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Jurisprudence : Contenus illicites

vendredi 15 juin 2012
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Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 12 juin 2012

Mme R. / JFG Networks

dénigrement - éditeur - hébergeur - injure - loi 1881 - prescription - référé

PROCÉDURE

Vu l’assignation en référé à heure indiquée délivrée le 7 mai 2012 à la société JFG Networks en sa qualité d’hébergeur, à la requête de Roselyne dite Rose B. G. qui nous demande, au visa des articles 809 et 810 du code de procédure civile :
– d’ordonner à la défenderesse de supprimer l’article “Rose B. devrait fermer sa g…”, publié le 2 octobre 2010 sur le site s……fr, sous astreinte de 1000 € par jour de retard, et de rendre cet article inaccessible par la voie de l’internet, sous la même astreinte,
– de la condamner au paiement de la somme de 1500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Vu les conclusions déposées le 29 mai 2012 par la société JFG Networks qui :
– invoque la prescription trimestrielle prévue par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881,
– fait valoir qu’elle n’est pas éditeur de l’article litigieux, mais hébergeur de contenu au sens de l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et que sa responsabilité ne saurait être engagée à ce titre, en l’absence de notification telle que prévue par l’article 6-I-5 de cette loi, en demandant acte de ce que l’éditeur a fait valoir son identité,
– en tout état de cause, soutient que les contenus ne sont pas manifestement illicites,
– sollicite le débouté de la demanderesse de l’ensemble de ses prétentions et la condamnation de celle-ci à lui verser la somme de 5000 € au titre de ses frais irrépétibles,

Vu les conclusions en réplique de Roselyne dite Rose B. G. et les observations orales des conseils des parties à l’audience du 29 mai 2012, à l’issue de laquelle il leur a été indiqué que la présente décision serait rendue le 12 juin 2012 à 14 heures, par mise à disposition au greffe des référés.

DISCUSSION

Un article intitulé “Rose B. devrait fermer sa g…” a été publié le 2 octobre 2010 sur le blog accessible à l’adresse www.s…..fr ; il y est notamment indiqué :
“Il y a quelques jours, lors de la promo du DVD du film “La Rafle” sa réalisatrice, Roselyne B. donc, a tenu des propos d’une connerie affligeante […]”, et après le rappel des propos de la demanderesse (selon laquelle ceux qui ne pleurent pas lors de son film sont des “pisse-froid [qui] rejoignent Hitler en esprit”, ce dernier pensant “que les émotions sont de la sensiblerie”), il est ajouté :
“Outre le fait notable de dire une des plus grosses conneries de ces dernières années […]”.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 avril 2012, le conseil de Rose B. a demandé à la société JFG Networks de retirer cet article du site et d’en rendre l’accès impossible conformément aux dispositions de l’article 6-I-3° et 5° de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique en raison de ces “propos injurieux à son encontre et donc illicites”, en sollicitant en outre la communication des données permettant l’identification des personnes ayant posté l’article.

La défenderesse a notamment répondu que l’appréciation portée par l’éditeur du blog sur une déclaration de Mme B. ne pouvait être considérée comme un contenu manifestement illicite ; elle a proposé de transmettre un courrier à l’éditeur afin qu’il puisse répondre directement et s’est dite prête à fournir toute information relative à celui-ci dès qu’elle recevrait une ordonnance sur requête rendue en ce sens.

Dans son assignation, la demanderesse fait valoir que les propos ci-dessus reproduits, contenus dans l’article intitulé “Rose B. devrait fermer sa g…”, sont injurieux à son égard tout en reconnaissant expressément que le débat de fond ne peut être ouvert avec l’auteur de l’article qui bénéficie de la prescription trimestrielle prévue par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 ; ainsi, c’est à juste titre que la défenderesse invoque la prescription de l’action qui serait fondée sur les dispositions de cette loi réprimant l’injure.

Toutefois en l’espèce, Roselyne dite Rose B. G. n’a pas intenté la présente instance sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, mais en invoquant un trouble manifestement illicite au sens de l’article 809 du code de procédure civile.

Il est constant que la société JFG Networks n’est pas l’éditeur, mais l’hébergeur du contenu litigieux et qu’elle a été assignée en cette seule qualité ; en vertu des dispositions de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, l’hébergeur ne peut voir sa responsabilité engagée qu’après que le contenu illicite d’une publication lui a été notifié dans les formes prévues par la loi et si, l’information dénoncée présentant un caractère manifestement illicite, il n’a pas agi promptement pour la retirer.

Or au cas présent, il convient de constater que les propos litigieux (“Rose B. devrait fermer sa g…” , “Roselyne B. donc, a tenu des propos d’une connerie affligeante”, “Outre le fait notable de dire une des plus grosses conneries de ces dernières années”) signifient clairement dans le contexte de l’article en question – comme l’auteur l’explicite d’ailleurs lui-même – que “comparer ceux qui n’ont pas pleuré lors de son film à Hitler est une bêtise”.

Même s’ils sont exprimés en termes plus vulgaires, vifs et désagréables, les passages dont se plaint la demanderesse ne caractérisent pas une injure visant sa personne ; ils ne constituent pas davantage un dénigrement de son film, ni de son œuvre passée ou future, mais seulement une appréciation très critique et un jugement de valeur portés par l’auteur du blog sur les déclarations de Rose B.

L’article litigieux ne présentant donc pas un caractère manifestement illicite, cette dernière sera déboutée de l’ensemble de ses prétentions.

Enfin, des raisons tirées de considérations d’équité conduisent à écarter toute application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la défenderesse.

DÉCISION

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

. Déboutons Roselyne dite Rose B. G. de toutes ses demandes,

. Déboutons la société JFG Networks de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,

. Condamnons Roselyne dite Rose B. G. aux dépens.


Le tribunal
: Mme Anne-Marie Sauteraud (vice présidente)

Avocats : SCP Jean-Paul Levy et Charles-Emmanuel Soussen, Olivier Iteanu

 
 

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