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Jurisprudence : E-commerce

mercredi 07 mars 2012
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Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 27 février 2012

La Cité de la Musique – salle Pleyel / Viagogo

autorisation - interdiction - prix - référé - vente en ligne - ventes illicites

FAITS ET PROCÉDURE

Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil,

Vu l’assignation délivrée le 12 janvier 2012 par la société par actions simplifiée La Cité de la Musique – Salle Pleyel, et ses conclusions ultérieures, suivant lesquelles il est demandé en référé de :

Vu la loi du 21 juin 2004, la loi du 27 juin 1919, les articles 1382 et suivants du code civil, l’article 809 du code de procédure civile, les procès verbaux de constat dressés les 17 octobre et 14 décembre 2011 :
– faire injonction à la société Viagogo Ltd de supprimer du site internet qu’elle édite, accessible à l’adresse url « http://www.viagogo.fr » toute offre de vente de billets d’entrée pour les concerts d’Angela Georghiu, Natalie Dessay et Chick Corea programmés à la Salle Pleyel les 4 mai, 26 février et 17 avril 2012 et à un prix supérieur au prix facial dans le délai de 24 heures sous astreinte de 5000 € par vente constatée et par jour de retard,
– faire interdiction, sous astreinte de 15 000 € par infraction constatée, à la société Viagogo Ltd de proposer à la vente des billets d’entrée pour des spectacles programmés à la Salle Pleyel, moyennant un prix de vente supérieur à leur valeur initiale,
– condamner la société Viagogo Ltd au versement d’une somme de 10 000 € à la Cité de la Musique – salle Pleyel en réparation de son préjudice moral,
– la condamner au versement d’une somme de 3000 € à la Cité de la Musique – salle Pleyel au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et au paiement des dépens, en ce compris les coûts de traduction et le coût des procès verbaux de constat établis les 17 octobre et 14 décembre 2011 ;

Vu les conclusions de la société de droit britannique Viagogo Limited qui tendent au visa de la loi du 27 juin 1919, de la loi du 21 juin 2004 et de l’article 809 du code de procédure civile à :
– nous déclarer territorialement incompétent au profit des juridictions compétentes du Royaume-Uni,
– nous déclarer matériellement incompétent au profit des juridictions consulaires,

A titre subsidiaire,
– déclarer l’action engagée irrecevable et en toute hypothèse mal fondée, dire n’y avoir lieu à référé et débouter la Salle Pleyel de toutes ses demandes,
– condamner la Salle Pleyel au paiement des dépens et de la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

DISCUSSION

Sur la compétence

La société Viagogo Ltd soutient que la simple accessibilité du site à partir d’un ordinateur situé sur le territoire français ne suffit pas à constituer un lien de rattachement suffisant, comme la localisation en France de la salle Pleyel et des représentations qu’elle programme, le fait dommageable au sens de l’article 46 du code de procédure civile étant constitué par l’hébergement des annonces litigieuses, assuré au Royaume-Uni, alors qu’il n’est invoqué qu’un préjudice moral.

Attendu que la société La Cité de la Musique – salle Pleyel ( “la Salle Pleyel”) relève à l’audience en visant l’article 75 du code de procédure civile que la société Viagogo Ltd se borne à indiquer que les “juridictions britanniques” seraient compétentes ; que cependant, il suffit pour le défendeur, s’agissant de la compétence d’une juridiction étrangère, de préciser l’Etat dans lequel se trouve la juridiction compétente ; que cette exception est recevable ;

Attendu toutefois qu’il résulte des pièces versées au débat le fait que le site est rédigé en langue française, qu’il est question de spectacles se déroulant sur le territoire français, de sorte que quel que soit l’attrait touristique de la programmation de la salle Pleyel, il n’est pas discutable que le public visé par les annonces dont la société Viagogo Ltd assure la publication se trouve pour l’essentiel constitué des internautes situés en France ; que l’existence d’un dommage, fût-il seulement moral, subi en France par la société la Cité de la Musique – la salle Pleyel suffit à justifier la compétence de cette juridiction en application de l’article 46 du code de procédure civile ; que l’exception sera écartée ;

La société Viagogo Ltd fait encore valoir qu’elle est une société commerciale par la forme, que la société demanderesse est elle-même une société commerciale par la forme et l’objet, et que la demanderesse aurait dû saisir le tribunal de commerce, citant l’article L 721-3 du code de commerce en particulier en ce qu’il est évoqué les contestations relatives aux engagements entre commerçants et aux actes de commerce entre toutes personnes, l’entreprise de fourniture de spectacles publics étant réputée acte de commerce.

Mais attendu, alors que la société la Cité de la Musique – Salle Pleyel oppose l’absence de désignation de la juridiction que le demandeur à l’exception estime compétente au sens de l’article 75 du code de procédure civile, que la société Viagogo Ltd évoque dans le corps de ses écritures “le tribunal de commerce”, et dans le dispositif “les juridictions consulaires” ; qu’il n’en résulte pas de précisions suffisamment claires pour que la désignation de la juridiction, non seulement au plan matériel mais aussi territorial, soit certaine, eu égard aux arguments présentés par ailleurs à l’appui de l’exception d’incompétence territoriale ;

Que l’exception sera rejetée ;

Sur les demandes

La Cité de la Musique – Salle Pleyel, filiale de la Cité de la Musique, Etablissement public de l’Etat qui gère la Salle Pleyel sous la tutelle du Ministère de la Culture et de la Communication et du Ministère chargé du Budget, explique avoir pour mission d’assurer en direction du public le plus large la production et la diffusion d’œuvres lyriques et de spectacles, en offrant notamment des billets à des tarifs accessibles, et bénéficier pour son fonctionnement d’aides publiques.

Attendu à cet égard, que compte tenu des justifications apportées au sujet des subventions apportées en 2010 et 2011 comme de la composition suivant ses statuts de son comité d’orientation, comprenant des membres désignés par les Ministères de la Culture et de la Communication ou appartenant à ce ministère, du directeur du Budget au ministère de l’Economie des finances et de l’industrie ou son représentant et de membres désignés par le Maire de Paris, il est démontré qu’il s’agit d’une salle de spectacles bénéficiant régulièrement de subventions ;

Que le préjudice invoqué est constitué d’une atteinte à l’image et la réputation de la salle Pleyel, en ce qu’elle entend faciliter l’accès du plus grand nombre aux concerts qu’elle programme, et que la vente de billets à des tarifs plus élevés lui porte ainsi préjudice ;

Qu’au regard de cet intérêt légitime au sens de l’article 31 du code de procédure civile elle est donc recevable en son action ;

La société la Cité de la Musique – salle Pleyel fait valoir qu’elle a récemment découvert que le site internet accessible à l’adresse url http://www.viagogo.fr propose à la vente des places de spectacles, et notamment des billets pour des concerts qu’elle organise, à un prix supérieur à leur valeur faciale, en infraction avec la loi du 27 juin 1919, alors que les billets édités par elle mentionnent au verso que la revente du billet à un prix supérieur à celui figurant au recto est formellement interdite, sous peine de sanctions pénales.

Attendu que suivant l’article 1 de la loi du 27 juin 1919, toujours en vigueur, toute personne convaincue d’avoir vendu ou cédé ou d’avoir tenté de vendre ou céder, à un prix supérieur à celui fixé et affiché dans les théâtres et concerts subventionnés ou avantagés de façon quelconque par l’Etat, les départements ou les communes, ou moyennant une prime quelconque, des billets pris au bureau de location ou de vente desdits théâtres ou concerts, sera punie d’une amende de seize à cinq cents (anciens) francs ;

Qu’aux termes de l’article 809 du code de procédure civile, il peut toujours être prescrit en référé, même en cas de contestation sérieuse, les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;

Qu’il résulte du constat dressé par huissier de justice de 14 décembre 2011 le fait que sont proposés à la vente des billets pour le concert de la cantatrice Angela Gheorghiu au 19 juin 2012 – alors que la date prévue est le 4 mai – à des prix très nettement supérieurs, de la cantatrice Natalie Dessay qui sera donné le 26 février 2012 à des prix également supérieurs, de même en ce qui concerne le concert des musiciens Chick Corea et Gary Burton qui sera donné le 17 avril 2012 ;

Que le site Viagogo.fr présente le service qu’il offre comme un système de bourse d’échange de billets ;

Que le fait qu’une autre société propose à la vente des billets pour les concerts de Natalie Dessay et Chick Corea à des prix – légèrement – supérieurs à ceux affichés par la salle Pleyel ne saurait justifier la pratique constatée sur le site de la défenderesse ;

Que la société Viagogo ne saurait non plus invoquer une atteinte injustifiée à la libre circulation des services de la société de l’information au sens de l’article 3 § 2 de la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 et l’inapplicabilité de la loi du 27 juin 1919 à cette société de droit britannique, dès lors que le public des internautes français est clairement visé, comme déjà indiqué, par cette société Viagogo Ltd, et que la loi française a vocation à s’appliquer ;

La Salle Pleyel considère la société Viagogo Ltd comme un prestataire d’hébergement au sens de l’article 6.I.2 de la loi du 21 juin 2004 ; elle a adressé le 24 octobre 2011 un courrier à cette société faisant valoir le caractère illicite de la pratique de la vente de billets à des prix supérieurs à ceux fixés, au regard de l’article 1 de la loi du 27 juin 1919 dont les termes étaient rappelés, en soulignant l’impossibilité devant laquelle elle se trouvait d’identifier les vendeurs.

Attendu que cette notification au sens de l’article 6.I.5 de la loi du 21 juin 2004 concernait cependant la vente de billets pour des concerts de Cecilia Bartoli les 4 et 7 décembre 2011 ;

Qu’elle ne peut donc valoir notification au sens de l’article 6.I.5 de la loi du 21 juin 2004 du caractère manifestement illicite de la vente des billets relatifs aux concerts cités dans l’assignation introductive d’instance ;

Attendu pour autant qu’il ne peut être déduit de l’absence de cette notification le fait que le trouble allégué ne serait pas manifestement illicite, dès lors que la société Viagogo Ltd ne conteste pas réellement les constatations faites par l’huissier de justice le 14 décembre 2011 ;

Que la société demanderesse relève en outre sans que cela soit contesté que la société Viagogo Ltd bénéficie d’une commission de 15 % sur le prix de vente des billets à titre des frais de réservation ;

Qu’en offrant par son intermédiaire en toute connaissance de cause, compte tenu du signalement précédent relatif au concert de Cecilia Bartoli, la possibilité à des internautes d’acquérir sur le marché parallèle des places permettant d’accéder à des concerts subventionnés à un prix supérieur à leur valeur faciale, en infraction avec la loi du 27 juin 1919, la société Viagogo a d’évidence généré un trouble manifestement illicite ;

Qu’il est donc justifié de faire injonction à cette société de cesser d’afficher en ligne sur son site ces annonces, en tant que de besoin pour le concert de Natalie Dessay, annoncé pour une date antérieure au prononcé de cette décision ;

Qu’en revanche il ne peut lui être ordonné pour l’avenir de proposer à la vente des billets pour des spectacles programmés à la salle Pleyel moyennant un prix de vente supérieur à leur valeur initiale, le juge des référés n’ayant pas pouvoir de disposer pour l’avenir par voie de disposition générale, comme le rappelle l’article 5 du code civil ;

Que suivant l’article 809 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut être accordé une provision au créancier ;

Attendu que le préjudice moral invoqué par la société la Cité de la Musique – salle Pleyel s’appuie sur un seul courriel du 22 septembre 2011 relatif au concert de Cecilia Bartoli ; que l’obligation de l’indemniser se trouve au moins dans son montant sérieusement contestable en référé ;

Que par conséquent il n’y a lieu sur ce point à référé ;

Qu’il apparaîtrait inéquitable de laisser à la société la Cité de la Musique – salle Pleyel la charge de ses frais irrépétibles ;

Que la société Viagogo Ltd sera condamnée au paiement des dépens, y compris les frais du constat du 14 décembre 2011, mais non de celui du 17 octobre 2011 qui ne concerne pas les concerts visés par l’assignation, et à lui verser à ce titre la somme de 2500 €.

DÉCISION

Par ordonnance contradictoire et en premier ressort, mise à disposition au greffe,

Vu les articles 46 et 75 du code de procédure civile,

. Rejetons l’exception tendant à constater notre incompétence territoriale,

. Constatons l’irrecevabilité de l’exception tendant à constater notre incompétence matérielle,

Vu les dispositions de l’article 809 du code de procédure civile, de l’article 1 de la loi du 27 juin 1919, des articles 6.I.2 de la loi du 21 juin 2004,

. Faisons injonction à la société Viagogo Ltd de supprimer du site internet qu’elle édite, accessible à l’adresse url « http://www.viagogo.fr » toute offre de vente de billets d’entrée pour les concerts de Natalie Dessay, en tant que de besoin, Chick Corea et Angela Gheorghiu programmés respectivement à la Salle Pleyel les 26 février, 17 avril et 4 mai 2012, à un prix supérieur au prix facial, dans le délai de 24 heures faisant suite à la signification de cette décision et sous astreinte provisoire de 1000 € par vente constatée et par jour de retard, pour une durée de 30 jours,

. Nous réservons la liquidation éventuelle de l’astreinte provisoire,

. Disons n’y avoir lieu pour le surplus à référé,

. Condamnons la société Viagogo Ltd au paiement des dépens, y compris les frais du constat du 14 décembre 2011 et à payer à la Cité de la Musique – salle Pleyel la somme de 2500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le tribunal : M. Emmanuel Binoche (1er vice-président)

Avocats : Me Gabrielle Odinot, Me Diane Mullenex

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