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Jurisprudence : Vie privée

mercredi 09 mai 2012
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Cour d’appel de Bordeaux Chambre sociale, section A Arrêt du 27 mars 2012

Pierre B. / Epsilon Composite

clause de confidentialité - contrat de travail - courrier électronique - divulgation - données confidentielles - faute grave - licenciement - personnel - professionnel - secret professionnel

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur Pierre B. a été engagé par la société Epsilon Composite sous contrat à durée indéterminée, le 1er octobre 2006, en qualité d’ingénieur application rouleaux au sein du service commercial, emploi de niveau cadre, coefficient 900 de la convention collective de la plasturgie. Sa dernière rémunération était de 2860 €.

Le 17 février 2009, il apprenait par un mail adressé à des cadres de l’entreprise, qui ne lui était a priori pas destiné, que le président directeur général de l’entreprise envisageait son licenciement en ces termes : ‘personnellement, je pense qu’il faut virer Pierre B.’. Ce après avoir reçu, le même jour 17 février 2009, un courriel de son employeur lui reprochant de ne pas avoir établi les fiches techniques des matériaux présentés, lors d’un salon qui se déroulait au Japon.

Le 13 mars 2009 au cours d’un entretien, son employeur lui confirmait sa décision de mettre fin à son contrat de travail.

Le 20 mars 2009 M. B. recevait un courrier dans lequel on l’invitait à discuter d’une rupture conventionnelle.

Des pourparlers s’engageaient puis M. B. indiquait ne pas vouloir suivre ce processus de négociation.

M. B. se transférait 261 courriels de sa boîte professionnelle à sa boîte personnelle.

Le 30 mars 2009 l’employeur ayant découvert dans la messagerie professionnelle de M. B. que ce dernier s’était adressé, entre le 17 mars et le 30 mars 2009 sur sa propre messagerie personnelle 261 dossiers que l’employeur considérait comme confidentiels, il déposait plainte pour vol.

Le 6 avril 2009, M. B. était interpellé par les gendarmes, sur son lieu de travail, suite à la plainte précitée. Auparavant son badge d’accès à l’entreprise avait été désactivé, et son accès au réseau informatique de l’entreprise, interdit.

Le 6 avril 2009, le salarié était convoqué à un entretien préalable, avec mise à pied immédiate, qui se déroulait le 16 avril 2009.

Le 10 avril 2009, M. B. saisissait le conseil de prud’hommes de Bordeaux en résiliation judiciaire de son contrat de travail, aux torts de son employeur aux fins d’obtenir différentes sommes. Il était licencié le 20 avril 2009 pour faute grave.

Par jugement du 13 octobre 2010 le conseil de prud’hommes a estimé qu’il n’y avait pas lieu à résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur ; que le licenciement de M. Pierre B. reposait bien sur une faute grave et a débouté le salarié du surplus de ses demandes, le condamnant à payer à l’employeur 150 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

M. Pierre B. a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Par conclusions, déposées au greffe le 8 décembre 2011, développées oralement et auxquelles il convient de se référer, M. Pierre B. demande à titre principal d’infirmer le jugement du conseil de prud’hommes, dire que la rupture est imputable à l’employeur et condamner ce dernier à payer : 30 4320 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral compte tenu des circonstances vexatoires de la rupture ; 45 760 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l’article L. 1235-3 du code du travail, à titre subsidiaire infirmer le jugement du conseil de prud’hommes, constater que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner l’employeur à lui payer les mêmes sommes : 30 4320 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral compte tenu des circonstances vexatoires de la rupture ; 45 760 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l’article L. 1235-3 du code du travail.

En tout état de cause, condamner l’employeur à payer à M. B. : 8580 € à titre de préavis 858 € à titre de congés payés sur préavis, la période de mise à pied du 6 au 21 avril 2009 : 1743,61 € ; une indemnité conventionnelle de licenciement 786,50 euros et 5000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’employeur, par conclusions déposées au greffe le 8 décembre 2011, développées oralement et auxquelles il convient de se référer demande à la cour la confirmation du jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Bordeaux le 13 octobre 2010. A titre principal débouter monsieur B. de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail ; débouter M. B. de l’ensemble de ses demandes à ce titre. A titre subsidiaire dire et juger que le licenciement pour faute grave notifié à l’encontre de M. B. est parfaitement justifié débouter en conséquence M. B. de l’ensemble de ses demandes. Sur appel incident condamner M. B. au paiement d’une somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

DISCUSSION

La cour considère qu’en des énonciations suffisantes auxquelles elle se réfère expressément, le conseil de Prud’hommes a fait une analyse complète des faits de la cause et que par des motifs qu’il y a lieu d’adopter et dont le débat d’appel n’a pas modifié la pertinence, il a justement considéré qu’il n’y avait pas lieu de faire droit à la demande de résolution judiciaire du contrat de travail de M. B.

M. B. a saisi le conseil de Prud’hommes par lettre du 6 avril 2009 (reçue le 10 avril 2009), après avoir reçu la lettre le convoquant à l’entretien préalable en vu de son licenciement, et donc concomitamment à l’ouverture de la procédure de licenciement pour faute grave, prononcé par lettre du 20 avril 2009.

Il reproche principalement à son employeur d’avoir transmis le 17 février 2009 un mail, à plusieurs cadres de l’entreprise, qui ne lui était a priori pas destiné dans lequel M. L. le président directeur général envisageait de le ‘virer’.

Mail qui avait été précédé quelques minutes seulement auparavant, d’un courriel adressé par M. L. à M. B. dans lequel, le président directeur général qui se trouvait au Japon, à la veille de l’ouverture d’un salon très important pour l’entreprise, 30 % de la clientèle étant japonaise, déplorait vivement l’absence des notices de présentation des caractéristiques des produits, demandées depuis plusieurs mois (19 novembre 2008) à M. B., afin qu’elles puissent être traduites en Japonais.

M. B. n’a fourni aucun élément sérieux pour expliquer les motifs de sa carence, sinon qu’il avait dû faire face à d’autres priorités. Alors que depuis juillet 2008, après avoir changé de fonction, il était chargé d’élaborer des fiches techniques de présentation des produits.

Mais surtout ce motif n’est pas à l’origine du licenciement de M. B.

Par ailleurs, le salarié dans ses écritures reconnaît que l’accès au réseau informatique de l’entreprise ne lui a été interdit qu’à partir du 1er avril 2009, et donc après que son employeur ait découvert le transfert réalisé entre le 17 et le 30 mars 2009 de 261 mails de sa boîte professionnelle à sa boîte personnelle.

Le 1er avril l’employeur, a également déposé plainte à la gendarmerie pour vol. Les 2 et 3 avril 2009 M. B. était en congés payés. Le 6 avril 2009 l’employeur lui notifiait sa mise à pied conservatoire et le convoquait à l’entretien préalable au licenciement.

Le transfert de ses dossiers à ses autres collègues qui devait avoir lieu du 1er au 7 avril 2009 a été refusé par M. B. par courrier du 30 mars 2009.

Dès lors, le grief qu’il fait à son employeur de l’avoir privé unilatéralement des moyens d’exercer son activité n’est pas fondé non plus.

Il résulte, encore, des pièces fournies par l’employeur et notamment de l’attestation du délégué du personnel, M. L., que M. B. du 16 mars au 30 mars avait manifesté son accord sur le principe d’une rupture conventionnelle, contrairement à ce qu’il soutient désormais. Le délégué du personnel indique, ainsi, avoir durant cette période ‘croisé à plusieurs reprises dans les couloirs M B. qui a décliné son aide dans le cadre de cette négociation, se disant confiant sur l’aboutissement des négociations’.

Dès lors, c’est à bon droit que le conseil de Prud’hommes a débouté M. B. de sa demande de résolution judiciaire, aucun des griefs formés par ce dernier à l’encontre de son employeur n’étant susceptible de constituer une faute de l’employeur suffisamment grave pour la justifier.


Sur le licenciement pour faute grave

La lettre de licenciement adressée à M. B. le 20 avril 2009 dont les termes fixent le litige, reprend les éléments suivants : ‘suite à différents incidents, nous avons convenu au cours d’un entretien en date du 16 mars 2009 d’ouvrir des négociations en vue d’une rupture conventionnelle à votre contrat de travail. À cette fin nous sommes rencontrés à plusieurs reprises. Durant ces négociations, afin de protéger au mieux les intérêts de l’entreprise et de permettre le bon suivi des dossiers en cours, votre adresse mail avait été transférée sur celle de vos responsables. Nous avons alors découvert avec stupéfaction que dès le lendemain de votre entretien avec notre PDG, vous aviez transféré depuis votre messagerie professionnelle vers votre messagerie personnelle plus de 260 courriels comprenant de nombreuses pièces jointes dont une grande majorité présente à caractère hautement confidentiel. Ce caractère confidentiel est mentionné sur un grand nombre des documents que vous vous êtes transférés. En outre notre règlement intérieur dans son article six souligne que l’ensemble des documents et matériels détenus par le personnel dans l’exercice de ses fonctions et confidentielles et ne peut être divulgué. Face à cette situation, à la gravité de ces agissements et en raison du risque majeur encouru par notre société, nous avons déposé plainte auprès des services de gendarmerie qui ont donc ouvert une enquête. Parallèlement, par courrier en date du 6 avril 2009 nous vous avons convoqué à un entretien préalable au licenciement. Dans ce courrier, nous avons également notifié votre mise à pied à titre conservatoire dans l’attente des décisions à intervenir. Lors de cet entretien, vous avez indiqué avoir effectivement transféré tous ces documents et fichiers, suite au conseil de votre avocat et ce dans le but de monter un dossier dans un futur contentieux entre nous. Nous vous indiquons pour mémoire que vous devrez respecter les termes des accords de confidentialité et de non-concurrence figurant sur votre contrat de travail que nous vous rappelons ci-dessous : M B. s‘engage à observer la discrétion la plus stricte sur les informations se rapportant aux activités de la société auxquelles il aura accès à l’occasion et dans le cadre de ses fonctions. Notamment, il ne divulguera quiconque les formulations de fabrication, les études, savoir-faire industriel projet etc. résultant de travaux réalisés dans l’entreprise qui sont couverts par le secret professionnel plus stricte. Il sera lié par la même obligation vis-à-vis de tout renseignement ou documents dont il aura pris connaissance chez des clients de la société’.

Le salarié ne conteste pas avoir du 17 au 30 mars 2009, détourné deux cent soixante et un dossiers appartenant à l’entreprise.

Toutefois, il soutient que son employeur ayant obtenu la preuve de ses détournements par le biais d’un procédé illicite, cette preuve est irrecevable et prive, de fait, le licenciement de toute cause réelle et sérieuse. Or, il ressort d’une jurisprudence constante que les courriels envoyés par un salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail sont présumés sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur peut y avoir accès, hors sa présence.

La liste des 261 mails et dossiers en pièces jointes transférés fournie par la société Epsilon Composite, révèle qu’aucun de ces courriels n’avait un caractère personnel. Ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par le salarié.

La société Epsilon Composite rappelle qu’elle est leader mondial d’un procédé de fabrication, la pultrusion de fibres de carbone.
Elle serait une des seules entreprises au monde à maîtriser ce procédé de fabrication, protégé par des brevets déposés.

Afin de sauvegarder son activité et préserver sa compétence particulière, la société indique imposer à ses salariés une obligation de discrétion absolue qui résulte du règlement intérieur et du contrat de travail,

Il est établi que M. B. a bien, en l’espèce, délibérément violé les clauses de confidentialités de son contrat de travail et du règlement intérieur.

Toutefois, il fait valoir que ces courriers électroniques et pièces jointes n’avaient pour but que de permettre sa défense dans le cadre d’un contentieux ouvert avec son employeur. Sans cependant, être en mesure de justifier en quoi ces pièces et procédés techniques ultra confidentiels pouvaient réellement être utiles à sa défense. (cf. côte 10 du salarié). Dès lors, c’est à bon droit que le conseil de Prud’hommes a par des motifs qu’il convient d’adopter, considéré qu’en violant délibérément les clauses de confidentialité de son contrat de travail et du règlement intérieur, en conservant par devers lui les documents détournés, même sans les divulguer, M. B. avait commis une faute qui rendait impossible son maintien dans l’entreprise même durant la période de préavis, en raison des risques que ces manquements font ou pourraient faire courir à l’entreprise. Et que la faute grave qui lui était reprochée était donc caractérisée. En conséquence, la cour confirme que le licenciement de M. B. repose sur une faute grave.

En conséquence de quoi M. B. sera débouté de l’ensemble de ses demandes.

L’équité commande, au regard de la disparité des ressources entre le salarié qui succombe et l’employeur, de ne pas faire droit aux demandes des parties fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.

DÉCISION

La cour,

. Confirme la décision attaquée dans toutes ses dispositions.

. Déboute les parties de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

. Condamne M. B. aux entiers dépens.

La cour : Mme Brigitte Roussel (président), Mme Maud Vignau (président), Mme Katia Szklarz (vice président)


Avocats
: Me Delphine Salla, Me Carole Moret

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