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Jurisprudence : Droit d'auteur

mercredi 25 avril 2012
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Cour de cassation Chambre civile 1 Arrêt du 5 avril 2012

M. X… / Kdg Mediatech AG

autorisation - CD - compétence territoriale - contrefaçon - destination - tribunal - vente en ligne

DISCUSSION

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Vu l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Toulouse, 21 janvier 2009), que M. X…, prétendant être l’auteur, le compositeur et l’interprète de douze chansons enregistrées sur un disque vinyle et indiquant avoir découvert que celles-ci avaient été reproduites sans son autorisation sur un disque compact (CD) pressé en Autriche par la société autrichienne Kdg Mediatech AG, puis commercialisé par les sociétés britanniques Crusoe ou Elegy sur différents sites internet accessibles depuis son domicile toulousain, a fait assigner le 12 octobre 2006 la société Kdg Mediatech AG devant le tribunal de grande instance de Toulouse aux fins d’obtenir réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon de ses droits d’auteur ; que la société défenderesse a soulevé l’incompétence des juridictions françaises ;

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt de déclarer le tribunal de grande instance de Toulouse incompétent pour connaître de ses demandes alors, selon le moyen, qu’en matière de contrefaçon, le demandeur peut saisir les tribunaux de l’Etat dans lequel le défendeur a son domicile ou le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire, ce dernier lieu étant soit celui où l’auteur de la contrefaçon est établi, soit celui où l’objet de la contrefaçon se trouve diffusé ; qu’en relevant, pour juger que la contrefaçon invoquée par M. X… ne relevait pas de la compétence du tribunal de grande instance de Toulouse, qu’il était indifférent que les contrefaçons aient pu être achetées sur internet en France et que cette juridiction était celle du domicile du demandeur, quand il était essentiel de déterminer, pour statuer sur la compétence des juridictions françaises, si les objets litigieux étaient diffusés sur un site internet accessible en France et avaient pu être vendus dans ce pays, de sorte que le dommage était susceptible de s’y réaliser, voire s’y était d’ores et déjà réalisé, la cour d’appel a violé l’article 5, 3°, du règlement n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, relatif à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ;

Attendu que l’article 5, point 3, du règlement (CE) du Conseil n° 44/2001 du 22 décembre 2000 (Bruxelles I), concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dispose qu’en matière délictuelle ou quasi-délictuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut être attraite, dans un autre Etat membre, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ;

Attendu que la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit, dans l’arrêt Fiona Shevill c/ Press Alliance SA (7 mars 1995, C-68/93), que l’expression « lieu où le fait dommageable s’est produit » doit, en cas de diffamation au moyen d’un article de presse diffusé dans plusieurs États contractants, être interprétée en ce sens que la victime peut intenter contre l’éditeur une action en réparation soit devant les juridictions de l’État contractant du lieu d’établissement de l’éditeur de la publication diffamatoire, compétentes pour réparer l’intégralité des dommages résultant de la diffamation, soit devant les juridictions de chaque État contractant dans lequel la publication a été diffusée et où la victime prétend avoir subi une atteinte à sa réputation, compétentes pour connaître des seuls dommages causés dans l’État de la juridiction saisie ;

Attendu que, saisie notamment de la question de savoir si, pour que le titulaire d’une marque puisse s’opposer à l’offre à la vente, sur une place de marché en ligne, de produits de cette marque non auparavant commercialisés dans l’espace économique européen, il suffit que l’offre soit destinée à des consommateurs situés sur le territoire couvert par la marque, la Cour de justice de l’Union européenne (L’Oréal SA e. a. c/ eBay International e.a., 12 juillet 2011, C-324/09) a par ailleurs énoncé que « la simple accessibilité d’un site internet sur le territoire couvert par la marque ne suffit pas pour conclure que les offres à la vente y affichées sont destinées à des consommateurs situés sur ce territoire », qu’ « en effet, si l’accessibilité, sur ledit territoire, d’une place de marché en ligne suffisait pour que les annonces y affichées relèvent du champ d’application de la directive 89/04 et du règlement n° 40/94, des sites et des annonces qui, tout en étant à l’évidence destinés exclusivement à des consommateurs situés dans les Etats tiers, sont néanmoins techniquement accessibles sur le territoire de l’Union seraient indûment soumis au droit de l’Union » (point 64) et qu' »il incombe, par conséquent, aux juridictions nationales d’apprécier au cas par cas s’il existe des indices pertinents pour conclure qu’une offre à la vente, affichée sur une place de marché en ligne accessible sur le territoire couvert par la marque, est destinée à des consommateurs situés sur celui-ci » (point 65), se référant expressément, par analogie, à son arrêt Pammer et Hotel Alpenhof (7 décembre 2010, C-585/08 et C-144/09) concernant l’interprétation de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001 relatif à la compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs ;

Attendu que la Cour de justice a enfin, dans l’arrêt eDate Advertising et Martinez (25 octobre 2011, C-509/09 et C-161/10), dit pour droit que l’article 5, point 3, du règlement (CE) n° 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’en cas d’atteinte alléguée aux droits de la personnalité au moyen de contenus mis en ligne sur un site internet, la personne qui s’estime lésée a la faculté de saisir d’une action en responsabilité, au titre de l’intégralité du dommage causé, soit les juridictions de l’Etat membre du lieu d’établissement de l’émetteur de ces contenus, soit les juridictions de l’Etat membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts, que cette personne peut également, en lieu et place d’une action en responsabilité au titre de l’intégralité du dommage causé, introduire son action devant les juridictions de chaque Etat membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l’a été et que celles-ci sont compétentes pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’Etat membre de la juridiction saisie ;

Attendu que le présent litige présente la particularité de ne correspondre ni à l’hypothèse examinée dans l’arrêt L’Oréal SA e. a. c/ eBay International e.a. ni à celle analysée dans l’arrêt eDate Advertising et Martinez, dans la mesure où l’atteinte alléguée résulterait de l’offre en ligne d’un support matériel reproduisant illicitement l’œuvre sur laquelle le demandeur à l’action revendique des droits d’auteur ;

Attendu qu’il pose, dès lors, des questions d’interprétation du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000, qui exigent de saisir la Cour de justice de l’Union européenne ;

DÉCISION

Par ces motifs :

. Renvoie à la Cour de justice de l’Union européenne aux fins de répondre aux questions suivantes :

1°) L’article 5, point 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution de décisions en matière civile et commerciale, doit-il être interprété en ce sens qu’en cas d’atteinte alléguée aux droits patrimoniaux d’auteur commise au moyen de contenus mis en ligne sur un site internet,

– la personne qui s’estime lésée a la faculté d’introduire une action en responsabilité devant les juridictions de chaque Etat membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l’a été, à l’effet d’obtenir réparation du seul dommage causé sur le territoire de l’Etat membre de la juridiction saisie,

ou

– il faut, en outre, que ces contenus soient ou aient été destinés au public situé sur le territoire de cet Etat membre, ou bien qu’un autre lien de rattachement soit caractérisé ?

2°) La question posée au 1°) doit-elle recevoir la même réponse lorsque l’atteinte alléguée aux droits patrimoniaux d’auteur résulte non pas de la mise en ligne d’un contenu dématérialisé, mais, comme en l’espèce, de l’offre en ligne d’un support matériel reproduisant ce contenu ?

. Sursoit à statuer jusqu’à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne ;

. Réserve les dépens ;

. Dit qu’une expédition du présent arrêt ainsi qu’un dossier, comprenant notamment la décision attaquée, seront transmis par le directeur de greffe de la Cour de cassation au greffier de la Cour de justice de l’Union européenne ;

Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils pour M. X….

Il est fait grief à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir déclaré le tribunal de grande instance de Toulouse incompétent pour connaître du procès en contrefaçon et en réparation de dommages intenté par Monsieur X… sous couvert de l’aide juridictionnelle à la société de droit autrichien Kdg Mediatech AG et, en conséquence, d’avoir renvoyé Monsieur X… à mieux se pourvoir ;

Aux motifs que la réglementation européenne n’apporte que des précisions exceptionnelles au principe général selon lequel, en matière délictuelle dans laquelle s’inscrit le présent litige puisqu’aucun lien contractuel ne lie les parties, la juridiction compétente est, au choix du demandeur, celle du lieu du domicile du défendeur, dont il n’est pas discuté qu’il se situe en Autriche, soit le lieu de réalisation du dommage qui en l’espèce et faute d’allégation (car il n’est guère question de s’intéresser à la preuve ou à la réalité de l’allégation qui relève de la compétence du seul juge du fond) de complicité entre l’auteur de la contrefaçon dénoncée et la société de droit autrichien Kdg Mediatech AG dont il n’est pas contesté qu’elle a réalisé le pressage du CD litigieux en Autriche sans que l’on sache dans quelles conditions de commande, la bonne foi se présumant toujours, de sorte que là aussi, sans épiloguer sur les conditions d’achat sur internet qui n’intéressent que les sociétés Crusoe ou Elegy de droit britannique qui ne sont pas au procès, il apparaît que la compétence des juridictions françaises et singulièrement de celle du tribunal de grande instance de Toulouse, juridiction du domicile du demandeur, ne peut qu’être écartée ; qu’il en résulte que l’ordonnance déférée doit être infirmée et que le tribunal de grande instance de Toulouse doit être déclaré incompétent au profit de telle juridiction étrangère qu’il appartiendra au demandeur de saisir et donc de renvoyer ce dernier à mieux se pourvoir ;

1) Alors qu’en matière de contrefaçon, le demandeur peut saisir les tribunaux de l’Etat dans lequel le défendeur a son domicile ou le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire, ce dernier lieu étant soit celui où l’auteur de la contrefaçon est établi, soit celui où l’objet de la contrefaçon se trouve diffusé ; qu’en relevant, pour juger que la contrefaçon invoquée par Monsieur X… ne relevait pas de la compétence du tribunal de grande instance de Toulouse, qu’il était indifférent que les contrefaçons aient pu être achetées sur internet en France et que cette juridiction était celle du domicile du demandeur, quand il était essentiel de déterminer, pour statuer sur la compétence des juridictions françaises, si les objets litigieux étaient diffusés sur un site internet accessible en France et avaient pu être vendus dans ce pays, de sorte que le dommage était susceptible de s’y réaliser, voire s’y était d’ores et déjà réalisé, la cour d’appel a violé l’article 5, 3°, du règlement n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, relatif à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ;

2) Alors que l’acte matériel reproduction d’une œuvre musicale grâce à la fabrication d’un support audio, en méconnaissance des droits d’auteur, est un acte de contrefaçon ; qu’en jugeant néanmoins que le pressage des CD litigieux par la société Kdg Mediatech AG n’était pas un acte de contrefaçon et en déduire que l’auteur aurait dû invoquer sa complicité dans leur commercialisation pour justifier de la compétence des juridictions françaises du lieu de diffusion, quand cet acte réalisé en méconnaissance des droits d’auteur de Monsieur X… était un acte de contrefaçon, de sorte que la société autrichienne était co-auteur du délit et susceptible de voir sa responsabilité civile engagée devant les juridictions françaises du lieu de réalisation du dommage, la cour d’appel a violé l’article 5, 3°, du règlement n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, relatif à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ensemble les articles L. 335-4 et L. 122-3 du code de la propriété intellectuelle et l’article 1382 du code civil ;

3) Alors qu’en toute hypothèse Monsieur X… soutenait expressément que la société Kdg Mediatech AG, de droit autrichien, avait participé à la contrefaçon en fabriquant les CD audio litigieux, en méconnaissance des droits d’auteurs des membres du groupe « Aubrey Small » dont il faisait partie (voir les conclusions d’appel de Monsieur X… déposées le 2 septembre 2008, spéc. p. 7, 3ème §, et s.) ; qu’en jugeant néanmoins, pour écarter la compétence des juridictions françaises pour connaître du préjudice subi en raison de la contrefaçon dénoncée, qu’il n’était pas allégué que la société Kdg Mediatech AG était complice de l’auteur de la contrefaçon et, en conséquence, qu’elle était impliquée dans cette contrefaçon, la cour d’appel a dénaturé les conclusions de Monsieur X… et a violé l’article 4 du code de procédure civile.

La Cour : M. Charruault (président)

Avocats : SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Hémery et Thomas-Raquin,

Notre présentation de la décision

 
 

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