Jurisprudence : E-commerce
Tribunal de commerce de Paris 15ème chambre Jugement du 31 janvier 2012
Bottin Cartographes / Google France, Google Inc.
abus - concurrence - géolocalisation - moteur de recherche - position dominante - site internet
FAITS
La société Bottin Cartographes est spécialisée dans le secteur de la cartographie multimédia et plus particulièrement dans le domaine de la création d’applications web de plans d’accès et cartes permettant la localisation d’adresses et l’édition d’itinéraires en ligne.
Les cartes réalisées sont exclusivement destinées à être intégrées aux sites internet des sociétés clientes de Bottin Cartographes.
Cette clientèle est notamment constituée de collectivités locales, de grandes enseignes de la distribution, du secteur immobilier, de la restauration ainsi que du secteur bancaire. A la suite du rachat en octobre 2004 de la société Keyhole Corp. éditeur d’applications interactives de cartographies, Google a développé un nouveau moteur de recherche géographique dénommé «Google Maps», fonctionnel en France depuis le mois d’avril 2005 en «version bêta», et depuis 2007 dans sa version définitive.
Ce service, consistant en une application web de cartographies qui permet la localisation d’adresses, l’édition d’itinéraires et le repérage de centres d’intérêt à proximité d’une adresse donnée, est proposé gratuitement par Google.
Pour les entreprises, l’API (Application Prograrnming Interface) permettant la mise en place de ces services se trouve être payante uniquement pour une utilisation intranet mais totalement gratuite pour les sites internet desdites entreprises.
Ainsi, par le biais de leur moteur de recherche, les sociétés Google offrent gratuitement à leur clientèle formée de particuliers et d’entreprises, la mise en place de cartographies strictement semblables à celles commercialisées par la société Bottin Cartographes sous forme d’un abonnement annuel et de régularisations suivant la consommation réelle. Les produits cartographiques créés par la société Bottin Cartographes se trouvent être parfaitement similaires à ceux offerts gratuitement par Google via Google Maps API défini par les défenderesses comme étant « un service de cartographie permettant d’insérer une carte Google dans un site internet ». Les sociétés Bottin Cartographes et Google se trouvent ainsi en situation de concurrence directe en France depuis 2005, proposant toutes deux aux entreprises des modules de cartes, plans et itinéraires personnalisés à intégrer à leur site web à partir de données géographiques acquises auprès des sociétés Teleatlas, Navteq et d’intervenants locaux.
La revendication de la société Bottin Cartographes porte sur les conditions de mise en œuvre de « Google Maps API » à l’exclusion du « portail » Google Maps et du produit spécifique payant « Google Mass API Premier ».
Ainsi est née la présente instance.
PROCÉDURE
La société Bottin Cartographes a, par exploit, en date du 24 juillet 2009, assigné les sociétés Google France et Google Inc., devant le Tribunal de Céans et aux audiences des 11 juin 2010 et 28 juin 2011 demande au tribunal de :
– Dire et juger la société Bottin Cartographes recevable et bien fondée en son action ;
– Constater que les sociétés Google France et Google Inc. ont commis une série de fautes engageant leur responsabilité en pratiquant des prix abusivement bas dans le but d’évincer leurs concurrents et en abusant de leur position dominante ;
– Constater que ces agissements ont causé des préjudices directs à la société Bottin Cartographes ;
– Condamner solidairement les sociétés Google France et Google Inc. à verser à Bottin Cartographes une somme de 500 000 € à titre de dommages intérêts en réparation des préjudices subis ;
– Enjoindre aux sociétés Google France et Google Inc. d’avoir à justifier de la mise en place, auprès de sa clientèle, de propositions commerciales portant sur la publicité ciblée prévue aux conditions d’utilisation du service Google Maps API, sous astreinte de 20 000 € par jour de retard à compter du jugement à intervenir ;
– Ordonner la publication du jugement à intervenir dans les quotidiens Wall Street Journal, Herald Tribune, Le Monde, Le Figaro, La Tribune et Les Echos ;
– Condamner solidairement les sociétés Google France et Google Inc. au paiement d’une somme de 15.000 € au titre de l’article 700 du CPC ;
– Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;
– Condamner solidairement les défenderesses aux entiers dépens.
Aux audiences des 15 octobre 2010, 25 février 2011 et 18 novembre 2011, compte tenu des dernières modifications, les sociétés Google France et Google Inc. demandent au tribunal de :
– Constater d’une part, que les contrats en rapport avec les services Google Maps sont conclus entre le client et la seule société de droit américain Google Inc. et, d’autre part, que la société Google France n’intervient pas dans la commercialisation et la fourniture de ces services de cartographies par internet.
En conséquence,
– Mettre hors de cause la société Google France.
– Dire et juger que les demandes de la société Bottin Cartographes sur le fondement de l’article L.420-5 alinéa 1 du code de commerce sont irrecevables et l’en débouter.
– Constater que la société Bottin Cartographes, qui a la charge de la preuve, ne justifie ni du marché qu’elle invoque, ni de la prétendue position de la société Google Inc. qu’elle allègue, ni du prétendu abus de position dominante.
– Dire et juger que la société Google Inc. ne commet aucune faute en diffusant gratuitement le service Google Maps API ainsi qu’il résulte de la jurisprudence en la matière.
– Constater que la société Google Inc. insère de la publicité sur certains sites internet.
En conséquence,
– Débouter la société Bottin Cartographes de l’ensemble de ses demandes.
A titre subsidiaire :
– Dire et juger que le préjudice dont la société Bottin Cartographes demande réparation n’est justifié ni dans son principe ni dans son montant.
– Dire et juger qu’aucune injonction de mettre en place une publicité ciblée sur le service Google Maps ne saurait être ordonnée.
En conséquence,
– Débouter la société Bottin Cartographes de l’ensemble de ses demandes.
A titre infiniment subsidiaire :
– Dire et juger qu’il n’y a pas lieu à exécution provisoire en ce qui concerne les demandes de la société Bottin Cartographes.
Cependant, si, par extraordinaire, le tribunal de commerce de céans, d’une part, condamnait la société Google Inc. et/ou la société Google France à verser à la société Bottin Cartographes une quelconque somme et, d’autre part, considérait qu’il y a lieu à exécution provisoire,
– Ordonner que cette condamnation soit assortie de la remise préalable par la société Bottin Cartographes à la société Google Inc. et/ou à la société Google France d’une caution bancaire couvrant l’intégralité des condamnations mises à sa (leur) charge.
En tout état de cause :
– Condamner la société Bottin Cartographes à verser à la société Google Inc. et à la société Google France la somme de 10 000 € chacune au titre de l’article 700 du CPC
– Condamner la société Bottin Cartographes en tous les dépens.
L’ensemble de ces demandes a fait l’objet de dépôt de conclusions ; celles-ci ont été échangées en présence d’un greffier qui a pris acte sur la côte de procédure ou ont été régularisées par le juge rapporteur en présence des parties. A l’audience de plaidoirie du 18 novembre 2011, après avoir entendu les parties en leurs explications et observations, le juge rapporteur a clos les débats, mis l’affaire en délibéré et dit que le jugement sera prononcé par mise à disposition au greffe le 22 décembre 2011 reporté au 31 janvier 2012.
DISCUSSION
Après avoir pris connaissance de tous les moyens et arguments développés par les parties, tant dans leurs plaidoiries que dans leurs écritures, appliquant les dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, le tribunal les résumera succinctement de la façon suivante :
La société Bottin Cartographes soutient principalement que :
– Après avoir défini le « marché pertinent » comme étant celui de la cartographie en ligne permettant la géolocalisation de points de vente sur les sites web des entreprises et caractérisé les prix anormalement bas pratiqués, la société Google n’ayant pu échapper à ces impératifs et son choix d’offrir gratuitement ses applications web s’analysant en une pratique de prix anormalement bas au sens des dispositions de l’article L.420-5 alinéa 1er du code de commerce ;
– La responsabilité des sociétés Google est engagée sur le fondement de ces dispositions de l’article L.420-5 du code de commerce ;
– Mais également sur le fondement des dispositions de l’article L.420-2 du même code à savoir un abus de position dominante ;
Les sociétés Google France et Google Inc. rétorquent principalement que :
– La société Google France doit être mise hors de cause ;
– Les clients de la société Bottin Cartographes (qui sont des entreprises, ex. Fnac…) ne sont pas les consommateurs finals des services de cartographies clients, il s’agit en l’espèce de relations inter-entreprises (le produit étant destiné aux entreprises)
– Les sociétés clientes de la société Bottin Cartographes modifient les produits cartographiques acquis auprès de cette dernière afin de les personnaliser, de les adapter à leurs besoins et aux exigences de leurs propres clients et de leur site internet ;
– Les clients de la société Bottin Cartographes se fournissent auprès d’elle dans le cadre de leur propre activité commerciale afin de promouvoir leurs ventes et satisfaire leurs propres clients en facilitant l’acte d’achat et en donnant d’eux une image positive à travers leur site internet et l’assistance apportée. Ce sont donc des intermédiaires qui agissent pour leur besoin commercial et non pour leurs propres besoins ;
– De plus, les orientations de la Commission européenne relatives à l’article 82 du Traité de Rome (aujourd’hui article 102 du TFUE) ont définies avec précision les conditions légales permettant de constater une pratique de prix prédateurs. En d’autres termes, afin de démontrer que Google Inc. aurait abusé ou abuserait de sa prétendue position dominante par la pratique de prix prédateurs, les éléments suivants doivent être déterminés : le ou les marchés pertinents en cause, le fait que la société Google Inc. occupe une position dominante, les pratiques prétendument abusives et notamment en l’espèce le fait que la société Google Inc. sacrifie des bénéfices à court terme, la perspective probable d’évictions anticoncurrentielles ;
La société Bottin Cartographes ne démontre aucun de ces éléments.
Sur la demande de mise hors de cause de la société Google France
Attendu qu’il ressort de l’extrait du site internet «Google.fr» intitulé «Solutions d’entreprise : Google Maps» rédigé en langue française, que l’assistance proposée aux entreprises est présentée comme étant fournie par «Google Maps», ou encore, «l’équipe Google entreprise», sans distinction entre Google Inc. et Google France ou toute autre filiale ;
Attendu que la société Google France est présentée aux yeux du public français comme étant l’unique gestionnaire des services liés à la cartographie Google ;
Attendu que la jurisprudence retient le critère de l’apparence pour considérer l’implication de Google France nonobstant l’organisation interne du groupe de sociétés Google ;
Attendu que les utilisateurs des logiciels de cartographies Google ne sont jamais en contact direct avec Google Inc., ce qui n’est pas contesté par les défenderesses ;
Attendu que Google France est la seule société Google immatriculée en France, que cette filiale créée en 2002 a, dès l’origine, mis en place une équipe commerciale toujours présente en 2008 et proposant aux entreprises des services de géolocalisation, que cette équipe commercialise en France les produits et services de cartographie, que l’organisation générale du groupe Google dictée par des choix d’optimisation fiscale n’enlève en rien à Google France sa qualité d”’établissement stable” sur le territoire national dont l’action commerciale apparaît tant au niveau de la conclusion des contrats que du développement de l’activité globale de Google en France ;
Le Tribunal déboutera les défenderesses de leur demande de mise hors de cause de la société Google France.
Sur la violation des dispositions de l’article 420-5 du code de commerce
Attendu que les clients de la société Bottin Cartographes (qui sont des entreprises, ex. Fnac…) ne sont pas les consommateurs finals des services de cartographies clients, qu’il s’agit en l’espèce de relations inter-entreprises (le produit étant destiné aux entreprises) ;
Attendu que les sociétés clientes de la société Bottin Cartographes modifient les produits cartographiques acquis auprès de cette dernière afin de les personnaliser, de les adapter à leurs besoins et aux exigences de leurs propres clients et de leur site internet ;
Attendu que les clients de la société Bottin Cartographes se fournissent auprès d’elle dans le cadre de leur propre activité commerciale afin de promouvoir leurs ventes et satisfaire leurs propres clients en facilitant l’acte d’achat et en donnant d’eux une image positive à travers leur site internet et l’assistance apportée, que ce sont donc des intermédiaires qui agissent pour leur besoin commercial et non pour leurs propres besoins.
Le tribunal de commerce de céans déboutera la société Bottin Cartographes de ses demandes sur le fondement de l’article L.420-5 du code de commerce dans la mesure où elle n’a pas apporté la preuve qu’elle fournissait sa solution à des consommateurs non professionnels.
Sur la violation des dispositions de l’article 420-2 du code de commerce
Attendu que l’article 420-2 alinéa 1 du code de commerce dispose que :
« Est prohibée, dans les conditions prévues à l’article L 420-1, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci… » ;
Attendu que la jurisprudence, tant interne que communautaire, considère qu’une entreprise est en situation de position dominante lorsqu’elle est susceptible de s’abstraire des conditions du marché et d’agir à peu près librement sans tenir compte du comportement et de la réaction de ses concurrents ;
Attendu que l’Autorité de la Concurrence a défini le marché pertinent comme ‘‘le lieu où se rencontrent l’offre et la demande pour un produit C…) spécifique” ;
Attendu que les sociétés Google détiennent incontestablement en France un monopole de fait sur le marché des moteurs de recherche ;
Attendu que les « baromètres » indiquent que Google représentait, en France, en décembre 2009, 89.1% des parts du marché des moteurs de recherche ;
Attendu que selon la jurisprudence constante, la position dominante d’une entreprise est caractérisée lorsqu’elle occupe la moitié ou plus du marché des produits ou services en cause ;
Attendu que cette situation engendre une position également dominante sur les marchés connexes que sont ceux de la publicité et de la cartographie en ligne ;
Attendu en effet qu’il s’agisse de la publicité en ligne (liens sponsorisés) ou de la cartographie en ligne (type Google Maps “portail”), ces secteurs présentent un lien de connexité évident avec le marché des moteurs de recherche ;
Attendu que l’Autorité de la Concurrence a, dans un avis du 14 décembre 2010, considéré que Google occupait « une position fortement dominante» sur le marché des publicités liées aux recherches sur internet ;
Attendu que l’Autorité de la Concurrence a ainsi retenu que la position de Google totalisant plus de 90% des recherches des internautes, engendrait nécessairement une position dominante sur le marché des liens sponsorisés ;
Attendu que ce principe est parfaitement transposable à la cartographie en ligne, en effet, la position dominante de Google Maps étant directement liée à la domination de Google sur le marché des moteurs de recherche ;
Attendu que le marché pertinent défini comme étant celui de la cartographie en ligne permettant la géolocalisation de points de vente sur les sites web des entreprises est à l’évidence directement lié à celui de la cartographie en ligne dominé par les sociétés Google ;
Attendu que dans le cadre du présent litige, le marché considéré est celui de la cartographie en ligne permettant la géolocalisation de points de vente sur les sites web des entreprises ;
Attendu que ce type de produit cartographique particulier correspond précisément aux produits commercialisés par la société Bottin Cartographes et à ceux offerts par Google via Google Maps API.
Attendu que l’Autorité de la Concurrence considère comme substituables, et comme se trouvant sur un même marché, les produits ou services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les regardent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande, le critère déterminant de leur choix résidant dans le prix auquel chacun des offreurs propose la vente ;
Attendu en l’espèce que les sociétés Bottin Cartographes et Google offrent, directement pour l’une et via Google Maps API pour l’autre, des produits et services manifestement substituables entre eux, l’analyse des caractéristiques propres des modules de cartographie en cause, leurs conditions techniques d’utilisation, leur commercialisation et leurs coûts d’usage, ne laissant aucun doute sur la similarité des produits proposés ;
Attendu que les sociétés Google ne contestent d’ailleurs pas ces similitudes ;
Le tribunal dira que la société Bottin Cartographes a parfaitement justifié d’une part de la réalité des parts de marché détenues par les sociétés Google et d’autre part de la domination du marché considéré par ces dernières.
Attendu qu’il convient maintenant d’analyser les autres critères de l’abus de position dominante ;
Attendu que le prix de vente (égal à zéro) du module de cartographie des sociétés Google ne permet pas de couvrir le coût de revient nécessairement exposé pour l’élaboration et la distribution des produits ;
Attendu en effet que les parties au présent litige sont dans l’obligation de s’acquitter, auprès de fournisseurs spécialisés, des droits d’utilisation des données géographiques (ou vues aériennes) nécessaires à leurs créations ;
Attendu que la société Google, de par sa couverture mondiale, doit agréger les données de plusieurs dizaines de prestataires ;
Attendu qu’à ce coût d’acquisition des données brutes, s’ajoutent les frais exposés pour les besoins du traitement desdites données ;
Attendu que la Cour de cassation retient que la pratique de prix anormalement bas caractérise à elle seule une exploitation abusive dès lors qu’elle est le fait d’une entreprise en position dominante sur son marché ;
Attendu que l’Autorité de la Concurrence considère que la preuve de la volonté d’éviction résulte de plein droit de la pratique, par une entreprise en position dominante, de prix de vente inférieurs aux coûts variables ;
Attendu qu’en l’espèce, le comportement des sociétés Google aboutit à l’éviction de tout concurrent (exemple Maporama) mais en outre s’inscrit à l’évidence dans le cadre d’une stratégie générale d’élimination ;
Attendu que la pratique de gratuité a manifestement vocation à optimiser à terme la commercialisation de publicités ciblées ;
Attendu en effet qu’une fois la concurrence évincée, rien n’empêchera l’application des conditions contractuelles prévues depuis l’origine et partant l’insertion de publicités sur les cartes web obtenues gratuitement via Google Maps API.
Attendu que les annonceurs seront en effet définitivement acquis à Google laquelle détiendra seule les supports publicitaires que représentent les cartographies web ;
Attendu que cette méthodologie est d’ores et déjà mise en application puisque Google organise dès à présent le marché de la publicité sur les supports de cartographies web, qu’en effet une recherche sur le moteur Google aboutit à la présentation d’une carte Google Maps, que cette systématisation influence définitivement les entreprises clientes, ces dernières estimant à juste titre que le choix de l’API Google Maps gratuit favorisera leur référencement naturel sur le moteur de recherche Google ;
Le tribunal dira qu’outre leur position dominante sur le marché, les sociétés Google ont pratiqué des prix abusivement bas, ont exploité abusivement leur position et qu’elles n’ont pu le faire que parce qu’elles étaient on position dominante et qu’ainsi les 4 conditions de l’application de l’abus de position dominante sont donc remplies.
Sur le préjudice subi
Attendu que la société Bottin Cartographes est fondée, en vertu des dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil, à solliciter la réparation des préjudices causés directement par la violation de l’article L.420-2 du code de commerce par les sociétés Google ;
Attendu que les fautes commises par les sociétés Google ont fait subir à Bottin Cartographes une série de préjudices se caractérisant notamment par une perte incontestable de clientèle et de chiffre d’affaires et par un obstacle à son expansion future ;
Attendu qu’il ressort des pièces produites que, depuis la mise en service de Google Maps et l’offre gratuite des applications web de cartographies, la société Bottin Cartographes a pu constater que les contrats arrivés à terme n’ont pas été reconduits, les clients ayant opté pour le produit gratuit Google, que les résiliations de contrats comptabilisées sont intervenues au profit de la solution gratuite ;
Attendu que la société Bottin Cartographes justifie ainsi d’une perte de chiffres d’affaires d’un montant de 404 204 € établi sur la base des facturations 2007/2008 et non renouvelées en 2009 du fait du choix de la solution gratuite par les clients ;
Attendu qu’en 2009, le chiffre d’affaires résiduel de Bottin Cartographes a continué à nettement diminuer ;
Attendu que la perte de chiffre d’affaires 2009 et 2010 est donc estimée à minima à hauteur de 800 000 €, que cette perte touche essentiellement la cartographie en ligne ;
Attendu qu’au-delà même de ce préjudice financier, les services commerciaux de la société Bottin Cartographes se sont trouvés quotidiennement confrontés à des difficultés croissantes dans leurs actions, notamment dans leur mission de prospection ; qu’en effet, la réaction légitime des entreprises prospectées est d’opposer à toute proposition commerciale payante la solution gratuite accessible auprès des sociétés Google ;
Attendu qu’en outre, les agissements des sociétés Google ont porté atteinte à l’image de la société Bottin Cartographes et empêché toutes perspectives de développement de la société Bottin Cartographes alors même que le marché de la cartographie se trouve en plein essor ;
Le tribunal condamnera les sociétés Google à verser à la société Bottin Cartographes la somme de 500 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de l’ensemble des préjudices subis, ordonnant la publication du jugement à intervenir dans les Wall Street Journal, Herald Tribune, Le Monde, Le Figaro, La Tribune et Les Echos, aux frais des sociétés Google sans que le cout de chacune des publications puisse dépasser la somme de 5000 € HT.
Sur la demande de la société Bottin Cartographes qu’il soit enjoint aux sociétés Google d’avoir à justifier de la mise en place de propositions commerciales
Attendu que cette possibilité de faire figurer de la publicité est prévue au contrat ;
Attendu qu’il n’appartient pas à la société Bottin Cartographes de s’immiscer des les relations entre la société Google et ses cocontractants ;
Le tribunal déboutera la société Bottin Cartographes de sa demande.
Sur les frais irrépétibles, les dépens et l’exécution provisoire
Attendu qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Bottin Cartographes les frais qu’elle a été contrainte d’exposer dans le cadre de la présente instance ;
Le tribunal condamnera les sociétés Google France et Google Inc. au paiement d’une somme de 15 000 € à la société Bottin Cartographes au titre de l’article 700 du CFC et aux dépens, ordonnant l’exécution provisoire sauf en ce qui concerne les publications, et sans constitution d’une garantie, cette demande subsidiaire des sociétés Google France et Google Inc. n’étant pas justifiée.
DÉCISION
Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire en premier ressort,
. Déboute les sociétés Google France et Google Inc. de leur demande de mise hors de cause de la société Google France,
. Condamne solidairement les sociétés Google France et Google Inc. pour abus de position dominante ;
. Condamne solidairement les sociétés Google France et Google Inc. à verser à la société Bottin Cartographes une somme de 500 000 € à titre de dommages intérêts en réparation des préjudices subis ;
. Ordonne la publication du présent jugement dans les quotidiens Wall Street Journal, Herald Tribune, Le Monde, Le Figaro, La Tribune et Les Echos sans que le coût de chacune des publications puisse dépasser la somme de 5000 € HT ;
. Condamne solidairement les sociétés Google France et Google Inc. au paiement d’une somme de 15 000 € au titre de l’article 700 du CPC
. Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision sauf en ce qui concerne les publications, et sans constitution de garantie ;
. Déboute les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires ;
. Condamne solidairement les sociétés Google France et Google Inc. aux entiers dépens.
Le tribunal : Madame Charlier-Bonatti (présidente)
Avocats : Me Jean-David Scemama, Me Joseph Vogel
Notre présentation de la décision
En complément
Maître Jean-David Scemama est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
En complément
Maître Joseph Vogel est également intervenu(e) dans les 3 affaires suivante :
En complément
Le magistrat Charlier-Bonatti est également intervenu(e) dans les 9 affaires suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.