Les avocats du net

 
 


 

Jurisprudence : Logiciel

vendredi 10 février 2012
Facebook Viadeo Linkedin

Tribunal d’instance d’Aix en Provence Juridiction de proximité Jugement du 9 janvier 2012

Stéphane P. / Lenovo France

achat - consommation - licence - obligation - ordinateur - remboursement - ventes - ventes liées

FAITS ET PROCÉDURE

Le 5 décembre 2007 Monsieur Stéphane P. achetait à la société Cybertek à Sorgues un ordinateur portable de marque Lenovo. Ce matériel était équipé d’un logiciel Windows Vista qu’il n‘entendait pas utiliser et dont il demanda le remboursement, estimant qu’il s’agissait en l’espèce d’une vente liée interdite par les réglementations tant françaises qu’européennes.

Celui-ci lui ayant été refusé par la défenderesse il saisit alors la juridiction de proximité de Tarascon laquelle dans une décision du 20 novembre 2008 le débouta de ses prétentions aux motifs qu’il avait donné son consentement sur le matériel acquis sans qu’il y ait eu erreur, violence ou dol et qu’au surplus l’accord des parties s’était fait sur un ordinateur complet et prêt à l’emploi, étant ajouté qu’il disposait de la possibilité de le retourner, son prix lui étant alors restitué.

Ayant formé un pourvoi contre ce jugement, la Cour de cassation par arrêt du 15 novembre 2010 en prononça la nullité et renvoya l’affaire devant notre juridiction estimant qu’il n’avait pas été recherché si la pratique commerciale dénoncée entrait dans les dispositions de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales.

Les parties furent alors convoquées par les soins du greffe et l’affaire évoquée à l’audience du 14 novembre 2011.

MOYENS

Monsieur Stéphane P. fit valoir qu’aux termes de la directive précitée, étaient proscrites les pratiques commerciales qui sont en toutes circonstances déloyales. Il en donnait la liste faisant référence notamment à l’article 29 précisait qui prohibait le fait « d’exiger le paiement immédiat ou différé de produits fournis par le professionnel sans que le consommateur les ait demandé ou exiger leur renvoi ou leur conservation… » ;

Il faisait valoir en outre qu’à défaut de faire partie de cette catégorie les articles 5, 8 et 9 indiquaient qu’il en était de même des pratiques trompeuses ou agressives définies d’ailleurs par les articles L113-3, L120-1, L121-1, L122-1, L122-3, L122-11 ,L112-11-1, L122-11-6 du code la consommation.

Or le fait d’obliger le consommateur d’acheter sans pouvoir les dissocier, un ordinateur et un logiciel préinstallé constituait une vente liée interdite par les dispositions précitées. Il s’agissait en réalité de 2 entités distinctes aux régimes juridiques différents, dont l’assemblement obligatoire ne pouvait être imposé aux consommateurs, étant observé surtout qu’il existait sur le marché d’autres logiciels dont certains gratuits qui en l’espèce correspondaient mieux à l’usage qu‘il destinait à son achat.

Au regard de cette pratique déloyale de vente de produits non demandés ou de vente subordonnée, il sollicitait donc le remboursement du prix des logiciels préinstallés soit 404,81 € outre 2500 € titre de dommages et intérêts et 4000 € sur le fondement de l’article 700 du code procédure civile.

La société Lenovo répliquait que le requérant avait acheté son ordinateur en toute connaissance de cause, n’ignorant pas que le modèle acquis était destiné aux professionnels et que l’hypothèse d’un acquéreur ne voulant pas de logiciel installé était en réalité marginale.

Il ajoutait que la demande de son adversaire revenait à se faire rembourser la plus grande part du prix d’acquisition soit 404,81 € sur une facture de 597 €. En réalité il confondait la vente de produits liés de produits distincts et séparés et la vente de produits complexes composés d’ensembles indispensables à la définition de l’objet vendu.

Il faisait valoir également que l’on demandait ainsi à l’autorité judiciaire de réglementer la vie économique alors que le problème posé était du ressort du législateur qui interrogé sur ce point avait refusé la thèse avancée par Monsieur P. (vote négatif de l’Assemblée Nationale du 6 juillet 2011).

Ainsi il n’existait en l’espèce aucune pratique déloyale, trompeuse ou agressive ce qui devait entraîner le débouté des prétentions du requérant dont il réclamait reconventionnellement la condamnation à lui payer 475 € en application de l’article 700 du code procédure civile.


DISCUSSION

Sur la demande principale

Attendu qu’il est constant que le 6 décembre 2007 Monsieur Stéphane P. faisait l’acquisition auprès des établissements Cybertek à Sorgues (84) d’un ordinateur portable de marque Lenovo type 3000 N200 pour le prix de 597 € équipé d’un système d’exploitation Windows Vista et de différents logiciels applicatifs ;

Attendu qu’ayant demandé à son vendeur de n’acheter que l’ordinateur lui-même sans l’ensemble de ces dispositifs, il lui fut répandu que cela était impossible ces derniers étant préinstallés ;

Attendu que revenu à son domicile et le mettant en marche il se trouva en présence du Contrat de Licence Utilisateur Final (CLUF) et de l’alternative suivante : soit en accepter l’installation soit se faire rembourser l’intégralité son achat ; que s’étant alors adressé directement à la société Lenovo France, il lui fut répondu le 11 janvier 2008 qu’il avait fait son acquisition en toute connaissance de cause, la description des dispositifs de cette dernière étant à sa vue dans les établissements Cybertek lesquels pouvaient également lui proposer un ordinateur composé selon ses besoins et notamment avec un système d’exploitation de son choix ;

Attendu qu’il convient de rappeler au préalable qu’un ordinateur prêt à l’emploi se compose de deux éléments intrinsèquement distincts, une partie proprement matérielle (écran, clavier, mémoires, processeur, disque dur etc…) et un logiciel destiné à la faire fonctionner selon les besoins de l’utilisateur ; que chacun d’entre eux pris individuellement est inexploitable mais que réunis ils révèlent alors leurs immenses possibilités ;

Attendu d’autre part que le premier est susceptible de recevoir des logiciels différents et le second de s’adapter à de nombreux types du premier ;

Attendu qu’il est d’ailleurs maintenant couramment admis que la possession tant de l’un que de l’autre obéit à des règles juridiques distinctes ; que le premier est justiciable du droit classique de la propriété mobilière, le second de celui d’un simple droit d’usage ;

Attendu que la défenderesse soutient qu’en l’espèce il s’agissait d’un produit spécifique plus particulièrement destiné aux PME comme en faisait foi la notice mise à la disposition des acheteurs ; qu’il n’est toutefois pas contesté que ce dernier a été acheté dans une surface commerciale ouverte au grand public et proposant des produits informatiques courants de différentes marques ;

Attendu que pour étayer son argumentation elle compare cette situation à celle d’un acheteur de véhicule qui entendrait se faire rembourser le prix de ses pneumatiques souhaitant en installer lui-même d’autres qui lui conviendraient mieux ;

Mais attendu que la comparaison n’est pas exacte au regard de ce qui vient d’être rappelé plus haut ; qu’en l’occurrence il conviendrait plutôt d’imaginer un vendeur de voiture qui outre le prix de cette dernière y ajouterait celui obligatoire d’un chauffeur ;

Attendu certes que l’appareil objet du litige sur lequel étaient installés un système d’exploitation et des logiciels de la société Microsoft, pouvait intéresser une clientèle particulière mais qu’aucune caractéristique technique ne s’opposait à ce que d’autres y soient implantés et notamment ceux que souhaitait le requérant ;

Attendu donc qu’il ne pouvait lui être imposé d’adjoindre obligatoirement Windows Vista à un type d’ordinateur dont les spécifications propres mais uniquement matérielles avaient dicté son choix ;

Attendu en définitive qu’il est ainsi constaté que la société Lenovo a contrevenu aux dispositions de l’article L122-1 du code la consommation qui en l’espèce satisfait aux prescriptions de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005, notamment à l’article 29 de son annexe 1, relative aux pratiques commerciales déloyales ;

Attendu que c’est donc à juste raison que Monsieur Stéphane P. a pu réclamer le remboursement de ce qu’il a indûment payé ;

Attendu cependant que sa demande en principal apparaît très largement excessive, le prix des logiciels qu’il évalua à 404,81 € représentant plus de 65% des 597 € réglés lors de son acquisition ;

Attendu qu’il est communément admis que le prix d’un logiciel représente de 10 à 25% de celui d’un ordinateur, qu’il sera donc remboursé au requérant la somme de 120 €.

Sur la demande de dommages intérêts

Attendu que ce dernier a dû entreprendre de fastidieuse démarches et subi d’inutiles tracas pour faire reconnaitre ses droits ; qu’une indemnité de 800 € viendra compenser ces postes de préjudices.

Sur les frais irrépétibles

Attendu qu’il apparaît inéquitable de laisser à sa charge l’intégralité des sommes qu’il a avancées et non comprises dans les dépens ; que dès lors il lui sera attribué 1000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur les dépens

Attendu que la partie perdante supporte les dépens qui seront mis à la charge de la société Lenovo.

DECISION

La juridiction de proximité, après avoir mis l’affaire en délibéré, statuant par une décision contradictoire en dernier ressort, mise à la disposition des parties au greffe, les prescriptions de l’article 450 du code procédure civile ayant été respectées,

. Condamne la société Lenovo à payer à Monsieur Stéphane P. :
– La somme de 120 € en principal avec intérêts au taux légal à compter du premier acte introductif d’instance,
– La somme de 800 € à titre de dommages intérêts,
– La somme de 1000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

. Déboute la société Lenovo de sa demande reconventionnelle,

. Condamne la défenderesse aux dépens.

Le tribunal : M. Jean-Marie Dubouloz (président)

Avocats : Me Frédéric Cuif, Me Pierre Kirch

Notre présentation de la décision

 
 

En complément

Maître Frédéric Cuif est également intervenu(e) dans les 3 affaires suivante  :

 

En complément

Maître Pierre Kirch est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

En complément

Le magistrat Jean-Marie Dubouloz est également intervenu(e) dans l'affaire suivante  :

 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.