise, quelle que soit son expansion, n’est pas accessible à tout français, qu’il n’est pas démontré que le site concerné mette personnellement à la disposition de l’internaute francophone un logiciel automatique de traduction en langue française des annonces pour les lui destiner ; que les annonces sont certes accompagnées de photos permettant d’identifier l’article, que leur contenu rédactionnel pour chaque article vise essentiellement la taille, selon mesure en inches non pratiquée par les vendeurs à destination des consommateurs français, et le prix exprimé en US$, monnaie n’ayant pas cours dans les transactions en France, que toutefois, la livraison effective d’un achat par un consommateur français sur le site litigieux ne se limite pas à la compréhension du prix et de la taille de l’article, à supposer ces éléments admis, mais impose le suivi de l’ensemble des instructions fournies en seule langue anglaise ;

Considérant que les indices allégués par la société Maceo ne permettent en conséquence pas de démontrer que les annonces litigieuses sont destinées au public de France, qu’il doit être fait droit à l’exception d’incompétence soulevée par les appelantes, que l’ordonnance doit être infirmée ;

Considérant que l’équité commande de ne pas faire application de l’article 700 du code de procédure civile, que la société Maceo sera condamnée aux entiers dépens ;

DECISION

Par ces motifs,

. Infirme l’ordonnance rendue le 5 mai 2009 par le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris,

Statuant à nouveau,

. Fait droit à l’exception d’incompétence soulevée par les sociétés eBay Inc., eBay Europe et la société eBay France et déclare le tribunal de grande instance de Paris territorialement incompétent,

. Renvoie la société Maceo à mieux se pourvoir,

. Condamne la SCP Brouard Daude, en la personne de maître Florence
Daude Brouard, es qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société Maceo, maître Chiriqui es qualité d’administrateur au redressement judiciaire de la société Maceo et la société Maceo aux entiers dépens et dit qu’ils seront recouvrés comme il est prescrit à l’article 699 du code de procédure civile.

La cour : Mme Joëlle Bourquard (présidente), Mme Martine Taillandier-Thomas et Sylvie Maunand (conseillères)

Avocats : Me Christine Gateau, Me Emmanuel Hoffman

Notre présentation de la décision

 
 

En complément

Maître Christine Gateau est également intervenu(e) dans les 9 affaires suivante  :

 

En complément

Maître Emmanuel Hoffman est également intervenu(e) dans les 4 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Joëlle Bourquard est également intervenu(e) dans les 4 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Martine Taillandier-Thomas est également intervenu(e) dans les 7 affaires suivante  :

 

En complément

Le magistrat Sylvie Maunand est également intervenu(e) dans les 9 affaires suivante  :

 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.