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Jurisprudence : Responsabilité

mercredi 06 juin 2012
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Cour d’appel de Bordeaux 1ère chambre, section B Arrêt du 10 mai 2012

Amen / M. K.

contenu illicite - délai - diffusion - hébergeur - responsabilité - retrait

FAITS ET PROCÉDURE

Selon les énonciations de l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse en date du 19 mai 2009, à la suite des événements survenus à Toulouse le 21 septembre 2001 (explosion de l’usine AZF), M. K. a été mis sur écoute en sa qualité de correspondant de presse, à l’occasion de l’enquête judiciaire ; le contenu de ses conversations téléphoniques a été diffusé par le site internet www.arme-collection.com édité par Pierre G. et hébergé par la société Agence des Médias Numériques (Amen).

A la demande de M. K. présentée par courrier de son avocat distribué le 8 février 2008, la société Amen a suspendu le site internet le 12 février 2008.

Saisi, suivant assignation du 11 février 2008, par M. K. contre Pierre G. et la société Amen d’une action en suppression du contenu du site internet et en paiement d’une provision à valoir sur la réparation de son préjudice moral, le juge des référés du tribunal de grande instance de Toulouse par ordonnance en date du 13 mars 2008 a déclaré sans objet ta demande de suppression et a condamné solidairement les défendeurs à une indemnité provisionnelle de 6000 €.

Sur l‘appel de la société Amen contre M. K. et Pierre G., la cour de Toulouse, par arrêt de référé du 19 mai 2009, s’est déclarée incompétente pour statuer au fond sur les demandes de garanties, de partage de responsabilité et d’allocation de dommages et intérêts, a renvoyé la société Amen à mieux se pourvoir devant le juge du fond et a confirmé l’ordonnance de référé, à l’exception du montant de l’indemnité provisionnelle qu’elle a élevée à 10 000 € aux lieu et place de 6000 € ; les défendeurs ont été condamnés à une indemnité complémentaire de procédure et aux entiers dépens.

La Cour de cassation, par arrêt de la première chambre civile en date du 17 février 2011, rendu entre la société Amen et M. K., a cassé et annulé l’arrêt de la cour de Toulouse mais seulement en ce qu’il a prononcé condamnation à l’encontre de la société Amen “sans rechercher si, comme il le lui était demandé, la notification délivrée en application de la loi susvisée (article 6-l-5 de la loi numéro 2004-575 du 21 juin 2004) comportait l’ensemble des mentions prescrites par ce texte”.

Dans ses dernières écritures déposées le 17 février 2012 au soutien de son appel, la société Amen prête principalement au demandeur M. K. une action fondée sur la loi du 29 juillet 1881 pour en inférer une série de nullités, et subsidiairement développe son absence de responsabilité comme hébergeur de sites, en raison du défaut de respect du formalisme requis ; elle développe les carences de la notification du 7 février 2007 qui l’empêchait d’identifier le contenu notifié et rendait irrecevable la notification ; elle fait observer qu’elle a néanmoins réussi à suspendre l’accès au site le 12 février 2008 à 19 heures 12 minutes, après la réception de l’assignation en référé du 11 février 2008, suite à des recherches ; elle conteste enfin le préjudice allégué (45 000 €) non justifié par une prétendue atteinte à la vie privée ; elle réclame une indemnité de procédure (10 000 €).

L’intimé M. K. a conclu le 7 février 2012 en rappelant que son action est fondée sur les articles 9 et 1382 du code civil, et en soutenant la responsabilité de la société Amen en qualité d’hébergeur, en observant que le non respect de la forme de la notification est sans incidence puisque aucune sanction n’a été prévue et que les précisions exigées n’ont pour finalité que de permettre à l’hébergeur d’avoir une connaissance effective du contenu illicite dénoncé ; il stigmatise l’absence de réactivité de la société Amen ; il maintient sa demande de réparation à 45 000 € ; il conclut donc à la confirmation de l’ordonnance, sauf à élever les dommages et intérêts à 45 000 €, et réclame une indemnité de procédure (3000 €).

Le Ministère Public a visé le dossier le 22 décembre 2011.

A l’audience, avant le déroulement des débats, à la demande des avocats des parties, l’ordonnance de clôture en date du 7 février 2012 a été révoquée et une nouvelle clôture a été prononcée par mention au dossier.

DISCUSSION

Sur la nullité de la procédure

Attendu que tant l’ordonnance de référé que les écritures de M. K. visent la réparation du préjudice causé par la diffusion d’écoutes téléphoniques par voie électronique sur le fondement des articles 9 et 1382 du code civil ;

Attendu que les irrégularités de procédure tirées de la loi de 1881 sur la presse sont donc inopérantes, l’exception de nullité de l’acte introductif d’instance doit être rejetée ;

Sur le bien fondé de l’action an paiement d’une provision

Attendu que l’article 6-1-5 de la loi numéro 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, au visa duquel l’arrêt de la cour de Toulouse a été partiellement cassé, dispose, dans sa rédaction antérieure au 9 juillet 2010 applicable en la cause, que :
“La connaissance des faits litigieux est présumée acquise par les personnes désignées au 2 lorsqu’il est notifié les éléments suivants :
– la date de la notification,
– si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement,
– les nom et domicile du destinataire, ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social,
– la description des faits litigieux et leur localisation précise,
– les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits,
– la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l’autour ou l’éditeur n’a pu être contactés” ;

Qu’en l’espèce, la notification de M. K. en date du 7 février 2008, par le courrier de son avocat, comporte comme mention d’identification du mandant personne physique « je suis le conseil de Monsieur K.” ;

Attendu qu’abstraction de l’inversion du nom et du prénom du mandant, M. K., ce dernier n’est identifié ni par sa profession, ni par son domicile, ni par sa nationalité, ni par ses date et lieu de naissance ;

Attendu que la présomption de connaissance des faits litigieux définie à l’article 6 de la loi précitée, ne peut donc s’appliquer à la société Amen, son obligation de faire cesser la diffusion est susceptible d’une contestation sérieuse qui exclut l’allocation d’une provision ouverte par l’article 809 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Que l’ordonnance sera donc réformée de ce chef et des condamnations subséquentes également objet du renvoi de la Cour de cassation ;

Attendu par ailleurs que le présent arrêt infirmatif du chef de la provision allouée par l’ordonnance de référé et élevée par l’arrêt de référé, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution de ces décisions, lesquelles sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la signification valant mise en demeure du présent arrêt ouvrant droit à restitution ;

Attendu que la partie succombante doit supporter les dépens ;

DÉCISION

Vu l’arrêt de la Cour de cassation (première chambre civile) en date du 17 février 2011, statuant dans les limites de la cassation,

. Rejette l’exception de nullité de l’acte introductif d’instance,

. Dit que la connaissance des faits litigieux n’est pas présumée acquise par la société Amen,

En conséquence,

. Déboute M. K. en sa demande d’allocation d’une indemnité provisionnelle,

. Déboute M. K. en sa demande en paiement d’une indemnité de procédure devant le juge des référés de Toulouse et devant la cour d’appel de Toulouse,

. Condamne M. K. aux dépens de l’ordonnance de référé et de l’arrêt de la cour de Toulouse,

. Dit n’y avoir lieu à indemnité de procédure devant la cour de Bordeaux,

. Condamne M. K. aux entiers dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La cour : M. Louis-Marie Cheminade (président), M. Pierre-Louis Crabol (conseiller), M. Patrick Boinot (conseiller)

Avocats : Me Sabine Chauveau, Me Cyril Fabre, Me Emilie Pecastaing

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.